Le Quotidien du 17 mai 2021 : Actualité judiciaire

[Le point sur...] Michel Fourniret est mort mais les enquêtes sur ses victimes se poursuivent

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 17 Mai 2021

Ville-sur-Lumes, le 26 Octobre 2021 - V. Vantighem.

Évidemment, comme d’habitude, tout le monde a d’abord regardé ses mains. Deux espèces de battoirs disproportionnés par rapport au reste d’un corps sec et noueux. Même entourées de menottes, elles faisaient toujours peur. Mais quand Michel Fourniret est descendu du fourgon pénitentiaire qui l’avait conduit à Ville-sur-Lumes (Ardennes), le 27 octobre 2020, il a fallu admettre qu’il n’avait plus grand-chose de « l’Ogre », comme les médias l’ont surnommé depuis des années.

Certes, le tueur en série a décliné le fauteuil roulant que la juge Sabine Khéris avait prévu. Mais chacun a pu observer son pas ralenti, sa barbe broussailleuse, ses cheveux hirsutes et son pantalon de jogging sale, dissimulant mal ses problèmes de rétention d’eau et d’incontinence. Même ses yeux perçants et glaçants avaient perdu de leur éclat. « C’est simple, il ressemblait plus à un clochard qu’à un tueur », résume un avocat qui a pu l’observer de près. « Il était complètement aux fraises », abonde un autre.

Ce jour-là, la juge Khéris avait décidé de ramener le tueur en série et son ex-femme, Monique Olivier, sur leurs terres ardennaises dans le but de tenter de découvrir le lieu où la petite Estelle Mouzin a été enterrée en janvier 2003. Peine perdue… Michel Fourniret a bien pointé quelques endroits sur une carte, mais le corps de la fillette n’a pas été découvert. Et les enquêteurs ont compris que le tueur ne leur serait, désormais, plus d’aucune utilité pour résoudre l’énigme criminelle. « Il était capable de dire que le café était bon et deux minutes après, il ne se souvenait plus en avoir bu, raconte l’un d’entre eux. Il était tout simplement déjà ailleurs... »

L’histoire retiendra que ce jour-là, il faisait beau et que c’était la dernière sortie à l’air libre du « tueur en série le plus abouti », selon l’expression de l’expert-psychiatre Daniel Zagury. Atteint par des troubles neurologiques, cardiaques et respiratoires, Michel Fourniret est décédé lundi 10 mai, vers 15h à l’Unité hospitalière interrégionale sécurisée de La Pitié – Salpêtrière (Paris, 13e), où il avait été admis en urgence. Il avait 79 ans et purgeait deux peines de réclusion criminelle à perpétuité, dont une incompressible, pour avoir causé la mort de huit jeunes femmes ou adolescentes.

Un procès avec seule Monique Olivier dans le box ?

La liste de ses victimes est sans doute beaucoup plus longue. Lui-même se vantait d’avoir tué, en moyenne, deux fois chaque année entre 1990 et 2000. Sauf qu’il ne pourra plus jamais être condamné pour cela. En France, on ne juge pas les fous – même si le gouvernement souhaite modifier la loi à ce propos – et on ne juge pas les morts. Mais si l’action publique à l’encontre de Michel Fourniret s’est éteinte, les familles des victimes pourront tout de même, dans certains cas, avoir le droit à un procès.

« Par exemple sur le dossier Estelle Mouzin, nous pourrions avoir une audience avec Monique Olivier, seule, dans le box des accusés. Les magistrats pourraient alors s’appuyer sur les déclarations que Michel Fourniret a faites, de son vivant, à la juge Khéris pour tenter d’approcher la vérité », décrypte Corinne Herrmann, l’avocate d’Eric Mouzin, le père de la fillette. Il pourrait en être de même sur les dossiers dédiés à la mort de Joanna Parrish et à la disparition de Marie-Angèle Domèce, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Et peut-être aussi à celui portant sur le triste sort subi par Lydie Logé, même si des investigations semblent encore nécessaires à son sujet.

Sur chacun de ses cas, Michel Fourniret est passé aux aveux. Alambiqués, tortueux, cruels… Mais il a bien reconnu sa participation à la mort de ces jeunes femmes. C’est donc désormais à la juge Khéris d’ordonner ou pas la tenue d’un procès d’assises avec les éléments dont elle dispose. En parallèle, la magistrate a également demandé que des comparaisons ADN soient effectuées entre des traces découvertes sur un matelas ayant appartenu à Michel Fourniret et aux empreintes génétiques de victimes dont les disparitions n’ont jamais été élucidées. « C’est quand même dingue qu’il ait fallu attendre aujourd’hui pour effectuer ce travail. Cela aurait dû être fait il y a plus de 15 ans quand Fourniret pouvait répondre de ses actes », commente encore Corinne Herrmann.

L’avocate n’a pas attendu la mort de « l’Ogre » pour réclamer des comptes. Elle a décidé d’assigner l’État français au civil devant le tribunal judiciaire de Paris pour le « dysfonctionnement de la justice » dans la conduite de l’enquête sur la mort d’Estelle Mouzin. Une procédure similaire est également en préparation devant la Cour européenne des droits de l’Homme. La preuve, s’il en fallait, que Corinne Herrmann est celle qui a permis d’établir, ces dernières années, la responsabilité de Michel Fourniret dans la disparition d’Estelle Mouzin. Sans elle, sans la juge Sabine Khéris et, dans une certaine mesure, sans Monique Olivier, Eric Mouzin n’aurait jamais su que sa fillette avait été enlevée par le tueur en série.

Corinne Herrmann, Sabine Khéris, Monique Olivier : trois femmes au cœur de l’enquête sur Michel Fourniret et Estelle Mouzin.

Corinne Herrmann, l’avocate spécialiste des « cold-case »

Dans les forêts ardennaises et les chemins de terre, sa chevelure rousse tranche avec le vert de la nature. Et sert de repères aux photographes de presse qui, téléobjectif en bandoulière, cherchaient à voler quelques clichés de Michel Fourniret et de son ex-femme Monique Olivier lors des fouilles pour retrouver le corps d’Estelle Mouzin.

Aujourd’hui âgée de 59 ans, Corinne Herrmann dispose d’une formation en criminologie qui l’a conduite à se spécialiser, au sein du cabinet Seban, dans les « cold-case ». C’est ce qui lui a permis, très tôt, d’être convaincue de la responsabilité de Michel Fourniret dans la mort d’Estelle Mouzin. Si elle n’a manqué quasiment aucune des récentes campagnes de fouilles, l’essentiel de son travail s’est fait dans l’ombre. D’abord en épluchant le dossier afin d’effectuer des recoupements. Et surtout en œuvrant  pour permettre à la juge Sabine Khéris de récupérer le dossier d’instruction et de reprendre l’enquête. Pour cela, elle n’a pas hésité à aller jusqu’à la Cour de cassation. Son seul regret ? Que cela ait pris autant de temps pour aboutir à ce résultat… Désormais, elle milite pour la création d’un pôle d’instruction spécialisé dans les tueurs en série pour ne plus que cela se reproduise.

Sabine Khéris, la juge qui lisait Dostoïevski

Le déclic a eu lieu le 5 février 2019. Ce jour-là, Monique Olivier est interrogée dans le cabinet de la juge Khéris. C’est là qu’elle lâche qu’elle souhaite désormais « évoquer le dossier Estelle Mouzin ». Voilà comment la doyenne des juges d’instruction au tribunal judiciaire de Paris a relancé l’enquête sur l’une des disparitions les plus retentissantes de ces dernières décennies.

Pour obtenir les aveux de Michel Fourniret, elle n’a pas ménagé sa peine. D’abord en lançant, tous azimuts, des investigations qui n’avaient, étrangement, jamais été faites jusque là. Et surtout en gagnant la confiance de « l’Ogre ». Épaulée par une greffière qualifiée de « Formule 1 » par les avocats en raison de la rapidité de son travail, Sabine Khéris a passé du temps à lire Dostoïevski, l’auteur préféré de Fourniret, afin d’en discuter avec lui et de nouer un rapport privilégié. Surtout, elle a épluché le dossier pour parvenir à le coincer et à obtenir ses aveux. Le 27 novembre 2019, le tueur en série lui rend hommage à sa façon en lui lâchant qu’elle est une bonne « joueuse ». C’est ainsi qu’il finit par reconnaître qu’il est bien à l’origine de la disparition de la fillette de Guermantes (Seine-et-Marne).

Monique Olivier, l’ex-femme balance

En répondant à une petite annonce du Pèlerin (« Prisonnier cherche contact pour rompre solitude »), Monique Olivier ne se doutait alors pas qu’elle deviendrait, tour à tour, la correspondante, puis la muse, puis l’épouse d’un tueur en série. Et encore moins qu’elle serait finalement sa balance. C’est elle, en 2004, au bout du 141e interrogatoire par la police belge qui finit par avouer que son mari, Michel Fourniret, a bien tué des jeunes femmes.

Mal considérée par le tueur qui la qualifiait de « pétrin à modeler » ou « d’idiote n’ayant rien entre les oreilles », Monique Olivier a fini par divorcer en 2010 alors qu’ils étaient tous les deux emprisonnés. Libérée, selon elle, de l’emprise de son mari, elle a fini par livrer des aveux circonstanciés ces deux dernières années dans le dossier Mouzin. Notamment en mettant à bas l’alibi dont il bénéficiait dans ce dossier depuis quinze ans. Puis en révélant, récemment, la zone où la fillette a été enterrée. Mais les enquêteurs ne sont jamais parvenus à retrouver son corps.

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