Réf. : Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 (N° Lexbase : L8525ITW)
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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine, Membre du Thémis-Um (e.a. 4333)
le 11 Octobre 2012
La procédure d'adoption du Règlement : la procédure législative ordinaire. En principe, dans le domaine de la coopération judiciaire civile, les instruments européens -principalement, les Règlements et les Directives- sont élaborés en application de la procédure législative ordinaire décrite à l'article 294 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Toutefois, par dérogation, le troisième paragraphe de l'article 81 de ce même Traité prévoit que les "mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière" sont, quant à elles, adoptées à l'issue d'une procédure législative spéciale. La différence est importante. En effet, alors que la procédure législative ordinaire se caractérise par un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil de l'Union européenne ainsi que par la fonction de "co-législateur" du Parlement européen, lorsque la procédure législative spéciale s'applique, en revanche, seul le Conseil -statuant pour l'occasion à l'unanimité- endosse le rôle de législateur européen. Le Parlement européen est seulement consulté (10).
Toute la question est donc de savoir si l'on se situe -ou non- dans le domaine du "droit de la famille", tel qu'entendu dans le TFUE. Dans le sillage de la proposition de Règlement de la Commission européenne d'octobre 2009 (11), il a donc été convenu de répondre par la négative à cette interrogation et de dissocier le droit successoral du droit de la famille. A titre de comparaison, en 2008, il avait été décidé que le recouvrement des obligations alimentaires s'inscrivait dans le domaine du droit de la famille et il s'en était suivi l'adoption du Règlement (CE) n° 4/2009 (N° Lexbase : L5102ICX) en application de la procédure législative spéciale.
La solution finalement retenue -d'appliquer la procédure législative ordinaire pour adopter le règlement sur les successions transfrontières- doit être saluée, non seulement en ce qu'elle accroît le caractère démocratique de la procédure législative utilisée du fait du rôle plus étendu accordé au Parlement européen, mais également en ce qu'elle limite les éventuels blocages liés à l'utilisation de la règle du vote à l'unanimité au sein du Conseil.
A la lumière de ces observations liminaires, l'examen du Règlement (UE) n° 650/2012 révèle l'existence de similitudes entre ce nouveau texte et certains instruments en vigueur dans le domaine de la coopération judiciaire civile. Ces similitudes apparaissent dans certaines règles contenues dans ce Règlement ou, plus généralement, dans sa structure classique fondée sur le triptyque traditionnel : compétence, loi applicable ainsi que reconnaissance et exécution (I). Il n'en demeure pas moins que le législateur européen a innové en enrichissant la coopération judiciaire civile d'un nouvel "outil" : le certificat successoral européen (II).
I - Le triptyque traditionnel de la coopération judiciaire civile : compétence, loi applicable, reconnaissance et exécution
Alors que le législateur européen consacre le lieu de résidence habituelle du défunt comme critère devant être pris en compte pour établir la compétence et la législation applicables à la succession (A), il s'inspire très nettement des instruments européens en vigueur -et, particulièrement du Règlement "Bruxelles I"- s'agissant des règles relatives à la reconnaissance et à l'exécution des titres exécutoires (B).
A - Compétence et loi applicable : le critère du lieu de résidence habituelle du défunt
Si le législateur retient le critère du lieu de résidence habituelle du défunt, il assortit néanmoins ce principe de quelques aménagements.
Le principe. En matière de compétence internationale des juridictions, le principe est consacré à l'article 4 du Règlement. Il ressort de cette disposition que les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès sont en principe compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession. Il en va de même de la loi applicable (14) qui est également celle de l'Etat dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès, sauf dispositions contraires du Règlement (15).
S'il est vrai que la notion de "résidence habituelle du défunt" n'est pas définie dans le corps du Règlement (16), des précisions sont néanmoins apportées dans les considérants 23 et 24. On peut notamment y lire que, pour déterminer la résidence habituelle du défunt au moment du décès, l'"autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'Etat concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l'Etat concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent Règlement".
Les aménagements. Qu'il s'agisse de la loi applicable en matière de successions transfrontières ou de la compétence internationale des juridictions, des exceptions sont prévues.
S'agissant de la loi applicable à la succession, il est par exemple prévu que la loi de l'Etat dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès soit écartée au profit de la loi d'un autre Etat, lorsque, "à titre exceptionnel, il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits" avec cet autre Etat (17). De même, l'article 22 du Règlement prévoit la possibilité, pour une personne, de choisir, comme loi régissant sa succession, la loi de l'Etat dont elle possède la nationalité au moment où ce choix est réalisé ou au moment du décès.
S'agissant de la compétence internationale des juridictions, il est notamment précisé que, dans le cas précité où la loi choisie par le défunt en application de l'article 22 du Règlement est une loi d'un Etat membre, les parties concernées peuvent s'accorder pour conférer la compétence exclusive, pour statuer sur la succession, aux juridictions de cet Etat (18). Par ailleurs, sont également envisagés la compétence éventuelle de juridictions d'Etats tiers et son contournement au profit d'une juridiction d'un Etat membre. Par exemple (19), il est prévu que, dans l'hypothèse où la résidence habituelle du défunt au moment du décès ne se situe pas dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés les biens successoraux soient néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession. Pour ce faire, il est néanmoins exigé que la personne décédée possède la nationalité de cet Etat ou, à défaut, qu'elle ait eu sa résidence habituelle antérieure dans cet Etat membre. Dans ce dernier cas, le changement de résidence habituelle ne doit pas avoir eu lieu plus de cinq ans avant la saisine de la juridiction (20).
B - Reconnaissance et exécution : l'inspiration des instruments européens en vigueur
Les règles relatives à la reconnaissance et à l'exécution des titres exécutoires, contenues dans ce Règlement, sont semblables à celles que l'on retrouve dans d'autres instruments actuellement en vigueur dans le domaine de la coopération judiciaire civile et, particulièrement dans le Règlement "Bruxelles I". Ainsi en est-il notamment (21) des catégories de titres exécutoires concernés par l'action de l'Union européenne ou de la procédure de "déclaration constatant la force exécutoire" (22) de ces titres.
Notons que cette identité de règles est mise en avant, par le législateur européen, dans les considérants qui précédent les articles du Règlement (23). De prime abord, l'on pourrait se demander quel est l'intérêt de prévoir, dans ce nouveau Règlement, un volet consacré à la reconnaissance et l'exécution des titres exécutoires, si ce dernier contient des règles identiques au Règlement "Bruxelles I". On aurait pu opter pour un renvoi aux dispositions pertinentes dudit Règlement. Pour autant, la solution finalement retenue ne manque pas de justifications. Il est d'une bonne politique législative de réunir l'ensemble des règles relatives aux successions transfrontières dans un même Règlement. A vrai dire, la répétition des dispositions identiques régissant la reconnaissance et l'exécution des titres exécutoires n'est pas très problématique. Plus critiquable aurait sans doute été l'adoption de règles différentes sans que ces différences ne soient pleinement justifiées.
Les catégories de titres exécutoires concernés. Les décisions de justice (24) forment, avec les actes authentiques (25) et les transactions judiciaires (26), les trois catégories de titres exécutoires visées dans le Règlement (UE) n° 650/2012. On relève, avec intérêt, que les définitions (27) retenues de ces termes sont semblables à celles privilégiées dans d'autres Règlements européens en vigueur, tel que le Règlement (CE) n° 4/2009 sur le recouvrement des obligations alimentaires (28). Cela participe de la création d'une véritable culture judiciaire européenne et doit être approuvé. Il est en effet souhaitable que les définitions données à ce type de termes -que l'on retrouve dans plusieurs instruments européens- soient identiques (29).
La procédure de déclaration de force exécutoire. Les dispositions relatives à la reconnaissance et l'exécution des titres exécutoires, regroupées dans le chapitre IV du Règlement (UE) n° 650/2012 (30), n'appellent pas de longs commentaires. On peut, en effet, renvoyer aux très nombreuses analyses des articles 32 et suivants du Règlement "Bruxelles I", eu égard à l'identité (31) des dispositions de ces deux Règlements. Cette identité concerne tant les motifs de non-reconnaissance (violation manifeste de l'ordre public de l'Etat requis, violation des droits de la défense au stade de l'introduction de l'instance, inconciliabilité de décisions), que la procédure proprement dite de déclaration de force exécutoire (procédure contradictoire seulement dans un second temps).
A la vérité, c'est le principe même de l'identité de règles avec le Règlement "Bruxelles I" qui appelle une observation. On l'a dit, le fait de reprendre, dans un nouvel instrument européen, la substance de certaines dispositions d'un instrument européen préexistant, n'est pas critiquable en soi. Au contraire, on peut même considérer que cela favorise la cohérence de l'action de l'Union européenne. Toutefois, il est surprenant que le législateur de l'Union européenne ait souhaité s'inspirer du Règlement "Bruxelles I", alors même que ce Règlement est sur le point d'être réformé et que la réforme annoncée devrait aller dans le sens d'une suppression des mesures intermédiaires de reconnaissance et d'exécution. Face à ce choix, deux types d'analyses semblent pouvoir être avancés. Dans une première tentative d'explication, on pourrait voir dans ce choix la volonté de tenir compte de la spécificité de la matière du droit successoral par rapport aux autres aspects de la matière civile et commerciale. Gardons à l'esprit que ce domaine était jusque-là abandonné, pour l'essentiel, aux droits des Etats membres. Dans une seconde tentative d'explication, on pourrait en revanche déduire de ce choix la traduction du fait que le législateur de l'Union européenne -Conseil de l'Union européenne et Parlement européen- se situe finalement plus en retrait, que la Commission européenne, dans la poursuite de l'objectif de la suppression généralisée de l'exequatur au sein de l'Union européenne. Dans ce cas, il y a tout lieu de penser que le (futur) règlement portant refonte du Règlement "Bruxelles I" sera finalement moins ambitieux que ne l'est la proposition de la Commission européenne de décembre 2010 (32).
II - Un nouvel outil de la coopération judiciaire civile : le "certificat successoral européen"
Si le nouveau Règlement européen transpose, dans le domaine des successions transfrontières, certaines règles figurant dans d'autres Règlements actuellement en vigueur, il innove, en revanche, en créant le "certificat successoral européen".
La finalité du certificat. Le certificat successoral européen a pour finalité de faciliter les démarches des héritiers, des légataires, des exécuteurs testamentaires ou encore des administrateurs d'une succession ayant des incidences transfrontières, en leur permettant de prouver leurs statuts respectifs et d'exercer leurs droits et/ou pouvoirs dans un autre Etat membre (33). Toutefois, la rédaction de ce certificat n'est pas conçue comme une obligation et ce nouvel acte juridique européen ne se substitue pas aux actes juridiques internes ayant des objets et finalités similaires (34).
Le contenu du certificat. Les mentions devant être inscrites dans le certificat successoral européen sont précisées à l'article 68 du Règlement. Parmi les 15 catégories d'informations énumérées dans cet article, on peut par exemple signaler : les coordonnées et les éléments de nature à justifier la compétence de l'autorité émettrice ; la date de délivrance du certificat ; les renseignements concernant le demandeur, le défunt ou encore les bénéficiaires ; la loi applicable à la succession ; la part revenant à chaque héritier ou encore la liste des droits et/ou biens qui reviennent à un légataire déterminé.
Plus généralement, le Règlement apporte des précisions sur la procédure conduisant à la délivrance du certificat successoral européen (A) ainsi que sur les effets du certificat ainsi délivré (B).
A - La délivrance du certificat successoral européen
Il est imposé aux Etats membres de communiquer, avant le 16 janvier 2014, toutes les informations utiles concernant la désignation des autorités compétentes pour délivrer le certificat successoral européen (35). A ce sujet, le règlement confère une certaine latitude aux Etats membres en indiquant que l'autorité émettrice peut être une "juridiction" (36) ou "une autorité qui, en vertu du droit national, est compétente pour régler les successions" (37) (par ex., les notaires). S'agissant de la compétence internationale de ces autorités, un renvoi est opéré aux dispositions précitées figurant dans le chapitre 2 du Règlement et l'on retrouve donc, à titre principal, une compétence établie en tenant compte du lieu de résidence habituelle du défunt au moment du décès.
Le Règlement apporte des précisions sur la formulation et l'examen de la demande de certificat.
La formulation de la demande. Il est ici permis aux demandeurs -les héritiers et légataires ayant des droits directs sur la succession ainsi que les exécuteurs testamentaires et les administrateurs de la succession- de faire usage de formulaires types. Le contenu de la demande est précisé dans l'article 65 du Règlement. On y retrouve, notamment, des renseignements relatifs au défunt, aux demandeurs et à leurs représentants éventuels ; des renseignements concernant le conjoint ou partenaire éventuel du défunt ; une précision portant sur la finalité à laquelle est destinée la rédaction du certificat ; les coordonnées de l'autorité compétente pour régler la succession ; des éléments de nature à justifier les droits dont l'existence est évoquée par les demandeurs...
L'examen de la demande. Il est prévu que l'autorité émettrice du certificat opère -"dès la réception de la demande"- des vérifications quant aux renseignements et aux éventuels documents communiqués par les demandeurs. Sous réserve de dispositions contraires des droits nationaux, le Règlement lui reconnaît également la possibilité d'effectuer différentes investigations (enquêtes, demandes de déclarations sous serment...) (38).
Dans le cas où les éléments devant faire l'objet d'une certification ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession, l'autorité émettrice remet "sans délai" le certificat au demandeur. Là encore, l'usage d'un formulaire type est prévu (39). Plus exactement, il résulte de l'article 70 du Règlement que l'autorité émettrice conserve l'original dudit certificat et adresse une ou plusieurs copies certifiées conformes au demandeur ainsi d'ailleurs qu'à "toute personne justifiant d'un intérêt légitime". Ces copies ont en principe une durée de validité de 6 mois et une liste des personnes à qui un certificat a été délivré est établie.
B - Les effets du certificat successoral européen
Une fois délivré, le certificat successoral européen produit différents effets. Ceux-ci sont présentés à l'article 69 du Règlement. Les articles 71 à 73 complètent cette disposition, en prévoyant les cas où ces effets sont suspendus.
L'étendue des effets du certificat. Le principe est celui d'une libre circulation des certificats successoraux européens. Du moins, c'est ce que l'on peut déduire du premier paragraphe de l'article 69 du Règlement, selon lequel ce certificat "produit ses effets dans tous les Etats membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure".
Cet article se poursuit notamment, dans un deuxième paragraphe, en précisant que le certificat est "présumé attester fidèlement l'existence d'éléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession ou en vertu de toute autre loi applicable à des éléments spécifiques". De même, les personnes visées dans le certificat sont réputées avoir le statut -héritiers, légataires...- qui leur y est attribué.
La suspension des effets du certificat. Le certificat successoral européen peut faire l'objet d'une rectification (en cas d'erreur matérielle), d'une modification (lorsqu'il contient des informations inexactes) ou d'un retrait par l'autorité émettrice (40). De même, toute personne intéressée peut effectuer un recours -devant l'autorité judiciaire compétente de l'Etat dont relève l'autorité émettrice- contre la décision de ladite autorité émettrice de délivrer, rectifier, modifier ou retirer le certificat (41). Dans ces deux hypothèses, les effets du certificat successoral européen peuvent être suspendus respectivement par l'autorité émettrice du certificat ou par l'autorité judiciaire compétente pour connaitre des recours, dans l'attente du traitement de la demande. Les personnes à qui une copie certifiée conforme de ce certificat a été délivrée sont alors informées "sans délais", par l'autorité compétente, de la suspension des effets dudit certificat.
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