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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Le texte de 2007 est ambitieux mais n'est pas nouveau, l'évolution normative allait naturellement en ce sens, même si cela ne saurait amenuiser l'impact de la loi. Tous les intervenants s'accordent sur ce point.
Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, rappelle, ainsi, que, selon un paradoxe inhérent à notre évolution sociale, la loi de 2007 a été adoptée dans un contexte de crispation sociale, même si son caractère conjoncturel est révélateur de l'utilité du dialogue social. Le constat de la nécessité de la rénovation du dialogue social était largement partagé, ce qui a donné naissance à de nombreux rapports en amont de la promulgation même de la loi. Par ailleurs, le contexte juridique était favorable à l'émergence d'une nouvelle norme sociale négociée et d'une nouvelle forme de relation entre la loi et cette nouvelle norme. Jean-Denis Combrexelle, Directeur général du travail, s'accorde, également, sur ce point : la loi de 2007 est un texte de circonstances, qui répond, cependant, à une attente, c'est-à-dire qu'elle n'est pas seulement la suite nécessaire du CPE, mais qu'elle lui est concomitante, dans la mesure où la crise lui a donnée une occasion de s'engager sur le terrain normatif. Il s'agissait d'obtenir un nouveau mode de régulation entre la loi et la négociation collective afin de trouver un juste équilibre.
Deux difficultés sont apparues à ce stade, poursuit le même intervenant. La première est politique. Il s'agissait de ne pas bloquer le processus législatif. La seconde, juridique. Il fallait éviter une réforme constitutionnelle. Le projet est donc complexe, notamment quant aux modalités de mise en oeuvre de la négociation, mais son un apport symbolique reste fort, renforcé par sa consécration au premier article du Code du travail.
Jean-Emmanuel Ray, Professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, conforte également l'idée selon laquelle la loi de 2007 est l'aboutissement logique d'une évolution nécessaire vers une plus grande place accordée à la négociation. L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995, relatif aux négociations collectives, marque sans doute, selon lui, la genèse de la loi de 2007, en affirmant "la volonté des parties signataires de renforcer le dialogue social et la pratique contractuelle et de se réapproprier la conduite de la politique sociale en faisant prévaloir la négociation collective sur le recours au législateur".
Un deuxième pas a été franchi avec la position commune du 16 juillet 2001, le dernier acte étant vraisemblablement la loi de 2004 (2).
Cependant, la question reste de savoir, pour Jean-Emmanuel Ray, s'il est "bien raisonnable de confier aux partenaires sociaux des objectifs de société ?". La loi de 2008 permet d'asseoir cette légitimité (3). Finalement, l'opposition négociation collective/loi n'existe pas, le problème est de savoir si le législateur est le seul à avoir le monopole. Dans une décision du 29 avril 2004, le Conseil constitutionnel retenait, à cet égard, que "le législateur, qui a entendu se référer à la position commune adoptée par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001, n'a pas méconnu les exigences d'intelligibilité et de clarté de la loi" (4).
L'avantage de la formule sur le plan médiatique est certain et explique son succès. Sur le plan juridique, il existe également un avantage à ne pas négliger, celui de la stabilité. En effet, il semble qu'une loi issue d'un accord national interprofessionnel s'ancre plus facilement dans les moeurs. Il suffit pour cela de prendre pour exemple la loi de 1990 (5), issue d'un accord interprofessionnel, qui n'a pas changé et est toujours en vigueur.
Deux critiques peuvent, cependant, d'ores et déjà être avancées, poursuit l'universitaire : en cas d'urgence, la procédure n'est plus applicable ; et il y a une source essentielle du droit du travail qui échappe à tout cela, la jurisprudence de la Cour de cassation, qui est très prolixe. Dans cette optique, peut-être serait-il souhaitable que les partenaires sociaux soient consultés par la Chambre sociale ? Un arrêt du 1er juillet 2009, rendu par cette dernière, est, à cet égard, remarquable(6).
Il reste, donc, plusieurs questions en suspens. A celles soulevées par Jean-Emmanuel Ray, s'en ajoutent logiquement d'autres. S'agit-il d'un dispositif contraignant ou indicatif ? (Jean-Marc Sauvé) Dans cette seconde hypothèse, elle n'aurait, en effet, pas sa place dans une loi (cf. décision du Conseil constitutionnel de 2005). Cette question ne saurait cependant à elle seule ternir l'apport d'un tel texte.
La réalité est que le dispositif ainsi créé a permis de mettre en place une véritable pratique, même si plusieurs portes restent ouvertes au Gouvernement pour éviter une telle négociation, comme le cas de l'urgence. Parallèlement, l'intérêt de la loi est également d'avoir ouvert un calendrier social, qui permet une plus grande visibilité. La méthode effectivement mise en oeuvre a permis de créer une nouvelle dynamique.
L'article L. 1 du Code du travail modifie-t-il la position des partenaires sociaux ? Autrement dit, a-t-il changé la pratique en amont des partenaires sociaux ? (Jean-Emmanuel Ray)
Dans la même ligne, Jean-Denis Combrexelle s'interroge sur le fait de savoir si les partenaires sociaux et l'Etat vont pouvoir assumer ces responsabilités ou sur le délai de réponse des partenaires sociaux. Il reste donc des lacunes. Pour le moins, des questions sans réponse. Gageons que le Gouvernement et les partenaires sociaux puissent tirer des enseignements utiles de la pratique...
Pour autant, à la question de savoir s'il s'agit d'une opportunité nouvelle ou d'un mal nécessaire, les intervenants sont unanimes : il s'agit véritablement d'un texte innovant, impliquant une application raisonnable de la loi, c'est-à-dire un modus vivendi entre l'Etat et les partenaires sociaux (Jean-Denis Combrexelle).
Dominique Dord, député de la Savoie, apporte un point de vue plus pragmatique. Le parlementaire commence, en effet, par souligner que ce texte présente de nombreuses opportunités. Il constitue, en effet, selon lui, la meilleure antidote à la violation permanente de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), à l'instabilité juridique, à l'irresponsabilité du vote parlementaire, aux dogmes ou, encore, aux troubles à l'ordre public qui peuvent en résulter.
Il s'agit donc bien d'un texte révolutionnaire. Néanmoins, pour un parlementaire, c'est un texte un peu castrateur, dans la mesure où il apporte une restriction à la légitimité parlementaire.
Pourtant, dans un Ani, il y a des choses du domaine de la loi et des choses qui ne le sont pas, il revient aux parlementaires de les écarter. Le Parlement est-il tenu par les accords conclus ? Juridiquement non, car seuls le Gouvernement et les partenaires se sont engagés.
Pour Dominique Dord, la loi de 2007 rend donc difficile la coproduction législative et risque de mener à une sorte de "cacophonie", pour reprendre ses propres termes.
Pour Maryse Dumas, ancienne secrétaire confédérale de la CGT, l'un des reproches que l'on peut faire à la loi est de rester silencieuse en cas de désaccord. Par ailleurs, selon elle, la préparation de l'agenda social est "tout sauf démocratique", dans la mesure où le pouvoir politique l'impose. Il y aurait, au fond, le refus de donner aux syndicats un pouvoir propre. Finalement, à la question de savoir à quel objectif doit répondre la négociation collective, pour la CGT, il s'agit d'un droit des salariés visant à la prise en compte de leurs revendications et à restreindre le champ unilatéral de l'employeur. La loi de 2007 apporte donc "un élément de plus à l'édifice patronal". Il n'est, en effet, pas dans l'intérêt des salariés que l'accord se substitue à la loi.
Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT, ne partage pas cet avis. Pour la CFDT, la loi de 2007 est une loi majeure et positive. Elle constitue, en effet, une étape primordiale dans la reconnaissance dans la négociation collective, qui s'inscrit dans un processus long. Le fait que nous nous rapprochions des consignes européennes est également positif. Cette loi responsabilise le Gouvernement. Ainsi, les lettres de mission n'apparaissent pas comme une contrainte, mais elles obligent le Gouvernement à formaliser des enjeux.
La loi de 2007 a donc permis de faire évoluer les modalités de négociation avec une obligation de conclure pour respecter le calendrier, ce qui est positif dans la mesure où les partenaires sociaux ont ainsi dû mettre en oeuvre des méthodes de travail effectives. Tout est question de légitimité des acteurs. Mais l'articulation entre démocratie sociale et politique ne doit pas revêtir deux formes antagonistes, poursuit le secrétaire général adjoint de la CFDT. La limite tient pour une large partie aux acteurs eux-mêmes. Globalement, en effet, il n'y a pas eu de problèmes au niveau de la transposition des accords dans la loi. Ils surviennent après. Il y a d'autres méthodes plus insidieuses. Pour que la loi n'aboutisse pas, il suffit "d'embouteiller", c'est-à-dire de mettre beaucoup de sujets sur les tables de négociations.
Deux difficultés risquent de surgir à l'avenir. La première se situe du côté des organisations syndicales des salariés, qui manquent de cohérence entre elles. La seconde tient à l'agenda social. S'il fonctionne mal, c'est peut-être parce que les partenaires sociaux semblent incapables de le gérer... "La responsabilité que nous avons de donner du sens nous oblige à renforcer le rôle des partenaires sociaux", conclut Marcel Grignard.
Si Benoît Roger-Vasselin, directeur des ressources humaines du groupe Publicis et membre de la commission des relations du travail et politiques de l'emploi du Medef, reconnaît, avec Marcel Grignard, que la loi de 2007 a effectivement abouti à une responsabilisation des acteurs sociaux, il juge le débat complexe car il se doit de trouver un juste milieu. Or, le texte de 2007 n'a qu'imparfaitement repris les préconisations des partenaires sociaux. En fait, il a même engendré des effets pervers : le Gouvernement fixe l'agenda social, il choisit les thèmes, il reste donc omniprésent. Par ailleurs, les délais fixés sont très courts. Le Gouvernement peut même aller jusqu'à se substituer aux partenaires sociaux.
Dès lors, selon Benoît Roger-Vasselin, la loi de 2007 constitue une première étape, mais elle doit aller plus loin. Il faudrait évoluer vers une position à l'allemande. Rappelons qu'une loi allemande sur les accords collectifs, adoptée en 1949, garantit aux partenaires sociaux une autonomie pour déterminer les règles relatives aux conditions de travail et aux rémunérations.
Tout l'enjeu dans les années à venir, poursuit Eric Aubry, conseiller social du Premier ministre, est de trouver le bon mécanisme de régulation. Mais, encore une fois, plusieurs questions restent en suspens. Comment trouver le meilleur modus vivendi entre les différents acteurs ? Comment faire en sorte que l'agenda social soit le plus possible un calendrier partagé ?
Pour Pierre-Yves Verkindt, Professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, le vrai problème est une question de fond qui renvoie à notre conception même de la démocratie. La concertation doit venir s'intégrer entre les deux piliers que sont le paritarisme et la négociation collective, dès lors, le dialogue social ne doit jamais être une fin en soi, il ne correspond pas à la réalité de la démocratie. La juste place de la loi de 2007 est donc d'être l'une des composantes de la démocratie sociale. La force réservée aux partenaires sociaux est du plus grand intérêt, selon l'universitaire, et le rejet de l'idée d'un domaine réservé est très important. Par ailleurs, la façon dont la loi s'est construite offre des garanties contre certaines dérives corporatistes, en d'autres termes, aucun groupe ne doit faire passer son intérêt catégoriel avant l'intérêt général. Cet aspect est primordial dans le fonctionnement de la démocratie.
Quels sont les risques potentiels ? Selon Pierre-Yves Verkindt, il existe des risques d'entrave au processus d'élaboration normative, de ralentissement, d'instrumentalisation et de "délégitimation" du législateur.
Pour conclure, peut-être serait-il bon de qu'aucun texte ne prévoit une consultation des partenaires sociaux par l'Assemblée nationale ou le Sénat lorsque l'une des assemblées vient à déposer une proposition de loi. Si l'obligation de consulter doit, logiquement, être formalisée d'une façon différente, tenant compte, notamment, des délais inhérents à la procédure parlementaire, elle doit, cependant, être clairement définie. C'est dans cette optique que le député Jean-Frédéric Poisson a déposé, le 22 juillet 2009, sur le bureau de l'Assemblée nationale, une proposition de loi sur la consultation des partenaires sociaux sur les propositions de loi. A suivre...
(1) Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007, de modernisation du dialogue social (N° Lexbase : L2479HUD).
(2) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Présentation de la réforme du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1585ABC).
(3) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et les obs. de G. Auzero, Articles 1 et 2 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9816BGN).
(4) Cons. const., décision n° 2004-494 DC du 29 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : A9945DBX) et les obs. de Ch. Radé, Précisions sur le droit constitutionnel de la négociation collective, Lexbase Hebdo n° 119 du 6 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1496ABZ).
(5) Loi n° 90-613 du 12 juillet 1990, favorisant la stabilité de l'emploi par l'adaptation du régime des contrats précaires (N° Lexbase : L7967GTA).
(6) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-42.675, M. Stéphane Pain, FS-P+B (N° Lexbase : A5734EI9) et les obs. de Ch. Radé, Le cadre, les congés payés et le principe d'égalité de traitement, Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 3186513, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] Le cadre, les cong\u00e9s pay\u00e9s et le principe d'\u00e9galit\u00e9 de traitement", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N0001BLM"}}).
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