Le Quotidien du 13 novembre 2020 : Droit pénal des affaires

[Brèves] Visites et saisies réalisées par les enquêteurs de l’AMF : secret médical, privilège légal et champ d’application de l’autorisation du JLD

Réf. : Cass. com., 4 novembre 2020, n° 19-17.911, F-P+B (N° Lexbase : A931433D)

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[Brèves] Visites et saisies réalisées par les enquêteurs de l’AMF : secret médical, privilège légal et champ d’application de l’autorisation du JLD. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/61371097-breves-visites-et-saisies-realisees-par-les-enqueteurs-de-lamf-secret-medical-privilege-legal-et-cha
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par Adélaïde Léon

le 18 Novembre 2020

► Aucun texte ne subordonne la saisine de l’autorité judiciaire pour l’application de l’article L. 621-12 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0388LTK) à l’exercice préalable d’autres procédures et les dispositions de ce texte, qui organisent le droit de visite des enquêteurs de l’AMF et le recours devant le premier président de la cour d’appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et du droit d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre les manquements et infractions aux dispositions législatives ou réglementaires ;

Une société pharmaceutique ne peut être assimilée à un cabinet médical ; les données cliniques de patients qu’elle collecte sont censées être anonymisées et ne sont pas, par nature, couvertes par le secret médical ;

L'identification d’un avocat en qualité d’expéditeur ou de destinataire d’un courrier est indispensable pour invoquer le bénéfice du privilège légal ;

Les documents saisis en exécution d’une autorisation de visites et saisies domiciliaires sans restriction temporelle ne peuvent être écartés au seul motif qu’ils sont antérieurs au début de l’enquête ; il est nécessaire de préciser, par une analyse concrète des pièces saisies, en quoi cette saisine n’entrait pas dans le champ de ladite autorisation.

Rappel des faits

Un juge des libertés et de la détention (JLD) a, sur le fondement des articles L. 465-1 (N° Lexbase : L8953K84), L. 465-3 (N° Lexbase : L7505LBL) et L. 621-12 du Code monétaire et financier, autorisé des enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF) à procéder à des visites et des saisies dans des locaux susceptibles d’être occupés par des sociétés ou particuliers, en vue de rechercher la preuve de manquements d'initiés ou de délit d'initiés. Les intéressés ont relevé appel de l'ordonnance d'autorisation et exercé un recours contre le déroulement des opérations de visite dénonçant le choix de la mesure ordonnée et sa disproportion.

En cause d'appel

Le délégué du premier président de la cour d'appel (ci-après « le premier président ») a relevé que la mesure prévue par l'article L. 621- 12 du Code monétaire et financier ne revêtait pas un caractère subsidiaire. Dès lors, la proportionnalité de la mesure qu'il confirmait n'avait pas à être davantage justifiée.

Le magistrat a déclaré les visites et saisies régulières à l’exception de certains documents dont il a fait interdiction à l’AMF d’en faire usage. Ainsi, il a annulé la saisie de courriels qu’il estimait couverts par le secret médical. Le premier président a également annulé la saisie de correspondances qu’il jugeait couvertes par le privilège légal estimant qu’un avocat y était identifié comme expéditeur ou destinataire. Enfin, les saisies de documents antérieurs au 1er septembre 2014 ont également été annulées au motif qu’il était difficile de voir en quoi elles étaient susceptibles d’apporter un quelconque éclairage aux agissements poursuivis.

Un pourvoi a été formé par l’AMF, suivi d’un pourvoi incident de la société et des personnes ayant fait l’objet du contrôle.

Moyens des pourvois incidents

Sur la mise en œuvre de l’article L. 621-12 du Code monétaire et financier. Les auteurs du pourvoi incident ont estimé qu’il appartenait au JLD, puis au premier président de la cour d’appel, de réaliser un contrôle effectif et circonstancié du caractère proportionné ou non de l'ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile et de vérifier qu’une autre procédure n’était pas moins contraignante. Ils affirment à ce titre que les visites domiciliaires ordonnées sur le fondement de l’article L. 621-12 étaient subsidiaires à la mise en œuvre de l’article L. 621-10 (N° Lexbase : L2919LG9) et réservées « strictement aux cas où la mise en œuvre des procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ». Ils reprochent au premier président de la cour d’appel de s’être, pour rejeter leurs recours, simplement référé à l'absence d'obligation de l’AMF de justifier de son choix de recourir à la procédure de l’article L. 621-12.

Sur la légalité des visites et saisies. Selon le pourvoi formé par la société et les individus visités, la visite domiciliaire dans une entreprise pharmaceutique maniant des informations couvertes par le secret médical devait, à peine de nullité, être réalisée en présence d’un magistrat et d’un membre du conseil de l’Ordre des médecins. Il est précisé au surplus qu’en l’espèce, des courriels couverts par le secret médical avaient été saisis. La visite réalisée par les agents de l’AMF en l’absence d’un magistrat et d’un membre de l’ordre concerné aurait donc dû être déclarée nulle. Il est donc reproché à la juridiction d’appel d’avoir considéré que le secret médical n’avait pas vocation à couvrir l’entière visite et de n’avoir déclaré nulle que la saisie des courriers précités. Il est également fait grief au juge de s’être prononcé sur l’anonymisation des données recueillies par la société au moyen de motifs inintelligibles ou dubitatifs, alors qu’il lui appartenait de vérifier de manière concrète que les éléments saisis étaient, soit exclus du champ du secret, soit anonymisés.

Moyens du pourvoi principal

Sur l’interdiction de faire usage de courriels couverts par le secret médical. L’AMF fait quant à elle grief à l’ordonnance du premier président d’avoir écarté les trois courriels précités et de lui faire interdiction d’en faire un quelconque usage. L’Autorité reproche au juge de s’être prononcé par des moyens dubitatifs et de n’avoir pas précisé le fondement de sa décision empêchant ainsi la Cour de cassation d’exercer son contrôle.

Sur l’interdiction de faire usage de courriels couverts par le privilège légal. L’AMF reproche également au premier président d’avoir déclarée irrégulière la saisie de courriels protégés par le privilège légal et lui avoir interdit d’en faire un usage sans procéder à une analyse desdits courriels.

Sur l’interdiction de faire usage des documents antérieurs au 1er septembre 2014. L’AMF fait grief au premier président d’avoir annulé la saisie des documents antérieurs au 1er septembre 2014 sans préciser en quoi ils ne seraient pas entrés dans les prévisions de l’ordonnance d’autorisation de visites et saisies domiciliaires délivrée par le JLD, laquelle ne comportait aucune restriction temporelle.

Décision de la Cour

La Chambre commerciale casse et annule l’ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel mais seulement en ce qu’elle déclare irrégulière la saisie des courriels protégés par le privilège légal et de documents antérieurs au 1er septembre 2014, en ordonne la restitution aux requérants et interdit à l’AMF d’en faire un quelconque usage.

La Chambre commerciale rejette les moyens relatifs à la mise en œuvre de l’article L. 621-12 du Code monétaire et financier. Selon la Haute juridiction aucun texte ne subordonne la saisine de l'autorité judiciaire, pour l'application de l'article L. 621-12, à l'exercice préalable d'autres procédures. Par ailleurs, l'ingérence que ce texte prévoit dans le droit au respect de la vie privée et des correspondances n'est pas en elle-même disproportionnée au regard du but légitime poursuivi qu’est la nécessité de la lutte contre les manquements et infractions aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées ou tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou du bon fonctionnement des marchés ou relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Sur la légalité des visites et saisies. La Cour rejette le moyen pris de la nullité des visites et saisies au visa de l’article 56-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2828IPG). Elle rappelle que les perquisitions dans le cabinet d’un médecin doivent être effectuées par un magistrat et en présence de la personne responsable de l’Ordre des médecins ou son représentant. La Haute juridiction relève que le premier président a justement jugé que la société pharmaceutique ne pouvait être assimilée à un cabinet médical et que la collecte par cette société de données cliniques de patients était censée être effectuée de manière anonymisée de sorte que les dispositions entourant d’une protection spécifique les visites domiciliaires et perquisitions réalisées dans le cabinet d’un médecin n’avaient pas vocation à s’appliquer. Hormis les trois courriels précités, les appelants n’avaient pas démontré que d'autres documents comportaient des données couvertes par le secret médical.

Sur l’interdiction de faire usage de trois courriels couverts par le secret médical. La Cour rejette le premier moyen avancé par l’AMF, lequel critiquait non les motifs justifiant l’annulation de la saisie des trois courriels mais ceux ayant conduit le premier président à déclarer régulières les autres saisies.

Sur l’interdiction de faire usage de courriels couverts par le privilège légal. La Chambre commerciale juge, au visa de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), relatif au secret des correspondances entre avocats et clients, que le premier président a privé sa décision de base légale. Il appartenait au juge de procéder à un examen concret des correspondances en cause afin d’identifier précisément les auteurs et destinataires des courriels en cause.

Sur l’interdiction de faire usage des documents antérieurs au 1er septembre 2014. La Chambre commerciale juge, au visa de l’article L. 621-12 du Code monétaire et financier, que, si l’AMF ne pouvait appréhender que les documents se rapportant aux agissements prohibés visés par l’ordonnance d’autorisation de visites et saisies domiciliaires, il ne lui était pas interdit de saisir des documents pour partie utiles à la preuve desdits agissements. En annulant la saisie de documents antérieurs au 1er septembre 2014 sans préciser, par une analyse concrète des pièces saisies, en quoi celles-ci n’entraient pas dans le champ de l’autorisation délivrée par le JLD, le premier président a privé sa décision de base légale.

Pour aller plus loin : V. ÉTUDE : Le secret professionnel, un principe essentiel de la profession d'avocat, in La profession d’avocat, Lexbase (N° Lexbase : E43003RP).

 

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