Lexbase Affaires n°268 du 13 octobre 2011 : Sociétés

[Jurisprudence] La recevabilité de l'action en paiement du liquidateur judiciaire

Réf. : Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-24.888, F-P+B (N° Lexbase : A9524HXZ)

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N8104BSX

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole)

le 13 Octobre 2011

Les sociétés civiles à vocation professionnelle que sont les sociétés civiles professionnelles (SCP) et les sociétés civiles de moyens (SCM) suscitent ces derniers temps bon nombre de contentieux. Cette situation tient-elle à leur particularité ? Cette interrogation appelle assurément une réponse affirmative en ce que ces structures sociétaires se caractérisent par un droit de retrait (1) particulier plus aisé à mettre en oeuvre que dans les sociétés civiles traditionnelles, ce qui est source de nombreux conflits, que ce soit à propos des conditions et modalités de retrait, ou de ses conséquences. Néanmoins, pareille réponse n'est pas absolue dans la mesure où ces groupements sont des sociétés à part entière auxquelles s'applique le droit commun des sociétés. Ainsi, entre autres, elles obéissent à la définition de la société donnée par l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) et, en leur qualité de personne morale de droit privé, elles sont exposées aux procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire.
Nous en voulons pour preuve l'arrêt rapporté de la Cour de cassation du 20 septembre 2011 dont deux des protagonistes sont précisément une SCP et surtout une SCM qui se trouvent impliquées dans une procédure collective.

I - Le litige puise ses racines dans une assignation en paiement initiée par une SCP aux droits de laquelle vient une autre SCP, liquidateur judiciaire d'une SCM de médecins, à l'encontre des associés de celle-ci, à propos d'une certaine somme due au titre de leur participation aux charges résultant de l'exploitation de cette société sur le fondement de l'article 1832 du Code civil.
La SCM mise en cause dans la présente espèce et une association créée par les associés de ladite société, aux fins d'améliorer la prise en charge des urgences médicales dans une zone géographique déterminée, ont été successivement placées sous administration judiciaire provisoire, et en liquidation judiciaire. Saisi du litige relatif à l'assignation en paiement, le tribunal de grande instance de Melun, dans un jugement réputé contradictoire du 9 juin 2009, a déclaré le liquidateur judiciaire recevable et fondé à agir à l'encontre des associés de la SCM et de l'association, en recouvrement du passif, mais dans une certaine limite.
Insatisfait de la limitation imposée par la juridiction de droit commun, le liquidateur a interjeté appel. Statuant à son tour et infirmant la solution des juges de première instance, la cour d'appel de Paris a, dans un arrêt du 29 juin 2010 (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 29 juin 2010, n° 09/15446 N° Lexbase : A3603E49), rejeté les demandes du liquidateur et l'a déclaré irrecevable en son action intentée contre les associés de la SCM. Les juges d'appel ont invoqué l'article 1832 du Code civil pour décider que ce texte ne vise que la contribution aux pertes qui diffère de l'obligation aux dettes sociales et joue exclusivement dans les relations internes de la société. Ledit article ne peut servir d'appui à l'action en recouvrement du passif social engagée par le liquidateur judiciaire de la SCM et de l'association, à l'encontre des associés et membres de celles-ci. Les associés d'une société civile demeurent personnellement tenus à l'égard des créanciers sociaux, même en cas de procédure collective. Dès lors, le représentant des créanciers, pas plus que le liquidateur en cas de liquidation judiciaire, n'ont qualité pour poursuivre les associés en paiement des dettes sociales.

La décision de la juridiction de seconde instance parisienne est censurée en l'espèce par la Chambre commerciale.

II - La Cour de cassation relève que la cour d'appel avait retenu qu'en fait de pertes, le liquidateur judiciaire sollicitait le paiement par les associés du passif définitivement admis dans le cadre de la procédure collective, c'est-à-dire le paiement des dettes sociales. Elle censure sa décision au visa de l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y) selon lequel "l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties". Elle estime qu'en se prononçant ainsi, les seconds juges du fond ont méconnu l'objet du litige et porté atteinte à ce texte, alors que dans ses conclusions le liquidateur judiciaire leur demandait de constater le montant du passif définitivement admis et celui des actifs réalisés en vue de la fixation aux pertes des associés.

La Cour régulatrice casse également l'arrêt d'appel au vu de l'article 1832 du Code civil. A l'inverse de la juridiction parisienne, elle considère que le liquidateur judiciaire est recevable à agir contre les associés de la société civile de moyens pour obtenir la fixation de leur contribution aux pertes sociales par la prise en compte, en plus du montant de leurs apports, de celui du passif social et du produit de la réalisation des actifs.

En définitive, le point de divergence entre le juge du droit et les seconds juges du fait a pour point de départ la distinction entre l'obligation aux dettes et la contribution aux pertes (2), l'article 1832 du Code civil ne faisant référence qu'à celle-ci. Comme l'a fort bien dit la cour d'appel de Paris, non démenti à ce sujet par la Cour de cassation et reprenant les solutions jurisprudentielles antérieures (3), la contribution aux pertes se manifeste dans les relations des associés entre eux ou avec la société, contrairement à l'obligation aux dettes qui se caractérise par l'engagement des associés à l'égard des créanciers. En outre, si les dettes sociales sont assumées par la société ou, le cas échéant, par les associés en cours de vie sociale, en revanche, la contribution des associés aux éventuelles pertes sociales intervient à la liquidation de la société ; elle ne se matérialise que lorsque le capital social est réellement entamé (4).

La position de la cour d'appel de Paris souffre la critique en ce qu'elle refuse au liquidateur la faculté de poursuivre les associés en paiement du passif social sur le fondement de l'article 1832 du Code civil. La Chambre commerciale reconnaît au contraire à ce dernier une telle prérogative, mais elle ne prend guère la peine d'argumenter sa solution comme il se doit.

La complexité de la situation tient probablement à la double qualité du liquidateur liée à sa double mission : celle de défendre l'intérêt collectif du créancier, puisque dans le cadre de la liquidation judiciaire, c'est le mandataire judiciaire, c'est-à-dire le représentant des créanciers, qui a vocation à remplir cette fonction ; celle d'agir à la place du débiteur et donc de le représenter. S'agissant en l'espèce d'une personne morale (la SCM), ses dirigeants ont été dessaisis par une disposition statutaire ou une décision de l'assemblée générale (5). Dès lors, le liquidateur judiciaire assure d'une part, la fonction d'organe de la procédure et de mandataire, d'autre part, celle de chef d'entreprise (6). En l'espèce, en agissant contre les associés en recouvrement des charges sociales, il intervenait au nom de la société débitrice, mais également dans l'intérêt des créanciers sociaux ; en cas de succès, le produit de l'action payé par les associés poursuivis viendrait garnir l'actif social à répartir entre ces créanciers.

Cette idée apparaît clairement dans le pourvoi formé par la SCP agissant en qualité de représentant des créanciers et de liquidateur judiciaire de l'association et de la SCM de médecins : le liquidateur représentant la société en liquidation judiciaire peut, en vertu de l'article L. 641-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L8860INH), agir en paiement contre les associés soit à la dissolution de la société, soit à l'échéance prévue par les statuts en cas de contribution anticipée, la mise en oeuvre de la contribution aux pertes faisant naître une créance au bénéfice de celle-ci.


(1) J. Piquet, L'originalité du droit de retrait des associés dans les groupements libéraux, Journ. sociétés, mai 2010, p. 32.
(2) P. Carcreff, La confusion de la notion d'obligation aux dettes sociales avec celle de contribution aux pertes, Gaz. Pal., 1978, 1, doct. p. 145 ; F. Kendérian, La contribution aux pertes sociales, Rev. sociétés, 2002, p. 617.
(3) V. notamment, Cass. civ. 3, 6 juillet 1994, n° 92-12.839 (N° Lexbase : A6855ABI), RJDA, 12/1994, n° 1310, Rev. sociétés, 1995, p. 39, note B. Saintourens ; CA Lyon, 3ème ch., 24 novembre 2005, n° 04/03880 (N° Lexbase : A4597DM9), RJDA 7/2006, n° 778.
(4) Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-14.043, FS-D (N° Lexbase : A7574EGM) ; RJDA, 7/2009, n° 645.
(5) C. com., art. L. 641-9, II (N° Lexbase : L8860INH).
(6) Nos obs., Droit des entreprises en difficulté, Defrénois Lextenso, éd. 2009, n° 345, 666 et 668 à 671.

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