La lettre juridique n°770 du 31 janvier 2019 : Sociétés

[Jurisprudence] Pouvoir du nu-propriétaire indivis de droits sociaux d’agir en désignation d’un administrateur provisoire

Réf. : Cass. civ. 3, 17 janvier 2019, n° 17-26.695, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3170YTL)

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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Université de Bordeaux

le 30 Janvier 2019

Droits sociaux / Démembrement de propriété / Indivision / Demande de désignation d'un administrateur provisoire 

Commentaire de Cass. civ. 3, 17 janvier 2019, n° 17-26.695, FS-P+B+I

La confrontation entre le droit des sociétés et le droit de l’indivision fait naitre classiquement des interrogations concernant l’exercice des prérogatives attachées à la qualité d’associé. Ces difficultés sont accrues lorsque les droits sociaux sont soumis à une indivision complexe [1], c’est-à -dire, portant sur des droits démembrés. La troisième chambre civile de la Cour de cassation a dû se prononcer dans un arrêt en date du 17 janvier 2019 sur l’exercice du pouvoir de désignation d’un administrateur provisoire à l’égard d’un associé indivis en nue-propriété.

 

 Les faits découlent, comme c’est le cas souvent pour les indivisions complexes, du décès d’un associé majoritaire et gérant d’une SCI constituée avec une autre personne. Ses trois enfants et son épouse ont reçu par voie d’héritage la nue-propriété indivise des parts pour les premiers et l’usufruit des parts pour la dernière. A la suite de la désignation d’un des associés nus-propriétaires des parts en qualité de gérant, les autres indivisaires ont assigné la SCI et l’épouse du défunt afin d’obtenir la désignation d’un administrateur provisoire avec mission de convoquer une assemblée générale afin de désigner un nouveau gérant et d’examiner les comptes. Dans un arrêt du 29 juin 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence [2] a déclaré recevable la demande de désignation d’un administrateur provisoire. La SCI et l’associé désigné gérant se pourvoient en cassation sur un moyen unique. Dans ce moyen, les demandeurs avancent que la qualité d’associé des indivisaires des parts sociales ne leur accordant individuellement des droits d’associé que dans la mesure où l’exercice de ceux-ci demeure compatible avec les droits des autres indivisaires, le demande de nomination d’un administrateur provisoire en tant que mesure grave, ne peut être présentée par un seul des indivisaires associé minoritaire. Les hauts magistrats rejettent le pourvoi avançant que le nu-propriétaire indivis des droits sociaux ayant la qualité d’associé, était bien recevable à agir en désignation d’un administrateur provisoire.

         

A la question de savoir si un associé indivis en nue-propriété peut prendre seul la décision de solliciter la désignation d’un administrateur provisoire dans le cadre d’une SCI, la troisième chambre civile de la Cour de cassation répond par l’affirmative. Elle contribue ainsi à clarifier les modalités d’exercice des prérogatives des associés dont les parts sont indivises. Son apport pratique important justifie une publication au Bulletin. Elle privilégie la prise d’initiative individuelle, le régime de l’indivision ne devant pas se traduire par une paralysie de l’exercice des droits des associés. Deux enseignements peuvent donc être tirés de cet arrêt. D’un part, il affirme la reconnaissance d’un pouvoir de désignation d’un administrateur par l’associé soumis au régime de l’indivision en nue-propriété et, d’autre part, il clarifie les modalités d’articulations entre le droit de l’indivision et le droit des sociétés. 

 

I - Pouvoir individuel de désignation d’un administrateur provisoire fondé sur la qualité d’associé

 

La décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 17 janvier 2019 reconnait à l’indivisaire en nue-propriété de parts sociales la faculté de prendre seul l’initiative de solliciter la désignation d’un administrateur provisoire. Cette solution conforte l’idée selon laquelle l’attribution de la qualité d’associé implique l’exercice individuel de prérogatives et, ce, indépendamment du régime de l’indivision.

 

L’un des aspects techniques qu’il convient de souligner est que l’indivision sur les parts sociales était, dans le cas d’espèce, en nue-propriété. L’arrêt commenté offre alors l’occasion de rappeler les règles d’attribution de la qualité d’associé en présence d’un démembrement de droit. Elle conforte la solution classique selon laquelle le nu-propriétaire de parts sociales a la qualité d’associé [3]. En l’état actuel du droit positif en effet, seul le nu-propriétaire s’est vu reconnaitre clairement cette qualité. Si le débat reste vif sur le sort réservé à l’usufruitier à l’égard de la qualité d’associé, la jurisprudence jusqu’ici n’a jamais affirmé expressément qu’il pouvait prétendre à ce statut. La solution ici dégagée est donc difficilement transposable à une situation d’indivision de parts sociales en usufruit. Notons qu’au titre de sa qualité d’associé, le nu-propriétaire ne peut, dans le cadre des aménagements des statuts, être privé de son droit de participer aux décisions collectives [4]

 

La qualité d’associé reconnue individuellement à chaque indivisaire impose que chacun puisse bénéficier d’une sphère d’intervention autonome. L’indivisaire, en effet, se voit attribuer les mêmes prérogatives qu’un associé qui serait propriétaire exclusif des parts sociales [5]. L’enjeu est alors de déterminer leurs modalités d’exercice. Les hauts magistrats mettent ici l’accent sur leur exercice individuel sous l’angle de la demande de désignation d’un administrateur provisoire. Dans la même logique, chacun a le droit, en application de l’article 1844 du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG), de participer aux décisions collectives même si un mandataire représentant les intérêts des indivisaires a été, par ailleurs, désigné [6]. Chaque indivisaire associé doit donc être personnellement convoqué à participer aux décisions collectives. Par ailleurs, chacun a un droit de communication ou d’information au sein de la société. D’une manière plus générale, il peut être considéré que les prérogatives d’information et les prérogatives à caractère conservatoire restent dans la sphère d’intervention individuelle de chaque indivisaire [7].

 

Si la prévalence de l’initiative personnelle de l’associé indivis se justifie au regard de la qualité d’associé, notons qu’elle peut trouver également appui sur le régime de l’indivision. Ce dernier prévoit des contraintes d’exercice des pouvoirs de gestion en fonction de la gravité des actes. Ainsi, l’acte de disposition suppose l’unanimité et l’acte d’administration la majorité des deux tiers. En revanche, chaque indivisaire a la faculté de passer seul des actes conservatoires même s’ils ne présentent pas un caractère d’urgence en application de l’article 815-2 du Code civil (N° Lexbase : L9931HN7). Or, on peut considérer que la demande de désignation d’un administrateur provisoire s’inscrit dans la logique des actes conservatoires.

 

II - Articulation entre le droit de l’indivision et le droit des sociétés

 

La décision commentée offre l’occasion de faire le point sur l’articulation entre le droit de l’indivision et le droit des sociétés. Si elle met en lumière une sphère de prise de décision individuelle de l’associé indivis à l’égard de la demande de désignation d’un administrateur provisoire, elle doit s’articuler également avec la logique de l’indivision qui suppose l’exercice collectif de certaines prérogatives. Cette adaptation des pouvoirs de gestion de l’associé se manifeste tant à l’égard des droits politiques que financiers.

 

Principalement, le droit de vote est soumis à la désignation d’un mandataire unique et commun en application de l’article 1844, alinéa 4, du Code civil. Cette solution s’explique par le principe d’indivisibilité des parts sociales qui induit un exercice collectif du droit de vote. Le choix du mandataire est susceptible d’être encadré par les statuts de la SCI qui peuvent imposer, par exemple, la désignation de l’un des indivisaires. La mise en œuvre concrète de la décision de vote dépend de la gravité de l’acte, à savoir, s’il s’agit d’un acte de disposition ou d’administration.

 

Dans le même sens, les indivisaires associés ne sont pas en mesure d’exiger auprès de la société le versement de sa quote-part des dividendes. Le droit au dividende s’exerce également par l’intermédiaire du mandataire unique au nom et pour le compte de tous les indivisaires. Dans un deuxième temps, chacun pourra faire valoir ses droits aux bénéfices dans les rapports entre indivisaires en application de l’article 815-11 du Code civil (N° Lexbase : L9940HNH).

 

Enfin, le droit de l’indivision va s’imposer à l’égard de l’opération de cession des droits sociaux qui suppose de respecter la règle de l’unanimité applicable pour les actes de disposition.

 

Les prérogatives des titulaires de parts sociales indivises en nue-propriété bénéficiant de la qualité d’associé s’organisent donc autour de modalités d’exercice permettant d’allier sphère d’intervention individuelle et collective. L’associé indivis peut seul intervenir à l’égard des prérogatives présentant un caractère conservatoire.       

 

[1] R. Nerson, Observations sur quelques espèces particulières d’indivision, in Mélanges Savatier, Dalloz, Paris, 1965, p. 707

[2] CA Aix-en-Provence, 29 juin 2017, n° 16/19180 (N° Lexbase : A2776WLE).

[3] Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-20.256, publié (N° Lexbase : A4835AC3), Bull. civ. IV, n° 10 ; Dr sociétés, mars 1994, n° 45, note Th. Bonneau ; Defrénois, 1994, art. 35789 p. 556, obs. P. Le Cannu ; M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l’usufruitier, qui a la qualité d’associé ?, JCP éd. N, 1994, I, 374 ; M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 31èmé éd., LexisNexis, n°446

[4] Cass. com., 22 février 2005, n° 03-17.421, F-D (N° Lexbase : A8706DGK), JCP éd. E, 2005, 968, note R. Kaddouch et p. 1165, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker.

[5] Voir, par exemple, B. Joyeux, Gestion et cession des droits sociaux indivis, Dr et Pat., 2018, n° 279, p. 30 ; J.-B Donnier, L’associé indivis, Dr sociétés, mars 2016, p. 41 ; S. Schiller et H. Fabre, L’indivision des droits sociaux, JCP éd. N, 2014, n° 45-46, 1333, n° 2.

[6] Cass. com., 21 janvier 2014, n° 13-10.151, F-P+B (N° Lexbase : A9960MCU) ; B. Saintourens, Lexbase, éd. aff., 2014, n° 371 (N° Lexbase : N0939BUC).

[7] M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 31ème éd., LexisNexis, n° 1029.

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