La lettre juridique n°727 du 18 janvier 2018 : Ohada

[Doctrine] L'OHADA, le système juridique et le système judiciaire (première partie)

Lecture: 31 min

N2091BXQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Doctrine] L'OHADA, le système juridique et le système judiciaire (première partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/44688300-doctrine-lohada-le-systeme-juridique-et-le-systeme-judiciaire-premiere-partie
Copier

par Hervé Magloire Moneboulou Minkada, Agrégé des Facultés de Droit, Enseignant à l'Université de Douala

le 18 Janvier 2018

L'OHADA est une organisation, qui a produit des normes juridiques et une juridiction. Pris sous l'angle des normes juridiques, il est possible d'établir un rapport entre l'OHADA et le système juridique. Et pris sous le prisme de la juridiction, il est possible d'objectiver un lien entre l'OHADA et le système judiciaire. La présente analyse se propose de revenir sur la nature de l'OHADA eu égard au système juridique et au système judiciaire. Le droit OHADA est-il véritablement un droit communautaire ? La CCJA est-t-elle réellement une juridiction communautaire ? Telles sont les questions, dont les réponses s'éloignent de la doctrine dominante. La présente analyse suggère le droit OHADA comme un droit commun et la CCJA comme une juridiction commune. Le droit OHADA ne constitue pas un droit communautaire, mais plutôt une intégration par une uniformisation" (1)*. Ce revirement d'un des théoriciens de l'OHADA témoigne de la vitalité du débat sur la nature du système juridique et système judiciaire de l'OHADA.

L'OHADA désigne l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (2). Cette organisation regroupe des Etats sur la base d'un Traité (3). A ce titre, l'OHADA doit être considérée comme une institution internationale (4). Et la finalité (5) recherchée est la réalisation de l'intégration économique au moyen de l'uniformisation (6) du droit applicable aux activités économiques (7). L'intégration juridique est un levier indispensable de l'intégration économique (8). En synthèse, les objectifs de l'OHADA se résument en trois : intégration juridique (9), intégration judiciaire et la promotion de l'arbitrage dans le règlement des litiges contractuels (10). Outre ces objectifs affichés, il existe d'autres objectifs non moins négligeables dans l'appréhension de l'OHADA (11).

Les Etats de la zone franc se sont regroupés dans le cadre de l'OHADA pour réaliser ce dessein. Cette organisation internationale est née de manière graduelle entre 1991 et 1993. En avril 1991 à Ouagadougou au Burkina Faso, les ministres des finances de la zone franc ont initié une réflexion sur un projet de réforme du droit des affaires de leurs Etats (12). L'idée a été reprise lors d'une réunion des ministres des finances à Paris en octobre 1991. Au cours de cette réunion, il fut mis en place une équipe de sept membres (juristes) dirigés par Kéba M'Baye. Elle devait asseoir la faisabilité technique du projet. De mars à septembre 1992, la mission s'est rendue dans les Etats membres pour sensibiliser les chefs d'Etats et obtenir les opinions des opérateurs économiques. Le rapport a été présenté à la réunion des ministres des finances le 17 septembre 1992, lors du sommet France-Afrique (13). Il a été présenté par le Président Abdou Diouf. La conférence s'est achevée par l'adoption du projet par les chefs d'Etats (14) et la mise en place d'un directoire pour matérialiser le projet (15). Ce dernier a été examiné par les ministres de la justice pendant une réunion tenue à Libreville les 7 et 8 juillet 1993. Après des discussions, les ministres formulèrent des remarques et des amendements qui ont conduit à l'adoption du projet de Traité. Au terme d'une concertation avec les experts, le projet de Traité fut finalisé suite à une double réunion des ministres de la justice, puis des ministres des finances les 21 et 22 septembre 1993 à Abidjan (16) en Côte d'Ivoire. L'enjeu était de présenter le projet de Traité à la signature. Le 17 octobre 1993 à Port-Louis en Ile-Maurice, à l'occasion de la Conférence des chefs d'Etats et de gouvernement de la francophonie, le projet finalisé du Traité est signé par quatorze Etats (17). Son entrée en vigueur est prévue en septembre 1995. Un amendement intervient lors du sommet des chefs d'Etat à Québec le 17 octobre 2008.

L'approche du Droit comme un système correspond souvent à la terminologie : "système juridique" ou "ordre juridique" (18). La doctrine se divise sur la teneur de cette expression. Selon la théorie normativiste, l'ordre juridique est un ordre de contrainte de la conduite humaine (19). Cela signifie que les normes juridiques sont des normes ; dont l'inobservation fait l'objet de sanctions instituées par l'ordre juridique. L'Etat dispose du monopole dans l'édiction de ces normes, étant donné que l'Etat est l'ordre juridique (20). Elles sont rangées dans une sorte de pyramide ayant au sommet la "Grundnorm". Kelsen distingue les normes primaires et les normes secondaires. Les normes primaires fixent une prescription et les normes secondaires précisent la sanction. Relativement à l'existence des normes du droit international, Kelsen (21), père de l'Ecole moniste, a proposé une distinction entre le monisme avec primauté du droit interne (22) d'une part et le monisme avec primauté du droit international (23) d'autre part. Il est relativisé dans cette option par l'Ecole dualiste (24), ayant pour promoteurs : Brownlie (25), Dupuy (26), Malcom Shaw (27) et Sciotti-Lam (28). Hart rejette la classification kelsennienne des normes primaires et secondaires. Il distingue trois catégories de règles. Pour lui, les règles primaires indiquent la conduite des sujets de droit. Les règles secondaires ont pour objet les procédures à suivre pour créer et modifier les règles primaires de l'ordre juridique (rules of change) ainsi que les procédures portant sur l'application du droit ; que ce soit par les organes administratifs ou les organes juridictionnels (rules of adjudication) (29). La troisième catégorie de règles secondaires, constituée par la règle de reconnaissance (rule of recognition), permet aux organes d'un ordre juridique de reconnaître que telle norme est bien une norme de l'ordre juridique en question et non pas d'un autre ordre (30). Si Hart aborde la norme de reconnaissance au singulier, Bobbio (31) l'envisage au pluriel. Il distingue les normes sur les sources (32) et les normes sur la validité des lois dans le temps et dans l'espace (33). Bobbio analyse aussi l'ordre juridique au pluriel. Il établit une typologie tripartite : les ordres simples (34), les ordres semi-complexes (35) et les ordres juridiques complexes (36). Au-delà de leurs divergences, Kelsen et Hart ont en commun : les ordres juridiques sont des ensembles de normes. En outre, la théorie institutionnelle de l'ordre juridique a été développée par Santi Romano. Pour lui, il est impossible de définir un ordre juridique simplement comme un ensemble de normes. Avant que la norme existe, il faut un ordre social organisé, et c'est là le sens de la notion d'institution. Romano synthétise sa vision dans une formule éloquente (37). Quant aux théories postnormativistes de l'ordre juridique, elles ont en commun le dépassement des normes posées par des normes additives. Paul Amselek constate qu'il existe des actes juridiques non porteurs de normes. Ce sont ceux qui établissent des directives ; que le sujet est libre de suivre ou non, et des actes déclaratifs (38). Jean Combacau considère que le système juridique ne saurait être réduit à un système de normes. Il distingue les produits et les modes de production (39). Joseph Raz réserve l'expression "norme juridique" (legal norms) aux règles d'un système, qui imposent des obligations ou confèrent des pouvoirs (duty imposing and power-conferring rules). Mais à côté des normes, il existe plusieurs autres types de règles (laws), qui ne sont pas des normes. Il cite les règles de qualification (categorizing rules) (40), les règles qui énoncent les domaines d'application des autres règles (rule of scope), les règles établissant la situation dans l'ordre juridique des personnes ou des choses en termes de droits, de responsabilité, de statuts, etc (position -specifying rules) (41). Enfin, Ronald Dworkin (42) soutient que dans leurs raisonnements, les juges ne prennent pas seulement en considération des règles au sens strict du terme, mais aussi d'autres types de standards comme les "principes" (43) ou les "politiques" (44). Dans l'ensemble, le système juridique comme ordre juridique mobilise la doctrine (45). Les règles composant l'ensemble comme système peuvent être structurées en fonction, soit du principe de la hiérarchie cher à Kelsen (46), soit le principe de cohérence cher à Virally (47).

La définition du système judiciaire a un fondement doctrinal. Il renvoie aux acteurs, qui appliquent le droit auprès des juridictions (48). La CCJA est la composante de l'OHADA concernée par le système judiciaire.

Derrière le thème : "L'OHADA, système juridique et système judiciaire", existe une controverse. Pour les uns, l'OHADA est une organisation communautaire (49). En conséquence, le droit qu'elle produit, est un droit communautaire (50). Et la CCJA est une juridiction communautaire (51). Pour d'autres, l'OHADA est une organisation de l'intégration juridique et judiciaire (52). Pour d'autres encore, l'OHADA est une organisation mitoyenne entre l'international et l'interne. De la sorte, le système juridique OHADA est intégré et international (53). Sur la base de cette controverse, la question suivante peut être posée : peut-on aboutir à un nouveau résultat en confrontant le droit et la juridiction créés par l'OHADA au système juridique et au système judiciaire ?

La question est fondamentale au double plan théorique et pratique. En théorie, l'analyse suggère un nouveau discours la nature de l'OHADA. En pratique, il faudrait rénover les solutions aux conflits de normes et les conflits de juridiction de l'espace OHADA. En confrontant le droit et la juridiction de l'OHADA avec le système juridique et le système judiciaire, il ressort un nouveau discours sur le système juridique (I) et le système judiciaire (II) (sur la seconde partie, cf. N° Lexbase : N2093BXS).

I - La rénovation du système juridique à l'épreuve de l'OHADA

Le système juridique (54) renvoie à l'ensemble des règles de droit, qui régissent la vie en société. Il est souvent confondu avec l'ordre juridique (55). Toutefois, les avis sont partagés sur cette question (56). A l'observation, le droit OHADA est exclu du système juridique international (A) pour s'intégrer au système juridique national (B).

A - L'exclusion du droit OHADA du système juridique international

Le système juridique international renvoie au droit international. Il est question de l'ordre juridique international (57). La présente analyse se limite à la distinction entre le droit international public et le droit communautaire. Malgré les éléments de rapprochement, le droit OHADA doit être exclu non seulement du droit international public (1), mais aussi du droit communautaire (2).

1 - L'exclusion du droit OHADA du droit international public

Le droit international public se définit comme un ensemble de règles juridiques régissant les rapports entre Etats souverains ; auxquelles on ajoute aujourd'hui celle qui gouvernent les rapports entre des entités ou des personnes dotées de compétences d'ordre international. Sont visées : les organisations internationales, les collectivités infra- ou para-étatiques et même des personnes privées (58). C'est aussi un ensemble de règles juridiques, qui régissent les rapports internationaux entre sujets indépendants (59). Les sources du droit international public sont les principes politiques, les traités, la coutume internationale, les actes unilatéraux des Etats et les sources subsidiaires (60). Ces sources sont aussi énumérées dans l'article 38 du statut de la Cour internationale de justice (61). Et le droit OHADA (62) renvoie à un ensemble de normes comprenant : le Traité comme droit originaire d'une part, les règlements, les décisions et les actes uniformes comme droit dérivé d'autre part. Le lien entre le droit OHADA et le droit international public est l'identité d'une source : le Traité. Cependant, suffit-il que l'OHADA soit créée sur la base d'un Traité pour ériger le droit OHADA en droit international public ? La réponse doit être fournie au soir de la confrontation entre le Traité OHADA et le traité international classique.

Sur un plan terminologique, le traité doit être distingué des notions voisines (63). En lui-même, le traité désigne une manifestation des volontés concordantes imputables à deux ou plusieurs sujets de droit international, destinée à produire des effets de droit et qui doit être exécutée de bonne foi (64). Cette définition écarte les accords entre particuliers, même s'ils ont une portée internationale, ceux entre particuliers et gouvernements, et ceux entre membres d'un Etat fédéral qui relèvent du droit constitutionnel interne de l'Etat (65). Le traité doit être négocié, signé, ratifié, enregistré et publié. Et les sujets du droit international public sont : les Etats, les organisations internationales, les individus, les sociétés multinationales et les organisations non-gouvernementales.

Il peut exister une proximité entre le droit international public et le droit OHADA en partant du point commun qu'est le Traité. Sur le plan de l'instrumentum, le droit OHADA comporte la norme : Traité (66). Ce dernier est conclu par les sujets du droit international public, en l'occurrence les Etats. De quatorze Etats signataires, le mécanisme d'adhésion permet aujourd'hui d'avoir dix-sept. Ce traité a été ratifié. La procédure prévoit aussi la publication. Elle a lieu en deux temps. Le premier est obligatoire au journal officiel de l'OHADA et le second est facultatif, au journal officiel de chaque Etat membre. Toutefois, le traité OHADA s'éloigne du droit international public eu égard à certains aspects. Sur le plan de la validité, le traité du droit international public est assujetti à trois conditions : ratification, publication et réciprocité dans l'application. Or le traité OHADA ne fait de la réciprocité dans l'application, une condition de validité. L'hypothèse de l'accompagnement du traité par les lois pénales nationales est révélatrice. Sur les dix-sept Etats membres de l'OHADA, cinq seulement ont adopté les lois nationales. Cela n'empêche pas le traité d'être en vigueur dans les douze Etats restants. Un autre facteur d'exclusion du traité OHADA du droit international public concerne les sujets. Si en droit international public les individus et les sociétés sont des sujets du droit international, ce ne sont pas les mêmes personnes que vise le traité OHADA. Ce dernier vise les individus et les sociétés comme opérateurs économiques. Ce sont en fait les personnes régies par les normes de droit privé. Pourtant, les individus et les sociétés interpellés par le droit international public sont les sujets de droit public. Sur cette base, l'objet du traité en droit international public est la régulation des rapports entre sujets du droit international orientée vers l'application des normes de droit public. Or le traité OHADA a pour objet, l'harmonisation du droit des affaires, un droit d'obédience privatiste.

De ce qui précède, il devient possible d'admettre une distinction entre un traité de droit international public et un traité de droit interne. Et le traité OHADA s'assimile au traité de droit interne, parce que ses sujets et son objet sont rattachables à la sphère interne de l'Etat membre de l'OHADA et non à sa sphère internationale. Le sort du droit originaire affecte le droit dérivé, qui emprunte en conséquence son identité. C'est dire que les règlements, les décisions et les actes uniformes ne s'inscrivent pas comme source du droit international public. A l'instar du traité fondateur, leurs sujets et objets présentent un caractère national et non international. Toute chose qui valide l'exclusion du droit OHADA du droit international public. Le droit OHADA semble aussi exclu du droit communautaire.

2 - L'exclusion du droit OHADA du droit communautaire

Traditionnellement, le droit communautaire était entendu en référence au droit communautaire européen (67), comme l'ensemble des règles qui régissent l'organisation et le fonctionnement des communautés européennes (68). Il en était ainsi parce que la forme classique de référence de la construction communautaire était le cadre européen (69). De nos jours, le droit communautaire s'entend du droit des organisations intergouvernementales d'intégration (70). Il représente l'ensemble des règles, qui régulent l'organisation et le fonctionnement de l'ordre communautaire, ainsi que ses rapports avec les autres ordres juridiques (71). La doctrine majoritaire de l'OHADA a défendu l'idée de droit communautaire (72) et par extension, l'OHADA comme une organisation internationale communautaire. Pour éviter l'écueil du préjugé, la démarche scientifique commande de ressortir les identifiants du droit communautaire. Ensuite, une confrontation à l'OHADA permettra de se prononcer sur la nature communautaire ou non du droit OHADA.

Par identifiants du droit communautaire, il faut envisager les éléments permettant de le reconnaître comme une entité autonome. Il en est ainsi : des valeurs fondatrices et les caractères généraux. Les Etats appartiennent à une communauté et peuvent dont avoir un droit communautaire, s'ils partagent les mêmes valeurs fondatrices. Quelles sont ces valeurs ? Dans le cadre de la communauté européenne, elles sont exprimées dans les Traités de Maastricht et d'Amsterdam, puis mises en lumière dans le Traité de Lisbonne. Certaines ont été dégagées par la Cour de justice de l'Union Européenne ; d'autres trouvent leur origine dans des déclarations politiques du Conseil européen. Dans la déclaration sur l'identité européenne adoptée par la Conférence des chefs d'Etats ou de gouvernement à Copenhague, le 14 décembre 1973, les Etats membres "désireux d'assurer le respect des valeurs d'ordre juridique, politique et moral auxquelles ils sont rattachés, soucieux de préserver la riche variété de leurs cultures nationales, partageant une même conception de la vie, fondée sur la volonté de bâtir une société conçue et réalisée au service des hommes [...] entendent sauvegarder les principes de la démocratie représentative, du règne de la loi, de la justice sociale finalité du progrès économique- et du respect des droits de l'Homme, qui constituent des éléments fondamentaux de l'identité européenne" (73). Dans ce document, cinq valeurs essentielles sont mises en évidence : respect de la diversité culturelle, règne de la loi, justice sociale, respect des droits de l'homme et principe de démocratie (74). Le Traité révisé de la CEMAC (75) dans son préambule énonce ces valeurs. La formule utilisée est la suivante : "Réaffirmant leur attachement au respect des principes de démocratie, des droits de l'Homme, de l'Etat de droit, de la bonne gouvernance, du dialogue social et des questions de genre". Le Traité révisé de la CEDEAO abonde dans le même sens aux termes des principes fondamentaux, qu'il formule. En substance, l'article 4 sur les principes fondamentaux dispose : "LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES, dans la poursuite des objectifs énoncés à l'Article 3 du présent Traité, affirment et déclarent solennellement leur adhésion aux principes fondamentaux suivants : (g) respect, promotion et protection des droits de l'homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ; (j) promotion et consolidation d'un système démocratique de gouvernement dans chaque Etat Membre tel que prévu par la Déclaration de Principes Politiques adoptée le 6 juillet 1991 à Abuja". Il ressort de ces dispositions un ensemble de valeurs donnant une orientation sociale et politique, que doivent prendre les membres de la Communauté.

Au regard de ces valeurs, l'OHADA semble éloignée des valeurs que poursuit une communauté. Les Etats s'accordent plutôt pour utiliser le droit en vue de réaliser l'intégration des économies. C'est l'idée de l'intégration économique par le biais de l'intégration juridique. En ce sens l'OHADA compte s'ouvrir à tous les Etats de l'Afrique. En un mot, l'OHADA est une organisation à but économique, alors qu'une organisation communautaire se veut à la fois politique et économique. C'est en ce sens qu'une doctrine voit dans le droit OHADA, un droit des activités économiques (76) et non un droit communautaire. L'OHADA n'est pas une communauté politique ou économique, mais une organisation interétatique conçue exclusivement comme un outil technique. Sur cette base, on peut affirmer que le droit OHADA n'est pas un droit communautaire (77).

S'agissant des caractères du droit communautaire, une distinction peut être établie entre les caractères généraux des règles communautaires et les caractères généraux de l'ordre juridique communautaire. Au nombre des caractères généraux des règles communautaires, il convient de cibler : la validité immédiate (78), l'applicabilité directe (79), la hiérarchie (80) et la primauté (81) des règles communautaires. Quant aux caractères généraux de l'ordre juridique communautaire, sont visés : l'autonomie (82) et la juridictionnalité (83) du droit communautaire (84). Certains caractères entretiennent une confusion entre le droit OHADA et le droit communautaire. Il en est ainsi de la hiérarchie, la juridictionnalité et de l'applicabilité directe. La hiérarchie des règles communautaires signifie que les normes communautaires sont hiérarchisées, ajuster entre rang inférieur et rang supérieur. Il existe un droit primaire (85), qui se trouve au sommet de la hiérarchie. Et le droit dérivé (86) se trouve à la base. Une hiérarchie complète des normes communautaires a été proposée (87). A son tour, le droit OHADA peut aussi exciper l'idée d'hiérarchie. Il comporte un droit primaire (une) (88) et un droit dérivé (89). Une hiérarchie complète est même possible. Du sommet à la base, l'ajustement suivant est plausible : le traité, le règlement, la décision et les actes uniformes. Bien plus, l'exigence de "juridictionnalité" est partagée entre le droit OHADA et le droit communautaire. Les deux droits sont accompagnés d'un mécanisme juridictionnel. Dans le cadre du droit communautaire européen, il existe une cour de justice de la communauté européenne. De même, le droit OHADA est accompagné par une juridiction, appelée : la Cour commune de justice et d'arbitrage. En pour ce qui est de l'applicabilité directe, le droit OHADA et le droit communautaire présentent une convergence. Elle réside dans les effets de l'applicabilité directe. L'effet direct a trois composantes : la capacité de la règle à créer les droits et obligations pour les particuliers, la possibilité pour ceux-ci d'invoquer les garanties devant le juge national, et l'obligation pour le juge de statuer sur les causes invoquées par les personnes (90).

En dehors de ces aspects, des éléments évitent d'assimiler le droit OHADA au droit communautaire. Il est question : de la validité, la primauté et l'autonomie. Parlant de la validité, la règle communautaire est de validité immédiate en droit interne. Elle n'a pas besoin, pour être intégrée d'une formalité supplémentaire. Sur le plan formel, les actes uniformes OHADA font l'objet d'une double publication : une publication au journal officiel de l'OHADA et une seconde publication au journal officiel des Etats parties. Bien que la seconde publication soit sans incidence sur l'entrée en vigueur des actes uniformes, une telle procédure n'existe pas dans un droit communautaire (91). Toutefois, certaines normes du droit OHADA bénéficient de la validité immédiate. Il est question : du traité, des règlements et décisions. Concernant la primauté de la norme communautaire, elle signifie que le droit communautaire prime sur tout le droit interne de tout Etat membre, y compris les normes suprêmes à valeur constitutionnelle (92). Or le droit OHADA a laissé germer l'idée de primauté à la faveur d'une certaine exégèse de l'article 10 du traité (93). Les dispositions de droit interne subissant la primauté des Actes uniformes englobent-elles la Constitution ? Si le droit OHADA était un droit communautaire, la validité immédiate aurait rendu inutile l'article 10. N'étant pas un droit communautaire, il devient utile de préciser son internalisation et sa valeur juridique. Les normes de droit interne en concours doivent donc exclure la Constitution. C'est plutôt, elle qui approuve ou non l'entrée du Traité OHADA en droit interne. Par ailleurs, le droit OHADA se distingue du droit communautaire par l'idée d'autonomie. Le droit communautaire est autonome, c'est-à-dire complet et indépendant du droit international public et droit interne. A l'inverse, le droit OHADA est dépendant du droit interne, qu'il a vocation à compléter en matière de droit des affaires. C'est un droit de substitution ; car il remplace les dispositions antérieures du droit interne en matière de droit des affaires, à l'exemple du Code de commerce français applicable aux colonies, certaines dispositions du Code civil sénégalais sur les aspects que couvre l'harmonisation, etc..

Par ailleurs, le droit OHADA recherche l'uniformisation ; alors que le droit communautaire n'est pas globalement uniforme. Son identité et sa fonctionnalité varient, et dépendent des niveaux d'intégration, ainsi que des acteurs en jeu (94). Dans une vue panoramique, le droit communautaire est statique, car les citoyens de la communauté viennent vers lui pour l'invoquer. Or le droit OHADA est dynamique, puisque créé dans le cadre d'une organisation, il doit se déplacer pour intégrer l'ordonnancement juridique des Etats membres. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'intégration du droit OHADA dans le système juridique national.

B - L'intégration du droit OHADA dans le système juridique national

Le droit OHADA ne saurait être érigé en système juridique autonome. C'est une normativité intégrant le système juridique national (1). La nature du droit OHADA est d'être une norme commune aux Etats membres de l'OHADA (2).

1 - Le droit OHADA comme une normativité intégrant le système juridique national

Le droit OHADA est secrété par l'organisation, mais il n'a pas vocation à demeurer en dehors des Etats. A la différence du droit communautaire, qui existe au-dessus des Etats, le droit OHADA doit intégrer l'ordonnancement juridique interne de chaque Etat membre de l'OHADA. Il se pose dès lors deux questions imbriquées : les modalités d'intégration ou d'internalisation d'une part et la place du droit OHADA par rapport à la Constitution d'autre part.

Pour ce qui est des modalités d'intégration, une distinction est plausible entre la publication et la validité immédiate. La publication est un mode de publicité employé normalement en matière d'actes législatifs et réglementaires, et consistant à diffuser la connaissance de l'acte en cause au moyen de modes de communication de masse, en particulier par l'insertion dans un recueil officiel de texte (95). Dans le cadre de l'OHADA, la publication des actes uniformes est prévue par l'article 9 du Traité. Il dispose : "(1) Les Actes uniformes sont publiés au Journal officiel de l'OHADA par le Secrétariat Permanent dans les soixante jours suivant leur adoption. Ils sont applicables quatre-vingt-dix jours après cette publication, sauf modalités particulières d'entrée en vigueur prévues par les Actes uniformes. (2) Ils sont également publiés dans les Etats-parties, au Journal officiel ou par tout autre moyen approprié. Cette formalité n'a aucune incidence sur l'entrée en vigueur des Actes uniformes". L'article fait expressément mention des Actes uniformes, à l'exclusion des autres normes constitutives du droit OHADA. Sont concernées : le Traité, les règlements et les décisions. Le traité procède du droit originaire et le fruit de la volonté des Etats membres de l'OHADA. Les règlements et les décisions constituent le droit dérivé et relèvent du Conseil des ministres (96). Leur modalité d'entrée en vigueur dans le droit national est la validité immédiate. Le droit OHADA emprunte ainsi une technique du droit communautaire, toute chose qui s'explique par la finalité d'intégration juridique. Par la validité immédiate, une norme est valide en droit interne sans besoin d'une formalité supplémentaire.

Une fois, le droit OHADA internalisé, il demeure la question de sa place par rapport à la Constitution (97). Bien plus, le législateur OHADA ne précise pas si les dispositions de droit interne désignent également la loi fondamentale (98). Cette question est amplifiée par le flou créé par l'article 10 du Traité. Il dispose : "Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats-parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure". La formulation a permis à la doctrine d'affirmer mordicus la "supranationalité du droit OHADA" ou "la primauté de l'ordre juridique OHADA" (99). La jurisprudence a abondé en ce sens. Ainsi, la CCJA s'est prononcée sur le sens à donner à l'article 10 dans un avis. Saisie par la République de Côte d'ivoire par lettre n° 137/MJ/CAB -3/KK/MB du 11 octobre 2000, enregistrée au greffe le 19 octobre 2000, elle a apporté une réponse. Au fond, il s'agissait de savoir si l'article 10 contient une règle de supranationalité et une règle d'abrogation du droit interne par les Actes uniformes ? La Cour répond : "L'article 10 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique contient une règle de supranationalité, parce qu'il prévoit l'application directe et obligatoire dans les Etats parties des Actes uniformes et institue, par ailleurs, leur suprématie sur les dispositions du droit interne antérieures ou postérieures" (100). En clair, l'idée première est de valider la supériorité du droit OHADA sur tout le droit interne y compris la Constitution.

Il convient de s'étonner d'une telle exégèse, pour un droit dont le support le plus élevé est un traité internalisé. Si le droit OHADA était fondé sur un traité supra-étatique comme le traité communautaire, sa supranationalité ne serait pas contestée. Cependant, le droit OHADA est assis sur un traité intra-étatique, c'est-à-dire destiné à intégrer l'ordonnance juridique interne de chaque Etat membre de l'OHADA. Il se pose la question de sa supériorité ou son infériorité par rapport à la constitution. Dans l'hypothèse d'un traité du droit international public, la question a été réglée avec l'arrêt "Nicolo" (101). Depuis cet arrêt, la constitution est supérieure au Traité. Dans le cadre de l'OHADA, les solutions doctrinales et les solutions jurisprudentielles existent.

Les solutions doctrinales se résument en la supériorité de la constitution sur le traité OHADA, malgré la divergence des trajectoires. Pour les Professeurs Pougoué (102) et Kalieu, en cas de contrariété entre la constitution et le traité OHADA, l'Etat dispose d'une marge de manoeuvre pour taire le conflit. Elle consiste à réviser la constitution avant la ratification du Traité OHADA. Cette révision permet à la constitution de conserver son degré supérieur dans la hiérarchie des normes. La primauté matérielle de l'ordre OHADA laisse ainsi sauve la suprématie formelle de la constitution comme norme fondamentale (103). Il s'agit d'une démarche préventive du conflit entre la Constitution et le Traité OHADA. Elle est soutenue par Babongeno (104). Pour lui les Commissions nationales peuvent s'assurer de la conformité des avants-projets en sollicitant l'avis des juridictions constitutionnelles (105). La non prise en compte de la contrariété avérée peut être sanctionnée par un vote négatif de l'Etat. Il va bloquer la procédure en jouant sur la règle de l'unanimité. Hans Kelsen distingue : la norme fondamentale, la constitution, le traité, la loi parlementaire, le règlement, la coutume, le contrat, les décisions judiciaires et administratives. Par nature, la norme OHADA appartient à la typologie des traités. Bien qu'il s'agisse d'un traité sui generis, sa nature première est d'être un Traité. Sa valeur juridique est d'être infra-constitutionnelle et supra-législative. Si un Acte uniforme comporte une disposition contraire à la loi parlementaire, celle-ci est abrogée implicitement. C'est le véritable sens de l'idée de "supranationalité" de la norme OHADA (106). Aucun Etat ne pourrait invoquer les dispositions infra-constitutionnelles de son droit interne pour justifier la non application du Traité et ses actes uniformes (107). Par contre si l'Acte uniforme comporte une disposition contraire à la constitution, cela signifie que les représentants de l'Etat veulent initier une révision de la Constitution. Ce serait le préalable avant de ratifier ou d'adhérer au Traité OHADA. La révision de la constitution s'impose pour lui conserver son "degré supérieur de droit positif " (108). La primauté matérielle de la norme OHADA laisse ainsi sauve la supériorité formelle de la constitution comme norme fondamentale de la République (109). La thèse volontariste permet de comprendre que, ce soient les titulaires du pouvoir d'exprimer la volonté de l'Etat, qui s'expriment dans le cadre de la Constitution et dans le cadre du Traité OHADA.

La solution doctrinale semble préventive du conflit entre le Traité OHADA et la Constitution. Qu'en sera-t-il lorsqu'après l'entrée en vigueur, une disposition du Traité OHADA est déclarée contraire à la Constitution ? Les hésitations jurisprudentielles sur la solution au conflit entre Traité OHADA et Constitution se fondent sur une approche de l'OHADA comme un droit communautaire (110). Dans son avis du 30 avril 2001, la Cour commune de justice et d'arbitrage a apporté des précisions à propos de cette portée abrogatoire des Actes uniformes. Elle a décidé que l'article 10 du Traité OHADA concerne l'abrogation ou l'interdiction de l'adoption de toute disposition d'un texte législatif ou règlementaire de droit interne présent et avenir ayant le même objet que les dispositions des Actes uniformes et étant contraires à celle-ci. Cette abrogation concerne également les dispositions de droit interne identiques à celles des Actes uniformes (111). L'avis de la CCJA est moins évident, car il n'est pas établi que les Actes uniformes soient de même valeur que la Constitution. Il demeure un silence jurisprudentiel sur les rapports hiérarchiques entre la Constitution et les Actes uniformes. Or la place du Traité OHADA en droit interne n'est pas dubitative. Norme de droit interne, la contrariété à la Constitution donne pouvoir au juge constitutionnel de le sanctionner. Un tel conflit donne la possibilité au juge constitutionnel saisi de sanctionner le traité pour inconstitutionnalité d'une part et l'arrêt rendu tiendra lieu d'arrêt de provocation. Il donne la possibilité au législateur national soit de dénoncer le traité, soit de réviser la constitution en cas d'inattention pendant la ratification ou l'adhésion au Traité OHADA. Le plus important est la possibilité reconnue au juge national de remettre en cause le droit OHADA en cas de contrariété avec le droit national. L'illustration est fournie par l'arrêt rendu par la Cour suprême du Congo le 30 novembre 2016 (deuxième chambre civile, audience publique, du 30 novembre 2016, arrêt n° 35/GCS-2016). Dans cette décision, le juge de la Cour suprême congolaise rejette la compétence de la CCJA pour une question d'ordre interne. Sa décision se formule dans les termes de la présente note (112). Si une juridiction civile peut remettre en cause la compétence de la CCJA, a fortiori une juridiction constitutionnelle. En bref, le droit OHADA est un droit intégré dans le système juridique national de chaque Etat membre de l'OHADA. Composante du droit interne, le droit OHADA se veut aussi une normativité commune aux Etats membres de l'OHADA.

2 - Le droit OHADA comme une normativité commune aux Etats membres de l'OHADA

Le droit OHADA n'est pas un droit communautaire, il urge de se prononcer sur sa nature. Le risque intellectuel de la présente analyse consiste à voir dans le droit OHADA, une normativité commune. C'est un droit commun. La terminologie "droit commun" existe déjà. Elle renvoie à la règle applicable à une situation juridique entre des personnes physiques ou morales, quand il n'est pas prévu qu'une règle particulière s'applique à cette situation ou à ce rapport. Il est question de la dialectique : "droit commun" et "droit spécial". La présente analyse considère le droit commun par juxtaposition au droit communautaire. Le droit commun serait un ensemble de règles partagées par les Etats sur la base de leur volonté sans miser sur les mécanismes de sanctions des Etats. Or, le droit communautaire se particularise par des règles partagées entre les Etats avec les mécanismes de sanctions garantissant l'effectivité de l'ordre juridique communautaire. Il apparaît que le droit commun n'est pas le droit communautaire. Ce risque ne procède pas d'un choix arbitraire ; mais de l'observation des règles et de la procédure d'édiction du droit originaire et du droit dérivé de l'OHADA.

Pour ce qui est des règles, le droit OHADA est un droit commun ; parce qu'il comporte des règles communes. Ce sont des règles partagées par un groupe d'Etats. Leur finalité est le rapprochement des Etats sur la base d'une volonté commune, sans la prétention de créer une structure contraignante imposant un projet aux Etats. Les règles communes sont à base de volontarisme et non de dirigisme. Leur efficacité réside dans le vouloir des Etats de réaliser ensemble, ce qu'ils ne peuvent pas réaliser tout seul. Si dans la logique communautaire, le but est de secréter un droit voulu mais imposé, la logique commune vise l'élaboration d'un droit voulu mais composé. De ce qui précède, il est possible de distinguer dans le droit OHADA, un droit commun originaire et un droit commun dérivé.

Le droit commun originaire de l'OHADA est constitué du Traité OHADA. C'est un accord entre deux ou plusieurs sujets du droit international. Dans le cas d'espèce, les sujets en cause sont les Etats membres de l'OHADA. C'est à Ouagadougou en avril 1991 sur la base des constatations communes des politiques et des opérateurs économiques que les Ministres des finances de la zone franc ont initié une réflexion sur la faisabilité d'un projet de réforme du droit des affaires dans leurs Etats. L'idée a été reprise à la réunion des ministres des finances de la zone franc en octobre 1991 à Paris. Une équipe dirigée par Kéba M'baye s'est rendue dans les Etats concernées pour sensibiliser les autorités politiques et recueillir les observations des opérateurs économiques de mars à septembre 1992. Un rapport a été dressé et présenté à la réunion des ministres des finances de la zone franc le 17 septembre 1992. Le président sénégalais, Abdou Diouf, a présenté le projet. Il a été adopté par les chefs d'Etats (114) et un directoire a été mis en place pour matérialiser le projet (115). Après le travail du directoire, le projet a été examiné par les ministres de la justice à une réunion tenue à Libreville les 7 et 8 juillet 1993. Après échange avec des experts, des amendements ont été apportés. Au terme d'une double réunion, des ministres de la justice, puis des ministres des finances avec ceux de la justice tenue les 21 et 22 septembre 1993 à Abidjan (116), le projet de Traité a été finalisé. Le 17 octobre 1993 à Port-Louis en Ile Maurice, le Traité est signé par quatorze Etats (117) à l'occasion de la Conférence des chefs d'Etats et de gouvernement de la Francophonie.

Qu'est ce qui peut amener l'analyste à soutenir l'idée d'un droit commun OHADA, à l'observation du Traité ? La réponse ne peut être donnée à partir de la procédure d'élaboration du Traité OHADA. Cependant, une réponse objective est contenue dans l'article premier du Traité OHADA. Il dispose : "Le présent traité a pour objet l'harmonisation du droit des affaires dans les Etats-parties par l'élaboration et l'adoption des règles communes simples, modernes...". La nature des règles que le traité compte couvrir est enfin connue. Il ne s'agit pas des règles communautaires, mais des règles communes. Communautaire peut-il s'assimiler à commune ? La réponse est négative. Une règle communautaire suppose un droit communautaire, ce que le droit OHADA n'est pas. Une règle commune suppose un droit commun, ce que le droit OHADA est.

S'agissant du droit dérivé OHADA, il est composé des normes suivantes : les règlements, les décisions et les Actes uniformes. La procédure d'élaboration des règlements et décisions se distingue des actes uniformes. Les règlements pour l'application et les décisions seront pris, chaque fois que de besoin, par le Conseil des Ministres, à la majorité absolue (118). Il ressort que les règlements et les décisions sont des normes complémentaires du traité OHADA. Dans la substance, traité, règlements et décisions constituent des règles communes. Et dans la procédure, l'intervention du Conseil des ministres matérialisent encore la volonté commune des Etats. Le ministre de la justice et le ministre des finances de chaque Etat membre de l'OHADA traduisent cette volonté commune. Ils expriment la volonté des Etats membres au moyen du vote. Le véto d'un Etat membre suffit à paralyser la dynamique commune. Bien plus, il n'existe pas au sein de l'OHADA un mécanisme de sanctions permettant d'imposer la conduite des Etats. Leur volonté est à la base et à la fin du processus d'intégration de l'OHADA. La logique volontariste et souverainiste a été systématisée dans une analyse (119).

Quant aux Actes uniformes, leur nature de règles communes est doublement avérée. En substance, le Traité en son article 5 affirme la nature commune des Actes uniformes. Il dispose : "Les actes pris pour l'adoption des règles communes prévues à l'article premier du présent traité sont qualifiés "actes uniformes " ". L'article précise donc que les actes uniformes sont un instrument permettant l'adoption des règles communes. La procédure d'élaboration des Actes uniformes par des institutions communes corrobore ce postulat. Les Actes uniformes sont préparés par le Secrétariat Permanent en concertation avec les gouvernements des Etats-parties. Ils sont délibérés et adoptés par le Conseil des ministres après avis de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (120). La procédure détaillée est précisée aux termes de l'article 7 du Traité (121). L'adoption des Actes uniformes par le Conseil des ministres requiert l'unanimité des représentants des Etats-parties votants. Il faut au moins la présence des deux tiers des Etats parties. Et l'abstention ne fait pas obstacle à l'adoption des Actes uniformes (122). Il ressort de cette procédure une action successive des institutions traduisant la volonté commune des Etats pour l'élaboration d'une règle commune. Si dans la logique du droit communautaire, il est fondé d'affirmer un abandon de souveraineté ; le droit commun de l'OHADA procède d'une expression de la souveraineté des Etats par le truchement de leurs représentants dans le cadre de l'OHADA (123).

Le droit OHADA n'est pas du droit communautaire, mais un droit commun. Ce dernier est intégré au système juridique national de chaque Etat membre. Comme toute source du droit appartenant au système juridique interne, le Traité OHADA est inférieur à la Constitution. Toute chose qui présente une plus-value sous l'angle de la conflictualité entre les normes. La doctrine précédente a toujours posé le débat en termes de conflit entre deux normes communautaires (124) ; lorsque la norme OHADA est en conflit avec une norme communautaire. C'est une logique dérivée de la perception de l'OHADA comme un droit communautaire (125). Une fois cet écueil levé, il convient de retrouver l'authenticité du conflit. Il opposerait une norme commune OHADA à une norme communautaire d'abord, une norme commune OHADA à une norme nationale ensuite, et une norme commune OHADA à une autre norme commune.

Pour l'hypothèse où la norme commune OHADA serait en conflit avec une norme national, la solution dégagée par l'analyse existe. Elle postule la primauté de la Constitution sur la norme commune OHADA d'une part, et la primauté de la norme commune OHADA sur toutes les autres normes nationales. Toutefois, ce principe est assorti d'une condition. Elle consiste au respect du principe de spécificité. La norme commune OHADA ne peut l'emporter que si le conflit porte sur l'interprétation et l'application des Actes uniformes OHADA. Hors de ce giron, le principe de concurrence prend le relais. Il signifie que la norme commune OHADA peut être contestée, dès lors qu'elle est mobilisée pour couvrir les domaines non visés par l'OHADA.

Quant au conflit entre norme communautaire et norme commune OHADA, il importe de s'appuyer sur la nature et la valeur juridique de ces deux normes pour dégager les solutions. Par nature, une norme commune relève du droit national et une norme communautaire relève du droit international. Il s'infère certaines conséquences sous l'angle de la valeur juridique. La norme communautaire est supérieure à la norme commune OHADA sur la base du principe de primauté du droit communautaire. En effet, la norme communautaire relève du monisme avec primauté du droit international. C'est dire que bien qu'émanant de deux traités, le traité communautaire procède d'une volonté "dur" des Etats de réaliser l'intégration (126). En revanche, le traité commun s'entend d'une volonté "souple" des Etats de réaliser l'intégration (127).

S'agissant du conflit entre deux normes communes, il ne relève pas d'une illusion. La norme commune OHADA peut entrer en conflit avec d'autres normes communes, à l'instar de la norme du CIPRES (128), de la norme de la CIMA (129), de la norme de l'OAPI (130). Une distinction de nature existe entre le droit commun OHADA et les autres droits communs CIPRES, CIMA et OAPI. Le droit commun OHADA est accompagné à la cassation d'une juridiction : la CCJA. A l'inverse, les autres droits communs relèvent des juridictions nationales classiques. Le droit commun OHADA procède d'une compilation des techniques d'intégration. Il s'y trouve conjugué l'harmonisation, l'unification et l'uniformisation (131). Par contre, les autres droits communs reposent sur la technique de l'uniformisation. En guise d'illustration, un constat se dégage à l'observation des deux droits communs en matière pénale. La norme OHADA recourt au principe du renvoi pour la détermination de la sanction pénale. Un auteur y voit la dissociation de l'incrimination avec la sanction (132). Pourtant les normes CIPRES, de l'OAPI et de la CIMA prévoient directement des sanctions applicables. Au-delà de la divergence de style dans la légistique, les deux normes communes sont équivalentes. Le risque de conflit est minoré par le principe de spécificité. En effet, chaque norme prévoit dans son préambule, un domaine permettant d'éviter un flou ou une confusion. En cas de conflit, la détermination du domaine ou de la compétence rationae materiae permettra de mettre fin à ce conflit.

En synthèse, OHADA et système juridique fonde un constat : l'exclusion du droit OHADA du système juridique international et l'intégration du droit OHADA dans le système juridique national des Etats-membres. Quid du système judiciaire ?


* Les notes de bas de pages sont à la fin de la deuxième partie.

newsid:462091

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.