Réf. : Cass. com., 19 février 2013, n° 12-23.146, F-D (N° Lexbase : A4182I8E)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
le 29 Mai 2013
I - Contrat de société et contrat d'apport, un couple dissociable après l'ouverture du redressement judiciaire
La présente affaire porte sur un aspect classique des sociétés coopératives : pour bénéficier des prestations économiques proposées par ce type de société, le cocontractant potentiel doit préalablement adhérer à la société coopérative (2). Autrement formulé, il faut devenir associé-coopérateur avant de devenir cocontractant de celle-ci. L'interdépendance des situations juridiques est mise en avant par la société coopérative, dans le seul but de justifier l'impossibilité de remettre en cause le contrat d'engagement de livrer la totalité de la production de la société débitrice.
En effet, la coopérative prétend que la société débitrice a sollicité par le même acte son adhésion et conclut le contrat litigieux. Par ailleurs, celle-ci emporte, en application de l'article 7 des statuts, pour le coopérateur, producteur de pommes, un engagement d'apport de la totalité de sa récolte pour une durée fixée, par le contrat d'engagement conclu le 28 février 1995 à une durée de cinq ans renouvelable par tacite reconduction. Dans ces conditions, la coopérative prétend que l'adhésion et le contrat d'apport forment un tout indissociable. Ainsi, au jour de l'ouverture de la procédure de la société débitrice, le contrat, qui avait été renouvelé une fois au cours de l'année 2000, était en cours d'exécution. En effet, le redressement judiciaire a été prononcé en octobre 2009.
Pour justifier son opposition à la résiliation du contrat d'apport, la coopérative ajoute que la société débitrice souhaite, sous couvert de remise en cause de ce dernier, poursuivre la résiliation du contrat de société la liant en sa qualité d'associé coopérateur. Cet argument est repris par les juges du fond, dans la motivation de leur décision. En effet, pour la cour d'appel, la société débitrice aurait dû mettre en oeuvre la faculté de se retirer de la coopérative, société à capital variable, en application de l'article L. 231-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6278AID) (3). En effet, les dispositions du titre III du livre II du Code de commerce sont applicables aux sociétés coopératives agricoles par renvoi de l'article L. 526-1 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L3513HTB) (4). Ainsi, adhésion à la coopérative et contrat d'apport de récolte étant indissociablement liés, la remise en cause de ce dernier ne pourrait passer que par le retrait de l'associé-coopérateur de la coopérative agricole, et ce, même, en cas d'ouverture d'une procédure collective.
De plus, la Cour de cassation a jugé que le contrat de société n'est pas un contrat en cours au sens du droit des entreprises en difficulté, par un arrêt du 10 juillet 2007 (5). Cette solution a été rendue sur le visa de l'ancien article L. 621-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L6880AIN) applicable aux procédures collectives ouvertes avant le 1er janvier 2006. S'il on considère que adhésion à une société coopérative, autrement dit, contrat de société, et contrat d'apport de récolte forment un tout indissociable, il n'est pas possible de solliciter la résiliation de l'engagement d'apport conclu par la société débitrice.
Or, la Cour de cassation ne partage par cette analyse. Adhésion à une société à capital variable, en l'occurrence une coopérative agricole, et contrat d'apport de récolte ne forment pas un tout indissociable. Par conséquent, il est nécessaire de distinguer le sort des deux situations, et tout spécialement en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de l'associé coopérateur. Ainsi, le contrat de société n'étant pas un contrat en cours, le coopérateur doit solliciter le retrait de la coopérative en application de l'article L. 231-6 du Code de commerce. A l'opposé, "le contrat d'apport constitue un contrat en cours dont l'administrateur peut exiger la continuation ou la résiliation", comme l'indique la Cour de cassation dans l'arrêt du 19 février 2013. Pour cette raison, la décision de la cour d'appel est censurée pour violation de l'article L. 622-13 du Code de commerce.
II - La remise en cause du contrat d'apport dans le cadre de la procédure collective
Le redressement judiciaire de la société agricole a été ouvert sans désignation d'administrateur judiciaire. Par conséquent, le débiteur exerce, après avis conforme du mandataire judiciaire, la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre les contrats en cours en application de l'article L. 627-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3403ICZ) (6), le juge-commissaire étant saisi en cas de désaccord quant au sort du contrat en cours. C'est ainsi que dans la présente affaire, la société débitrice a saisi le juge-commissaire pour faire prononcer la résiliation du contrat d'apport de récolte, en application de l'article L. 622-13 du même code. Les conditions de résiliation d'un contrat en cours ont été modifiées par l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (7). Actuellement, l'article L. 622-13, IV, précité dispose que la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. Le redressement judiciaire ayant été ouvert en octobre 2009, cette règle s'applique au litige à l'origine de l'arrêt du 19 février 2013.
Dans le cadre de la procédure en appel (8), la coopérative prétend que les conditions de résiliation d'un contrat en cours sont cumulatives. Elle doit, tout d'abord, être nécessaire à la sauvegarde du débiteur. La coopérative prétend que le débiteur a critiqué les délais de paiement des récoltes livrées à partir de 2009 seulement, date à laquelle il avait trouvé un autre grossiste lui offrant un prix d'achat plus élevé. En outre, dans le cadre du plan de redressement adopté, le débiteur a cédé des actifs immobiliers dont le prix de la vente a été absorbé par la restructuration de l'entreprise agricole. Par conséquent, il est possible d'en déduire que obtenir un prix de vente plus élevé de la récolte de pommes est une nécessité pour la sauvegarde du débiteur. Par ailleurs, la coopérative ne donne aucune information quant à l'existence d'une éventuelle atteinte excessive à ses intérêts. Dans la mesure où il apparaît que la résiliation du contrat d'apport de récolte semble nécessaire au débiteur, car elle lui permet de conclure un nouveau contrat lui permettant d'obtenir un meilleur prix de vente pour sa production de pommes, et en l'absence de conséquences excessives pour la coopérative, notamment en raison de la faculté de retrait existant pour les associés coopérateurs, les conditions légales semblent remplies. Par conséquent, la résiliation du contrat d'apport en cours devrait pouvoir être prononcée.
Cette affaire met en évidence l'intérêt que le débiteur a, parfois, de solliciter la résiliation d'un contrat en cours. Auparavant, seul le cocontractant disposait directement ou indirectement du pouvoir de remettre en cause un contrat en cours après l'ouverture de la procédure collective. Comme la doctrine l'a souligné (9), en l'absence de mise en demeure de l'administrateur, la situation était floue, la Cour de cassation considérant que le contrat n'était pas résilié. Seul le cocontractant pouvait demander la résiliation judiciaire de celui-ci (10). Désormais, la situation est clarifiée : l'administrateur peut demander la résiliation d'un contrat en cours, dérogeant ainsi au droit commun des contrats après l'ouverture de la procédure collective. En l'absence d'administrateur, comme dans le cas présent, la demande de résiliation est déposée par le débiteur, après avis conforme du mandataire judiciaire, auprès du juge-commissaire. Par conséquent, si la faculté de continuer est un pouvoir de l'administrateur, ce n'est pas le cas de la résiliation, à l'initiative du débiteur, qui doit être judiciairement prononcée. Sur le plan économique, la modification législative apportée par l'ordonnance de 2008 est opportune car elle permet au débiteur de conclure un nouveau contrat dans des conditions plus intéressantes et dans l'intérêt de sa sauvegarde. Une seule limite à cela : la résiliation ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant ! Tel ne semblait pas être le cas dans cette affaire. Reste alors à savoir, ce qu'est "une atteinte excessive" face à la défaillance d'une entreprise...
(1) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. C, 21 juin 2012, n° 10/20364 (N° Lexbase : A3898IP3).
(2) Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, art 1er (N° Lexbase : L4471DIG).
(3) Et non en application de l'article L. 321-6 de ce code, comme indiqué dans l'arrêt de la cour d'appel.
(4) Malgré le défaut d'actualisation de ce texte qui renvoie toujours aux dispositions de la loi du 24 juillet 1867, aujourd'hui abrogée et dont les dispositions actuellement applicables sont énoncées au titre III du livre II du Code de commerce.
(5) Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-11.680, F-P+B ([LXB=A296DX8]), Bull. civ. IV, n° 191, Lexbase Hebdo n° 269 du 19 juillet 2007 - édition privée (N° Lexbase : N9288BBM) ; Act. proc. coll. 2007, comm.. 163, obs. C. Regnault-Moutier, JCP éd. E, 2007, 2474, note J.-P. Legros ; JCP éd. E, 2008, 1207, n° 12, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 2008, comm. 76, note Ph. Roussel Galle ; D., 2007, p. 2107, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 26-27 octobre 2008, p. 38, obs. Fl. Reille ; Bull. Joly. Sociétés, 2008, p. 46, note F.-X. Lucas.
(6) Ph. Roussel Galle, Rev. proc. coll., 2006, p. 264.
(7) Ph. Roussel Galle, Les nouveaux régimes des contrats en cours et du bail, Rev. proc. coll., 2009, dossier 7 ; E. Le Corre-Broly, D., 2009, p. 663.
(8) CA Aix en Provence, 21 juin 2012, préc..
(9) Ph. Roussel Galle, Rev. proc. coll. 2009, préc. note 7.
(10) Cass. com., 19 mai 2004, n° 01-13.542, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2479DCS), Act. proc. coll. 2004, n° 146, obs. C. Regnault-Moutier ; D., 2004, p. 1668, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2004, p. 1292, obs. Ph. Pétel ; Rev. loyers, 2004, com. 850, note Ch. H. Gallet ; LPA, 6 août 2004, p. 17, note P.-M. Le Corre ; Dr. & patr.; octobre 2004, p. 117, obs. M.-H. Monsèrie-Bon ; Rev. proc. coll. ; 2004, p. 227, n° 8, obs. Ph. Roussel Galle ; P.-M. Le Corre, L'absence d'équivalence de la non-continuation du contrat et de sa résiliation en l'absence de mise en demeure, Lexbase Hebdo n° 129 du 14 juillet 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N2356ABU).
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