La lettre juridique n°660 du 23 juin 2016 :

[Jurisprudence] Preuve du caractère infondé de l'appel d'une garantie autonome

Réf. : Cass. com., 31 mai 2016, n° 13-25.509, FS+P+R+I (N° Lexbase : A2635RRZ)

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 23 Juin 2016

En 2008, une société cède à une autre sa participation dans le capital d'une société tierce. Cette cession, comme il est fréquent, est assortie d'une clause de garantie de passif et, pour l'exécution de celle-ci, d'une garantie autonome à première demande consentie par une banque. La société créancière, en 2009, a mis en oeuvre la garantie de passif et a appelé la garantie autonome. Le garant s'est exécuté, et a payé la somme de 100 000 euros, qu'elle a débitée du compte de la société débitrice. En 2010, la société bénéficiaire de la garantie autonome a été placée en redressement judiciaire. Estimant que l'appel de la garantie autonome était injustifié, la société donneur d'ordre a déclaré au passif de la procédure collective une créance égale à la somme versée par la banque. Cette créance a été admise à titre chirographaire. La société venant aux droits du bénéficiaire de la garantie et le commissaire à l'exécution du plan de redressement se pourvoient en cassation contre l'arrêt d'appel (1) ayant admis cette créance chirographaire de 100 000 euros, en avançant principalement que le donneur d'ordre ne rapporte pas la preuve que le paiement de la garantie autonome par la banque garante était indu.
La Chambre commerciale, dans un arrêt du 31 mai 2016, rejette ces pourvois, en retenant que les éléments de preuve produits par le bénéficiaire de la garantie étaient insuffisants. L'appel de celle-ci était donc indu, et la créance déclarée par le donneur d'ordre au passif du redressement judiciaire du bénéficiaire doit être admise.
L'intérêt de cet arrêt porte sur la détermination de la charge de la preuve du caractère indu de l'appel de la garantie (II). Mais avant d'examiner ce point, il convient de préciser rapidement les raisons pour lesquelles le donneur d'ordre entendait se retourner contre le bénéficiaire (I). I - La raison d'être du recours du donneur d'ordre contre le bénéficiaire

Bien souvent, les donneurs d'ordre qui estiment que le paiement de la garantie autonome était indu préfèrent agir contre le garant lui-même. Sur le fondement de la théorie de l'appel manifestement abusif (C. civ., art. 2321 N° Lexbase : L1145HIA), ils peuvent chercher à engager la responsabilité du garant qui aurait payé en réponse à un tel appel (s'ils n'ont pu bloquer le paiement en amont).

Mais pour ce faire, encore faut-il que l'appel de la garantie remplisse les conditions de l'appel manifestement abusif. En d'autres termes, il faut d'abord que le bénéficiaire n'ait pas de droit contre le donneur d'ordre (par exemple, l'événement contre lequel était garanti le bénéficiaire ne s'est pas réalisé ou s'est réalisé par son fait). Il faut ensuite que le bénéficiaire soit de mauvaise foi, c'est-à-dire qu'il ait eu conscience de son absence de droit contre le donneur d'ordre. Il faut enfin que l'abus soit manifeste.

Dans les faits ayant donné lieu à l'arrêt commenté, il apparaît très clairement que ces conditions n'étaient pas réunies.

Cependant, entre l'appel manifestement abusif et celui qui est bien fondé, il existe une catégorie intermédiaire: l'appel qui, sans être manifestement abusif, n'en demeure pas moins indu. Ce sera l'hypothèse d'un bénéficiaire qui pense légitimement être dans son droit et décide d'appeler la garantie. Si une analyse plus approfondie, ultérieurement, révèle que le bénéficiaire n'avait pas de droit pour appeler la garantie, son appel sera qualifié d'indu, sans pour autant être manifestement abusif.

En pareille hypothèse, qui est celle de l'arrêt du 31 mai 2016, la jurisprudence estime que le donneur d'ordre, après avoir subi le recours du garant, dispose lui-même d'un recours contre le bénéficiaire, afin d'obtenir remboursement de l'indu (2). Il s'agit ici de simplifier les recours : permettre au donneur d'ordre de recourir contre le garant, et permettre ensuite à ce dernier de recourir contre le bénéficiaire multiplierait inopportunément les recours.

C'est la raison pour laquelle, en l'espèce, le donneur d'ordre a entendu agir contre le bénéficiaire, estimant indu son appel. Le bénéficiaire faisant l'objet d'un redressement judiciaire, le donneur d'ordre était placé dans l'obligation de déclarer sa créance, sous peine de ne pas être admis dans les répartitions et les dividendes (C. com., art. L. 622-26 N° Lexbase : L8103IZ7).

II - La détermination de la charge de la preuve du caractère indu de l'appel de la garantie

Pour justifier le remboursement des sommes versées au titre de la garantie, encore fallait-il établir que l'appel de celle-ci était infondé. Les requérants soutenaient que la charge de la preuve de ce caractère indu pesait sur celui qui l'invoquait, à savoir le donneur d'ordre.

Leurs pourvois sont rejetés, au motif que "si, après la mise en oeuvre d'une garantie à première demande, le donneur d'ordre réclame au bénéficiaire de celle-ci le montant versé par le garant qu'il estime ne pas être dû, ce litige, eu égard à l'autonomie de la garantie à première demande, ne porte que sur l'exécution ou l'inexécution des obligations nées du contrat de base, de sorte qu'il incombe à chaque partie à ce contrat de prouver cette exécution ou inexécution conformément aux règles de preuve du droit commun".

Ainsi, sur le fondement de l'autonomie de la garantie, la Cour estime que les contestations qui peuvent s'élever, après paiement par le garant, entre le donneur d'ordre et le bénéficiaire de la garantie doivent être réglées "en interne", c'est-à-dire intrinsèquement au contrat de base, sans se référer à la garantie. A partir de cette idée, la suite logique est d'en déduire que, puisque le débat est centré sur l'exécution ou l'inexécution des obligations issues de ce contrat de base, la charge de la preuve qui incombe à chaque partie se détermine en application du droit commun de la preuve. En l'espèce, il appartenait donc au bénéficiaire qui estimait que la garantie de passif (elle-même garantie par la garantie à première demande litigieuse) devait jouer de rapporter la preuve des éléments qui justifient cette mise en oeuvre.

Par cette décision, la Cour complète une jurisprudence précédente, par laquelle elle considérait que le donneur d'ordre est recevable à demander la restitution du montant de la garantie au bénéficiaire, à charge pour lui d'établir que celui-ci en a reçu indûment le paiement, par la preuve de l'exécution de ses propres obligations contractuelles, par celle de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie ou par la nullité du contrat de base (3).

Ainsi, dans cette décision de 1994, la Cour, moins clairement que dans celle de 2016, plaçait la discussion dans le giron du droit commun de la preuve : la charge de celle-ci pèse sur celui qui invoque une prétention ou qui se prétend libéré (C. civ., art. 1315 N° Lexbase : L1426ABG). Si la décision de 1994 semble faire peser la charge de la preuve sur le seul donneur d'ordre, c'est en raison des prétentions par elle listées : exécution de ses obligations par le donneur d'ordre, ou inexécution justifiée par la nullité du contrat de base, ou encore par la faute du bénéficiaire. Or, ces trois arguments ont pour trait commun d'être nécessairement invoqués par le donneur d'ordre, lorsqu'il se prétend libéré de son obligation. C'est donc à lui d'en rapporter la preuve (C. civ., art. 1315, al. 2).

En revanche, dans les faits ayant amené l'arrêt du 31 mai 2016, le caractère fondé ou non de l'appel dépend de la question de savoir si la garantie de passif devait être mise en oeuvre. Or, le donneur d'ordre ne peut pas véritablement prouver que la garantie de passif n'a pas à être mise en oeuvre. C'est le bénéficiaire qui invoque des irrégularités susceptibles de déclencher le jeu de la clause de garantie de passif. C'est donc logiquement sur lui que doit peser la charge de la preuve.

Ainsi, au final, apparaît la transparence de la garantie autonome au regard de la preuve du caractère fondé ou infondé de l'appel. Ce caractère s'apprécie nécessairement au regard du contrat de base, et sans véritable prise en compte de la garantie elle-même, au nom de son autonomie. Que le donneur d'ordre souhaite qualifier l'appel de manifestement abusif ou qu'il entende obtenir la restitution des sommes versées au bénéficiaire, c'est au regard du droit commun de la preuve, et notamment de l'article 1315 du Code civil, que se règlera la question de la charge de celle-ci. Les éléments susceptibles d'établir l'abus ou le caractère indu de l'appel sont à rechercher dans le contrat de base, et non dans la garantie.

L'atteinte à l'autonomie de la garantie est mesurée. Lorsque l'appel est manifestement abusif, c'est généralement le donneur d'ordre qui va tenter d'obtenir le blocage du paiement par le garant. Lorsque l'appel est infondé, c'est également le donneur d'ordre qui cherchera à récupérer les sommes indûment obtenues par le bénéficiaire. Dans ces deux hypothèses, que le donneur d'ordre et le bénéficiaire, en fonction de celui sur lequel pèsera la charge de la preuve, doivent avancer des arguments tirés du contrat de base n'est pas attentatoire à l'autonomie de la garantie.


(1) CA Toulouse, 3 septembre 2013, n° 12/00422 (N° Lexbase : A3668KK3).
(2) Cass. com., 7 juin 1994, n° 93-11.340, publié (N° Lexbase : A4933ACP), Bull. civ. IV, n° 202 ; JCP éd. E, 1994, II, p. 637, note L. Leveneur.
(3) Cass. com., 7 juin 1994, n° 93-11.340, préc..

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