Lecture: 8 min
N9782BMA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Pour faire la lumière sur ce guide (qui compte pas moins de 165 pages), Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Emmanuelle van den Broucke, Associée du cabinet Salans. Celle-ci a pris part à la concertation qui s'est tenue cet été, en tant que membre de l'Association des avocats pratiquant le droit de la concurrence (APDC), à l'origine de nombreuses suggestions relayées par l'Autorité de la concurrence.
Lexbase : La loi de modernisation de l'économie ("LME") (2) a transféré la compétence du contrôle des concentrations à l'Autorité de la concurrence. A qui cette prérogative était-elle antérieurement dévolue ? Selon vous, s'agit-il d'un progrès ?
Emmanuelle van den Broucke : L'Autorité de la concurrence, instituée par la "LME" et existant officiellement depuis le 2 mars 2009, s'est vue confier le contrôle des opérations de concentration, prérogative antérieurement dévolue au ministre de l'Economie et des Finances avec compétence consultative du Conseil de la concurrence.
Ce transfert de compétence a pour objet de rendre la procédure de contrôle des concentrations plus efficace. Auparavant, la compétence pouvait être partagée entre le ministre de l'Economie (la DGCCRF) et le Conseil de la concurrence de la manière suivante :
- l'opération était notifiée au ministre de l'Economie qui pouvait approuver l'opération avec ou sans condition, à l'issue d'une phase de cinq semaines (phase 1) ;
- le cas échéant, en cas de doute sérieux d'atteinte à la concurrence, le ministre pouvait décider d'ouvrir une phase d'examen approfondi de l'opération, alors, confiée au Conseil de la concurrence, qui émettait un avis ne liant pas le ministre (phase 2) ;
- enfin, le dossier revenait au ministre qui prenait sa décision finale (phase 3).
Dans les cas d'opérations complexes demandant un examen approfondi, les parties à une opération voyaient leur dossier traité par des interlocuteurs différents, avec la perte de temps et d'efficacité liée au transfert du dossier entre autorités. Les économistes du Conseil de la concurrence ne pouvaient, par exemple, commencer leurs études que lorsque le dossier leur était parvenu.
Aujourd'hui, hormis un pouvoir résiduel d'intervention du ministre de l'Economie dans des cas qui devraient être très limités, le contrôle des opérations de concentration n'est plus étatique et il appartient à l'Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante encore renforcée dans ses pouvoirs.
Elle pourra décider d'autoriser l'opération de fusion notifiée :
- soit, au terme d'une analyse concurrentielle rapide, dont le délai est, en principe, de 25 jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète, sauf cas de prolongation possibles (phase 1) ;
- soit, au terme d'un examen plus approfondi si nécessaire, dans les cas où subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, pour lequel il est prévu un délai de 65 jours ouvrés, sauf cas de prolongation possibles (phase 2).
Bénéficier d'un interlocuteur unique devrait permettre, outre la simplicité et la cohérence, de gagner du temps, toujours très précieux, lorsqu'il s'agit de rapprochements entre entreprises. Si l'Autorité de la concurrence est seule en charge d'examiner si une opération de concentration porte atteinte au droit de la concurrence, le ministre de l'Economie, en tant que garant de l'intérêt général, dispose, toutefois, d'un pouvoir exceptionnel d'évocation, qui lui permet de passer outre la décision de l'autorité, pour des considérations d'intérêt général autres que la concurrence (développement industriel, compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale, maintien de l'emploi, etc.). Le ministre dispose de 25 jours ouvrés à compter de la décision prise par l'Autorité au terme d'un examen approfondi (phase 2), pour se pencher sur une opération de concentration considérée comme stratégique.
Le ministre peut, également, demander, si l'Autorité de la concurrence a autorisé une opération en fin de phase 1, que cette opération fasse l'objet d'un examen approfondi dans un délai de 5 jours ouvrés à compter de l'autorisation de l'opération, mais l'Autorité de la concurrence a le pouvoir discrétionnaire de refuser cette demande, comme l'ont précisé les Lignes Directrices.
Lexbase : La "LME" a apporté d'autres modifications au régime du contrôle des concentrations, explicitées dans les Lignes Directrices récemment publiées. Quelles sont-elles ?
Emmanuelle van den Broucke : Les Lignes Directrices de l'Autorité de la concurrence donnent, effectivement, quelques éclaircissements sur les autres modifications apportées en 2008 par la "LME" au contrôle français des concentrations. C'est le cas, notamment, pour l'abaissement des seuils de notification des opérations dans le secteur du commerce de détail et dans les départements et collectivités d'outre-mer.
Plus précisément, dans le secteur du commerce de détail, la "LME" a abaissé les seuils pour permettre à l'Autorité de la concurrence de contrôler des rapprochements de magasins qui n'étaient auparavant pas dans les seuils, mais qui pouvaient, néanmoins, conférer une part de marché importante au niveau local (C. com., art. L. 430-2, II N° Lexbase : L2052ICY). Désormais, les concentrations intervenant entre des entreprises exerçant une activité de commerce de détail doivent être notifiées à l'Autorité de la concurrence, lorsque :
- "les entreprises concernées par cette concentration [acquéreur(s) et cible] réalisent ensemble sur le plan mondial un chiffre d'affaires supérieur à 75 millions d'euros" ;
- "et deux au moins de ces entreprises réalisent, dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés, un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros" (au lieu de 50 précédemment).
Les Lignes Directrices donnent, ainsi, des précisions utiles sur ce qu'on entend par commerce de détail (magasin qui réalise plus de la moitié de son chiffre d'affaires pour des ventes de marchandises à des particuliers) et sur ce qui doit être comptabilisé ou non dans le calcul de ces nouveaux seuils (par exemple, les ventes sur internet sont exclues).
Quant aux DOM-COM (C. com., art. L. 430-2, III), dorénavant, lorsqu'au moins l'une des parties à la concentration exerce tout ou partie de son activité dans un ou plusieurs DOM ou collectivités d'outre-mer, l'opération doit être notifiée à l'Autorité si :
- le chiffre d'affaires total mondial hors taxe de l'ensemble des entreprises ou groupe de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ;
- le chiffre d'affaires total hors taxe réalisé individuellement dans au moins un DOM ou dans l'une des collectivités d'outre-mer par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros ;
- et si l'opération n'est pas de dimension communautaire.
Les Lignes Directrices précisent que le seuil des 15 millions d'euros à réaliser dans les DOM-COM doit être atteint dans un même département ou une même collectivité. En revanche, elles omettent de préciser, même si cela semble l'hypothèse la plus probable, que les deux entreprises doivent atteindre ce seuil de 15 millions d'euros dans le même DOM ou COM. Les Lignes Directrices apportent, également, quelques nouveautés qui vont au delà des modifications apportées par la "LME". Elles donnent, ainsi, la liste des cas dans lesquels les entreprises peuvent déposer un dossier de notification simplifié, lorsque l'opération n'est pas susceptible de poser des difficultés de concurrence. Elles introduisent, également, la possibilité d'obtenir une lettre de confort sur des opérations pour lesquelles les entreprises veulent obtenir confirmation qu'elles ne sont pas contrôlables (avec la réserve que, si les questions de contrôlabilité sont complexes, l'Autorité de la concurrence demandera quand même de déposer un dossier de notification).
Autre nouveauté : les Lignes Directrices abordent, en outre, la question des restrictions accessoires. Ce sont les restrictions de concurrence contenues dans les accords entre les parties à une opération (clause de non-concurrence, accords d'approvisionnement, accords de licence), qui seront couvertes par l'autorisation de l'opération si elles sont strictement et objectivement nécessaires à la réalisation de l'opération. Si elles ne sont pas strictement nécessaires à l'opération, elles doivent être analysées attentivement pour déterminer si elles ne constituent pas des pratiques anticoncurrentielles répréhensibles. L'Autorité de la concurrence choisit d'analyser ces restrictions accessoires à la lumière de la communication de la Commission européenne sur le sujet des restrictions accessoires, publiée le 5 mars 2005. Elle précise que l'Autorité de la concurrence pourra s'auto-saisir au titre des pratiques anticoncurrentielles des restrictions qui excèderaient ce qui serait nécessaire à l'opération. Les entreprises devront, donc, avoir une attention toute particulière sur l'examen des restrictions de concurrence contenues dans leurs accords.
Il faut signaler, enfin, la place importante accordée par ces nouvelles Lignes Directrices à l'analyse économique : non seulement les raisonnements économiques sous-jacents à l'appréciation des concentrations y sont largement développés, mais les Lignes Directrices consacrent, désormais, une annexe aux méthodes à suivre pour préparer et présenter des études économiques à l'appui des notifications, ceci, en vue afin de faciliter le dialogue entre l'Autorité et les entreprises à ce sujet.
Lexbase : Selon vous l'objectif de transparence et de clarification est-il atteint ? Les suggestions formulées dans le cadre de la concertation ont-elles été prises en compte ? Reste-t-il des points obscurs ?
Emmanuelle van den Broucke : Les Lignes Directrices publiées en décembre 2009 apportent des clarifications aux modifications de la "LME" qui étaient nécessaires et attendues. L'Autorité a fait un gros effort pour publier rapidement des Lignes Directrices enrichies, certes, des modifications de la "LME", mais aussi de la pratique récente intégrant, de la sorte, des éléments nouveaux réclamés par les praticiens. Pour avoir participé à la concertation, l'été dernier, je dois reconnaître que nombre des propositions formulées dans ce cadre (présentation de dossiers simplifiés, computation des délais en jours ouvrés, restrictions accessoires, clarification des règles applicables aux fonds d'investissement, etc.) ont été relayées par l'autorité administrative.
D'autres suggestions n'ont, néanmoins, pas été retenues, laissant subsister une part d'ombre. Tel est le cas, par exemple, d'un délai maximal dans lequel l'Autorité délivre un accusé de complétude du dossier. C'est seulement lorsque l'entreprise sait officiellement que son dossier est complet, qu'elle peut savoir que les délais de procédure ont commencé à courir à partir du dépôt du dossier. L'une des premières questions que posent les entreprises qui doivent soumettre leur opération à l'approbation des autorités de la concurrence est, en effet, de savoir quand elles auront le feu vert, afin de pouvoir organiser le closing de l'opération. L'Autorité a souhaité garder les mains libres sur ce point, ce qui nuit à la prévisibilité du contrôle pour les entreprises. Le meilleur conseil que l'on peut, alors, donner est de préparer un dossier le plus complet possible ou, en cas de doute, de pré-notifier l'opération, pour éviter les surprises et s'assurer que le délai commencera à courir au jour du dépôt.
J'ajouterais, également, que, même si ces Lignes Directrices sont, notamment, à destination des entreprises, il faut bien reconnaître que, sur bien des points, elles demeurent encore très techniques et nécessitent le "décodage" de praticiens.
L'Autorité de la concurrence a, néanmoins, indiqué que ces Lignes Directrices évolueront en fonction de sa pratique, elle-même, inspirée, souvent, du dialogue avec les entreprises. Il ne s'agit, donc, pas d'un exercice figé et il appartient aux entreprises de demander des explications sur des points encore obscurs ou qui ne sont pas traités par les Lignes Directrices qui sont, par définition, trop générales pour couvrir toutes les situations particulières.
(1) Décision du 17 décembre 2009 portant modification du règlement intérieur de l'Autorité de la concurrence (N° Lexbase : L4309IGP).
(2) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:379782