Le Quotidien du 3 novembre 2020 : Fiscalité des entreprises

[Brèves] Écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale du bien apporté et intention libérale

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 21 octobre 2020, n° 434512, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A46903YD)

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par Sarah Bessedik et Marie-Claire Sgarra

le 02 Novembre 2020

Par un arrêt du 21 octobre 2020, le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer sur la caractérisation de l’intention libérale en cas d’écart significatif entre la rémunération convenue pour l’apport et la valeur vénale.

En l’espèce, dans le cadre de la restructuration du groupe à la tête duquel la Société Nouvelle Cap Management (SNCM) a été placée, M. A a apporté à cette société, le 4 février 2008, les 1 319 titres qu'il détenait dans la société à responsabilité limitée (SARL) Cap Management, correspondant à la moitié du capital social de cette dernière, dont il était l'un des deux gérants.

Ces titres ont été évalués forfaitairement à un montant de 500 000 euros et ont été inscrits pour cette valeur à l'actif du bilan de la société bénéficiaire.

À la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a estimé que cet apport avait été sous-évalué, au regard du prix de 1 387 400 euros payé par la société requérante, le 7 mars 2008, pour l'acquisition auprès de M. B, l'autre gérant, des 1 319 autres titres de la société Cap Management, auquel s'était ajouté un complément de prix, d'un montant de 550 000 euros, payé en 2009.

Compte tenu de la discordance constatée entre la valeur d'apport des titres, et le coût d'acquisition des titres détenus en nombre égal, l’administration a regardé cette opération comme constitutive d'une libéralité à concurrence de la somme résultant de cette discordance, soit 1 437 400 euros.

Elle a, par conséquent, assujetti la société SNCM à un rehaussement d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2008, procédant de la réintégration de cette somme dans ses bénéfices sur le fondement du 2 de l'article 38 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6167LUX).

La société SNCM se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi, a de nouveau rejeté sa demande (CAA Versailles, 11 juillet 2019, n° 18VE02721 N° Lexbase : A7793ZKT). 

Pour rappel, le 2 de l’article 38 du CGI dispose que « Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés ».

Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même Code (N° Lexbase : L3750HZW) : « Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. Cette valeur d'origine s'entend :

a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition

b. Pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale

c. Pour les immobilisations apportées à l'entreprise par des tiers, de la valeur d'apport ».

Le Conseil d’État va se livrer à une interprétation combinée de ces deux dispositions et estime alors que si les opérations d'apport sont, en principe, sans influence sur la détermination du bénéfice imposable, tel n'est toutefois pas le cas lorsque la valeur d'apport des immobilisations, comptabilisée par l'entreprise bénéficiaire de l'apport, a été volontairement minorée par les parties pour dissimuler une libéralité faite par l'apporteur à l'entreprise bénéficiaire.

Dans une telle hypothèse, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine des immobilisations apportées à l'entreprise pour y substituer leur valeur vénale, augmentant ainsi l'actif net de l'entreprise dans la mesure de l'apport effectué à titre gratuit.

La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence :

  • d’un écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale du bien apporté ;
  • d’une intention, pour l'apporteur, d'octroyer et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de l'apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts. 

Toutefois pour constater l'existence d'un écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale des titres apportés par M. A, la cour ne s’est pas prononcée, sur l'incidence qu'aurait pu avoir, sur la valeur des titres de M. B, comme sur celle de M. A, le contexte dans lequel se sont déroulées les opérations litigieuses et, en particulier, tant l'éventualité que la société ait pu majorer le prix payé à M. B, pour obtenir que celui-ci quitte rapidement le capital des sociétés du groupe et sa gouvernance, que la possibilité que M. A ait été dans l'obligation de minorer la valeur d'apport de ses titres afin de se conformer au souhait de ses deux nouveaux associés d'apporter chacun en numéraire une même somme de 500 000 euros.  

Ainsi, l’intention libérale peut être remise en cause et la société requérante est par conséquent fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes et à demander à être déchargée de cette imposition.

Pour rappel, le Conseil d’État avait dans le même sens jugé qu’un apport en nature à une société, à une valeur sous-évaluée, peut dissimuler une libéralité imposable chez cette dernière (CE 3°/8°/9° et 10° ch.-r., 9 mai 2018, n° 387071, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6254XML).

À lire, sur cet arrêt, Y. Bénard, Détermination du bénéfice imposable : règles particulières dans le cadre d’un apport à un prix volontairement minoré dissimulant une libéralité – Conclusions du Rapporteur public, Lexbase Fiscal, juin 2018, n° 745 (N° Lexbase : N4451BX7).

Par cet arrêt, le Conseil d’État avait étendu la solution retenue dans l’arrêt « Société Raffypack » concernant les opérations de cession d’une immobilisation à prix minoré aux opérations d’apport à valeur minorée (CE 3° et 8° ssr., 5 janvier 2005, n° 254556, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2265DGY).

 

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