Le Quotidien du 25 février 2021 : Droit des personnes

[Brèves] Publication sur internet de condamnations pénales dont une personne a fait l’objet : sauf à s’inscrire dans un débat d’intérêt général, une telle publication ne saurait justifier l’atteinte à la vie privée

Réf. : Cass. civ. 1, 17 février 2021, n° 19-24.780, FS-P (N° Lexbase : A61674HU)

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[Brèves] Publication sur internet de condamnations pénales dont une personne a fait l’objet : sauf à s’inscrire dans un débat d’intérêt général, une telle publication ne saurait justifier l’atteinte à la vie privée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/65405860-breves-publication-sur-internet-de-condamnations-penales-dont-une-personne-a-fait-l-objet-sauf-a-s
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 24 Février 2021

► En retenant, pour écarter l'existence d'une atteinte à la vie privée de l’intéressé, que les condamnations pénales ayant fait l’objet d’une publication avaient été rendues publiquement et concernaient son activité professionnelle et que celui-ci ne pouvait alléguer de l'ancienneté des faits et d'un droit à l'oubli, sans rechercher, comme il le lui incombait au regard de l'atteinte portée à la vie privée de l’intéressé, si la publication en cause s'inscrivait dans un débat d'intérêt général, justifiant la reproduction des condamnations pénales le concernant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Faits et procédure. En l’espèce, le représentant légal d’une société spécialisée dans la supplémentation nutritionnelle avait été déclaré coupable, par arrêt du 18 mars 2009, devenu définitif, des faits d'exercice illégal de la pharmacie, commercialisation de médicaments sans autorisation de mise sur le marché, infraction à la réglementation de la publicité des médicaments et, par arrêt du 4 mai 2011, de fraude fiscale et d'omission d'écritures en comptabilité, cette condamnation ayant été annulée par décision du 11 avril 2019 de la Cour de révision et de réexamen des condamnations pénales.

Par acte du 20 juillet 2016, l’intéressé, invoquant avoir découvert fortuitement qu'une page lui était consacrée sur le site Internet, faisait état de ces condamnations pénales et invitait au moyen d'un lien hypertexte à consulter l'avis de décès de son père publié sur le site www.dansnoscoeurs.fr et soutenant que cette publication portait atteinte à l'intimité de sa vie privée, avait assigné l’auteure de la page litigieuse, sur le fondement de l'article 9 du Code civil, en indemnisation de son préjudice et suppression de cette page.

Décision cour d’appel. Par décision rendue le 25 septembre 2019, la cour d’appel de Paris, avait écarté l'existence d'une atteinte à la vie privée de l’intéressé et rejeté ses demandes. Elle avait retenu que les condamnations pénales avaient été rendues publiquement et concernaient son activité professionnelle et que celui-ci ne pouvait alléguer de l'ancienneté des faits et d'un droit à l'oubli, alors qu'à la date de leur publication sur le site Internet litigieux, ces condamnations n'avaient pas été amnistiées. Les juges parisiens ajoutaient que l’auteure de la publication avait mentionné le fait que l'arrêt du 4 mai 2011 avait été annulé par la décision de la Cour de révision et de réexamen des condamnations pénales.

Censure de la Cour de cassation. La décision est censurée par la Haute juridiction qui reproche aux juges parisiens de s’être déterminés ainsi, sans rechercher, comme il le leur incombait au regard de l'atteinte portée à la vie privée de l’intéressé, si la publication en cause s'inscrivait dans un débat d'intérêt général, justifiant la reproduction des condamnations pénales le concernant.

La Haute juridiction rappelle, en effet, que selon l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQE), toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, et que, si ce texte ne peut être invoqué pour se plaindre d'une atteinte à la réputation qui résulterait de manière prévisible des propres actions de la personne, telle une infraction pénale, la mention dans une publication des condamnations pénales dont une personne a fait l'objet, y compris à l'occasion de son activité professionnelle, porte atteinte à son droit au respect dû à sa vie privée (CEDH, arrêt du 28 juin 2018, Req. 60798/10 et 65599/10, M.L. et W.W. c. Allemagne N° Lexbase : A0396XU9).

Selon son article 10 (N° Lexbase : L4743AQQ), toute personne a droit à la liberté d'expression mais son exercice peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.

Le droit au respect de la vie privée, également protégé par l'article 9 du Code civil, et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime.

La Cour suprême rappelle, enfin, que cette mise en balance doit être effectuée en prenant en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, 10 novembre 2015, Req. 40454/07, Couderc et Hachette Filipacchi associés c/ France, § 99, 100 et 102 N° Lexbase : A2074NWQ) et, même si le sujet à l'origine de l'article relève de l'intérêt général, il faut encore que le contenu de l'article soit de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question (CEDH, arrêt du 29 mars 2016, Req. 56925/08, Bédat c/ Suisse, § 64 N° Lexbase : A3892RAE).

Il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères (Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-28.741 N° Lexbase : A8014XHB).

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