La lettre juridique n°727 du 18 janvier 2018 : Notaires

[Jurisprudence] Manquement déclaratif fiscal d'une partie et responsabilité du notaire

Réf. : Cass. civ. 1, 20 décembre 2017, n° 16-13.073, FS-P+B (N° Lexbase : A0630W99)

Lecture: 7 min

N2234BXZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Manquement déclaratif fiscal d'une partie et responsabilité du notaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/44688324-jurisprudence-manquement-declaratif-fiscal-dune-partie-et-responsabilite-du-notaire
Copier

par Eric Meiller, Notaire, docteur en droit, Rapporteur de la 2ème commission, 114ème congrès des notaires de France

le 18 Janvier 2018

Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de cassation retient que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours. L'espèce concerne une vente, pour laquelle le notaire ne commet aucune erreur quant à la fiscalité liquidée dans l'acte. Le vendeur, en revanche, omet de déclarer la TVA sur marge relative à ladite vente. A la suite au redressement fiscal qu'il subit, le vendeur met en cause le notaire pour défaut d'information sur la fiscalité applicable.

L'opération litigieuse relève de la TVA immobilière antérieure à la loi de finances rectificative pour 2010. Selon la législation de l'époque, étaient soumises à la TVA, les opérations portant sur des immeubles et dont les résultats étaient taxables à l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux (CGI, anc. art. 257, 6° N° Lexbase : L5169HLZ). Etaient redevables de la TVA à ce titre, d'une part les marchands de biens, et, d'autre part, les lotisseurs.

Les opérations des marchands de biens et lotisseurs concourant à la production d'immeubles étaient en principe passibles de la TVA immobilière (CGI, anc. art. 257, 7°), mais exonérés de droits d'enregistrement dès lors que l'acquéreur prenait l'engagement de construire dans le délai de quatre ans (CGI, anc. art. 1594-0 G, A N° Lexbase : L2858KIP). Par exception, ne relevaient pas de la TVA les terrains revendus par ces professionnels à une personne physique en vue de la construction d'un immeuble à usage d'habitation (CGI, anc. art. 257, 7°). Dans ce dernier cas, où la revente était hors du champ de la TVA immobilière, une TVA sur la marge était due par le professionnel, calculée sur le profit brut (CGI, anc. art. 268 N° Lexbase : L4910IQW).

Ce régime fiscal spécial a été supprimé par la loi de finances rectificative pour 2010 (J.-C. Bouchard et W. Stemmer, Suppression du régime spécial des marchands de biens, JCP éd. N, 2010, 1140). Sous l'empire de la nouvelle législation, la revente d'un terrain à bâtir par un assujetti est soumise à la TVA, sur le prix total si l'acquisition a ouvert droit à déduction, sur la marge si l'acquisition n'a pas ouvert droit à déduction (CGI, art. 268).

Ceci rappelé, le problème de l'arrêt est le suivant. Il semblerait que le notaire ait bien informé le vendeur de l'existence d'une TVA sur la marge, à l'occasion des ventes effectuées après la réforme de 2010. Mais que rien n'ait été dit à ce propos lors des ventes antérieures à cette réforme. La cour d'appel estime qu'il n'y a pas eu de manquement du notaire dans ce dernier cas, car, pour elle, les ventes antérieures à la réforme ne relevaient pas de la TVA immobilière. Sur ce plan, l'analyse est censurée par la Cour de cassation. En effet, dès lors que la SARL venderesse est considérée par le fisc comme un lotisseur, une TVA sur la marge est également due pour les ventes d'avant la réforme, sur le fondement de l'article 257 du Code général des impôts dans sa rédaction d'alors.

Cela étant, le notaire n'a commis aucune erreur fiscale pour les perceptions qu'il lui appartenait de liquider dans son acte. En effet, la déclaration de TVA, sur imprimé CA3, que devait faire le lotisseur est indépendante de l'acte notarié, et est établie sous la seule responsabilité de l'entreprise concernée. Il est certain que le notaire n'a pas pour mission de tenir la comptabilité de cette entreprise ni de remplir ou de suivre ses obligations déclaratives.

Pour autant, la Cour de cassation considère que les manquements déclaratifs du vendeur sont consécutifs à une information incomplète délivrée par le notaire sur la fiscalité, alors que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.

L'arrêt confirme, en tant que de besoin, que le notaire a un devoir d'information quant au régime fiscal applicable à une opération qu'il reçoit (I). Encore faut-il que ce défaut d'information cause un préjudice réparable (II).

I - Devoir d'information fiscal du notaire

Dans le cadre de son devoir de conseil, le notaire est tenu d'un devoir absolu d'information, non seulement en matière civile, mais également en matière fiscale (P. Becqué, Le notaire et la collecte de l'impôt, JCP éd. N, 2014, 1094). Il doit informer les parties des impôts qui sont la suite de son acte (J.-F. Pillebout et J. Yaigre, Droit professionnel notarial, LexisNexis, 8ème éd., 2009). La solution est constante en jurisprudence. La même formule que dans l'arrêt d'espèce, "le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours", se retrouve déjà dans des décisions antérieures (par ex., Cass. civ. 1, 15 février 2005, n° 03-12.553, F-D N° Lexbase : A7372DG7, JCP éd. N, 2005, 1363, note D. Lepeltier). A cette fin, le notaire a un devoir de s'informer, pour pouvoir informer à son tour (Cass. civ. 2, 19 octobre 1994, n° 92-21.543 N° Lexbase : A7427ABP, D., 1995, jurispr. p. 499, note A.-M. Gavard-Gilles).

En général, la responsabilité du notaire est surtout recherchée lorsqu'il n'a pas informé les parties des conséquences fiscales désastreuses de l'opération réalisée. Par exemple, quand un notaire prête son concours à une donation déguisée, alors qu'il existait des moyens moins onéreux pour parvenir au même résultat (Cass. civ. 1, 9 décembre 2010, n° 09-16.531, F-P+B+I N° Lexbase : A7107GM8 et lire N° Lexbase : N8445BQT, Bull. civ. I, n° 524). En matière de vente immobilière, la plupart des arrêts concernent des opérations de défiscalisation immobilière, où une partie se plaint de ne pas avoir été correctement informée des conditions à respecter pour bénéficier du régime fiscal de faveur (par ex., Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n° 07-19.500, FS-D N° Lexbase : A6444EGR ; Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-21.183, F-D N° Lexbase : A5833EAB, JCP éd. N, 2008, act. 686). Mais on trouve également des décisions dans des affaires proches de la présente espèce. Ainsi, un notaire a été rendu responsable de n'avoir pas correctement informé son client sur les conditions d'application de la TVA immobilière (Cass. civ. 1, 12 juillet 1989, n° 87-15.356 N° Lexbase : A0351CSS, JCP éd. N 1990, II, 152).

De manière générale, le notaire a un devoir d'exactitude sur les conséquences fiscales immédiates, c'est-à-dire le régime fiscal de l'acte lui-même, et d'un devoir d'information sur les les implications futures de l'acte, pour autant que le notaire ait connaissance des projets des parties à ce propos (G. Durand-Pasquier, Le devoir de conseil du notaire quant au régime fiscal applicable à une opération d'acquisition immobilière, JCP éd. N, 2013, 1047). A contrario, le notaire est relevé de son devoir de conseil lorsqu'il n'est pas mis en mesure de l'accomplir. Ainsi, un notaire ne peut se voir reprocher une erreur d'appréciation fiscale, alors que le vendeur ne lui a jamais transmis les factures, pourtant réclamées à plusieurs reprises, qui auraient permis d'apprécier l'étendue des travaux de rénovation et l'application de la TVA à l'opération (Cass. civ. 1, 8 juin 1994, n° 92-14.262 N° Lexbase : A7276CP8, JCP éd. N, 1996, II, p. 1011, obs. Th. Sanséau).

II - Existence d'un préjudice réparable

La preuve du conseil donné incombe au notaire (Cass. civ. 1, 3 février 1998, n° 96-13.201 N° Lexbase : A2233ACP, Bull. civ. I, n° 44). Mais la preuve du préjudice incombe à la personne qui se plaint du défaut d'information (P. Pierre, Un défaut d'information est indifférent si le client ne démontre pas le préjudice qui en découle, JCP éd. N, 2013, 1050).

En l'espèce, le vendeur ne subit pas une imposition indue ; il subit simplement une imposition qu'il n'avait pas prévue (T. Sanséau et J.-F. Sagaut, Responsabilité notariale - Applications - Vente d'immeuble, JurisClasseur Notarial Formulaire, Responsabilité notariale fasc. 20). En conséquence, le préjudice n'est pas égal au total des sommes à verser au Trésor public (Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.830, F-D N° Lexbase : A1211IIP, JCP éd. N, 2012, n° 16, act. 461). Le préjudice n'existe réellement que si le défaut d'information du notaire a entraîné l'application d'une fiscalité évitable, soit que les parties auraient renoncé à leur projet si elles avaient été correctement informées, soit que les parties auraient modifié les termes de leur accord pour bénéficier d'une taxation plus avantageuse (CA Paris, 8ème ch., 12 mars 1985, Defrénois, 1985, art. 33596, p. 1076, obs. J.-L. Aubert).

Le préjudice fiscal réparable est donc la perte d'une chance (CA Douai., 24 novembre 2011, n° 10/01468 N° Lexbase : A3268H3G). Ainsi que le paiement des pénalités appliquées lors du redressement (CA Aix-en-Provence, 10 septembre 1985).

Encore faut-il que la perte de chance soit réelle. Tel n'est pas le cas si l'option perdue est trop incertaine (Cass. com., 19 janvier 2010, n° 09-65.472, F-D N° Lexbase : A4829EQW, Defrénois 2010, art. 39175, obs. M. L.). S'il n'est pas démontré que les parties auraient renoncé à l'opération avec une meilleure information, il n'y a pas de perte de chance indemnisable (Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-25.973, FS-D N° Lexbase : A0297IXB).

En l'espèce, le vendeur demande l'indemnisation du préjudice ayant résulté pour lui de l'impossibilité de répercuter financièrement la TVA sur marge dans les prix de vente des terrains. Ce point de son argumentation n'a pas à être débattu devant la Cour de cassation. Mais il n'est pas certain que les juges du fond, sur renvoi, suivent ce raisonnement. Certes, il est possible de négocier une charge augmentative de prix, par laquelle l'acquéreur prend en charge la TVA sur marge du vendeur. Mais cette stipulation ne s'envisage, en pratique, que dans l'hypothèse où l'acquéreur est assujetti à la TVA, puisque celui-ci va pouvoir ensuite la récupérer. Tel n'est pas le cas du particulier qui achète un terrain à bâtir en vue de construire son habitation. Pour lui, la prise en charge de la TVA conduit à une augmentation du prix. Or, on peut douter que l'acquéreur accepte une telle augmentation. On peut supposer que, par le jeu de l'offre et de la demande, le prix qui avait obtenu l'accord du vendeur et de l'acquéreur était déjà au maximum de ce que le vendeur pouvait obtenir.

Par suite, même en admettant le défaut d'information du notaire en l'espèce, il n'est pas certain que le notaire soit responsable du préjudice dont se plaint le vendeur.

newsid:462234

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.