Réf. : Cass. civ. 1, 1er mars 2017, n° 15-28.012, F-P+B (N° Lexbase : A0014TSC)
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par Jean-Jacques Bourdillat, Docteur en droit, Juriste consultant au Cridon-Lyon, Chargé de cours à l'Université Lumière-Lyon 2
le 06 Avril 2017
Par trois arrêts rendus le même jour, le 18 février 2016 (Cass. civ. 2, 18 février 2016, trois arrêts, n° 15-13.945 N° Lexbase : A4582PZQ, n° 15-13.991 N° Lexbase : A4561PZX et n° 15-15.778 N° Lexbase : A4586PZU, FS-P+B), c'était la deuxième chambre civile qui assénait déjà par trois fois la même sentence. La même sentence avec ce même motif qu'elle voulait ériger en règle jurisprudentielle. Ce que jugeait là la deuxième chambre, la première le reprend aujourd'hui à son compte, de sorte que, le principe nous paraît fermement posé (I). En statuant de la sorte, la Cour régulatrice donne, selon nous, une ligne directrice on ne peut plus claire que tous les acteurs de la procédure devront suivre (II).
Au préalable, rappelons et exposons les données chronologiques de fait et de droit qu'avait à connaître cette fois la Haute juridiction, car si le motif du rejet est resté le même un an après, la matière processuelle à traiter n'était pas tout à fait la même.
Le 23 octobre 2006, un prêt immobilier est reçu par un acte notarié, consenti par un établissement bancaire et financier au profit d'un particulier qui désire acquérir un appartement en l'état futur d'achèvement. L'acte authentique sera revêtu de la formule exécutoire et vaudra donc titre exécutoire notarié. Le premier incident de paiement non régularisé du prêt date du 5 novembre 2010, en foi de quoi, on ne peut mieux avisé et conseillé, l'établissement prêteur assigne sa débitrice défaillante en paiement dès le 2 mars 2011 devant le tribunal de grande instance de Gap. Il s'évince des pièces accessibles, que le recours à cette voie d'action a lieu "en l'état notamment de l'incertitude de la validité de l'acte notarié". Nonobstant cette instance pendante devant cette juridiction, et en exécution du titre exécutoire notarié précité, la banque fait procéder le 21 juin 2013 à une saisie-attribution. La débitrice saisie engage alors une contestation devant le juge de l'exécution de Gap. A titre principal, et parmi d'autres griefs, elle soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de son prêteur. Cette prétention ne prospère pas et est rejetée par un jugement du 6 novembre 2014. Par un arrêt du 17 novembre 2015 (CA Grenoble, 17 novembre 2015, n° 14/05358 N° Lexbase : A2575NXN), la cour d'appel de Grenoble, statuant comme juge de l'exécution du second degré, rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action après avoir opéré une simple substitution de motifs que nous écartons ici. Pour la formation grenobloise, l'acte introductif d'instance diligenté par l'établissement prêteur afin d'obtenir un second titre exécutoire a été interruptif de la prescription biennale de l'ancien article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3). La débitrice éconduite poursuit sa ligne de défense devant les Juges suprêmes. Aux termes de l'arrêt rapporté, ces derniers la rejettent pour le motif que nous connaissons. A notre tour, répétons-le : l'acte notarié, bien que constituant un titre exécutoire, ne revêt pas les attributs d'un jugement et aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance.
I - Pour ceux qui, peut-être, jusqu'au début de ce mois pouvaient encore ne pas être convaincus de la jurisprudence qu'avait fixé la deuxième chambre civile dans sa série d'arrêts du 18 février 2016, la messe est aujourd'hui dite. C'est désormais un principe on ne peut mieux posé, et même fermement posé, qui veut que rien, en droit, interdise au créancier titulaire d'un titre exécutoire notarié d'en requérir un second, par la voie judiciaire, pour la même créance.
A titre liminaire, notons que les processualistes auront vite relevé le double caractère, pertinent et judicieux, de l'orientation qui fut fait du pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble statuant comme juge de l'exécution. L'ultime recours est dirigé vers la première chambre civile, alors que, chacun le sait, l'affaire pouvait être attribuée à la connaissance de la deuxième chambre.
Postulant -sans en avoir bien sûr la certitude- que ce choix de la première chambre fut stratégique, c'est-à-dire volontaire et délibéré, la décision, rendue le 1er mars 2017, ne peut en avoir que plus de poids sur la solution rappelée. Au-delà du fait que nous étions déjà pleinement assuré du bien-fondé -de droit- de la position adoptée l'an dernier par la deuxième chambre civile, l'orientation permet de savoir que, désormais, les deux formations de la Haute juridiction sont sur la même fréquence.
De la même façon, en statuant avec la motivation que nous savons, la première chambre clarifie la décision qu'elle avait prise au travers d'un arrêt de rejet qu'elle avait rendu le 16 octobre 2013 (Cass. civ. 1, 16 octobre 2013, n° 12-21.917, F-P+B N° Lexbase : A0985KNS) et dont certains avaient pu croire que la détention d'un titre exécutoire notarié par le créancier interdisait à ce dernier de venir devant le juge afin d'obtenir un titre de condamnation. Pour autant, saisir le juge pour faire spécialement liquider une créance assise par un titre exécutoire notarié, comme c'était alors le cas, est une chose, et saisir le même juge pour obtenir un titre de condamnation en est une autre. A ceux qui, peut-être, verront dans l'arrêt de ce 1er mars un revirement de la première chambre civile, nous ne jetterons pas la pierre, et nous objecterons seulement que si les deux espèces soumises à la même formation se ressemblaient, à y regarder de plus près, les questions de fond à régler étaient fort dissemblables. A supposer qu'hier il ait pu y avoir doute ou ambiguïté sur la portée de la décision naguère prononcée, aujourd'hui, le voile est complètement levé. Et il importe peu de savoir si, en premier, ce sont les arrêts rendus par la deuxième chambre civile le 18 février 2016 qui ont commencé de le soulever.
En raison, et est-il nécessaire de le rappeler comme le font les deux chambres civiles de notre Cour suprême, de ce qu'un titre exécutoire notarié "ne revêt pas les attributs d'un jugement", rien n'interdit maintenant au créancier porteur du premier de ces titres d'attraire son débiteur devant le juge judiciaire pour obtenir un autre titre de ce dernier pour, le cas échéant ensuite, poursuivre si ce n'est un recouvrement forcé, du moins, pour commencer, un recouvrement amiable. L'ordre public -ou un certain ordre public- n'en sera-t-il pas renforcé ? Nous en sommes persuadés. De la même façon, ne nous trouvons-nous pas avec une parfaite illustration du procès équitable ? La même réponse positive s'impose : au débiteur qui peut à tout instant -ou presque- contester la régularité et donc la portée de l'acte notarié devant son juge naturel, son créancier peut aussi à tout instant -ou presque- prendre le même chemin afin de requérir un titre qui bénéficie de l'autorité puis de la force de chose jugée. Une chose jugée que ne possède jamais une chose contractée.
II. - Nous en sommes d'autant plus persuadés que si quelques-uns (chagrins ou non) ont pu lire dans les arrêts du 18 février 2016 l'expression selon laquelle cette jurisprudence, soit au mieux, venait porter secours à certains titres exécutoires notariés, soit au pire, ramenait (rabaissait ?) ceux-là en second rang, il échet de mettre l'accent sur le fait que, dans la décision rapportée, et dès le début du litige, il était su et rappelé, jusque dans cet arrêt de rejet, que l'instance interruptive de prescription engagée le 2 mars 2011 devant le juge judiciaire, l'était "en l'état notamment de l'incertitude de la validité de l'acte notarié qui constituait un titre exécutoire notarié". Dit autrement, et quand bien même l'une des causes de saisine du juge par le créancier serait le risque d'invalidité du titre conventionnel revêtu de la formule exécutoire, la voie judiciaire reste et demeure ouverte. La Haute juridiction, notons-le, ne trouve rien de particulier à redire à ce moyen qui, pour certains, aurait pu avoir un effet dirimant. Mais, d'ailleurs, en quoi cela aurait-il pu être dirimant ? Difficile de répondre à une telle question avec des arguments non seulement de droit, mais encore convaincants.
En apportant sa pierre à l'édifice avancé en premier par la deuxième chambre civile le 18 février 2016, la première chambre contribue à son tour à participer à la fonction régulatrice qui échoit à la Cour suprême. A chacun maintenant d'en tirer les justes conséquences.
Nous n'aborderons pas la question de l'application de ce qui doit être acquis par les juridictions du fond. Face à des cas identiques à ceux qui furent soumis à chacune des deux Hautes formations, à quoi bon résister sur le respect d'une règle de droit consacrée par la jurisprudence et qui a le mérite de la clarté ? Les juridictions de première instance s'exposeraient à être infirmées par les juges d'appel ; et si ces derniers entendaient prendre une voie jurisprudentielle divergente, ils s'exposeraient à une censure certaine. En statuant comme elle l'a fait un peu plus d'une année après son homologue, la première chambre civile a sinon confirmé et explicité sa jurisprudence du 16 octobre 2013, du moins évité une contradiction de point de vue entre ces deux juridictions et écarté la nécessité de réunir une chambre mixte.
Du point de vue des parties, c'est-à-dire de façon plus précise du point de vue de ses défenseurs, chacune d'entre elles sait on ne peut mieux aujourd'hui ce qu'elle doit faire afin de garantir au mieux leurs défenses et leurs intérêts.
Du côté du créancier déjà titulaire d'un titre exécutoire notarié, libre à celui-là de solliciter un titre judiciaire lorsque la nécessité apparaîtra. A ceux qui, à tort, crurent voire poindre une espèce de déclin du titre exécutoire notarié, et penser que tout titre exécutoire notarié devrait conduire à un passage obligatoire par la case Palais, il n'y a pas de souci à avoir. Les dossiers, dans lesquels la nécessité d'un second titre fait jour, sont des épiphénomènes aisément identifiables par les praticiens avisés. Ainsi que nous le voyons ici au travers de l'arrêt rapporté, ces hypothèses sont parfaitement connues et n'ayons pas de scrupule à les qualifier, aujourd'hui, d'isolées.
Du côté du débiteur, ses droits à un procès équitable non seulement demeurent, mais aussi, nous l'avons dit, sont étroitement renforcés par le biais de la saisine du juge judiciaire. Partant de là, à lui de ne pas avancer, ni soutenir de vains moyens qui, aujourd'hui sont voués à un échec certain. Si déjà toute défense est par définition et par nature responsable, une défense concentrée sur des moyens judicieux -et pourquoi pas novateurs- pourra porter sa pleine efficacité et ne fera pas naître de faux espoirs.
Enfin, et ce serait une faute de l'oublier, n'omettons pas l'exercice de parfaite pédagogie auquel l'huissier de justice requis pourra être exposé au profit du débiteur à condition qu'il en soit parfaitement averti au préalable. L'arrêt rapporté en est un bon exemple. Au côté de l'assignation en justice pour obtenir un second titre exécutoire, retenons, comme ici, l'hypothèse de l'exécution. Voici un débiteur qui a été partie contractante à un acte notarié, revêtu de la formule exécutoire. Ensuite de cet acte, et parfois plusieurs années après, son créancier l'assigne devant une formation pour obtenir sa condamnation pour la même créance. Alors que l'affaire demeure toujours pendante devant la formation de jugement, le titre exécutoire notarié ressort et est mis à exécution... Dur, dur, parfois que le droit et ses arcanes qui veut donc qu'on soit exécuté -au sens de nos voies d'exécution- avant même d'être condamné. Face au questionnement légitime du débiteur, l'huissier instrumentaire pourra toujours se réfugier derrière cette formule d'actualité : "Et alors ? " Ici comme là, ce sera fort court comme réponse et pas forcément convaincant. Mais au moins ici, l'explication de droit existe. Elle existe et tient.
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