Le Quotidien du 17 juillet 2020 : Droit des personnes

[Brèves] Demande de changement de sexe à l’état civil : le refus, sans motif, par les autorités bulgares emporte violation du droit à la vie privée

Réf. : CEDH, 9 juillet 2020, Req. 41701/16, Y.T. c/ Bulgarie (N° Lexbase : A84853QC)

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N4129BYL

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[Brèves] Demande de changement de sexe à l’état civil : le refus, sans motif, par les autorités bulgares emporte violation du droit à la vie privée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/59202453-breves-demande-de-changement-de-sexe-a-letat-civil-le-refus-sans-motif-par-les-autorites-bulgares-em
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 15 Juillet 2020

► Le refus des autorités internes bulgares de reconnaître légalement la réassignation de sexe du requérant sans avancer pour cela de motivation suffisante et pertinente, et sans expliquer pourquoi dans d'autres affaires une telle réassignation pouvait être reconnue, a porté une atteinte injustifiée au droit du requérant au respect de sa vie privée.

L’affaire concerne un transsexuel ayant entamé une modification de son apparence physique et dont la demande de réassignation de sexe (masculin au lieu de féminin) avait été refusée par les juridictions bulgares. Il affirmait avoir pris conscience de son identité sexuelle masculine dès son adolescence et avoir mené une vie sociale en tant qu’homme.

La Cour était ainsi appelée à déterminer si le refus des juridictions de faire droit à la demande du requérant de changement de la mention de son sexe sur les registres civils avait constitué une atteinte disproportionnée au droit de celui-ci au respect de sa vie privée.

Elle relève que les tribunaux internes ont constaté que le requérant était transsexuel sur la base d'informations détaillées relatives à son état psychologique et médical ainsi qu'à son mode de vie social et familial. Ils ont toutefois refusé d'autoriser la modification de la mention du sexe sur les registres civils. La Cour rappelle qu'elle admet pleinement que la préservation du principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, de la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l'état civil et, plus largement, de l'exigence de sécurité juridique relève de l'intérêt général et justifie la mise en place de procédures rigoureuses dans le but notamment de vérifier les motivations profondes d'une demande de changement légal d'identité.

Néanmoins, la Cour ne peut que constater que la motivation des décisions de rejet de la demande du requérant rendues par les tribunaux faisait référence aux arguments disparates et qu'elle se basait, néanmoins, sur trois éléments principaux. Premièrement, les tribunaux ont exprimé la conviction que la conversion sexuelle n'était pas possible dès lors que la personne présentait des caractéristiques physiologiques sexuelles opposées à la naissance. Deuxièmement, ils ont considéré que la seule aspiration socio-psychologique d'une personne n'était pas suffisante pour faire droit à une demande de conversion sexuelle. Enfin et de toute façon, le droit interne ne prévoyait pas de critères permettant une telle conversion sur le plan juridique. Sur ce dernier point, la Cour note que le tribunal régional a explicitement déclaré qu'il n'accordait pas d'importance à la tendance jurisprudentielle selon laquelle il y avait lieu de reconnaître la réassignation de sexe indépendamment du suivi d'un traitement médical préalable. Ainsi, les autorités judiciaires ont établi que le requérant s'était engagé dans un parcours de transition sexuelle modifiant son apparence physique et que son identité sociale et familiale était déjà masculine depuis longtemps. Pourtant, elles ont considéré en substance que l'intérêt général exigeait de ne pas permettre le changement juridique du sexe, puis rejeté la demande. La Cour note que les tribunaux n'ont aucunement élaboré leur raisonnement quant à la nature exacte de cet intérêt général et n'ont pas réalisé, dans le respect de la marge d'appréciation accordée, un exercice de mise en balance de cet intérêt avec le droit du requérant à la reconnaissance de son identité sexuelle. Dans ces conditions, la Cour ne peut déceler quelles sont les raisons d'intérêt général ayant conduit au refus de mettre en adéquation l'état masculin du requérant et la mention correspondant à cet état sur les registres civils.

La Cour voit là une rigidité de raisonnement sur la reconnaissance de l'identité sexuelle du requérant qui a placé ce dernier, pendant une période déraisonnable et continue, dans une situation troublante lui inspirant des sentiments de vulnérabilité, d'humiliation et d'anxiété.

Selon la Cour, le refus des autorités internes de reconnaître légalement la réassignation de sexe du requérant sans avancer pour cela de motivation suffisante et pertinente, et sans expliquer pourquoi dans d'autres affaires une telle réassignation pouvait être reconnue a porté une atteinte injustifiée au droit du requérant au respect de sa vie privée. Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR).

La Cour a ainsi condamné l'État défendeur à verser au requérant une somme de 7 500 euros pour dommage moral (et 4 150 euros pour frais et dépens).

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