La lettre juridique n°391 du 15 avril 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] La modification du contrat de travail imposée par l'effet d'un transfert d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.227, Société Office dépôt, FS-P+B (N° Lexbase : A4042EUA)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


La règle est acquise de longue date, en cas de transfert d'entreprise, l'employeur repreneur doit conserver le contrat de travail des salariés transférés sans y apporter de modification. Mais que décider lorsque la modification du contrat de travail résulte non d'une volonté de l'employeur, mais d'une conséquence directe du transfert du contrat de travail lui-même ? C'est à cette question que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 mars 2010. La Haute juridiction établit, dans cette situation, une procédure particulière devant être respectée par l'employeur à défaut de laquelle le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail (I). Malgré l'effort manifeste de précision et de clarté de l'arrêt, les contours de cette procédure demeurent tout de même encore un peu flous (II).


Résumé

Lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer. Il appartient alors au cessionnaire, s'il n'est pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions, soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement. A défaut, le salarié peut poursuivre la résiliation judiciaire du contrat, laquelle produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

I - L'établissement d'une procédure spécifique à la modification du contrat imposée par l'effet d'un transfert d'entreprise

  • Modification dans la situation juridique de l'employeur : effets généraux

Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur ayant pour conséquence de transférer une entité économique autonome de l'entreprise, le très emblématique article L. 1224-1 du Code du travail prévoit que l'ensemble des contrats de travail affectés à l'activité transférée sont eux aussi automatiquement transférés à l'entreprise entrante.

Les effets principaux du transfert d'entreprise sont bien connus : tous les contrats de travail en cours au jour de la modification -y compris les contrats suspendus- sont transférés au nouvel employeur. Ce transfert s'opère de plein droit si bien que, ni le salarié, ni les employeurs successifs ne peuvent s'y opposer (1). Rappelons rapidement que le transfert emporte également des effets sur le plan collectif puisque le transfert des contrats de travail des salariés protégés devra obtenir l'aval de l'inspection du travail (2) et que les conventions et accords collectifs en vigueur dans l'entreprise avant le transfert se trouvent automatiquement mis en cause (3).

Parmi ces effets, l'espèce commentée nous amène à nous arrêter un peu plus longuement sur les règles encadrant le transfert du contrat de travail lui-même.

  • Modification dans la situation juridique de l'employeur : effets sur le contenu du contrat de travail

Selon une formule habituellement utilisée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le contrat de travail subsiste avec le nouvel employeur "dans les conditions mêmes où il était exécuté au moment du changement d'exploitation" (4). Seul le cocontractant du salarié doit changer, aucun élément du contrat de travail ne pouvant être modifié. A contrario, des éléments relevant de la sphère des conditions de travail peuvent être modifiés (5).

Parmi les éléments protégés lors du transfert figure, d'abord, l'ancienneté au service de l'ancien employeur qui doit rester acquise au salarié, ce qui s'avèrera essentiel au moment du calcul de certains avantages conventionnels ou de l'indemnité de licenciement (6).

Le nouvel employeur ne peut surtout pas modifier unilatéralement le contrat de travail qui lui est transféré. Il ne s'agit là finalement que d'une application classique de la jurisprudence "Raquin" à la situation du transfert d'entreprise : ce n'est pas parce que l'employeur change que les éléments du contrat autre que le cocontractant doivent être modifiés (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand N° Lexbase : A1981ABY). Ainsi, le salarié devra conserver sa qualification (7), son lieu de travail, sa rémunération (8) et son volume horaire de travail.

Le salarié va également conserver les éléments accessoires au contrat de travail. Ainsi, par exemple, le salarié ne pourra être privé de son logement de fonction (9). De la même manière, la clause de non-concurrence adjointe au contrat de travail initial sera elle aussi transférée avec le contrat de travail au bénéfice du nouvel employeur (10).

  • Les conséquences d'une modification du contrat à l'occasion du transfert

Quelles sont les conséquences du non-respect, par le nouvel employeur, de cette obligation de maintenir le contrat de travail dans l'état dans lequel il se trouvait au moment du transfert ? Intuitivement, on perçoit que les conséquences ne devraient pas différer de celles intervenant en cas de modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur : le salarié devrait avoir le droit de refuser le transfert et, en cas de persistance du nouvel employeur, pourrait prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou demander la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur. C'est au sujet des conséquences d'un tel forçage du contrat que la Chambre sociale apporte quelques précisions dans l'arrêt commenté.

  • L'affaire

En l'espèce, un salarié avait été engagé en qualité de VRP exclusif pour la vente de fournitures de bureau et de travaux d'imprimerie. L'activité imprimerie de son employeur était cédée au mois d'octobre 2002 à une autre société. Les fonctions du salarié étant répartie entre l'activité imprimerie et l'activité papeterie, son contrat de travail se trouvait scindé en deux parties, comme l'accepte depuis toujours la Cour de cassation (11). Au mois de février 2003, c'est cette fois l'activité papeterie qui fut transférée à une société tierce. Or, au sein de cette seconde société, existait déjà un réseau de commerciaux et de VRP dans le secteur et pour la clientèle qui avaient, jusqu'ici, été exclusivement attribués au salarié. Le salarié passait donc d'un statut de VRP exclusif à celui de VRP multi-carte. Après plusieurs demandes restées sans réponse de renégociation de ses conditions d'emploi avec le repreneur, le salarié saisit le juge prud'homal d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de la modification unilatérale de son contrat.

Les juges du fond prononcèrent la résiliation du contrat au tort de l'employeur, lequel se pourvut en cassation. Devant la Chambre sociale, l'employeur soutenait pour l'essentiel que la modification n'était pas de son fait mais résultait de la scission du contrat de travail par l'effet de la séparation entre les activités papeterie et imprimerie.

La Chambre sociale, par un arrêt rendu le 30 mars 2010, rejette le pourvoi. De manière très pédagogique, la Cour de cassation précise la marche à suivre en cas de modification du contrat de travail rendue nécessaire par le transfert de l'entité économique. Dans ce cas, en effet, le salarié est en droit de refuser la modification proposée. Le cessionnaire qui n'est pas en mesure de conserver les conditions antérieures doit formuler de nouvelles propositions au salarié ou, en cas de refus persistant, engager une procédure de licenciement. A défaut d'une telle procédure, le salarié peut poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail. La Chambre sociale conclut son raisonnement en jugeant que, puisqu'une modification du contrat était intervenue et que l'employeur n'avait pas pris les mesures -renégociation ou licenciement- qui lui incombaient, la résiliation judiciaire avait été prononcée à bon droit.

II - Les contours de la procédure spécifique à la modification du contrat imposée par l'effet d'un transfert d'entreprise

Il n'y a, à première vue, rien de très étonnant dans la solution rendue par la Chambre sociale. Cependant, l'analyse plus fine de son argumentation montre un certain nombre de sous-entendus auxquels il est difficile de savoir quel crédit accorder.

  • Une procédure réservée à la modification imposée par le transfert

Lorsque l'employeur entend modifier un élément du contrat de travail du salarié, sous réserve des règles particulières en matière économique ou disciplinaire, il doit en faire la proposition au salarié qui doit expressément l'accepter. Si le salarié refuse, on estime généralement que l'employeur dispose de deux possibilités : soit il renonce à la modification envisagée, soit il engage une procédure de licenciement, licenciement dont le caractère justifié dépendra de la cause de la modification proposée.

Cependant, les faits ayant donné lieu à l'espèce commentée différaient en ce que la modification du contrat de travail ne résultait pas d'une volonté de l'employeur mais d'une sorte d'effet collatéral du transfert de l'entité économique autonome. C'est pour cette raison que la procédure est légèrement aménagée, l'employeur ne pouvant matériellement pas "renoncer" à la proposition de modification. En effet, la Cour utilise deux formules qui semblent réserver la procédure décrite aux hypothèses de modification indépendantes de la volonté de l'employeur.

D'abord, il faut que ce soit "l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail [qui] entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d'employeur". Ensuite, il faut que le cessionnaire ne soit "pas en mesure de maintenir les conditions antérieures".

  • Une obligation de renégociation imposée à l'employeur repreneur

A l'image de la procédure envisagée par l'article 136 du projet de réforme du droit des contrats en matière de changement de circonstances imprévisible et insurmontable, ce fait s'imposant à l'employeur lui ouvre alors la faculté, soit de renégocier le contenu du contrat de travail du salarié transféré, soit de rompre le contrat. Cependant, contrairement à ces dispositions du projet en matière d'imprévision, la rupture du contrat n'intervient pas nécessairement par la voie judiciaire, l'employeur conservant le pouvoir de licencier le salarié.

Comme toujours dans ce genre de situation, le licenciement du salarié ne reposera sur une cause réelle et sérieuse qu'à la condition que l'employeur puisse justifier d'un motif personnel ou d'un motif économique. On voit mal quel motif personnel pourrait justifier la rupture. Un motif économique pourrait éventuellement être invoqué, mais encore faudra-t-il que les éléments soient démontrés. Face au caractère hypothétique du caractère justifié du licenciement, l'employeur devra donc nécessairement tenter de renégocier le contrat. Sans le dire véritablement, la Chambre sociale introduit donc, dans cette hypothèse, une obligation de renégociation du contrat de travail.

  • La résiliation judiciaire, conséquence du défaut de renégociation

Ce n'est qu'à défaut de renégociation ou de licenciement que le salarié pourra demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Cette formule ne manque pas d'ambiguïté. Faut-il comprendre que le salarié qui, invité par l'employeur à le faire, refuserait de renégocier son contrat à la suite d'un tel transfert ne pourrait pas demander la résiliation judiciaire en raison de la modification ? Malgré le flou laissé par la Chambre sociale sur cette question, il est possible d'espérer que l'employeur ne pourra pas se voir reprocher d'avoir modifié le contrat de travail lorsque cette modification était imputable au transfert lui-même et qu'il a tenté, de bonne foi, de renégocier le contrat.

La décision demeure également silencieuse sur d'autres conséquences possibles. Ainsi, la Cour accepte que le salarié puisse poursuivre la résiliation judiciaire du contrat de travail, mais elle ne précise pas s'il peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Il ne peut pas véritablement être reproché à la Cour de cassation de ne pas se prononcer sur un point de droit n'ayant pas été soulevé par les parties au procès. Cependant, il serait fort étonnant que la porte de la prise d'acte soit fermée au salarié, notamment parce que celle-ci repose sur des ressorts finalement très proches de ceux de la résiliation judiciaire (12).


(1) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, M. Jean-François Petavy, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR) et les obs. de G. auzero, Cession d'unité de production en phase de liquidation judiciaire : le transfert des contrats de travail s'impose !, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N1220ALR).
(2) V., notamment, C. trav., art. L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) et C. trav., art. L. 2421-9 (N° Lexbase : L0222H94).
(3) C. trav., art. L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C).
(4) Cass. soc., 24 janvier 1990, n° 86-41.497, Société Nouvelle Micromécanique pyrénéenne c/ M. Abadie et autres (N° Lexbase : A8736AAS).
(5) Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-40.130, Mme Chantal Fezans, F-D (N° Lexbase : A6565EGA).
(6) Cass. soc., 10 octobre 2000, n° 98-42.189, La société de Confection industrielle de Dompierre (CID) (N° Lexbase : A7790AHY).
(7) Cass. soc., 4 avril 1990, n° 86-43.629, Mlle Lecocq c/ Société Union aéronautique régionale UAR et autre (N° Lexbase : A2514AHL).
(8) Cass. soc., 9 mars 2004, n° 02-42.140, M. Alain Parfus, F-D (N° Lexbase : A4956DB8).
(9) La Chambre sociale précise, toutefois, que le salarié conservera son logement seulement "si cela est matériellement possible", v. Cass. soc., 20 mars 1997, n° 95-17.470, M. de Matos Xapelli c/ M. Salicis (N° Lexbase : A1948AC7).
(10) Cass. soc., 6 décembre 1994, n° 91-42.173, Société Huard c/ M. Rebours et autre (N° Lexbase : A0898ABU).
(11) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.960, Mme Evenas-Baro c/ Société Sonauto et autre (N° Lexbase : A5482AG7).
(12) Pour l'une comme pour l'autre, il convient que l'employeur ait commis un manquement suffisamment grave à ses obligations contractuelles pour que la rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La différence majeure de régime entre ces deux modes de rupture demeure tout de même que, dans un cas, le contrat de travail est rompu immédiatement alors que dans l'autre, le contrat est maintenu jusqu'à la décision judiciaire.


Décision

Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.227, Société Office dépôt, FS-P+B (N° Lexbase : A4042EUA)

Rejet, CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1, 2 juillet 2008.

Textes cités : C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y)

Mots-clés : modification dans la situation juridique de l'employeur ; transfert du contrat de travail ; modification du contrat de travail ; obligation de renégociation ; résiliation judiciaire

Lien base : (N° Lexbase : E8852ESN)

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