La lettre juridique n°883 du 4 novembre 2021 : Urbanisme

[Textes] Nouvelles mesures pour la prise en compte du dérèglement climatique dans le droit de l’urbanisme – quels impacts prévisibles sur les valeurs immobilières ?

Réf. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

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par Marie-Laure Lambert, Maître de conférences HDR en droit public de l’environnement, IUAR-LIEU, Université Aix-Marseille

le 03 Novembre 2021

 


Mots clés : changement climatique • droit de l’urbanisme • valeurs foncières

En pleine ouverture de la COP 26 à Glasgow vient se reposer de manière lancinante la problématique du réchauffement climatique et de ses impacts sur les conditions de vie des populations, que ce soit dans leur habitat ou sur leir lieu de résidence. Le présent article précise les dispositions récentes de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 sur la rénovation énergétique des bâtiments et sur les conséquences de l'élévation du niveau des mers sur l'urbanisme littoral.


 

Depuis la loi « SRU », et la loi « ALUR » [1], le droit de l’urbanisme a intégré progressivement une forte dimension environnementale. Mais ce n’est que plus récemment, c’est –à-dire assez tardivement au regard des enjeux [2], que des mesures en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique ont été intégrées ou renforcées dans la planification urbaine, à l’occasion du vote des lois « LEC » [3] et « LCR » [4]. Rappelons que plusieurs institutions avaient considéré comme tardive et insuffisante l’action de l’État en la matière : le Haut conseil pour le climat [5], le tribunal administratif de Paris [6], et surtout le Conseil d'État qui a enjoint le Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires avant mars 2022 pour respecter la trajectoire de réduction des émissions françaises avant 2030 [7].

Sensée traduire les travaux de la Convention citoyenne sur le climat, la dernière loi « climat et résilience » (ci après LCR) était très attendue, et a finalement fortement déçu les attentes des associations et des ONG [8], notamment parce qu’elle ne permettra pas de remplir les objectifs juridiques de baisse des émissions de gaz à effet de serre de la France, selon une étude commandée par le Gouvernement français [9]. Elle comporte néanmoins quelques avancées, dont nous aborderons ici deux mesures visant à atténuer le changement climatique et à s’y adapter [10]. En matière de lutte contre le changement climatique, une mesure vise à renforcer la rénovation énergétique des bâtiments existants pour limiter les consommations énergétiques et donc les émissions de carbone (I). En matière d’adaptation au changement climatique, la loi a intégré diverses dispositions dans le Code de l’urbanisme visant à gérer les conséquences sur l’urbanisme littoral du recul du trait de côte déjà observé et qui sera aggravé par les effets du changement climatique, notamment l’élévation du niveau marin (II).

Dans les deux cas, il conviendra de se questionner, sans prétendre à une analyse économique poussée, sur les implications possibles de ces mesures sur les comportements d’achat des biens immobiliers, l’évolution des valeurs foncières ou immobilières induites et finalement les inégalités environnementales. Le fil directeur de ces interrogations vise à rechercher si les mesures adoptées pourraient avoir pour effet, dans les prochaines décennies de réorienter le marché de l’immobilier vers des valeurs marchandes moins spéculatives et une valeur d’usage plus saine.

I. La rénovation énergétique des bâtiments mis en location, effets sur le climat ou sur la redistribution des logements ?

L’objectif d’abaisser les consommations énergétiques dans les bâtiments d’habitation et tertiaires s’est traduit par plusieurs dispositifs réglementaires.

D’une part, la démarche de sobriété énergétique qui consiste à baisser les températures de chauffage ou de climatisation dans les bâtiments, y compris publics, reste très mal appliquée car reposant en priorité sur une modification des comportements [11].

D’autre part, la recherche d’une meilleure performance énergétique des bâtiments, inspirée par des directives européennes [12], se décline en normes de construction pour les bâtiments neufs (RT 2012 et RE 2020), ainsi qu’en objectifs de rénovation des bâtiments anciens. Il s’agit dans ce cas de concevoir ou modifier structurellement le bâtiment en renforçant son isolation thermique, son fonctionnement bioclimatique [13], ses équipements intérieurs ou de production d’énergie renouvelable.

Les Directives européennes, reprises en droit français, imposent également une information de l’acquéreur ou du locataire du logement, à travers la transmission du diagnostic de performance énergétique et du classement des immeubles de A à G, selon leur consommation énergétique et leur niveau d’émissions de gaz à effet de serre (essentiellement le CO2 issu des systèmes de chauffage). En France, deux tiers des bâtiments datent d’avant 1975 et sont situés entre les classes D à G, très consommateurs d’énergie et émetteurs de GES.

La loi « Grenelle de l’Environnement » de 2010, puis les lois « Transition énergétique pour la croissance verte » (TECV) de 2015 [14] et « ELAN » de 2018 [15], ont progressivement fixé des objectifs et prévu des aides consacrées à la rénovation des bâtiments, mais qui se sont révélés insuffisants pour parvenir au rythme de rénovations attendu [16].

De même, ni l’obligation des « travaux embarqués », qui obligeait à améliorer l’efficacité énergétique du bâtiment à l’occasion de toute rénovation importante, ni l’affichage du diagnostic de performance énergétique à toutes les publicités pour la vente ou la location de bâtiment n’ont suffi, dans la situation actuelle de tension sur les logements, à obliger les propriétaires à rénover les logements existants.

C’est pourquoi la loi climat et résilience a introduit des dispositifs contraignants.

A. Les nouvelles sanctions visant les bailleurs de « passoires thermiques »

Le nouveau dispositif, issu de la loi « énergie climat » (LEC) de 2019 et repris par la loi « climat et résilience » de 2021 réside ainsi, non pas en une obligation de rénovation, mais en l’interdiction progressive de louer des logements qui ne correspondraient pas aux normes de « décence énergétique ».

La LEC de 2019 avait déjà instauré un critère de consommation énergétique dans la caractérisation des logements indécents, la consommation excessive d’énergie devient un critère du logement indécent [17] : à partir de 2023, les logements du parc locatif privé dépassant un seuil d’énergie consommée de 450 kWh/m²/an ne pourront plus être mis en location sans avoir été rénovés [18].

La loi « climat et résilience » [19] adosse les seuils d’indécence aux étiquettes de diagnostic de performance énergétique (DPE) [20]. Les critères de l’indécence seront échelonnés dans le temps, pour laisser les propriétaires prendre les dispositions nécessaires, mais les ONG considèrent que ces délais ne sont pas cohérents avec l’urgence climatique.

Le calendrier des logements qui ne seront plus considérés comme décents (et donc interdits à la location) est désormais le suivant [21] :

- les logements classés G à partir du 1er janvier 2025 ;

- les logements classés F à partir du 1er janvier 2028 (pour les copropriétés en difficulté, cette obligation est reportée à 2033 [22], mais la loi « climat et résilience » prévoit l’obligation d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale des copropriétaires d’un projet de plan pluriannuel de rénovation) [23] ;

- les logements classés E à partir du 1er janvier 2034.

Le texte vise donc à provoquer la rénovation des 3,6 millions de logements indécents du parc locatif privé d’ici 2034.

De même, le texte impose désormais une rénovation énergétique « performante » [24] c’est-à-dire permettant d’atteindre un niveau de performance énergétique A ou B et tenant compte de six postes de travaux (isolation des murs, isolation des planchers bas, isolation de la toiture, remplacement des menuiseries extérieures, ventilation, production de chauffage et d’eau chaude sanitaire), avec cependant de multiples exceptions. Ainsi, sous certaines contraintes, un gain de deux classes énergétiques et le traitement des six postes de travaux peut suffire à considérer une rénovation comme performante. Pour les « passoires énergétiques » (classes F et G), une rénovation atteignant la classe C avec prise en compte des six postes de travaux sera considérée comme performante.

Pour terminer, il faut rappeler que la LEC avait prévu qu’avant 2028, les propriétaires devront réaliser des travaux afin que la consommation énergétique relève de la classe E maximum sous peine de sanctions [25]. Ces dernières seront éventuellement définies par le Parlement en 2023, dans le cadre de la programmation quinquennale de l’énergie. Elles devront tenir compte de la diversité des situations en visant prioritairement les propriétaires-bailleurs [26].

B. Des effets favorables sur le marché du logement ?

Il faut noter que toutes ces dispositions ne s’imposent pour l’heure qu’aux propriétaires bailleurs et ne sont pas étendues aux propriétaires occupants. En revanche, ces derniers seront informés de la performance énergétique des immeubles ou parties d’immeubles qu’ils achèteront pour se loger.

Il est pour le moment difficile de prédire quel sera donc l’effet de ces mesures sur le marché de l’accession à la propriété. Certains envisagent « une flambée généralisée des prix de l’immobilier, sachant que plus d’un ménage sur deux n’a pas aujourd’hui les moyens d’accéder à la propriété » [27].

On peut se demander si au contraire, l’obligation de rénovation énergétique pour les bailleurs de biens considérés à terme comme « indécents », n’incitera pas ces loueurs (qui sont parfois ce que l’on qualifie de « marchands de sommeil ») à se débarrasser de leurs biens immobiliers désormais peu rentables. L’arrivée de ces biens « atypiques » sur le marché de la vente, à des prix que l’on peut espérer plus bas, permettra peut-être à des ménages modestes d’accéder à moindre coût à la propriété, sachant qu’ils seront en outre les bénéficiaires désignés des aides promises pour les rénovations énergétiques ambitieuses. La LCR prévoit en effet que les travaux de rénovation feront l’objet de mesures d’accompagnement par le service public de la performance énergétique de l'habitat [28] et par des aides financières ciblant notamment les ménages les plus modestes [29].

Le risque demeure cependant que des ménages modestes achètent ces logements indécents sans tenter de les rénover, puisque n’y étant pas obligés en tant que propriétaires-occupants, et continuent finalement à vivre dans des logements indécents.

Une telle conséquence serait regrettable puisque l’étude d’impact de la loi considère que les mesures de rénovation énergétique présentent des co-bénéfices importants. D’une part, les économies d’énergie et la réduction des émissions de CO2 dépassent les coûts de rénovation. D’autre part, les impacts positifs sur la santé publique peuvent être « significatifs (notamment 10000 décès évités), car les logements ciblés sont ceux où existent des risques sanitaires associés aux températures intérieures froides » [30].

On peut ainsi supposer qu’une « relance » plus vertueuse et mieux partagée pourrait passer, non plus par le marché de la construction neuve, mais par une démarche plus poussée d’économie circulaire. Une telle dynamique viserait à soutenir ou valoriser des entreprises, souvent artisanales, de rénovation énergétique, à la condition qu’elles soient correctement certifiées et contrôlées. Il serait également possible de convertir en logements une bonne partie des immeubles d’entreprises et de bureaux, qui sont, depuis bien avant l’épisode de COVID et la massification du télétravail, vacants et sous occupés [31].

II. Vers une réorientation de l’urbanisme littoral ?

Dans le domaine de l’adaptation de l’urbanisme côtier aux effets du changement climatique [32], la LCR a également modifié le régime juridique de la gestion des risques littoraux, en développant des dispositifs applicables à l’érosion côtière et au recul du trait de côte [33].

A. L’amélioration de la connaissance des risques d’érosion littorale

En premier lieu, la connaissance du risque d’érosion côtière et l’information sur ce risque sont améliorées par plusieurs dispositions.

Une liste de communes dont le territoire est exposé au recul du trait de côte sera déterminée par décret après consultation des conseils municipaux concernés et actualisée tous les neuf ans (C. urb., art. L. 321-15 N° Lexbase : L6977I7K) [34].

Les communes inscrites dans cette liste, notamment si elles ne sont pas soumises à un PPR incluant l’érosion, devront, dans les 4 ans, élaborer une « carte locale d'exposition de leur territoire au recul du trait de côte » (financée par l’État à 80 %), éventuellement à l’échelle intercommunale. Cette carte devra faire apparaître deux zonages : une zone de risque à 30 ans et une zone de risque à 100 ans [35].

En outre, la LCR a renforcé le dispositif d’information des acquéreurs et locataires (IAL) (cf infra, C).

B. La gestion de l’urbanisme dans les zones de risque d’érosion

La cartographie précitée aura une portée juridique puisqu’elle devra être reprise dans le zonage du PLU, et explicitée dans le rapport de présentation [36]. Des OAP pourront définir les actions et opérations « nécessaires pour réorganiser le territoire au regard de la disparition progressive des aménagements, des équipements, des constructions et des installations » [37] et être complétées par des emplacements réservés à la relocalisation [38]. La procédure de révision ou modification du PLU devra être engagée dans le délai d’un an après publication de la liste de communes. Si elle n’a pas abouti dans le délai de trois ans, des dispositions transitoires sont prévues (élaboration d’une carte de préfiguration et sursis à statuer sur les demandes d'autorisation concernant des travaux, des constructions ou des installations situés dans les zones préfigurées) [39].

En premier lieu, pour ce qui concerne les projets immobiliers, la loi introduit, en cohérence avec l’évolution inexorable du phénomène d’érosion côtière, un régime d’inconstructibilité progressif dans le temps et l’espace.

Dans les zones urbanisées vulnérables à l’horizon de trente ans, il sera interdit de construire, sauf exceptions (réfection et adaptation des constructions existantes, extensions démontables de constructions existantes, sous réserve de ne pas augmenter la capacité d'habitation des constructions) [40]. L’application de la loi « littoral » dans ces communes est renforcée puisque, lorsque la projection du recul du trait de côte à l'horizon de trente ans le justifie, le plan local d'urbanisme devra porter la largeur de la bande littorale inconstructible (en dehors des espaces déjà urbanisés) à plus de cent mètres [41].

Dans les zones vulnérables à un horizon compris entre trente et cent ans, la constructibilité reste possible, sous condition d’une démolition des constructions et d’une remise en état du terrain, « lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà d'une durée de trois ans » [42]. Il s’agira donc de permis de construire temporaires.

Cette obligation de démolition sous la responsabilité et aux frais des propriétaires, qui concernera uniquement les biens construits sous ce nouveau régime, sera garantie par une consignation de somme correspondant au coût prévisionnel de la démolition et de la remise en état, ainsi que par une servitude d’urbanisme et éventuellement des travaux réalisés d’office, dispositifs vérifiés ou effectués par le maire.

En second lieu, pour ce qui concerne la gestion des biens déjà existants sur le littoral, et soumis à l’érosion côtière, un dispositif de préemption est prévu par la loi, à la disposition des communes ou des EPCI, qu’ils pourront exercer lors de la vente ou de la donation d’un logement situé en zone exposée [43].

Ce dispositif de préemption sera précisé par décret et ses implications financières font déjà l’objet de discussions.  En ce qui concerne l’implication des collectivités, même si les Établissements Publics Fonciers pourront contribuer aux politiques d’adaptation au recul du trait de côte [44], et même si une convention sera établie pour déterminer les moyens techniques et financiers mobilisés par l'État et les collectivités pour accompagner les actions de gestion du trait de côte (construction, adaptation ou  maintien en l'état d'ouvrages de défense contre la mer ou opérations d'aménagement liées au recul du trait de côte), il apparait que la responsabilité du dispositif portera sur les communes et  intercommunalités. Le GIP Littoral de Nouvelle-Aquitaine regrette ainsi le fait que « ces outils ne sont associés pour l’instant à aucun budget supplémentaire pérenne des collectivités ou de l’État, et devront donc être mobilisés à moyens constants ».

La mise en œuvre de toutes ces mesures devra être précisée et déclinée par des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, établies à l’échelle intercommunale en articulation avec les stratégies locales de gestion des risques d’inondation déjà existantes (SLGRI) [45] et les SCoT [46]. Ces stratégies viseront, dans un objectif de recomposition spatiale et d’adaptation au changement climatique, à articuler les moyens de défense contre la mer des zones densément peuplées, avec les objectifs de préservation de l’état naturel du littoral, de démolition des constructions dans les zones menacées, et de reconnaissance du rôle des écosystèmes côtiers [47].

C. Des impacts à attendre sur la valeur des biens littoraux ?

Parallèlement à l’évolution des documents d’urbanisme littoraux, la loi climat et résilience a renforcé le dispositif d’information des acquéreurs et locataires (IAL) [48].  Jusqu’alors réservé aux communes disposant d’un Plan de prévention des risques, il sera également généralisé à toutes les communes concernées par l’érosion côtière [49].

En outre, la transmission de l’information par le biais d’un état des risques aura lieu plus tôt dans le processus de transaction immobilière, dès l’annonce immobilière ou la visite des biens concernés par les futurs acquéreurs [50] ou les futurs locataires [51]. Un dispositif simplifié de fourniture en ligne de l’état des risques d’une parcelle est aujourd’hui opérationnel [52].

Comme l’analyse le GIP littoral aquitain, confronté directement à ces phénomènes d’érosion, ce point, « attendu et plébiscité par l’ensemble des acteurs publics liés à la gestion du littoral, a pour objectif de moyen et long terme de permettre une régulation du marché de l’immobilier littoral, en limitant la demande grâce à la diffusion d’une information sur l’érosion plus précise et systématique ». L’effet attendu d’une telle mesure est de modérer la demande des biens les plus vulnérables, situés en première ligne sur le bord de mer, dont on sait qu’ils seront soumis à l’érosion côtière à court, moyen ou long terme. L’objectif est donc clairement de faire baisser, par la limitation de la demande, le prix de ces biens afin de faciliter leur acquisition éventuelle par les communes, par le nouvel outil de préemption qui est également prévu par la loi [53].

Cet effet sur le marché reste cependant encore hypothétique puisque comme le remarque le GIP, « l’outil IAL, déjà en vigueur depuis une quinzaine d’années pour les autres risques naturels, n’a pas montré à ce jour d’effet majeur sur les prix de l’immobilier (en zone inondable par exemple), et que l’attractivité du littoral est très forte et ne cesse d’augmenter ».

En outre, en ce qui concerne la détermination de la valeur des biens qui seront préemptés, on constate que le dispositif ne remet pas en cause la différence de traitement entre les biens soumis aux submersions marines, lesquels peuvent être acquis par le biais du fonds « Barnier » [54], sans tenir compte de la dévaluation liée au risque, et les biens soumis à l’érosion côtière, qui pourront être préemptés. En effet, pour ces derniers, en cas de désaccord sur le prix fixé par l’administration, le juge de l’expropriation tranchera « en tenant compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte » [55].

Une partie des difficultés de mise en place de politiques publiques sur le littoral, notamment en matière d’adaptation à l’érosion et aux submersions marines, réside en effet dans la valeur souvent très élevée des immeubles bâtis en front de mer, malgré leur exposition aux risques futurs. Sur certains littoraux, les prix dictés par un marché survalorisant l’investissement spéculatif, ou « l’investissement plaisir » à court terme, de haut de gamme, sont souvent disproportionnés au regard de la durée de vie prévisible de certains de ces biens très vulnérables. Inversement, sur les littoraux qui ont déjà été affectés par des épisodes extrêmes, certains propriétaires sont aujourd’hui « piégés » par la vulnérabilité de leur logement, et dans l’incapacité de le revendre à un prix leur permettant de se reloger ailleurs. La question de la valeur de rachat consentie par les collectivités pour les biens qui présentent des risques pour leurs occupants rejoint donc des questionnements sur l’équité de traitement entre les différents habitants du littoral, notamment dans la mesure où les biens littoraux sont souvent des résidences secondaires. Elle oblige également à questionner les modalités de la solidarité juridique et financière entre occupants d’un environnement littoral privilégié mais désormais menacé, et contributeurs des politiques publiques (assurés finançant le fonds « Barnier », contribuables payant la taxe GEMAPI ou les taxes locales) ne bénéficient pas des mêmes aménités environnementales, ni souvent des mêmes revenus financiers, et qui seront appelés à financer des politiques publiques d’adaptation au changement climatique de plus en plus coûteuses.

Or, la LCR renvoie à une ordonnance à venir, le soin de définir de nouvelles modalités d’évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, afin de limiter les coûts publics d’acquisition des biens privés devant faire l’objet d’un repli [56].

Le sujet est donc loin d’être clos.


[1] Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains (N° Lexbase : L9087ARY) ; loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (N° Lexbase : L6063IEB) ; loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN) ; loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY).

[2]  Rappelons que, au-delà des traités internationaux qui fixaient des objectifs climatiques dés 1992, repris par le droit européen dans les années 2000, la France avait inscrit dés 2005 un objectif de division par quatre de ses émissions de gaz à effet de serre, trajectoire qui n’a pas été respectée dans les faits.

[3] Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, relative à l'énergie et au climat (N° Lexbase : L4969LT9) ; voir M.-L. Lambert, E. Doze, La mise en œuvre d’un « droit climatique » dans les territoires : le rôle des collectivités décentralisées, in Cournil C (dir), La fabrique d’un droit climatique au service de la trajectoire « 1.5 », éd. Pédone 2021.

[4] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[5] Rapport du Haut conseil pour le climat 2020, Redresser le cap, relancer la transition.

[6]  TA Paris, 3 février 2021 (N° Lexbase : A39684EP), et 14 octobre 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1 (N° Lexbase : A039549I).

[7] CE, 1er juillet 2021, n° 427301 (N° Lexbase : A944734N).

[9] Même dans un scénario très volontariste supposant que toutes ses dispositions (même « difficilement atteignables »), soient mises en œuvre, la loi « Climat et Résilience » ne permettrait de réduire que de 38 % les émissions en 2030, ce qui est encore éloigné de l’objectif de 40 % fixé par le Code de l’énergie à son article L. 100-4 (N° Lexbase : L6993L77), et encore davantage de l’objectif de 55 % fixé récemment au niveau européen. Voir le résumé du Boston Consulting Group, Evaluation d’impact des mesures prises depuis 2017 sur la réduction des gaz à effet de serre en France, à horizon 2030, janvier 2021, commandé par le ministère de l’Ecologie.

[10] La loi contient de nombreuses autres dispositions concernant le droit de la consommation (Informer, former et sensibiliser, encadrer et réguler la publicité, accélérer le développement de la vente en vrac et de la consigne du verre), l’adaptation de l’emploi à la transition écologique, la protection des écosystèmes et la biodiversité, le droit des transports et de la mobilité (promouvoir les alternatives à la voiture individuelle et la transition vers un parc de véhicules plus respectueux de l’environnement, améliorer le transport routier de marchandises et réduire ses émissions, limiter les émissions du transport aérien et favoriser l’intermodalité train/avion), le droit agricole (soutenir une alimentation saine et durable pour tous, développer l’agro-écologie).

[11] L’article R. 241-26 du Code de l’énergie (N° Lexbase : L1590KWS) prévoit une limite supérieure de température de chauffage à 19° C des lieux occupés. L’article R. 241-30 du même code (N° Lexbase : L1594KWX) prévoit la limitation la climatisation aux périodes où la température intérieure des locaux dépasse 26 ° C.

[12] Directives 2002/91/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002, sur la performance énergétique des bâtiments (N° Lexbase : L9979A84), puis 2010/31/UE du 19 mai 2010 (N° Lexbase : L5894IMA).

[13] Optimiser par une orientation des fenêtres et baies vitrées les apports solaires en hiver, se protéger des canicules en été par de la ventilation naturelle, par exemple.

[14]  Loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (N° Lexbase : L2619KG4).

[15] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8).

[16] 400 000 rénovations par an annoncé par la loi « Grenelle 1 ».

[17] Au sens de l'article L. 173-1-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6838L7E) . Est créé un nouvel L. 173-1-1 du Code de la construction et de l'habitation.

[18]  La LEC avait également prévu une phase « incitative » qui est, semble-t-il, peu appliquée pour le moment : à partir de 2021 : le propriétaire ne peut plus augmenter le loyer s’il n’a pas  rénové le logement. Est également expérimentée la mise sous séquestre de 5 % de la vente d’un logement F ou G, débloqué au profit de l’acheteur pour des travaux de rénovation énergétique. Et à partir de 2022, un audit énergétique en cas de vente ou location d’un logement F ou G contenant des propositions de travaux (CCH, art. L. 126-28-1 N° Lexbase : L6824L7U).

[19] Articles 148 et suivants de la loi « Climat et résilience ».

[20] Parallèlement, les étiquettes du DPE ont été refondues pour intégrer deux critères : énergie primaire et émission de CO2.

[21] Article 160 de la Loi « Climat et résilience ».

[22] article 3 ter de la LEC.

[23] Article 171 de la LEC, modifiant l’article 14-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7).

[24] Nouvel alinéa 17° bis de l'article L. 111-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7115L7N).

[25] Des exceptions sont néanmoins prévues pour les logements faisant partie du patrimoine historique ou rencontrant des contraintes techniques, ou pour les biens dont le coût des travaux serait totalement disproportionné par rapport à sa valeur.

[26] Article 1er bis A de la LEC.

[28] C. ener., art. L. 232-1 (N° Lexbase : L6586L73).

[29] Nouvelle rédaction du 5° du I de l'article L. 100-1 A du Code de l'énergie (N° Lexbase : L6558L7Z) issue de la LCR.

[31]  Les observateurs remarquent que « le marché de l’immobilier de bureaux s’est, depuis le début de la crise COVID, effondré » et parlent de « désertion partielle de l’immobilier tertiaire ». Voir Boursorama, Quel avenir pour l’immobilier de bureaux ?

[32]  Pour la stratégie nationale de gestion de ces enjeux, voir Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte Programme d’actions 2017-2019. Pour des articles de présentation des enjeux en France sur la montée des eaux, voir le site de France Info.

[33] Chapitre V de la loi : Adapter les territoires aux effets du dérèglement climatique (Articles 236 à 251).

[34] Nouveaux articles du Code de l’environnement :  Exposition au recul du trait de côte et adaptation des documents d'urbanisme (articles L. 121-22-1 N° Lexbase : L7081L7E à L121-22-12).

[35] Nouvel article L. 121-22-1 du Code de l’urbanisme.

[36] Nouvel article L. 121-22-2 (N° Lexbase : L7083L7H) du Code de l’urbanisme.

[37] Nouvel article L. 151-7 III (N° Lexbase : L6903L7S) du Code de l’urbanisme.

[38] Nouvel article L. 151-41 6° (N° Lexbase : L6906L7W) du Code de l’urbanisme .

[39] Nouvel article L. 121-22-3 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7080L7D). Ces cartographies auront vocation, progressivement à se substituer aux dispositions concernant l’érosion côtière des PPR existants (C. env., art. L. 562-4-1 N° Lexbase : L6535L78).

[40] Nouvel article L. 121-22-4 I (N° Lexbase : L7084L7I) du Code de l’urbanisme.

[41] Nouvelle rédaction de l’article L. 121-19 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L6774L7Z). Même disposition pour l’élargissement de la bande des 50 pas géométriques en outre-mer ou, à défaut de délimitation, à plus de 81,20 mètres à compter de la limite haute du rivage (nouvel alinéa de l'article L. 121-45 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6776L74).

[42] Nouvel article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme  (N° Lexbase : L7082L7G).

[43] Nouveau chapitre « Droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte », articles L 219-1 (N° Lexbase : L6797L7U) et suiv. du Code de l’urbanisme.

[44] Article 245 de la loi. Ils pourront effectuer des portages fonciers pour le compte des collectivités locales.

[45] C. env., art. L. 321-16 (N° Lexbase : L6504L7Z). Ainsi qu’en lien avec de nouvelles dispositions qui seront prévues dans les schémas d’aménagement régional d’outre-mer « identifiant des secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation » (CGCT, art. L. 4433-7-2 N° Lexbase : L6716L7U).

[46] Nouvel alinéa  3° de l'article L. 141-13 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L6897L7L). Le DOO du SCoT « peut identifier des secteurs propices à l'accueil d'ouvrages de défense contre la mer pour protéger des secteurs habités denses ou des équipements d'intérêt général ou publics. Il peut également identifier des secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation. Les secteurs de relocalisation se situent au delà de la bande littorale et des zones délimitées en application de l'article L. 121-22-2 et en dehors des espaces remarquables du littoral ».

[47] C. env., art. L. 321-17 (N° Lexbase : L6503L7Y).

[48] C. env., art. L. 125-5 (N° Lexbase : L1248KZA).

[49] Article 236 de la loi.

[50] Nouvel alinéa Ibis de l’article L. 125-5 du Code de l'environnement.

[51] Nouvelle rédaction de l’article L. 125-5-II du Code de l'environnement.

[52] L’information grâce à l’adresse du bien est fournie sur le site errial.georisques.gouv.fr. Il est complété par un indicateur d’érosion côtière, accessible sur le site Géolittoral du ministère de la Transition écologique (C. env., art. L. 321-13 N° Lexbase : L7682K9E), qui permet de visualiser le risque, sous forme de cartes téléchargeables, dans l’attente de la mise en place d’une cartographie de l’exposition au recul côtier.

[53]  Nouvel article L. 215-4-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7284ICR).

[54]  Voir M.-L.Lambert, L. Stahl, A. Bernard-Bouissières, Risques littoraux : à la recherche d’une « juste » indemnisation par le fonds Barnier - Réflexions à propos de la décision QPC n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018, Syndicat secondaire Le Signal, Revue Juridique de l’Environnement, 1-2019, p 89-107, 2019.

[55]  Article 244 de la loi, nouvel article L. 219-7 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7099L73).

[56]  Article 248 de la loi : « le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, au plus tard neuf mois après la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi permettant (…) de définir ou d'adapter les outils d'aménagement foncier et de maîtrise foncière nécessaires à l'adaptation des territoires exposés au recul du trait de côte, notamment en ajustant les missions des gestionnaires de foncier public et en définissant les modalités d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, tout en prenant en compte l'état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, ainsi que, le cas échéant, les modalités de calcul des indemnités d'expropriation et les mesures d'accompagnement ».

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