Lexbase Fiscal n°888 du 16 décembre 2021 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] De l’intention spéculative et de quelques points de procédure

Réf. : CAA Douai, 18 novembre 2021, n° 19DA01864 (N° Lexbase : A42447EW)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

le 19 Décembre 2021


Mots-clés : revenus professionnels intention spéculative immobilier

Quand y a-t-il intention spéculative ? Quand le contribuable ne réussit pas à prouver qu’il n’y avait pas intention spéculative ! Tel est le sentiment classiquement éprouvé à la lecture de cette décision de la CAA de Douai en date du 18 novembre 2021.


 

M. et Mme A… font l’acquisition en octobre 2005 d’une parcelle dont la superficie est de 26130 m2. Après division cellulaire est opérée la cession – entre le 31 août 2006 et le 9 mars 2011 - de neuf terrains à bâtir pour une somme de 390130 euros. Selon l’administration, c’est à une activité de marchands de biens que se sont livrés les époux A…Les bénéfices découlant de ces cessions n’ont pas été imposés dans la catégorie des plus-values des particuliers mais dans la catégorie des BNC. À la suite de cette évaluation d’office, sujétion à des cotisations supplémentaires d’impôt il y a eu ; la majoration de 40 % (CGI, art. 1728 b N° Lexbase : L9389LH9) a été en outre appliquée.

Saisi, le tribunal administratif de Lille prononce un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d’instance ; il réduit la base taxable de l’impôt à l’IR (pour l’année 2011) ; il accorde aux requérants la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d’IR mise à la charge de ces derniers (année 2011) à hauteur de cette réduction en base. Reste que les époux A… demandent l’annulation de l’article 5 du jugement du TA de Lille en ce qu’il y a eu rejet du surplus des conclusions de leur demande. La cour administrative d’appel de Douai constate que les premiers juges du fond n’ont pas répondu à un moyen soulevé par les requérants. Ceux-ci avaient invoqué l’opposabilité de la doctrine administrative référencée BOI-CF-IOR-50-20 (N° Lexbase : X5040ALA), en particulier son §40 exigeant que toute mise en demeure indique la date à laquelle la déclaration (ou l’acte dont la présentation est demandée) aurait dû être déposée. En ne répondant pas à un tel moyen, la décision du TA de Lille est entachée d’irrégularité ; annulation de l’article 5 du jugement il y a par la CAA. Celle-ci décide de statuer sur les conclusions des époux A… demandant la décharge des impositions contestées.

Commençons par l’interrogation substantielle de la CAA : est-on en présence d’une intention spéculative ?

Après lecture de l’article 150 U du CGI (N° Lexbase : L6951LZH), elle fait mention de l’article 35 du CGI (N° Lexbase : L3342LCR) : présentent le caractère de BNC, pour l’application de l’IR, les bénéfices réalisés par les personnes physiques procédant à la cession d’un terrain divisé en lots ayant vocation à être construit lorsque le terrain a été acquis à cet effet. Présomption il y a, rappelle immédiatement le juge : les profits découlant de la cession d’un terrain divisé en lots destinés à la construction sont présumés être réalisés dans le cadre de la gestion du patrimoine privé. À ce titre, ils relèvent de régime d’imposition des plus-values des particuliers ; cependant, ils sont imposables dans la catégorie des BNC si le terrain a été acquis en vue du lotissement et de la vente par lots. Pour déterminer s’il y a eu – ou pas – intention spéculative, il convient de retenir la date d’acquisition du terrain (quand bien même il est loisible de prendre en compte des éléments postérieurs afin de mesurer l’intention du contribuable lors de l’acquisition).

Dans le cas présent, les époux A… acquièrent en octobre 2005 un terrain d’une superficie de 26130 M2 pour un montant de 72500 euros. Une division en parcelle est opérée puis advient (entre août 2006 et mars 2011) la cession de neuf terrains à bâtir (surface totale de 14791 m2) pour la somme de 390130 euros. Nous sommes indiscutablement en présence, estime la CAA, d’une opération de lotissements au sens de la réglementation de l’urbanisme. Les époux A… insistent sur le fait que le terrain n’était pas constructible au moment de l’acquisition ; celle-ci précède de peu l’adoption de la carte communale révisée de la commune sur laquelle se trouve le bien, révision qui a ouvert le terrain à l’urbanisation. Et les acquéreurs des premiers lots cédés obtiennent même des permis de construire quand bien même la carte révisée n’a pas été encore adoptée. Les requérants soulignent que les dispositions d’urbanisme ont été modifiées et qu’il y a eu application de ce nouveau régime à la parcelle acquise en 2005 ; une telle modification est « totalement indépendante de leur volonté ». L’assertion, pour être exacte, n’est pas de nature à s’avérer décisive aux yeux du juge : « cette circonstance ne suffit pas à exclure la possibilité d’une intention spéculative ». L’existence d’une intention spéculative n’est pas exclue en tant que telle par la seule constatation que le terrain n’était pas constructible au moment de son acquisition. D’autant que les époux A… procèdent, dès mai 2006, via un géomètre expert, à la division de la parcelle en lots ; puis, ils déposent, dès juillet 2006, une demande d’autorisation de lotir. Le temps accomplit son œuvre qualificative aux yeux de la CAA, et ce au détriment des requérants.

Comment ne pas constater que la vente du premier terrain à bâtir intervient moins de onze mois après l’acquisition de la parcelle ? Comment ne pas relever que les huit autres cessions sont advenues sur une période de moins de cinq années ? Et s’il fallait poser une autre (fausse) interrogation, il ne pourrait s’agir que de celle-ci : comment ne pas souligner que M. A… exerce une activité professionnelle de nature immobilière ?

Il est des indices qui – cumulés – prennent aisément la forme d’un faisceau… Quand une telle présomption pèse sur les épaules des contribuables, le fardeau probatoire ne peut que – vainement – leur échoir ; aussi n’est-il guère surprenant de lire que les requérants, qui contestent toute intention spéculative, « n’expliquent pas quelle autre intention, et notamment un motif d’ordre privé », aurait présidé à l’acquisition du terrain. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, l’existence d’une intention spéculative est avérée lors de l’acquisition de la parcelle en 2005. Il s’ensuit que c’est à bon droit que les profits enfants des cessions ont été assujettis à l’IR dans la catégorie des BNC ; que le revenu imposable des époux A… s’en trouve rehaussé n’est alors que chose logique.

Quid des charges déductibles du bénéfice imposable ? Après lecture de l’article 39 du CGI (N° Lexbase : L2449L7T), le juge fait mention de la demande des époux A… visant à ce que soient prises en compte les cotisations de taxe foncière mises en recouvrement à raison du stock d’immeubles non bâtis. La CAA rejette sèchement la prétention, arguant que les contribuables ne produisent aucun élément, en particulier aucun avis d’imposition. Or, en l’absence de celui-ci, il est impossible de déterminer les montants dont ils se sont acquittés à ce titre. Rejet de la demande il y a.

Quid de la prise en compte d’une dépense de 20188, 14 euros qui correspond à la participation pour voiries et réseaux mis à leur charge en 2010 ? Cette dépense a certes été admise en déduction par l’administration mais seulement à hauteur de 13418,12 euros. Cependant, constate le juge, la prétention des requérants a été accueillie par l’administration en cours d’instance devant le TA de Lille. La demande devient ainsi sans objet.

Quid de la demande de compensation formulée par les époux A… ? Ces derniers demandent la compensation entre le montant des plus-values immobilières acquittées (pour les années 2010 et 2011) et les cotisations supplémentaires d’IR mises à leur charge. Cette demande est, là encore, sans objet : a été prononcé par l’administration un dégrèvement de l’imposition sur les plus-values immobilières – dont ils se sont acquittés à hauteur de 17327 – devant le TA de Lille.

Enfin, quid des pénalités infligées ? Après lecture de l’article 1728 du CGI, la CAA rappelle que les époux A… ont fait l’objet de mises en demeure pour déposer les déclarations de TVA et de BNC (lettres du 7 mai 2013 réceptionnées le 11 mai 2013, Cerfa n° 2111). Point de déclarations souscrites par les contribuables nonobstant ces mises en demeure ; l’administration pouvait alors à bon droit appliquer la majoration de 40 % (article 1728 b du CGI). Que le notaire en charge de la rédaction des actes de vente des terrains ait commis une erreur sur le régime d’imposition applicable en l’espèce ne saurait valoir : cela n’emporte pas d’incidence sur l’application des pénalités puisqu’une mise en demeure de déposer la déclaration n° 2031 (BNC) a été adressée, sans que M. A… y défère. Quand bien même l’éventuelle bonne foi des requérants peut ne pas être écartée ex abrupto, cela n’emporte aucune conséquence quant au bien-fondé de l’application de la majoration de 40 %.

Passons, pour terminer, à quelques questions de procédure.

Les requérants invoquent la méconnaissance de l’article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) (obligation d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition … obligation de communiquer avant la mise en recouvrement une copie des documents au contribuable qui en fait la demande). Certes, rappelle le juge, il appartient à l’administration d’informer le contribuable de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès des tiers (usités aux fins d’établissement des impositions) pour rehausser ou arrêter d’office les bases d’imposition ; et ce, naturellement, avant la mise en recouvrement. Cette information doit être d’une « précision suffisante » afin que le contribuable puisse utilement discuter leur provenance et demander qu’ils soient mis à sa disposition. Toutefois, cette obligation qui échoit à l’administration ne saurait s’étendre aux informations… se trouvant dans les propres déclarations du contribuable. Dans le cas présent, l’administration s’est seulement fondée sur les déclarations de plus-values immobilières des époux A…et sur les documents par eux communiqués lors des opérations de contrôle. Ces informations étant, par définition, connues des époux A…, il n’existait aucune obligation pour l’administration d’indiquer l’origine des documents ni de leur communiquer. De cette assertion logique, il s’ensuit que l’article L. 76 B du LPF n’est aucunement violé.

Est encore écarté le moyen tiré d’une présumée violation de la procédure d’imposition d’office (LPF, art. L. 73 N° Lexbase : L0715ITN). Les mises en demeure de déposer les déclarations de TVA (via les imprimés Cerfa n° 2111) sont qualifiées de régulières par la CAA : elles comportent, s’agissant des BIC, la nature des déclarations sollicitées, les périodes visées, les nom et prénom ainsi que la signature de leur auteur, les textes applicables s’agissant des pénalités. Que les mises en demeure n’indiquent pas la date limite à laquelle les déclarations doivent être déposées ne saurait avoir d’incidence sur la régularité de la procédure. Les contribuables n’ayant pas souscrit ces déclarations – nonobstant les mises en demeure – c’est à bon droit que l’administration évalue d’office les BIC réalisés lors des exercices de 2010 et 2011. L’invocation, par les contribuables, de la doctrine référencée 5B-8211 n° 30 (cf. BOI-CF-IOR-50-20-n° 40, 4 février 2015) est sans effet aux yeux du juge. Cette doctrine porte sur les mentions de la mise en demeure, en particulier la mention de la date limite à laquelle il convient de déposer les déclarations. Une telle doctrine n’est pas opposable à l’administration en vertu de l’article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L6958LLB) : ces exigences des mentions de la mise en demeure sont relatives à la procédure d’imposition et non point à l’établissement des pénalités (en dépit de la thèse soutenue par les contribuables). Enfin, la régularité de la procédure d’imposition d’office ne saurait être contestée sur le fondement de la violation des garanties découlant de la Charte du contribuable vérifié ; certes, les mises en demeure ont seulement été envoyées à l’un des deux exploitants. Mais cela ne vicie aucunement la procédure. Nous sommes en présence de copropriétaires indivis d’une exploitation ; or, au regard de la loi fiscale, le copropriétaire indivis d’une exploitation est réputé acquérir, à raison même de cette qualité, celle de co-exploitant. Il n’est alors pas irrégulier d’adresser uniquement à l’un des deux exploitants (Monsieur A… ici) les mises en demeure.

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