Le Quotidien du 27 avril 2021 : Social général

[Questions à...] Procès Ikéa, surveillance des salariés... - Questions à Maître Blandine Allix, avocate associée, Flichy Grangé Avocats

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par Lexbase Social x Lexradio

le 26 Avril 2021

Le 22 mars dernier, s’est ouvert le procès d’Ikéa France. La filiale française est accusée d’avoir illégalement surveillé ses salariés, pendant plusieurs années.

En écho à cette situation et parce que la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 17 mars dernier un arrêt qui autorise une entreprise à demander à un enquêteur extérieur de se renseigner sur un salarié, sans que celui-ci le sache, ni même soit entendu, Maître Blandine Allix, avocate associée au cabinet Flichy Grangé Avocats, a accepté de répondre à quelques questions pour la revue Lexbase Social au micro de Lexradio, sur ce qui est autorisé ou non, en matière de surveillance des salariés.

Lexbase Social : Dans quelle mesure les dirigeants d’Ikéa ont-ils outrepassé leurs droits ?

Les dirigeants d'Ikéa ont clairement outrepassé leurs droits puisqu'ils ont réalisé une véritable investigation à l’égard de leurs salariés et des candidats à l'embauche. Nous pouvons même évoquer le terme d’espionnage de la vie privée, car ces dirigeants ont demandé à des détectives privés d'enquêter sur la vie privée de leurs salariés et des candidats à l’embauche, soit environ 300 personnes, allant même jusqu’à accéder à des fichiers en théorie accessibles uniquement par la police.

Lexbase Social : Pouvez-vous nous rappeler les règles que l’employeur doit respecter pour mettre en place un dispositif de surveillance de ses salariés ?

S’agissant des modalités de surveillance des salariés, il convient de distinguer deux types de situations :

→ la situation de surveillance par un dispositif technologique de contrôle ;

  1. → la situation de surveillance humaine, en dehors de tout dispositif technologique.

Le dispositif technologique de contrôle de l'activité des salariés, renvoie, par exemple, à un dispositif de vidéo surveillance, à un logiciel pouvant capter tous les messages reçus ou envoyés par le biais d'un mot clé sur la messagerie professionnelle du salarié, ou encore à un logiciel qui enregistre poste par poste les connexions internet. Tous ces dispositifs de surveillance technologiques doivent respecter un certain nombre de règles :

  • la première règle est relative à l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), qui prévoit que chacun a droit au respect de sa vie privée, notamment au temps et au lieu de travail ;
  • la seconde règle à respecter est celle de la proportionnalité, prévue à l'article 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), qui dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Ainsi, lors de la mise en place d’un dispositif de surveillance, l’employeur doit s’assurer que celui-ci est justifié et proportionné son objectif ;
  • la troisième règle est celle de la transparence, à l'égard du comité social et économique, mais également des salariés. Selon l'article L. 2312-38 du Code du travail (N° Lexbase : L8271LGG), le CSE doit être informé préalablement à la mise en place du dispositif de surveillance. Cette information doit veiller à être complète : il est important de détailler le système de contrôle envisagé, ses modalités, mais également sa finalité. En effet, l’employeur n’a pas le droit de détourner de la finalité du système de surveillance. Par exemple, si l’employeur décide de mettre en place un système de géolocalisation pour étudier les déplacements de ses commerciaux afin d'améliorer leur productivité, il ne peut pas, une fois cette finalité déclarée, la détourner, en l'utilisant pour contrôler le temps de travail. S’agissant de l’obligation d'information à l'égard des salariés, celle-ci doit également être préalable à la mise en place du dispositif. Elle doit être individuelle, c'est-à-dire que chaque salarié concerné par le dispositif de contrôle doit être informé préalablement (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z) ;
  • la dernière règle concerne le respect de l'ensemble des dispositions prévues dans le Règlement général sur la protection des données (« RGPD ») (N° Lexbase : L0189K8I). En effet, en cas de mise en place d’un dispositif de contrôle de l'activité des salariés, il y a nécessairement une collecte, un enregistrement et un traitement de données, qui doivent être conformes au « RGPD ». Il est ainsi nécessaire d’inscrire le dispositif dans le registre de traitement des activités. Il convient également de faire une analyse d'impact, en cas de risque élevé pour les droits et libertés des salariés et de veiller à une durée limitée de conservation des données.

Ont été présentées les règles devant être respectées si l’employeur souhaite mettre en place un dispositif de surveillance via un outil technologique. À noter qu’en cas de mise en place d’un dispositif en dehors de tout dispositif technologique, il faut également respecter l’article 9 du Code civil, garantissant le respect de la vie privée ainsi que le principe de proportionnalité, précédemment cité.

Lexbase Social : Comment expliquer que, dans un arrêt du 17 mars dernier (Cass. soc., 17 mai 2021, n° 18-25.597, FS-P+I N° Lexbase : A89224LZ), la Cour de cassation admette qu’une enquête secrète sur des faits de harcèlement n’est pas un mode de preuve déloyal ?

En l’espèce, des salariés s’étaient plaints de harcèlement moral, exercé par une salariée de l’entreprise. Les représentants du personnel et la direction avaient décidé de faire appel à une entreprise spécialisée en risques psychosociaux pour enquêter sur ces faits. Une enquête interne est menée, à l’occasion de laquelle ont été interviewés les salariés de l'entreprise. La salariée est licenciée à la suite des résultats de l’enquête qui révèle que la salariée avait proféré des insultes à caractère racial et discriminatoire.

La salariée conteste son licenciement, reprochant à son employeur de ne pas avoir été entendue dans l’enquête et relevant ainsi une violation de l’article L. 1222-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0814H9Z), qui prévoit qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. Selon elle, il s’agit d’un procédé clandestin de surveillance, de sorte que le moyen de preuve invoqué se heurtait à l’obligation de loyauté et était illicite.

Ce qui est très étonnant, c’est que la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 26 septembre 2018, n° 16/08439 N° Lexbase : A8405X7G) a fait droit aux arguments de la salariée et a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, lui accordant 35 000 euros de dommages et intérêts. Heureusement, la Cour de cassation a cassé cet arrêt. En l’espèce, il s’agissait d’une enquête qui faisait suite à une plainte d'un collaborateur qui dénonçait des faits de harcèlement moral. Elle rappelle que l’employeur a une obligation de sécurité et doit prévenir des faits de harcèlement moral. Dès lors qu’il est informé de l'existence de tels faits, il doit les faire cesser. Dans le cadre de cette obligation de sécurité, l'employeur doit faire une enquête pour s'assurer qu’il y a effectivement des faits de harcèlement moral. En l’espèce, il ne s’agissait pas d’une enquête visant à mettre en place un dispositif clandestin de surveillance de l'activité de la salariée. La Cour de cassation a eu parfaitement raison de recadrer les choses et de rappeler que nous étions dans le cadre d'une enquête pour harcèlement moral.

Lexbase Social : Pensez-vous que cette interprétation de la Cour de cassation a vocation à être appliquée à des enquêtes concernant des faits de discrimination ? de vol ou de fraude ?

Il semble assez difficile de répondre à cette question. Ce qui est clair, c'est que cet arrêt est lié au dispositif d’enquête à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement moral. Il est difficile de dire si la Cour de cassation agirait de la même façon pour des faits de discrimination, de vol ou de fraude. Ce qui est sûr, c'est que si l’employeur souhaite mettre en place une enquête pour une question de vol ou de fraude, il faut, encore une fois, qu’il fasse attention à ne pas empiéter sur la vie privée de ses collaborateurs. Par exemple, si l’employeur décide de mettre en place un dispositif de contrôle des caisses, en cas de soupçons de vol de la part de ses caissières, il doit informer préalablement les salariés concernés et le CSE. Il y aurait donc, de toute façon, une obligation de transparence préalable. Je pense donc que, pour le moment, nous devons répondre négativement à cette question.

Cette interview est à écouter en podcast sur Lexradio ici.

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