La lettre juridique n°759 du 25 octobre 2018 : Contrat de travail

[Jurisprudence] L’importance du cas de recours à chaque CDD successif

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2018, n° 17-18.294, FS-P+B (N° Lexbase : A3251YGI)

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N6091BXU

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 24 Octobre 2018

CDD successifs • délai de carence • cas de recours

 

Résumé

 

Une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n'est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l'un des motifs prévus limitativement par l'article L. 1244-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8109LGG).

 

 

Parce que le contrat de travail à durée déterminée (CDD) est une espèce exceptionnelle de contrat de travail qui déroge à la forme normale et générale qu’est le contrat de travail à durée indéterminée (CDI), de nombreux éléments de son régime sont destinés à éviter que ces relations contractuelles s’éternisent et contournent ainsi le régime du CDI. Parmi ces règles, celles relatives à la succession des CDD avec un même salarié ou sur un même poste sont essentielles. Par principe interdite, la succession de CDD n’est admise que dans des cas exceptionnels, quoiqu’assez nombreux, lorsque les parties concluent des contrats sur le fondement de certains cas de recours et que la loi les dispense alors de respecter un délai de carence. Par un arrêt rendu le 10 octobre 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que la dérogation au délai de carence n’est admise qu’à condition que chacun des contrats successifs réponde à l’un des cas de recours dérogatoires (I). Cette règle est principalement guidée par le caractère exceptionnel du régime du CDD et de ses dérogations à l’interdiction de succession de contrats, sachant que les évolutions récentes du régime du contrat à durée déterminée ne devraient pas, selon nous, en modifier l’interprétation (II).

Commentaire

 

I - L’exigence d’appréciation du cas de recours à chaque contrat successif

 

La succession de CDD est étroitement encadrée par le Code du travail. Il convient de distinguer deux situations différentes.

 

Succession de contrats avec un même salarié. La première concerne la conclusion d’un second contrat de travail avec un même salarié. L’article L. 1243-11 du Code du travail (N° Lexbase : L1475H9I) prévoit, dans ce cas de figure, que si «la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée».

 

L’article L. 1244-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7363K9L) prévoit cependant que cette règle ne s’applique pas et qu’il est permis de conclure des CDD successifs avec un même salarié en cas de remplacement d’un salarié absent, d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu ou d’un chef d’entreprise et en cas de recours au contrat saisonnier ou au contrat d’usage.

 

Succession de contrats sur un même poste. La seconde intéresse la succession de CDD sur un même poste, qu’il s’agisse de recruter le même salarié ou un autre candidat. Dans cette hypothèse, l’article L. 1244-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8110LGH) dispose qu’«à l'expiration d'un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat». Depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7629LGN), ce délai de carence doit être établi par accord de branche étendu, à défaut duquel l’article L. 1244-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8023LGA) établit des durées supplétives qui varient du tiers à la moitié de la durée du contrat initial, selon que celui-ci a duré plus ou moins de quatorze jours.

 

Des exceptions sont à nouveau prévues et permettent la conclusion de contrats successifs sans délai de carence. Etablie par accord collectif de branche depuis la même ordonnance du 22 septembre 2017, la liste des cas de recours permettant à l’employeur de se dispenser de tout délai de carence était, jusqu’alors, dressée par l’article L. 1244-4 du Code du travail et visait le remplacement d’un salarié absent, d’un salarié dont le contrat est suspendu ou d’un chef d’entreprise, l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité, le recrutement d’un salarié par l’un des contrats aidés envisagé par l’article L. 1242-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1432H9W), lorsque le salarié avait pris l’initiative de la rupture anticipée du premier contrat ou avait refusé son renouvellement [1].

 

Domaine d’application des exceptions. Les articles L. 1244-1 et L. 1244-4 du Code du travail [2] qui permettent, à titre exceptionnel, de faire se succéder deux CDD, énoncent donc très clairement les cas de recours qui permettent d’échapper à l’exigence du délai de carence.

 

Ils sont, en revanche, beaucoup moins explicites sur l’identification du contrat qui doit répondre à ces cas de recours exceptionnels. Doit-il s’agir du contrat initial, du second contrat ou de l’un et l’autre de ces deux engagements ? C’est à cette question que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation dans la décision commentée.

 

L’affaire. Un salarié est engagé par CDD le 12 juillet 2010 pour surcroît temporaire d’activité. Après avoir été renouvelé, le contrat prend fin le 23 décembre 2010. Un nouveau contrat de travail à durée déterminée est conclu le 5 janvier 2011 pour remplacer un salarié absent et s’exécuter jusqu’au 30 novembre 2011. Le salarié saisit le juge prud’homal pour obtenir la requalification des contrats en CDI.

 

La cour d’appel de Paris déboute le salarié de cette demande en jugeant que le second contrat avait pour objet de pourvoir au remplacement d’un salarié permanent de l’entreprise, qu’il ne s’agissait pas d’un contrat conclu pour pourvoir un poste dont la création et l’existence résulteraient d’un surcroît d’activité qui avait justifié la conclusion du premier contrat et que, par conséquent, le délai de douze jours écoulé entre les deux contrats était suffisant au regard de l’ancienneté du salarié.

 

Par un arrêt rendu le 10 octobre 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1244-3 (N° Lexbase : L8110LGH) et L. 1244-4 (N° Lexbase : L8109LGG), ensemble l’article L. 1245-1 du même Code (N° Lexbase : L5747IA4), dans leur rédaction applicable aux faits de l’espèce.

 

La Chambre sociale juge que «l’article L. 1244-4 du Code du travail n’exclut l’application des dispositions de l’article L. 1244-3 imposant le respect d’un délai de carence avant la conclusion d’un nouveau contrat à durée déterminée que dans les situations qu’il mentionne» et «qu’il en résulte qu’une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n’est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l’un des motifs prévus limitativement par l’article L. 1244-4 du Code du travail». Le premier contrat ayant été conclu «en raison d’un accroissement temporaire d‘activité de l’entreprise, soit pour un motif non prévu à l’article L. 1244-4 du Code du travail, […] un délai de carence répondant aux exigences de l’article L. 1244-3 du même Code devait être observé avant conclusion d’un second contrat de travail à durée déterminée pour remplacement d’un salarié».

 

II - L’interprétation restrictive des dérogations à la prohibition des CDD successifs

 

Une solution classique. La solution n’est pas nouvelle. En effet, la Chambre sociale juge depuis la fin des années 1980 que la succession de contrats sans délai de carence n’est permise que «si chacun des contrats a été conclu pour l’un des motifs» énoncés par le législateur, ce que les juges du fond sont appelés à vérifier [3].

 

Il n’est ainsi pas autorisé de conclure, sans délai de carence, un contrat saisonnier pour succéder à un contrat pour surcroît temporaire d’activité, le premier cas de recours ne faisant pas exception au principe [4]. De la même manière, un contrat pour remplacer un salarié absent ne peut succéder immédiatement à un contrat conclu pour accroissement temporaire d’activité [5]. La règle s’applique aussi bien à la succession de contrats avec un même salarié et de contrats sur un même poste de travail.

 

Le manque de clarté des textes. Si la solution est constante, l’interprétation des textes du Code du travail doit être interrogée. En effet, pris à la lettre, les articles L. 1244-1 et L. 1244-4 du Code du travail suggèrent une autre lecture.

 

Le premier dispose que l'article L. 1243-11 ne fait «pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu dans l'un des cas suivants […]» [6]. Le singulier incite à penser que seul l’un des contrats successifs doit répondre aux exceptions listées par le texte. La régularité du premier contrat n’étant pas en cause lorsque l’employeur prend la décision de conclure un nouveau contrat, il semble logique que «le» contrat envisagé par le texte soit le deuxième contrat conclu.

 

Le second fait également usage du singulier pour exclure l’application du délai de carence. Chaque exception s’applique «lorsque le contrat […] est conclu pour […]».

 

Le choix d’une interprétation restrictive. Deux arguments militent toutefois en faveur de la solution classiquement retenue par la Chambre sociale.

 

D’abord, une circulaire ministérielle du 30 octobre 1990 [7], relative à l’interprétation de la loi n° 90-613 du 12 juillet 1990 (N° Lexbase : L7967GTA), favorisant la stabilité de l'emploi par l'adaptation du régime des contrats précaires, dont sont issues ces dispositions, envisage la question de la succession et penche pour cette interprétation.

 

L’article 2.6.1, in fine, de la circulaire énonce, en effet, que «la conclusion de contrats de travail à durée déterminée ou de contrats de travail temporaire successifs sur un même poste de travail n'est licite qu'à la condition que chacun des contrats en cause soit conclu pour l'un des motifs permettant une telle succession». La force de cette interprétation administrative est toutefois relativement faible. Par elle-même, puisque les circulaires ne lient aucunement l’interprétation du juge judiciaire, mais également par son contenu, puisque l’administration se réfère expressément aux décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendues à la fin des années 1980 pour appuyer son interprétation. La décision du 10 octobre 2018 reste donc la conséquence d’une interprétation prétorienne et non administrative.

 

Ensuite, et cela a sans doute bien davantage de poids, peut être avancé un argument de stricte logique juridique. Les exceptions doivent, en principe, être interprétées strictement. Or, le régime de la succession des CDD répond doublement à une logique exceptionnelle. Primo, le régime du CDD fait exception à la forme normale et générale d’emploi qu’est le CDI et c’est donc l’ensemble de ce régime qui doit être interprété strictement [8]. Secundo, la possibilité de faire succéder des CDD dans certains cas est exceptionnelle du principe interdisant cette succession. Les textes ne précisant pas expressément que seul le cas de recours au nouveau contrat doit être apprécié pour déterminer si un délai de carence doit être respecté, il n’y a pas lieu d’exclure l’appréciation du cas de recours du premier contrat ce qui constituerait une interprétation extensive de l’exception.

 

L’incidence des ordonnances du 22 septembre 2017. Le régime juridique du renouvellement et de la succession de CDD a été substantiellement réformé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7629LGN) [9]. Le nouvel article L. 1244-4 du Code du travail dispose, en particulier, qu’«une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir les cas dans lesquels le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 n'est pas applicable».

 

L’accord collectif de branche pourra modifier la liste des cas de recours qui dispensent du respect du délai de carence, soit en la restreignant, soit en l’allongeant. Dans un cas de figure comme dans l’autre, on peut penser que l’interprétation de la Chambre sociale ne s’en trouvera pas modifiée. En effet, que la source établissant la liste de ces cas de recours soit légale ou conventionnelle ne change rien à l’affaire : le non-respect du délai de carence demeure exceptionnel.

 

Les partenaires sociaux des branches pourront-ils aller plus loin et ne pas se contenter d’envisager des cas de recours exceptionnels différents de ceux prévus à titre supplétif par l’article L. 1244-4-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8024LGB) ? Plus précisément, pourront-ils prévoir que seul le cas de recours du second contrat doit être examiné pour déterminer si le délai de carence est ou non applicable ? Tout sera, une nouvelle fois, question d’interprétation, selon des directives finalement très proches de celles qui viennent d’être évoquées.

 

Littéralement, le texte ne vise pas les «cas de recours» mais seulement les «cas» dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable. Si toutefois la Chambre sociale de la Cour de cassation maintient une interprétation restrictive des textes du Code du travail en la matière, seuls les cas de recours pourraient être aménagés par accord collectif.

 

Décision

 

Cass. soc., 10 octobre 2018, n° 17-18.294, FS-P+B (N° Lexbase : A3251YGI)

 

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 6 avril 2016, n° 13/00490 N° Lexbase : A4087RCD)

 

Textes visés : C. trav., art. L. 1244-3 (N° Lexbase : L8110LGH) et art. L. 1244-4 (N° Lexbase : L8109LGG), ensemble l’article L. 1245-1 du même Code (N° Lexbase : L5747IA4).

 

Lien base : (N° Lexbase : E0821GAN).

 

[1] Ces exceptions légales demeurent après les ordonnances, mais deviennent supplétives de l’accord collectif de branche qui peut naturellement en restreindre la liste mais aussi l’étendre.

[2] Dans sa rédaction applicable aux faits.

[3] Cass. soc., 16 juillet 1987, n° 84-45.111, publié (N° Lexbase : A3171AB3) ; Cass. soc., 20 octobre 1988, n° 85-42.436, inédit (N° Lexbase : A9472AA3).

[4] Cass. soc., 10 mai 2006, n° 04-42.076, F-P+B (N° Lexbase : A3750DPL) ; Dr. soc., 2006, p. 1046, obs. C. Roy-Loustaunau ; JCP éd. S, 2006, p. 1692, note F. Bousez.

[5] Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-18.162, FS-P+B (N° Lexbase : A7914MXE).

[6] Souligné par nous.

[7] Circulaire DRT n° 90/18 du 30 octobre 1990, relative au contrat de travail à durée déterminée et travail au temporaire (N° Lexbase : L2859AIQ), BO/TR 90/24.

[8] C. trav., art. L. 1221-2 (N° Lexbase : L8930IAY).

[9] V. notre étude, CDD, contrat de mission, contrat de chantier, Dr. soc., 2018, p. 37.

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