Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 20 septembre 2017, n° 394564, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7373WSU)
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par Emmanuel Tauzin, Avocat à la Cour et chargé d'enseignement à l'IAE de Dijon
le 19 Octobre 2017
La présente décision, dont nous rappellerons opportunément les faits (I), pose de manière implicite une distinction entre le recours gracieux simple et le recours "purement gracieux". Si ce dernier est insusceptible de poursuites, le premier semble pouvoir être déféré devant le juge de l'impôt sur le fondement du recours pour excès de pouvoir (II).
I - Rappel des faits et de la procédure
Les faits de l'espèce sont précisément relatés dans la décision commentée. La société requérante, à la suite d'une vérification de comptabilité, avait fait l'objet d'une procédure d'imposition en matière de TVA. Les faits relevés avaient conduit le service vérificateur à appliquer les pénalités pour manoeuvres frauduleuses au taux de 80 % ainsi que l'amende fiscale prévue par l'ancien article 1740 ter du CGI (N° Lexbase : L4244HM7).
De manière concomitante, le service avait porté plainte en estimant que le délit de fraude fiscale était caractérisé. Les faits litigieux avaient donc été portés à l'appréciation du juge de l'impôt et du juge répressif.
Or, à l'issue de ces procédures, alors que les rappels de TVA et les sanctions fiscales ont été maintenus, la société a fait l'objet d'une relaxe concernant les poursuites pénales.
Cette situation, parfaitement fondée d'un point de vue procédural, a pu sembler illégitime à la requérante. Il est en effet difficile d'admettre que le juge de l'impôt énonce que des "manoeuvres frauduleuses" sont établies et valide l'application de la pénalité de 80 % alors que, dans le même temps et pour des faits identiques, le juge répressif relaxe le contribuable du délit de fraude fiscale.
Insatisfaite de cette issue contentieuse, la requérante a décidé de faire un recours gracieux sur le fondement de l'article L. 247 du LPF. Ce dernier accorde en effet à l'administration un pouvoir de remise totale ou partielle sur les pénalités fiscales lorsque les impositions qui les fondent sont devenues définitives.
Cette demande de remise gracieuse ayant été refusée par l'administration, la requérante a introduit une demande d'annulation de la décision de rejet par la voie du recours pour excès de pouvoir (3) devant le tribunal administratif de Lille (TA Lille, 9 avril 2015, n° 1203448).
S'est alors posée devant le Conseil d'Etat la question de savoir si un recours pour excès de pouvoir contre une telle décision était recevable. La question n'est pas nouvelle et les juges du fond ont plaidé majoritairement en ce sens (4).
Pourtant, le Conseil d'Etat, dans une affaire récente, avait semblé vouloir mettre fin à cette tendance jurisprudentielle en énonçant clairement que le refus de l'administration d'accorder un dégrèvement d'office était insusceptible de recours.
La présente décision vient ainsi affiner la jurisprudence en la matière en précisant, en tant que besoin, que si les demandes revêtant un caractère purement gracieux ne paraissent pas susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir, il n'en est pas de même pour les demandes de remise de pénalités prévues à l'article L. 247 du LPF.
II - Les dispositions de l'article L. 247 du LFP ne revêtent pas un caractère purement gracieux
Afin de comprendre la portée de la présente décision, il est nécessaire de rappeler les circonstances qui ont amené, il y a à peine quelques mois, le Conseil d'Etat a écarté l'option d'un recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une demande de remise gracieuse.
En l'espèce, étaient en cause les dispositions de l'article R. 211-1 du LPF (N° Lexbase : L5870HIA). Ces dernières autorisent l'administration à prononcer d'office le dégrèvement d'impositions lorsqu'elles n'apparaissent pas objectivement dues mais que le délai de réclamation a pris fin.
Elles permettent à l'administration de prononcer, de manière bienveillante, un dégrèvement alors que les réclamations ne peuvent plus être présentées régulièrement. Tel est le cas par exemple quand une décision d'inconstitutionnalité intervient et invalide des impositions mais que le délai de réclamation a expiré.
Aucune condition légale n'encadre l'office de l'administration lorsqu'elle est saisie dans cette hypothèse. Seule une contestation du bien-fondé de l'imposition doit être relevée (5).
Comme le relève Madame Bretonneau, rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire, le pouvoir que tient l'administration tend de ce point de vue vers le "purement gracieux". En effet, aucun élément d'appréciation n'est imposé à l'administration qui, de manière triviale, prend sa décision comme elle l'entend.
Il en est tout autrement dans l'hypothèse d'une demande de dégrèvement fondée sur l'article L. 247 du LPF comme tel était le cas en l'espèce.
En effet, cet article impose à l'administration, soumise d'une demande de remise partielle ou totale, de prendre en compte la situation personnelle et financière du contribuable.
Ainsi, ces dernières dispositions créent en quelque sorte un droit au profit du contribuable dont il peut se prévaloir pour revendiquer un dégrèvement d'impôt dès lors qu'il est dans une situation de gêne ou d'indigence. L'administration est ainsi obligée de vérifier si le contribuable est véritablement dans l'impossibilité de payer. En revanche, si tel est le cas, l'administration n'est pas tenue de droit de prononcer le dégrèvement d'office (6).
Cependant, et telle est la portée de cette décision, le juge de l'impôt, s'il rejette une demande de remise, doit néanmoins apprécier au préalable la situation du contribuable. En effet, dans cette hypothèse particulière, les prérogatives de l'administration ne relèvent pas du "purement gracieux" dès lors que la loi soumet l'appréciation de l'administration à des conditions légales.
Si cet examen des conditions posées par la loi n'est pas effectué, le contribuable est en droit d'estimer que la décision de rejet est entachée d'irrégularité. Elle est alors susceptible d'être portée devant le juge administratif par la voie de recours pour excès de pouvoir.
Au cas particulier, le Conseil d'Etat a souhaité donner un cadre précis aux deux situations visées par l'article L. 247 du LPF. En effet, si la première, qui concerne l'hypothèse des contribuables en situation financière difficile, ne pose pas de difficulté (7), la seconde semblait plus difficilement saisissable.
Nous rappellerons en effet que l'alinéa 2 de cet article prévoit que des remises de pénalités peuvent être accordées par l'administration quand les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont devenues définitives. Dans cette hypothèse, le Conseil d'Etat a énoncé clairement qu'il était nécessaire, pour apprécier parfaitement la situation du contribuable, de "prendre en compte tous les éléments pertinents [...] y compris l'intervention d'un jugement pénal relatif à ce dernier".
Soucieux de répondre en équité à la solution quelque peu incohérente dans laquelle était placée la réclamante à la suite des décisions apparemment contradictoires entre le juge de l'impôt et le juge répressif, le Conseil d'Etat a énoncé que l'administration devait apprécier un éventuel jugement pénal afin de se prononcer sur une demande de remise de pénalité.
Pour autant, au cas particulier, le Conseil d'Etat n'a pas donné raison au contribuable. Ce dernier avait en effet omis de rappeler, au soutien du recours pour excès de pouvoir, qu'une décision du tribunal correctionnel était intervenue. Un tel moyen n'a pas de toute évidence à être soulevée d'office n'étant pas d'ordre public.
(1) CE 10° et 9° ch.-r., 19 juin 2017, n° 403096, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4233WIM), BF, 10/17, inf. 956.
(2) Jurisprudence constante depuis : CE 7° s-s., 20 décembre 1963, n° 56953.
(3) Nous rappellerons que le recours pour excès de pouvoir peut être défini comme l'action par laquelle il est demandé au juge administratif l'annulation d'une décision administrative illégale. Il s'oppose au recours dit de "plein contentieux" qui a pour objet de soumettre au juge administratif la solution d'un litige dans toutes ses conséquences.
(4) CAA Paris, 2 novembre 1994, n° 93PA00001 (N° Lexbase : A0248AZ9), RJF, 5/95, n° 652 ; CAA Paris, 2 décembre 1999, n° 97PA01050 (N° Lexbase : A0290AZR), RJF, 3/00, n° 407 ; CAA Douai, 25 mars 2008, n° 07DA01192 (N° Lexbase : A1820D9B), RJF, 7/08, n° 875.
(5) A la suite par exemple d'une décision d'inconstitutionnalité intervenue postérieurement au délai de recours.
(6) Dans les affaires précitées, les juges du fond on toujours pris soin de rappeler que le juge de l'impôt saisi d'un tel recours n'est pas tenu d'apprécier l'usage fait par l'administration de ses pouvoirs de dégrèvement d'office.
(7) Il n'apparaît pas difficile, de manière objective, d'apprécier si un contribuable est en capacité ou non de payer des rappels d'impôts.
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