La lettre juridique n°481 du 12 avril 2012 :

[Jurisprudence] Une réflexion fondamentaliste de la Cour de cassation autour du triumvirat "cautionnement, faute du créancier et compensation"

Réf. : Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28.635, FS-P+B (N° Lexbase : A8741IEH)

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N1329BTE

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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 12 Avril 2012

Le droit des sûretés personnelles, parce que la vocation de ces dernières est d'améliorer quantitativement la situation du créancier, est par essence trinitaire en ce qu'il réunit dans une communion houleuse le créancier, son débiteur et un troisième larron, le garant. De cette configuration particulière découle, notamment en matière de cautionnement, une grande variété de règles et de conséquences : de manière plutôt inattendue, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'en est fait l'écho dans son arrêt rendu le 13 mars 2012.
Le scénario juridique était celui qui suit. Aux termes d'un acte notarié en date du 27 octobre 2001, une personne physique s'était portée caution (la caution) d'une dette bancaire contractée par une société civile immobilière (la SCI), envers une banque (la banque). Lorsque la SCI se montra défaillante au titre de ses obligations résultant du prêt bancaire conclu avec la banque, cette dernière appela la caution en paiement. Après une procédure judiciaire à rebondissements, conclue devant la cour d'appel d'Orléans :
- la caution fut condamnée à payer la banque, en exécution de son engagement ;
- pour sa part, la banque fut condamnée à payer la caution, à titre de dommages et intérêts ;
- les deux créances décrites ci-dessus étant réciproques, leur compensation fut prononcée ;
- la banque se tourna vers la SCI, son débiteur principal, à l'occasion d'une procédure de saisie-immobilière, pour obtenir le paiement de ce qui lui était dû.

Se prévalant de l'extinction partielle de la créance principale de la banque, du fait de la compensation entre la créance de cette dernière envers la caution et la créance de dommages et intérêts de la caution envers la banque, mais ne recevant pas satisfaction, la SCI et la caution (1) se pourvurent en cassation.
La saisine de la Haute juridiction n'était pas une première dans l'affaire qui nous retient, puisque, par un arrêt du 7 avril 2009, la Cour de cassation (Cass. com., 7 avril 2009, n° 08-10.427, F-D N° Lexbase : A1073EGT), avait déjà eu l'occasion de rejeter les prétentions de la banque qui affirmait alors qu'elle ne pouvait être condamnée à verser des dommages et intérêts à la caution. Cette fois, il s'agissait, pour la Cour de cassation, de se prononcer sur le point de savoir si le paiement par compensation de la dette de la caution avait éteint, en proportion, la dette principale. En la matière, rappelant sa position déjà établie, à savoir que pouvait être mise à la charge de la banque une créance de dommages et intérêts compensable avec la dette de la caution, la Cour de cassation prit, le 13 mars 2012, une position pour le moins radicale en estimant que "la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts [de la banque...] et celle due par [la caution...] n'éteint pas la dette principale garantie, mais à due concurrence, l'obligation de la caution".

La solution oscille ostensiblement entre un classicisme certain, eu égard à la compensation des dettes réciproques de la banque et de la caution (I), et une sévérité lourde, résultant d'une application très (trop ?) rigoureuse des textes, s'agissant du refus de prendre en compte les effets de cette compensation dans le rapport principal d'obligation (II) : nous nous proposons désormais d'étudier la décision sous cet angle double.

I - Une solution juridiquement classique quant aux rapports entre le créancier et la caution

L'acte premier du drame judiciaire dont nous nous autoriserons le commentaire ne surprend guère : il voit la Cour de cassation rappeler la condamnation de la banque, en sa qualité de créancier principal, à des dommages et intérêts pour manque de diligences à l'égard d'une caution profane (A), puis le paiement de cette dette par compensation avec les sommes dues par la caution elle même (B).

A - La mise de dommages et intérêts à la charge du créancier

Aussi bizarre que cela puisse paraître, en dépit de sa "consumérisation" à l'extrême, qui a récemment amené certains à parler en la matière de bilatéralisation (2), le droit du cautionnement ne contient pas en son sein toutes les dispositions spéciales nécessaires à la défense des intérêts de la caution. C'est notamment vrai lorsque celle-ci se trouve lésée par le comportement indélicat du créancier qu'elle garantit.

Certes, il existe bien la sanction pour perte du recours subrogatoire, prévue par l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP), mais on sait que les conditions de sa mise en oeuvre sont sévères. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence a bâti, sur le fondement des obligations de conseil et de mise en garde, un palliatif quasi-généralisé, apte à protéger les cautions non-averties aux prises avec des créanciers professionnels. Dans les faits de notre espèce, c'est évidemment sur ce ressort qu'avait initialement joué la Cour de cassation en rejetant, dans son arrêt du 7 avril 2009, le pourvoi initié par la banque contre le premier arrêt d'appel qui avait confirmé la condamnation de la banque à des dommages et intérêts au bénéfice de la caution.

En mentionnant dans l'attendu de la décision commentée qu'il y avait eu lieu, au préalable, à une "compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l'égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière", la Cour de cassation insiste sur sa jurisprudence usuelle. La caution vérifiait effectivement les conditions habituelles, appréciées in concreto, pour être considérée comme non-avertie, puisque n'occupant aucune fonction de direction au sein de la SCI et n'étant pas une professionnelle du crédit. Au surplus, il n'est pas déraisonnable de penser que la banque avait effectivement failli à certaines de ses diligences à son égard, compte tenu du caractère disproportionné de l'engagement obtenu de la caution (3). Dont acte.

B - La compensation des dettes réciproques du créancier et de la caution

Pour continuer dans les développements d'ordre canonique, il convient de s'attarder un instant sur le mode de paiement particulier de la créance de dommages et intérêts née en justice dans le patrimoine de la caution.

Comme c'est régulièrement le cas, les tribunaux ont raisonné dans cette affaire en procédant à une compensation entre les dettes et créances réciproques de la caution et de la banque (4). Il ne fait évidemment pas de doute que les conditions de la compensation prévues par l'article 1291 du Code civil (N° Lexbase : L1401ABI) étaient ici bien remplies :
- les deux dettes portaient sur une somme d'argent, d'une part, le paiement correspondant à la mise en oeuvre du cautionnement, d'autre part, le paiement des dommages et intérêts ;
- les deux dettes étaient liquides, puisque monétaires ;
- les deux dettes étaient exigibles, les conditions d'appel de la caution étant réunies et la condamnation de la banque étant devenue définitive (ce que rappelle très justement le moyen).

Répétons-le : jusqu'ici, il n'y a rien de choquant ou d'inhabituel. La solution dégage ainsi un statu quo, sorte de match nul judiciaire (5). En l'espèce, la compensation intervenue entre la caution et la banque a éteint la créance de cette dernière à hauteur de 103 142,64 euros soit le montant des dommages et intérêts alloués à la caution, permettant ainsi les échanges de flux entre les deux protagonistes.

Toutefois, de rivages cléments, la solution va tôt s'aventurer vers des eaux bien plus houleuses. Si, sur le pur plan de l'équité, on peut s'en émouvoir, une lecture rigoureuse, même si peut-être fondamentaliste, de notre cher Code civil est susceptible de pousser à d'autres conclusions.

II - Une solution chantre de la rectitude quant aux rapports entre le créancier et le débiteur principal

Accessorium sequitur principale -ou l'accessoire suit le principal, pour les partisans d'une réforme "litugico-juridique"- demeure, encore, un des credo du droit des sûretés. Et pourtant ! Se fondant sur une lecture des articles 1234 (N° Lexbase : L0970ABK), 1294 (N° Lexbase : L1404ABM) et 2288 (N° Lexbase : L1117HI9) du Code civil, la Cour de cassation l'ignore dans les grandes largeurs (A), contraignant à imaginer des systèmes de repli (B).

A - La lettre de l'article 1294 : toute la lettre, plus que la lettre ?

C'était le coeur du débat dans l'arrêt du 12 mars 2012 : la SCI, en sa qualité de débiteur principal, pouvait-elle opposer à la banque la compensation dont il vient d'être question ? Cela semblerait logique pour une raison assez simple : la compensation est un mode de paiement (6), et en voyant sa créance de dommages et intérêts compensée avec son propre dû, on peut donc légitimement penser que la caution a payé sa dette, et donc la dette principale, puisqu'il y a identité entre ses deux dettes conformément à l'article 2288 du Code civil. En conséquence, la banque devrait être désintéressée à hauteur de cette compensation et ne plus pouvoir agir contre la SCI.

Que nenni répond la Chambre commerciale ! En effet, l'article 1294 du Code civil, en son deuxième alinéa, disposant que "le débiteur principal ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à la caution", constitue aux yeux de la formation commerciale de la Cour de cassation un fondement approprié pour interdire à la SCI, débiteur principal de l'espèce, de se prévaloir de la compensation réalisée entre la caution et la banque comme suite au premier dénouement au fond de l'affaire. Le message lancé par les magistrats est dépourvu d'ambiguïté : puisque la caution a payé sa dette envers la banque par voie de compensation, la SCI se trouve empêchée d'invoquer ledit paiement.

La lettre du texte est-elle respectée ? Oui, assurément. Néanmoins, cette interprétation du texte nous semble pour le moins teintée de fondamentalisme juridique. Car, en sa qualité de débiteur principal, la SCI ne désirait pas tant opposer à la Banque la compensation de ses dettes réciproques avec celles de la caution qu'objecter que, par le jeu de ladite compensation, la dette principale était éteinte (7). Sur le plan de l'équité, cela paraît d'autant plus dérangeant du fait que la créance de dommages et intérêts de la caution était née, précisément, de sa qualité de caution et non pas à l'occasion de rapports autres que la banque et la caution auraient pu entretenir par ailleurs.

On peut donc regretter que la Cour de cassation ait retenu cette lecture "maximalisante" de l'article 1294 du Code civil. Que le débiteur ne puisse pas ex ante faire jouer une compensation dans les rapports obligationnels de la caution et de son créancier est une chose, que ce même débiteur principal ne soit pas en mesure d'invoquer le paiement par la caution de la dette principale par voie de compensation en est une autre. Permettons-nous d'y déceler une croupière manifestement taillée dans l'habit de l'accessoire dont on pare généralement le cautionnement.

B - Le recours nécessaire à une contractualisation tripartite

On ne saurait trop prédire l'avenir de l'arrêt de la Chambre commerciale du 13 mars 2012. Sa publication au Bulletin est peut-être révélatrice d'une volonté de ne pas le laisser trop isolé. Pour palier le cas où cela devrait se confirmer, il est nécessaire d'imaginer une solution protectrice du débiteur principal, sacrifié en l'espèce par la Cour de cassation.

De façon assez peu originale, nous suggérons de réfléchir à la conclusion d'une convention tripartite entre le créancier principal, le débiteur principal et la caution (8), stipulant que tout paiement, quel que soit son mode (y compris par voie de compensation, donc), reçu par le créancier principal de la part de la caution éteindra à due concurrence la dette principale. Nous le croyons possible dans la mesure où rien n'indique que l'article 1294 du Code civil est d'ordre public et que, ce faisant, aucun interdit du droit du cautionnement n'a l'air franchi. Convenons que, sans la position nouvelle prise par la Cour de cassation, la précaution aurait été mâtinée de superfétatoire : le climat prétorien invite à la prudence !

Vient-on d'assister à un sensible rééquilibrage des droits, opéré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au profit du créancier bénéficiant d'une caution ? L'intention n'était peut-être pas celle-là, mais c'est l'effet concret de la décision qui nous a retenus. Paradoxalement, dans l'ensemble trinitaire réunissant le créancier, le débiteur principal et la caution, cela aboutit à un tableau dans lequel la caution est protégée et le créancier sanctionné dans ses rapports avec cette dernière, sans pour autant que toutes les conséquences de cette sanction ne soient tirées dans le rapport principal d'obligation. Voilà une étrangeté juridique, certes respectueuse de la lettre de l'article 1294 du Code civil mais peut-être pas complètement de son esprit. Quant aux effets économiques de cet arrêt, s'il devait être suivi par d'autres décisions, ils consisteraient vraisemblablement en un léger regain d'intérêt pour le cautionnement sans pour autant oublier une réalité froide : lorsque la caution est appelée à payer, c'est que le débiteur principal n'est pas en position de le faire lui-même. On peut donc rééquiper à loisir le créancier face au débiteur, cela ne pourrait finalement changer que peu à sa situation.


(1) Dont on peut penser qu'elle était une associée de la SCI, donc responsable indéfiniment des dettes de cette dernière en application de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP).
(2) M. Sejean, La bilatéralisation du cautionnement ? Le caractère unilatéral du cautionnement à l'épreuve des nouvelles contraintes du créancier, LGDJ, 2011.
(3) Ce que met bien en évidence le premier arrêt d'appel.
(4) Comme avait pu le faire, en son temps, le fameux arrêt "Macron" (Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, publié N° Lexbase : A1835ACX ; voir, not., RTDCiv., 1998, p. 157, obs. P. Crocq).
(5) Sous réserve du paiement d'une éventuelle soulte, cela va sans dire.
(6) Quoique puisse en dire, de manière quelque peu abrupte, l'article 1234 du Code civil.
(7) L'extinction était d'ailleurs le terme expressément employé par le moyen du pourvoi.
(8) Ce qui, en pratique, est parfois déjà le cas.

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