Le Quotidien du 1 septembre 2021 : Éditorial

[A la une] Pirate n° 7, et après ?

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par Elise Arfi, Avocat à la Cour, Solicitor of UK & Wales, Ancien Secrétaire de la Conférence

le 01 Septembre 2021

Très tôt, j’ai eu deux rêves invincibles comme le sont les rêves d’enfant. De ceux qui serviront toujours à mesurer, un jour ou l’autre, le degré d’accomplissement d’une vie ainsi que la fidélité à ses idéaux de jeunesse. Je voulais obtenir un acquittement aux assises et écrire un livre qui serait publié et lu. Apprécié, ce serait encore mieux.

La vie m’a servi puisque, lors de mes premières assises, mon client a été acquitté et, dès l’écriture de mon premier manuscrit, j’ai été publiée. Ces deux événements n’ont pourtant aucun rapport l’un avec l’autre, si ce n’est qu’il a d’abord fallu que je sois avocate pour qu’ils se produisent.

Des acquittements, il y en a eu d’autres. Ainsi, hélas, que de nombreuses condamnations. Claque après claque, ce métier de perdant nous forge par l’échec qui nous renforce, nous détermine. De nature optimiste, j’ai appris aussi, d’audience en audience, qu’il y a toujours une seconde manche et que, c’est justement dans les plus grands moments de découragement qu’il est crucial de se battre comme jamais auparavant. Un proverbe dit que « c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens ».

J’ai longtemps ruminé la rage d’écrire dans la solitude, le renoncement. Soit une énergie exactement inverse à la force vitale qu’il faut cultiver pour avoir chaque jour la force de se lever afin de venir à bout de nouvelles difficultés et défaites professionnelles, de résoudre chaque drame humain auquel est confronté celui qui entre dans une salle d’audience et qui nous fait l’honneur de nous choisir comme défenseur.

Il y a trois ans, j’ai timidement commencé l’écriture d’un récit intitulé « Pirate n° 7 ».  De manière très franche, j’y livrais les tribulations d’une jeune avocate, commise d’office pour défendre Fahran, un jeune pirate somalien, tous deux perdus dans et par un système qui « fabrique des fous ». J’y évoquais tout autant la passion de la défense que son dégoût. Au fil des pages étaient dépeints les difficultés pratiques du métier, l’affrontement avec les magistrats et l’administration pénitentiaire, les moments d’humanité et de grâce qui permettent de repartir au combat. Je reliais mon besoin de justice et ma vocation enfantine à des situations concrètes, à des douleurs, à des échecs. Sans vraiment le savoir, je rendais hommage à ce qui reste à mes yeux le plus beau métier du monde.

Quand vous lisez Maurice Garçon, Vergès, Dupond-Moretti, Bredin, Naud, Floriot, Témime et tant d’autres, vous êtes admiratifs, tout en songeant que ce n’est pas avec vos quelques dossiers anonymes, peu rémunérés, avec votre domiciliation ou votre petit bureau en sous-location, que vous emporterez puissance, gloire et reconnaissance publique.

En écrivant je me trouvais bien prétentieuse. Personne ne m’avait demandé mon avis, je n’étais rien, ni personne. Qui allait s’intéresser à mes états d’âme ? J’étais loin de me douter de l’engouement qu’allait justement susciter « Pirate n° 7 » auprès des étudiants, des élèves-avocats et de nos plus jeunes confrères. Je m’émeus de chaque message et témoignage reçu de mes pairs qui se sont reconnus dans ce récit, qui m’ont remercié de les avoir représentés et d’avoir, comme on le dit de nos clients, « porté leur voix ». Écrire sur la profession n’est pas l’apanage des grands avocats médiatiques de l’époque. Hier, c’étaient eux, demain, ce sera nous.

Un livre que vous écrivez ne vous appartient plus. C’est le cadeau fait à chacun de vos lecteurs. En audience, j’ai ressenti de la gêne en apprenant que tel confrère, tel magistrat, avait lu et apprécié mon livre. Bien qu’héroïne de mon propre récit, celui-ci livre une vision de cette avocate bien meilleure que ce que je ne suis. À chaque prise de parole, je redoutais de ne pas être au niveau de ce personnage qui, pourtant, était moi-même. J’ai dû combattre un fort sentiment d’imposture et faire face à une sorte de crise d’identité.

« Pirate n° 7 » est en cours d’adaptation au cinéma. L’actrice qui incarnera mon rôle n’a plus rien à voir avec moi et c’est pour le mieux. Des scénaristes se sont emparés du livre pour en faire une œuvre nouvelle, à leur idée, dans laquelle il ne restera que peu de moi.

Aujourd’hui, Fahran est un homme libre, réhabilité, citoyen. Ses papiers sont en règle. Il occupe un travail et dispose d’un logement. Il est associé aux redevances tirées du livre et du film à venir. Ce qu’à peu près tout le monde nous avait prédit comme impossible est devenu réalité.

Certains jours où je sens le poids du monde s’abattre sur mes épaules, où les difficultés de ce métier que j’ai tellement encensé me feraient presque rêver d’une reconversion, d’un nouveau départ, je me dis qu’aucun autre métier ne m’aurait permis de faire autant pour mon prochain. Et surtout, que je suis à ma place.

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