La lettre juridique n°463 du 24 novembre 2011 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] De l'insécabilité de la messagerie électronique de l'avocat

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 4 octobre 2011, deux arrêts, n° 10/23198 (N° Lexbase : A5733HZD) et n° 10/23216 (N° Lexbase : A5734HZE)

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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 24 Novembre 2011

Que reste-t-il du principe de confidentialité des correspondances avocat-client ? Telle est la question que l'on peut légitimement se poser à la lecture des deux ordonnances rendues le 4 octobre 2011 par la cour d'appel de Paris. En l'espèce, les juges du fond ont validé la saisie de messageries électroniques d'une société opérée dans le cadre d'une opération de visite et de saisie de l'Autorité de la concurrence (C. com., art. L. 450-4 N° Lexbase : L2208IEI), malgré le fait que certains de ces courriers concernaient des échanges entre la société et ses avocats. Ce faisant, la cour d'appel de Paris fait une stricte application d'un arrêt du 18 janvier 2011 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 18 janvier 2011, n° 10-11.777, F-D N° Lexbase : A2944GQ4 et lire N° Lexbase : N4913BRE). Dans cet arrêt, la Haute juridiction avait considéré que, dans le cadre d'une saisie domiciliaire fondée sur l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS), la présence dans la messagerie électronique, de courriels d'avocats couverts par conséquent par le secret professionnel, n'a pas pour effet d'invalider la saisie des autres éléments de la messagerie. Elle validait donc une saisie globale des messageries électroniques, considérant que l'individualisation des courriels était techniquement impossible. C'est ce principe dont fait application la cour d'appel de Paris bien que les sociétés saisies aient soulevé une violation du secret des correspondances pour mettre en cause la validité des opérations menées par l'Autorité de la concurrence. Au surplus, les juges parisiens relèvent que les rapporteurs de l'Autorité ont respecté le secret professionnel puisqu'ils n'ont pas divulgué les informations à des tiers et ont restitué ou détruit les courriels litigieux. De fait, la cour d'appel de Paris réaffirme le principe de l'insécabilité des messageries électroniques (I), solution largement dénoncée par les praticiens qui redoutent une remise en cause notable de la confidentialité des correspondances avocat-client (II). I - La confirmation du principe de l'insécabilité de la messagerie électronique de l'avocat

Un principe constamment rappelé par la Cour de cassation. Lors des opérations de perquisitions, les enquêteurs recherchent tous documents électroniques utiles à l'enquête et saisissent l'intégralité des courriels dès lors que la fouille sommaire de la messagerie électronique a permis de déceler la présence de fichiers concernés par les investigations. La saisie en bloc de la messagerie électronique inclut donc des éléments normalement protégés, tels que des données personnelles ou documents couverts par le secret professionnel. Pour autant, le principe d'insécabilité -ou d'indivisibilité- des documents est bien établi en jurisprudence dès lors que la Cour de cassation s'y réfère de manière constante. En effet, si l'administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie rendue par le JLD compétent, il est admis qu'elle puisse saisir des pièces partiellement utiles à la preuve desdits agissements. La Cour de cassation s'est prononcée en ce sens dans le fameux arrêt "SITA" du 12 décembre 2007 (1), considérant que pour que la saisie des messageries informatiques soit licite, elles doivent viser "au moins en partie" les pratiques anticoncurrentielles suspectées. Peu importe donc qu'elles contiennent des informations sans lien avec l'enquête. La Cour de cassation a d'ailleurs précisé que lorsque l'administration saisit une messagerie, elle n'a pas à individualiser sur place les messages entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire. Dans un arrêt du 8 avril 2010, la Haute juridiction a même ajouté que les boîtes de messagerie électronique "n'étaient pas divisibles" (2). Tout aussi critiquables sont les deux arrêts "Knauf" rendus le 13 janvier 2010 (3). Dans ces affaires, la Chambre criminelle a confirmé la décision du JLD estimant que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'exclut pas du champ des documents pouvant faire l'objet d'une saisie, ceux qui seraient de nature à porter atteinte à la protection du secret des affaires. Les Hautes magistrats ont considéré en effet que, conformément à l'article L. 463-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8203IBG), la partie mise en cause avait la possibilité, en cas de contentieux devant l'Autorité de la concurrence, de demander le retrait ou l'occultation partielle des pièces mettant en jeu ledit secret. En l'espèce, le JLD avait considéré la saisie régulière puisque la société demanderesse avait sollicité la restitution de l'intégralité des données saisies, mais n'avait pas précisé les fichiers dont l'ensemble des documents contenus étaient hors du champ de l'autorisation. Dernièrement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est allée plus loin encore en retenant que les enquêteurs de la DGCCRF sont tenus au secret professionnel et que seule est prohibée l'utilisation dans une procédure de tels documents. Les autorités concernées peuvent donc prendre connaissance des documents saisis avant leur restitution, ce qui constitue une atteinte à la confidentialité des correspondances avocat-client.

Un principe constamment rappelé par la cour d'appel de Paris. Hormis ses trois ordonnances isolées du 2 novembre 2010 (CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 2 novembre 2010, 3 ordonnances du premier président, n° 10/01858 N° Lexbase : A4416GDW ; n° 10/01875 N° Lexbase : A4417GDX et n° 10/01884 N° Lexbase : A4419GDZ), la cour d'appel de Paris a toujours partagé la position de la Cour de cassation. Ainsi, dans une ordonnance du 4 mars 2010, elle a rejeté des demandes d'annulation d'opérations de saisie en se fondant sur le principe d'insécabilité des documents informatiques : "il est désormais de jurisprudence que d'une part, si l'administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, il ne lui est pas interdit de saisir les pièces pour partie utiles à la preuve desdits agissements ; les fichiers informatiques copiés doivent seulement faire l'objet d'un inventaire, dont la mention est portée au procès-verbal relatant les opérations ; dans le cas des courriels, le fait que la saisie a été pratiquée après une fouille sommaire de cette messagerie, sans autre inventaire que la liste des fichiers figurant dans le procès-verbal des opérations et que la saisie de documents pour parties utiles ne saurait permettre de saisir indistinctement la totalité d'une messagerie comprenant principalement des documents étrangers à l'administration de la preuve de pratiques anticoncurrentielles, n'empêche nullement que la totalité de fichiers saisis figure intégralement dans la copie effectuée en présence de l'occupant des lieux et remise à la société ; ainsi, l'administration n'a pas à individualiser, sur place, les seuls messages entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire" (4). La cour maintient donc sa position en dépit des multiples critiques qui y sont attachées.

II - La contestation du principe de l'insécabilité de la messagerie électronique de l'avocat

Une solution au fondement discutable. Dans trois ordonnances rendues le 2 novembre 2010 (préc.), le délégué du Premier président de la cour d'appel de Paris s'est interrogé sur la méthode de saisie globale des messageries électroniques employée par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF. Saisi de recours formés par trois sociétés ayant fait l'objet d'opération de visites et de saisies autorisées par le JLD du TGI de Paris, le magistrat a décidé de surseoir à statuer et d'ordonner une expertise ayant pour objet de déterminer s'il est possible ou non d'effectuer une saisie sélective de messages dans la messagerie électronique sans pour autant compromettre l'authenticité de ceux-ci. En l'espèce, ces trois groupements dénonçaient les modalités de saisie des messageries électroniques qui auraient été effectuées en violation des droits de la défense, du secret des correspondances avocat-client et du droit à la vie privée. Il était notamment reproché aux agents de l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir procédé au ciblage de leurs saisies, ce qui aurait conduit à la saisie de documents hors du champ de l'autorisation judiciaire. Dès lors, les entreprises sollicitaient l'annulation des saisies et des procès-verbaux les relatant, et, pour deux d'entre elles, une expertise sur les modalités de saisie de documents informatiques et de messageries, et d'inventaire informatique.

La décision inattendue du délégué du Premier président de la cour d'appel a été saluée, notamment en raison de sa motivation. D'une part, le magistrat précise qu'a été apportée au débat l'existence d'une autre méthode de saisie de documents informatiques et de messagerie, qui permettrait de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7226IML) et L. 450-4 du Code de commerce. Il précise, s'agissant de cette méthode, qu'elle ressort d'un argumentaire technique, écrit et oral, qui se différencie des notices générales ou études établies sans contradiction qui avaient pu être produites dans les autres espèces invoquées. D'autre part, le magistrat souligne l'existence d'autres méthodes de saisies et d'inventaires utilisées par des autorités de concurrence étrangères.

Depuis lors, le rapport d'expertise qui avait été ordonné sur la divisibilité des messageries électroniques dans le cadre des procédures mentionnées ci-dessus a conclu au caractère disproportionné des méthodes de saisie globale après fouilles sommaires tout en confirmant l'existence de logiciels permettant de sélectionner des messages individuels puis de les exporter tout en garantissant leur intégrité, authenticité et traçabilité. La solution retenue par la cour d'appel de Paris le 4 octobre 2011 repose donc sur un fondement technique fort discutable d'autant qu'elle entraîne une violation de droits fondamentaux. La pratique de saisies globales des messageries électroniques méconnaît sans nul doute le principe de la confidentialité des correspondances avocat-client et la restitution de telles correspondances par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ne compense qu'imparfaitement la violation du secret au moment de la saisie. Pour justifier cette pratique, l'Autorité de la concurrence se retranche derrière l'article L. 450-4 du Code de commerce lequel dispose que les saisies peuvent s'exercer sur "tout support d'information", en particulier les CD, DVD-ROM et les disques durs des ordinateurs professionnels, et que cette saisie globale est le seul moyen de ne pas altérer l'authenticité et l'intégrité des messages saisis. En outre, elle estime que le mécanisme de restitution a posteriori des documents couverts par le secret des correspondances est une garantie suffisante pour les intéressés. Toujours est-il que ces justifications ne sont pas satisfaisantes car la pratique des saisies informatiques globales porte atteinte aux droits de la défense. Comment garantir, en effet, que les courriels couverts par le secret professionnel qui auront été lus par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence n'influeront pas sur la perception qu'aura cette autorité des éventuelles pratiques anticoncurrentielles reprochées ?

Peut-être faut-il se tourner vers des procédures existantes qui ont déjà fait leurs preuves. La pratique des enveloppes scellées de la Commission européenne, qui permet de placer les documents soumis à contestation dans un contenant dans l'attente du règlement de cette contestation ainsi que la pratique française des scellés en matière pénale (5) prouvent qu'il est possible de traiter de manière divisible des messageries électroniques.

Une solution teintée d'anachronisme. Si elle s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation, la solution de la cour d'appel de Paris se trouve en porte-à-faux avec la jurisprudence européenne. En effet, dans l'arrêt "Akzo", le TPICE avait jugé qu'eu égard à la nature particulière du principe de protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients, la prise de connaissance par la Commission du contenu d'un document confidentiel constitue en elle-même une violation de ce principe (6). Dès lors, si en vertu du principe d'autonomie procédurale, de telles pratiques peuvent persister dans le cadre d'enquêtes effectuées sur la base du droit national, elles ne survivraient pas à un contrôle de proportionnalité dans le cadre d'enquêtes effectuées sur la base du droit de l'Union. Dans l'attente d'une telle décision, il est recommandé aux entreprises de former les personnels aux pouvoirs élargis des enquêteurs et de revoir à la fois leur archivage -l'objectif étant de séparer les correspondances avocats du reste des correspondances électroniques- et leurs modalités d'échanges avec leurs avocats. Il est également conseillé aux avocats d'être présents au moment de la perquisition, aux côtés de leurs clients, de demander le tri des correspondances et de faire noter des réserves sur le PV de perquisition.


(1) Cass. crim., 12 décembre 2007, n° 06-81.907 (N° Lexbase : A9738HZP).
(2) Cass. crim., 8 avril 2010, n° 08-87.415 (N° Lexbase : A7242EXI).
(3) Cass. crim., 13 janvier 2010, n° 07-86.228 (N° Lexbase : A0351ESS) et n° 07-86.229 (N° Lexbase : A0352EST).
(4) CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 4 mars 2010, n° 09/14362 (N° Lexbase : A9075EWZ). V. également, CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 14 septembre 2010, n° 09/17586.
(5) L'article 56 du Code de procédure pénale prévoit la mise sous scellés provisoires des objets et documents saisis, si l'inventaire sur place n'est pas possible, étant entendu que les scellés ne pourront ensuite être ouverts qu'en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a eu lieu.
(6) TPICE, 17 septembre 2007, T-125/03 (N° Lexbase : A2206DYD), pt. 86, Rec. CJCE, II, p. 3523 ; confirmé par CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97), pt. 25, RLC, 2011/26, n° 1746.

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