Réf. : Cass. com., 13 janvier 2021, n° 18-25.713 et n° 18-25.730, F-P (N° Lexbase : A72594CT)
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par Vincent Téchené
le 20 Janvier 2021
► L'annulation des délibérations de l'assemblée générale d'une société, qui n'est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, qui peut seulement en suspendre les effets.
Faits et procédure. Une SAS a fait l'acquisition, au moyen d'emprunts bancaires, d’une société détenant elle-même l'intégralité du capital d’une autre société. La SAS rencontrant des difficultés, des mandataires ad hoc ont été successivement désignés afin de négocier avec les banquiers une restructuration de ses dettes Trois associés de la SAS ont adressé au gérant de la société dirigeante de la SAS une convocation à une assemblée générale ayant pour ordre du jour la révocation de son mandat de président de cette société et son remplacement. Une ordonnance rendue à la demande, notamment, de la SAS et de la société dirigeante a désigné un administrateur provisoire avec mission, pendant une durée de trois mois, de diriger les sociétés du groupe et, notamment, de reprendre la mission confiée précédemment au mandataire ad hoc ainsi que de conduire les négociations avec les banques. La société présidente a assigné en référé les trois associés qui avaient convoqué l’AG en vue de la révocation de ses fonctions, aux fins d'obtenir le report, après le terme de la mission de l'administrateur provisoire, de ladite assemblée.
Par un premier arrêt, la cour d'appel a fait droit à ces demandes, après avoir constaté que le maintien de l'assemblée générale et la désignation du nouveau président seraient contraires à la mission de l'administrateur provisoire (CA Dijon, 20 septembre 2018, n° 18/01081 N° Lexbase : A0899YHR).
Parallèlement, les associés ont convoqué une assemblée générale avec pour ordre du jour la fixation de la rémunération de la présidente. Lors de cette assemblée, ces associés en ont modifié l'ordre du jour et mis au vote deux projets de résolution, portant, l'une, sur la révocation avec effet immédiat des fonctions de présidente de la société et, l'autre, sur la nomination, elle aussi à effet immédiat, du nouveau président de la société. La société dirigeante s'étant abstenue, la modification de l'ordre du jour a été approuvée et les deux résolutions adoptées à la majorité des voix. Par un second arrêt, la cour d'appel a prononcé la nullité de ces résolutions (CA Dijon, 16 octobre 2018, n° 18/01253 N° Lexbase : A1657YHT).
Les trois associés ont donc formé deux pourvois en cassation contre les arrêts des 20 septembre 2018 et 16 octobre 2018.
Décision.
Dans son arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation relève, en premier lieu, que l’arrêt d’appel a constaté que l'administrateur provisoire avait pour mission, notamment, de reprendre les négociations avec les banques pour restructurer sa dette. Il retient ainsi qu'il est établi que la confiance accordée par les banques à l'administrateur provisoire, qui est de nature à favoriser les négociations que celui-ci mène avec elles dans l'exercice de son mandat, est susceptible d'être affectée par une délibération dont l'urgence n'est nullement avérée. Dès lors, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur l'opportunité de modifier la présidence de la société au regard de l'intérêt social, a pu déduire que la seule tenue de cette assemblée générale pendant que l’administrateur provisoire accomplissait sa mission était, par elle-même, de nature à causer à la société un dommage imminent, qu'il convenait de prévenir en ordonnant le report de l'assemblée générale.
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi formé contre l’arrêt du 20 septembre 2021.
En second lieu, la Haute juridiction pose un principe, selon lequel il résulte des articles L. 235-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8612LQZ) et 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A) que l'annulation des délibérations de l'assemblée générale d'une société, qui n'est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés.
Or, elle constate que, pour annuler les résolutions adoptées lors de l'assemblée générale, l'arrêt d’appel a retenu que, s'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'annuler un acte dans la mesure où une telle annulation consiste à trancher le fond, en l'espèce, la décision de mettre à l'ordre du jour de l'assemblée générale les projets de résolutions portant sur la révocation du président de la société et la nomination d'un autre président est à l'origine d'un trouble manifestement illicite consistant en la violation délibérée de l'ordonnance nommant l’administrateur provisoire, et que la seule mesure permettant de faire cesser ce trouble est d'annuler les délibérations qui en ont découlé et au terme desquelles ces résolutions ont été adoptées.
La Cour de cassation censure donc l’arrêt d’appel du 16 octobre 2018 : en statuant ainsi, alors qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, fût-ce pour faire cesser un trouble manifestement illicite, d'annuler les délibérations de l'assemblée générale d'une société, la cour d'appel, qui pouvait en revanche en suspendre les effets, a violé les articles L. 235-1 du Code de commerce et 873, alinéa 1er, du Code de procédure.
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