La lettre juridique n°726 du 11 janvier 2018 : Affaires

[Le point sur...] Le climat des affaires au Sénégal : réflexions à partir du contexte juridique

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N1950BXI

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par Yaya Bodian, Agrégé des Facultés de droit, Directeur du Centre de Recherche, d'Etude et de Documentation Sur les Institutions et les Législations Africaines (CREDILA ) et Membre du comité scientifique de la revue Lexbase édition OHADA

le 11 Janvier 2018

L'essor d'une économie est-il favorisé par un système juridique qui, favorable ou non à leurs intérêts, permet aux investisseurs d'asseoir leurs prévisions ? Cette question est à la base des réflexions sur le climat des affaires. Le mot "climat" désigne les conditions atmosphériques en un lieu donné. Mais l'homme a une perception subjective du climat (bon temps ou mauvais temps), laquelle influe sur son moral et conditionne son comportement. Il se mettra à l'abri par mauvais temps, et s'attablera à une terrasse si le soleil est au rendez-vous. En définitive, le climat a un impact direct sur notre moral et sur nos faits et gestes, pour ne pas dire sur nos affaires !

Le "climat des affaires" fait ainsi référence à l'environnement du business dans un pays donné. Ici aussi, la perception du climat des affaires par l'investisseur influe sur son moral et conditionne ses décisions.

Selon la Banque mondiale, le climat des affaires est l'ensemble de facteurs locaux influençant les opportunités et les incitations qui permettent aux entreprises d'investir de façon rentable, de développer leurs activités et de créer des emplois.

La publication des rapports faisant état de la situation propre à chaque pays est souvent l'objet de vives réactions de la part des autorités publiques, lorsqu'elles estiment le classement du pays éloigné de la réalité des affaires, telles qu'elles la perçoivent.

Doing Business (DB) ou "Facilité de faire des affaires", étudie les réglementations applicables aux entreprises du secteur privé, notamment aux petites et moyennes entreprises, considérées comme des outils de croissance et de création d'emplois pour la plupart des économies dans le monde.

Les études ainsi faites par la banque mondiale s'appuient sur des indicateurs quantitatifs, notamment sur la réglementation ayant une incidence sur les étapes de la vie d'une entreprise. Il s'agit notamment des règles de création des entreprises, de transfert de propriété, d'obtention de prêt, de commerce transfrontalier ou d'exécution de contrats et de recouvrement des créances.

La mise en ligne des procédures, la simplification des documents, la diminution des coûts, la réduction des délais ainsi que la transparence et la responsabilité dans les transactions sont les cinq critères qui ont permis l'amélioration du classement d'un bon nombre d'économies dans le monde.

Les changements constatés servent-ils vraiment les économies les plus défavorisées ?

La question posée suscite des réactions diverses, au point que certains auteurs se prêtent encore à des exercices de contre-évaluations, dont le but est de produire des arguments contre les estimations des rapports DB (une réplique a ainsi été faite par l'Association Henri Capitant qui estime que les droits de tradition civiliste sont en question dans les rapports Doing business de 2004-2005).

Le droit influence le développement économique et affirmer que la transformation du droit étatique est le préalable nécessaire au développement économique.

Des observateurs contestent l'appréciation de l'impact d'un système juridique sur le développement économique au seul moyen de l'analyse économique du droit. La Fondation pour le droit continental dont une des missions est d'assurer la promotion et la défense du "civil law" conduit en ce moment une étude approfondie pour élaborer un index de la sécurité juridique qui pourrait être une réponse aux travaux Doing business de la Banque mondiale.

L'on a ainsi décrié un des postulats de la réflexion conduite dans le cadre des rapports Doing business, postulat selon lequel, la loi écrite nuit à l'évolution économique et les pays pauvres sont ceux qui légifèrent le plus. Ainsi, plus on réforme mieux l'économie se porte (mais en même temps, moins on légifère, mieux l'économie se porte).

En tout état de cause, les changements souhaités devraient permettre de créer les conditions favorables au développement des affaires en incitant certaines entreprises à regagner le secteur formel.

L'intérêt attaché par les pouvoirs publics aux rapports DB sur le climat des affaires au Sénégal est tel que des mesures importantes sont prises tant sur le plan institutionnel que normatif.

L'appréhension du climat des affaires à partir de facteurs locaux doit être cependant relativisée, dès lors que de plus en plus de normes, qui déterminent le comportement des acteurs juridiques et économiques, sont produites dans nos Etats, dans le cadre d'espaces communautaires.

Si l'on se place dans la perspective qui consiste à procéder à l'analyse de l'efficacité des normes juridiques à partir de leur rapport avec le contexte économique, l'on peut dès lors constater que l'influence de l'environnement communautaire des affaires est significative et doit être abordée avant d'apprécier le contexte local.

I - L'influence de l'environnement communautaire

Le climat des affaires au Sénégal subit une influence significative de l'environnement communautaire. Le Sénégal étant partie aux processus d'intégrations juridique et économique en cours dans la sous-région, la recherche d'une économie compétitive ne peut être envisagée isolément.

L'apport des normes communautaires OHADA dans la configuration de l'environnement des affaires est déterminant. Cet apport peut être illustré à travers les normes relatives aux garanties du crédit ou aux modalités d'exploitation des activités économiques.

A - L'apport des normes communautaires relatives aux garanties du crédit

Malgré l'importance des PME dans les économies de l'espace OHADA, leur accès au crédit est encore assez limité. Des études révèlent qu'environ 90 % des PME connaissent des difficultés de financement qui constituent l'obstacle majeur à leur croissance, loin devant les problèmes de corruption, d'insuffisance des infrastructures ou de fiscalité abusive.

L'accès au financement est ainsi considéré, notamment dans les Etats parties à l'OHADA, comme une barrière importante au développement économique et social. Cet accès étant largement déterminé par la capacité d'un débiteur à offrir librement une garantie fiable aux fournisseurs de crédits dans le but d'y accéder facilement et à des conditions favorables, l'apport du droit uniforme OHADA des sûretés paraît déterminant de la qualité du climat des affaires.

La refonte de l'Acte uniforme portant organisation des suretés (N° Lexbase : L9023LGB) a ainsi permis d'apporter des réponses aux besoins de financement des activités économiques, suscitant une plus grande confiance des investisseurs.

Le classement des pays des zones CEMAC et UEMOA, relatif à l'indicateur "accès au crédit", a ainsi été amélioré dans le rapport DB 2012 qui a tenu compte, semble-t-il, de la réforme du droit uniforme des sûretés.

B - L'apport du droit uniforme des sociétés

Les structures juridiques des entreprises ont une incidence sur un des critères de classement dans le cadre du DB et qui est relatif à la "création d'entreprises".

Selon les données du fichier national du RCCM, la réforme du droit uniforme des sociétés commerciales a permis d'enregistrer un nombre inhabituel de dossiers de création de SARL et une tendance à l'adoption de la SAS qui devrait connaître un sort meilleur que certaines figures sociales qui sont encore maintenues.

Il faut rappeler que l'une des innovations de l'AUSCGIE révisé a été, outre l'adoption de la SAS (société par actions simplifiée), d'assouplir les conditions de création des SARL, en laissant aux Etats parties la possibilité de fixer un montant minimum de capital social inférieur à un million. L'article 10 de l'Acte uniforme du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique énonce, sur la forme des statuts, que "sauf dispositions nationales contraires, les statuts sont établis par acte notarié ou par tout acte offrant des garanties d'authenticité dans l'Etat du siège de la société déposé avec reconnaissance d'écritures et de signatures par toutes les parties au rang des minutes d'un notaire. Ils ne peuvent être modifiés qu'en la même forme".

L'article 311 du même texte, relatif au capital social de la société à responsabilité limitée (SARL), énonce que "sauf dispositions nationales contraires, le capital social doit être d'un million (1 000 000) de francs CFA au moins. Il est divisé en parts sociales égales dont la valeur nominale ne peut être inférieure à cinq mille (5 000) francs CFA".

Par ailleurs, l'article 314, alinéa 1er, de l'AUSCGIE prévoit que "sauf dispositions nationales contraires, la libération et le dépôt des fonds sont constatés par un notaire du ressort du siège social, au moyen d'une déclaration notariée de souscription et de versement qui indique la liste des souscripteurs avec les noms, prénoms, domicile pour les personnes physiques, dénomination sociale, forme juridique et siège social pour les personnes morales, ainsi que la domiciliation bancaire des intéressés, s'il y a lieu, et le montant des sommes versées par chacun".

La flexibilité ainsi introduite dans le droit uniforme des sociétés, a suscité une forme de concurrence des Etats Parties qui ont rivalisé dans l'assouplissement des règles de constitution des SARL en adoptant des textes internes, avant même l'entrée en vigueur de l'Acte uniforme.

Le Sénégal a adopté la loi n° 17-2014 du 15 avril 2014, portant fixation du capital social minimum à 100 000 F CFA (solution adoptée par le Burkina (1) et le Togo (2), alors que la Côte d'Ivoire (3) et le Bénin (4) ont opté pour la liberté laissée aux associés de fixer le montant du capital social).

Certes, les statistiques montrent, de manière globale, une large préférence des opérateurs économiques en faveur de la SARL (ex : environ 3 000 SARL créées sur 850 SA et 32 000 entreprises individuelles entre 2005 et 2012).

Le nombre de demandes d'immatriculation reçues depuis l'entrée en vigueur de la réforme du droit des sociétés commerciales témoigne à suffisance l'impact de la réforme sur les décisions de création d'entreprises.

Il apparaît en effet que, entre le 5 mai et le 12 décembre 2014, 938 SARL et 23 SAS ont été créées.

Il serait néanmoins utile de mener des recherches plus approfondies afin de déterminer, notamment à partir des statistiques annuelles, les relations qu'il convient d'établir entre les réformes adoptées et leurs impacts sur le climat des affaires.

On peut ainsi se demander pourquoi en 2008, la création de groupements d'affaires est la plus dynamique, avec environ 21 000 structures juridiques d'entreprises créées contre seulement 4 000 l'année suivante.

Il y a lieu cependant, de relever certains aspects qui peuvent apparaître comme des contraintes à l'amélioration du climat des affaires. En effet, la révision de l'AUSCGIE (N° Lexbase : L0647LG3) a été marquée notamment par un renforcement de l'arsenal répressif.

L'article 890-1 de l'Acte uniforme modifié dispose par exemple qu'"encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui n'ont pas déposé, dans le mois qui suit leur approbation, les états financiers de synthèse".

Certes, l'apport du droit pénal dans la sanction de certains comportements dans le cadre du droit des sociétés est utile. Mais la multiplication des infractions d'omission peut impacter négativement sur le climat des affaires.

L'amélioration de l'environnement des affaires suscitée par l'entrée en vigueur des règles uniformes adoptées par l'OHADA est certes évidente, mais elle reste néanmoins à demi-teinte, comme l'ont relevé des auteurs (5).

- Pertinence de certains choix relativement aux structures juridiques de l'entreprise : depuis l'avènement de l'Acte uniforme sur les sociétés commerciales, aucune SNC ou SCS n'ont été constituées et, dans le même temps, de nombreuses activités économiques sont exercées sous forme de GIE. Environ 6 000 GIE ont ainsi été constitués entre 2005 et 2012, dont plus de 2 500 pour la seule année 2008 ;

- Tendance à envisager les règles uniformes en vase clos : cas des dispositions posant des problèmes de compatibilité avec les normes adoptées par d'autres organisations communautaires : loi bancaire, loi sur les SFD, cas de la compensation entre les créances des personnes publiques avec les dettes de celles-ci à l'égard des particuliers.

Des difficultés, qui pourraient être mieux identifiées notamment dans le cadre de recherches doctorales, se sont élevées en ce qui concerne l'application du droit uniforme OHADA, au point de mettre à mal la sécurité juridique et judiciaire. Il en est ainsi de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution dont l'application a suscité le contentieux le plus important du point de vue quantitatif (plus des 2/3 ou des 3/4 de l'ensemble des pourvois en cassation portés devant la CCJA portent seulement sur l'application de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution).

Cette situation a fait naître un sentiment d'inquiétude chez des observateurs avertis, qui y voient la manifestation de "la volonté [...] de ne pas exécuter les engagements souscrits par tout moyen, y compris l'usage abusif des voies de droit, dont les voies de recours, et sans que cela soit sanctionné". Si cette inquiétude se révélait fondée, l'objectif de mise en place d'un climat des affaires attractif pour les investisseurs risque ne pas être atteint.

Il est vrai que dans bien des cas, le contentieux n'est pas lié aux règles. Mais la portée abrogatoire originale qui résulte de l'article 336 de l'Acte uniforme est de nature engendrer une forme d'insécurité juridique (cas des bénéficiaires de l'immunité d'exécution dont les incidences sur la confiance des investisseurs est importante).

La révision de cet Acte uniforme ne semble pas encore en projet au moment où d'autres Actes uniformes, dont la révision ne s'imposait certainement pas, ont déjà connu ce processus. C'est ce qui conduit à émettre des réserves quant à la nécessité des révisions opérées. Pourtant, il est de principe de ne réviser qu'en cas de nécessité. Dans un ouvrage intitulé Essai sur les lois, Jean Carbonnier a écrit : "N'accepte de faire de loi que si tu y crois, non pas à la loi, mais à la nécessité d'en faire une".

Si dans le cas de l'OHADA, ce principe de nécessité n'est pas respecté, l'on se trouverait, comme le souligne le Professeur Issa Sayegh, en perpétuel recommencement, donc dans l'impossibilité de faire des avancées dans l'approfondissement de la sécurité juridique et judiciaire (6).

Il est vrai que le droit des affaires évolue plus vite que le droit civil mais les révisions qui prennent l'allure de révolution ne favorisent pas, au moins à terme, le bon climat des affaires.

L'absence de règles uniformes relatives à l'exécution des décisions de justice, à l'image de celles prévues par l'Acte uniforme sur le droit de l'arbitrage, est également un facteur qui fragilise la sécurité juridique mise en place dans le cadre de l'OHADA, d'autant que tous les Etats parties ne disposent pas, dans leur droit interne, de règles garantissant l'effectivité des titres exécutoires.

II - La nécessité de mesures internes

Il apparaît, à la lecture d'une note technique thématique élaborée par le Gouvernement sur les réformes de l'environnement des affaires et la compétitivité que le Gouvernement ambitionne d'inscrire le Sénégal sur la voie de l'émergence avec le secteur privé comme locomotive du développement inclusif. Des réformes sont ainsi envisagées aux plans institutionnel et réglementaire.

A - Les mesures d'ordre institutionnel

Il convient de noter que l'amélioration de l'environnement des affaires et de la compétitivité est reconnue comme une priorité de premier ordre par la mise en oeuvre du plan Sénégal émergent pour une durée de 4 ans (2014-2018). Le programme de réformes de l'environnement des affaires (PREAC), adopté en 2012, ambitionne ainsi de doter le Sénégal d'un environnement des affaires de classe internationale permettant d'intégrer le cercle des pays les plus compétitifs en Afrique.

C'est dans ce cadre que des mesures sont envisagées, visant notamment à abaisser de manière conséquente l'impôt sur les sociétés de 33 à 25  % et la réduction des coûts de création d'entreprises qui devraient être fixés à 70 000 F CFA.

Un Conseil présidentiel de l'investissement tient régulièrement des sessions qui évaluent les avancées réalisées et les obstacles à l'amélioration du climat des affaires.

B - Les mesures sur le plan règlementaire

Plusieurs mesures sont envisagées ; il ne s'agit donc pas d'en faire un état exhaustif.

La question foncière. La réforme du régime domanial est envisagée comme un des axes de l'amélioration du climat des affaires. En raison des enjeux que recèle le foncier, la question à résoudre préalablement, est de savoir quelle réforme pour notre système foncier ?

Faut-il remettre en cause le système foncier actuel dont l'originalité constitue, selon certains experts, un des gages de stabilité, en privilégiant l'occupation foncière à titre privatif ?

L'acuité de la question foncière est telle que des tentatives ont échoué au stade de la réflexion. Une commission de réflexion, présidée par le Professeur Moustapha Sourang, vient d'être créée.

Les mutations incessantes du droit des marchés publics. Cette matière est l'une de celles qui ont connu le plus de réformes, avec trois Codes entre 2007 et 2014.

Problématique de la place de la législation sociale dans la promotion de l'environnement des affaires : il est aujourd'hui admis que la réforme du droit du travail en vue de doter l'entreprise la souplesse nécessaire à sa compétitivité est une donnée incontournable.

L'époque de Lacordaire semble révolue ; lui qui semblait livrer au monde une vérité éternelle qu'entre le fort et le faible c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère.

Tout au moins dans le droit des relations de travail, il est de plus en plus incontestable que la liberté, celle de l'entreprise surtout, est le gage de la protection du salariat.

Le législateur de 1997 affirmait ainsi que la réforme du Code du travail a pour objet de l'adapter aux réalités économiques et sociales de notre pays pour en faire un vecteur dynamique de la croissance et assurer à notre pays un développement humain durable dans la justice sociale..., de poser les jalons de l'épanouissement de l'entreprise sans déprotéger les salariés.

Notre intime conviction est cependant que, dans un contexte de compétition effrénée, les réformes du climat des affaires ne doivent pas négliger l'impact du temps de travail dans la décision des investisseurs.

L'on est tenté, à ce propos, d'affirmer que la durée légale de travail est sérieusement mise à mal par les retards, les absences fréquentes et les nombreuses fêtes qui ne contribuent pas à inciter l'investisseurs de choisir notre destination.

Il y a également à ce sujet, matière à faire une thèse !

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