La lettre juridique n°412 du 14 octobre 2010 : Consommation

[Jurisprudence] Offres liées, droit de la concurrence et de la consommation eux aussi intimement liés

Réf. : Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-15.304, FS-P+B (N° Lexbase : A6783E4Y)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

le 22 Octobre 2014

Il est très tentant pour un professionnel de proposer au consommateur une offre liée : la pratique est bien évidemment attractive. Dans les faits elle offre également de meilleures garanties pour conserver sa clientèle. Plus que l'offre, c'est souvent le consommateur qui se trouve lié par cette pratique. L'offre liée est celle qui consiste à "subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit" (C. consom., art. L. 122-1 N° Lexbase : L4856IEL). Elle peut, en certaines hypothèses, porter atteinte aux intérêts des consommateurs, qui éprouvent parfois certaines difficultés à apprécier parfaitement la nature de cette offre qui rend plus confuse la comparaison des produits sur le marché. Aux intérêts des concurrents, également, lorsque l'objet lié représente un avantage concurrentiel indéniable dont ils ne disposent pas. On se souvient que l'exclusivité d'Orange sur l'iphone avait incité ses concurrents à saisir la justice (1). Orange bénéficie décidément de nombreux avantages car c'est l'offre de télévision sur ADSL qui fait l'objet de l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 juillet 2010, ici commenté.
France Telecom avait obtenu l'exclusivité des droits de retransmission de la plupart des matchs de Ligue 1 de football pour les saisons 2008 à 2012. Elle en avait limité la diffusion sur la seule chaîne Orange Sport, par internet ou par satellite. Jusque-là rien de critiquable, si ce n'est qu'elle réservait l'accès à ces chaînes à la souscription préalable de l'une de ses offres haut-débit. Les concurrents y voyaient un avantage concurrentiel qui ne pouvait être laissé à cette seule société et l'avaient donc assigné devant la juridiction commerciale sur le fondement de l'article L. 122-1 du Code de la consommation. La décision de la Cour de cassation sur cette offre "Triple Play" était des plus attendues et il faut remarquer que, sur bien des points, la Cour a voulu répondre aux enjeux : l'arrêt, fait suffisamment rare pour être remarqué, fait plus de dix pages. Il est particulièrement circonstancié, ce que justifient pleinement l'ampleur de l'enjeu et la difficulté de mise en oeuvre de la réglementation applicable. La Cour se veut donc pédagogue. Bien évidemment elle semble reprendre, tout comme la cour d'appel (2), complètement l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne en ce qui concerne les pratiques commerciales déloyales (I). Puis, elle appuie, dans un second temps, sa solution par le rappel du droit commun en matière de pratiques commerciales déloyales (II).

Elle semble, donc, dans cette affaire écarter la prohibition per se que connaît le droit français des ventes subordonnées, et insiste sur le fait qu'en toute hypothèse la pratique en cause dans ce cas n'était pas non plus répréhensible au titre des dispositions générales applicables aux pratiques commerciales déloyales. Elle propose alors une interprétation du texte, très proche de celle du droit de la concurrence, insérant pleinement le droit de la consommation (plus précisément le droit des méthodes de vente) dans une discipline bien plus large et dont l'homogénéité commence à apparaître : le droit du marché (3).

I - Le respect des dispositions de la Directive et de son interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne

Chacun garde en mémoire l'arrêt rendu par la CJCE le 23 avril 2009 à la suite d'une question préjudicielle posée par une juridiction belge quant à la conformité d'une loi nationale au droit communautaire. En l'occurrence, la question était de savoir si la prohibition per se, que connaît également la France, des offres subordonnées, était ou non conforme aux dispositions de la Directive 2005/29 CE du 11 mai 2005, sur les pratiques commerciales déloyales (N° Lexbase : L5072G9Q). La Cour y avait répondu de manière négative : cette Directive "s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques au cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur" (4). En substance, la Directive prévoit une harmonisation complète pour l'ensemble du marché intérieur et la Cour d'en conclure que les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la Directive, même aux fins d'assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs.

Plusieurs arrêts avaient suivi cette décision. Certains avaient validé la pratique de vente subordonnée qui était présentée au juge : dans un arrêt du 7 mai 2009, rendu très peu de temps, il est vrai, après cette décision de la CJCE, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de voir dans l'offre de vente couplant ordinateur et logiciel une vente subordonnée et ne l'avait pas sanctionnée, considérant que le matériel et ses logiciels étaient un seul et même produit (parce qu'un ordinateur n'est pas utilisable sans logiciel) (5). D'autres avaient suivi la position de la Cour de justice, ainsi pour la cour d'appel de Paris, en revanche, la prohibition de principe des ventes subordonnées (qualifiées parfois rapidement de ventes "liées") n'était tout simplement pas conforme au droit communautaire et à la Directive précitée (6).

Dans l'affaire ici commentée, la cour d'appel de Paris avait suivi le même raisonnement et infirmé la solution rendue par Conseil de la concurrence en ce qu'il avait reconnu dans la pratique en cause une vente subordonnée prohibée per se par l'article L. 122-1 du Code de la consommation. Il faut dire que la disposition législative déclarée non conforme par la CJCE figure toujours dans les dispositions du Code. Le législateur n'est toujours pas intervenu, malgré la succession de modifications législatives qui se sont succédées depuis lors, et c'est au juge qu'il appartient d'interpréter le droit français à la lumière de la Directive communautaire.

L'article L. 122-1 du Code de la consommation n'est pas le seul article dont la non-conformité aux dispositions de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales devrait être constatée. La prohibition, elle aussi toujours per se en droit français, de la vente avec prime mérite que l'on s'y attarde en quelques lignes. De même, elle n'est pas visée au titre des pratiques expressément visées par la Directive et devrait, dès lors, dans un raisonnement par analogie, entraîner la suppression de cette prohibition telle qu'inscrite à l'article L. 121-35 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8008IMK). Plus surprenant encore, le législateur a modifié ces dispositions par la loi du 12 juillet 2010 (loi n° 2010-788, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN), mais pour les maintenir !

Pour en revenir à notre arrêt et au contrôle plus conséquent des juridictions françaises de la conformité de la loi aux dispositions communautaires, la cour d'appel, après avoir constaté la non-conformité de cette disposition du Code de la consommation au droit communautaire dérivé, avait vérifié si, dans le cas d'espèce, la pratique était ou non déloyale. C'est ce raisonnement en deux étapes qu'approuve la Cour de cassation, reprenant sur ce point la position de la Cour de justice. Si une vente subordonnée ne peut être sanctionnée au seul motif qu'elle subordonne l'achat d'un produit ou prestation de services à l'achat d'un autre produit ou prestation, cette dernière peut être sanctionnée si la méthode employée peut être qualifiée de déloyale. Pour la Cour de cassation en effet, la cour d'appel "en a exactement déduit qu'elle devait l'appliquer dans le respect des critères énoncés par la Directive pour la qualification du caractère déloyal d'une pratique".

Tout le contentieux est alors reporté : il ne s'agit plus de savoir si une vente subordonnée est par définition interdite (la réponse est désormais sans contestation possible négative) mais de savoir quels sont les éléments qui, pour chaque cas d'espèce, pourraient rendre cette vente subordonnée "déloyale".

II - Les critères de déloyauté de la vente subordonnée

La Cour de cassation est dans cet arrêt particulièrement innovante et semble ajouter un critère à ceux retenus par la Directive elle-même. Ce critère mérite l'attention des commentateurs dans la mesure où il tente un rapprochement judicieux entre droit de la concurrence et droit de la consommation. Les deux matières sont d'ailleurs loin d'être cloisonnées et chacun sait que les premières lois républicaines de protection des consommateurs sont peut-être, certains diront "surtout", protectrices des concurrents honnêtes (comme la fameuse loi de 1905 sur les fraudes et falsifications qui visait essentiellement à protéger les paysans contre les mouilleurs de lait et ceux qui sucraient le vin).

On rappellera qu'aux termes de la Directive de 2005 ici applicable, est déloyale une pratique qui :
"a) [...] est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et
b) 
[...] altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs" (Directive 2005/29, art. 5). En particulier, cet article vise expressément les pratiques trompeuses ou agressives.

Sur ce point, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel, considérant que "l'arrêt relève qu'il n'est pas démontré que l'offre de la société France Telecom serait trompeuse ou contraire à la diligence professionnelle et retient que cette offre laisse au consommateur toute liberté quant au choix de son opérateur ADSL en raison de la considération du marché et en particulier de la structure de l'offre, laquelle conduit le consommateur à choisir son opérateur en considération des services associés et donc de la capacité des offreurs de se différencier de leurs concurrents".

La Cour de cassation aurait pu se contenter de répondre aux seuls moyens qui mettaient en cause la loyauté de l'opération, et rejeter comme inopérants tous les autres. Elle prend soin, néanmoins, de poursuivre son raisonnement de validation de l'offre Orange par des critères qui ne figurent par dans la Directive de 2005 "il est constant que, dans le cadre de la concurrence qu'ils se livrent, tous les fournisseurs d'accès à internet s'efforcent d'enrichir le contenu de leurs offres pour les rendre plus attractives par la mise en place des services innovants ou l'acquisition des droits exclusifs sur des contenus audiovisuels cinématographiques ou sportifs événementiels [...] l'exclusivité d'accès à la chaîne Orange Sports, dont bénéficie l'offre ADSL de la société Orange, n'était pas de nature à compromettre sensiblement l'aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause". Cette référence à un seuil de sensibilité surprend ici (7).

Il s'agit là d'un critère bien connu du droit de la concurrence et plus particulièrement de la méthode d'évaluation des risques présentés par la pratique en cause. Si le marché est sensiblement affecté, il pourra y avoir sanction. Dans le cas contraire, il n'y en aura pas (c'est la théorie des bagatelles ou de minimis, rappelée parfois par la maxime "De minimis non curat praetor", le droit se désintéresse des situations mineures).

Deux interprétations peuvent alors être proposées pour expliquer la position de la Cour. La première est économique et implique, ce qui n'est pas prévu par les textes, que la pratique commerciale déloyale ne sera sanctionnée que dans la mesure où elle aura des effets importants sur le marché en cause. Cela se comprendrait en opportunité, beaucoup moins en droit si les textes n'envisagent pas cette subtilité. La seconde interprétation, plus cynique, voudrait que les juges refusent de sanctionner une pratique certes critiquable mais que tous ont tenté de mettre en oeuvre avec plus ou moins de succès. Le droit de la consommation, en présence de concurrents qui se livrent à une concurrence féroce, ne doit pas avoir pour effet d'évincer le concurrent qui, par les mêmes méthodes, est le seul à avoir pu obtenir satisfaction. C'est en ce sens que la formule suivante de la Cour de cassation prendrait tout son sens : "il est constant que, dans la concurrence qu'ils se livrent, tous les fournisseurs d'accès à internet s'efforcent d'enrichir le contenu de leurs offres pour les rendre plus attractives par la mise en place de services innovants ou l'acquisition de droits exclusifs sur des contenus audiovisuels, cinématographiques ou sportifs événementiels". En quelque sorte il s'agit pour la Cour de cassation de rapprocher droit de la concurrence et droit de la consommation afin d'empêcher que ce que les concurrents ne peuvent obtenir par le droit de la concurrence (sanction de la pratique considérée comme un abus de position dominante) ne soit obtenu grâce aux dispositions du droit de la consommation (pratiques commerciales déloyales). L'arrêt prend alors tout son sens dans la politique contemporaine de régulation des marchés.


(1) Sur ce contentieux, cf. Cons. conc., décision n° 08-MC-01, relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones (N° Lexbase : X4635AEE) ; CA Paris, 1ère ch., sect. H, 4 février 2009, n° 2008/23828 (N° Lexbase : A8427EC4), sur lequel lire, Commercialisation de l'iPhone : Orange se voit contraint de partager la "poule aux oeufs d'or" - Questions à Marie de Prandières, juriste au sein de l'UFC-Que Choisir, et à Jérôme Franck, Avocat spécialisé en droit économique, Lexbase Hebdo n° 342 du 19 mars 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9732BIB) ; et, en dernier lieu, Cass. com., 16 février 2010, n° 09-11.968, FS-D (N° Lexbase : A9275ERX), sur lequel lire nos obs., La question de l'exclusivité obtenue par Orange pour la vente de l'iPhone reste en suspens, Lexbase Hebdo n° 386 du 11 mars 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N4835BNE).
(2) CA Paris, 14 mai 2009, n° 09/03660 (N° Lexbase : A2244EHL).
(3) Sur ce point, cf. D. Mainguy, J.-L. Respaud et M. Depincé, Droit de la concurrence, Litec, 2010.
(4) CJCE, 23 avril 2009, aff. jointes C-261/07 et C-299/07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV (N° Lexbase : A5552EGQ), et nos obs. L'interdiction des offres conjointes aux consommateurs censurée par la CJCE, Lexbase Hebdo n° 354 du 11 juin 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N6475BKZ).
(5) CA Montpellier, 3ème ch., 7 mai 2009, n° 08/01398 (N° Lexbase : A3443EQL).
(6) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 novembre 2009, n° 08/12771 (N° Lexbase : A1583EQP) et nos obs., Le distributeur de matériel informatique n'est pas tenu d'informer l'acheteur des logiciels préinstallés du prix des logiciels achetés seuls, Lexbase Hebdo n° 379 du 21 janvier 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N9685BMN).
(7) Sur ce point, v. M. Chagny, Les pratiques commerciales déloyales vis-à-vis des consommateurs devant la Cour de cassation !, Communication commerce électronique, octobre 2010, comm. n° 98.

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