La lettre juridique n°368 du 22 octobre 2009 : Droit pharmaceutique

[Focus] Le vaccin contre la grippe H1N1 : la sécurité juridique détrônée par la menace sanitaire

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par Sophie Tatot, Avocat au barreau de Paris, cabinet Lefèvre Pelletier et associés

le 07 Octobre 2010

L'Agence européenne du médicament (EMEA), chargée de l'évaluation scientifique des demandes européennes d'autorisation de mise sur le marché des médicaments, a émis, en date du 25 septembre 2009, un avis favorable à la commercialisation de deux vaccins contre la grippe H1N1, le Focetria (des laboratoires Novartis) et le Pandemrix (du laboratoire GSK). La Commission européenne a, en conséquence, accordé l'autorisation de mise sur le marché (AMM) à ces deux laboratoires, sur le plan européen, le 2 octobre 2009. A quelques jours du lancement de la campagne de vaccination en France, une polémique est née sur l'utilité d'une telle vaccination. Mais, au-delà de cette abondance de littérature sur l'opportunité ou non d'un tel vaccin, se pose une nouvelle fois la question de la responsabilité des laboratoires dans la mise sur le marché d'un tel produit. En effet, face à une menace sanitaire importante, les laboratoires sont contraints à resserrer le calendrier classique de la production des vaccins et de la libération des lots et à se préparer à faire face à une pénurie de vaccins.

L'exigence de réactivité empêche les laboratoires pharmaceutiques de s'attarder sur les précautions juridiques nécessaires à prendre afin d'éviter une mise en jeu de leur responsabilité en cas de survenance d'effets indésirables.

La question de la responsabilité des laboratoires du fait des produits défectueux est pourtant un sujet d'actualité. A la lumière de la décision de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 juillet 2009 dans le contentieux de la vaccination contre l'hépatite B, tout laboratoire peut voir sa responsabilité civile engagée du fait des produits défectueux sur le fondement de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3), si la notice de présentation du vaccin commercialisé ne contient pas au nombre des effets secondaires indésirables, celui qui est à l'origine du dommage (Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7250EID et lire les obs. de Ch. Radé, Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0028BLM).

Le laboratoire fabricant est, en effet, soumis à une obligation d'information à l'égard du consommateur (C. civ., art. 1386-4). La notice doit remplir pleinement ce rôle d'information et surtout répondre aux exigences des articles R. 5121-137 (N° Lexbase : L5052IBQ) à R.5121-149 du Code de la santé publique régissant les bonnes pratiques de notice. Depuis l'arrêt précité, il est possible d'engager la responsabilité d'un laboratoire en raison de l'absence de mention de l'effet indésirable sur la notice, ou pour "défaut extrinsèque", c'est-à-dire défaut d'information du patient.

En conséquence, outre la preuve des mentions obligatoires, il appartiendra désormais au laboratoire fabricant ou exploitant du médicament immunologique, en cas d'effets indésirables rapportés par un patient, de démontrer qu'il a parfaitement rempli son obligation d'information à l'égard de ce dernier, dès lors que le lien causal entre le médicament défectueux et le dommage subi par le patient peut être déduit de faits que la jurisprudence qualifie de "présomptions graves, précises et concordantes" (Cass. civ.1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, préc.).

Les conséquences sur l'organisme de l'administration d'un médicament ne sont pas exclusivement bénéfiques et celle-ci s'accompagne d'effets indésirables. Une AMM est délivrée sur la base d'une étude du rapport bénéfice/risque, qui doit se révéler favorable, mais qui n'exclut pas les effets indésirables. Certains sont donc révélés lors des essais précliniques, d'autres le sont souvent après leur mise en circulation puisque l'objet même de la pharmacovigilance est la "surveillance du risque d'effet indésirable résultant de l'utilisation des médicaments et produits à usage humain" (C. santé publ., art. R. 5121-150 N° Lexbase : L4443H9G).

Toutefois, en l'état actuel de la législation, le laboratoire pharmaceutique fabricant, exploitant ou titulaire de l'AMM et le pharmacien responsable in fine, restent responsables des effets indésirables du médicament commercialisé. En conséquence, au regard de l'évolution de la jurisprudence, on ne saurait trop conseiller aux laboratoires pharmaceutiques concernés de renforcer leur vigilance et de s'assurer que la notice de présentation de tous les médicaments à commercialiser, et notamment celle des vaccins, contient bien tous les effets indésirables relevés lors des essais précliniques. Il s'agit, en réalité, d'un véritable travail d'anticipation pour les laboratoires qui requiert à la fois une compétence pharmaceutique mais également juridique.

En effet, la sécurité sanitaire étant plus que jamais devenue une priorité, il semblerait que la jurisprudence tende à exiger des laboratoires pharmaceutiques fabricant ou exploitant, la délivrance, par l'intermédiaire de la notice, d'une information claire et précise, non seulement sur les risques encourus mais également sur les risques exceptionnels voire envisageables, c'est-à-dire qui pourraient survenir en cas de sensibilité particulière du patient ou d'interactions médicamenteuses.

La pertinence et la précision de l'information délivrée par le laboratoire pharmaceutique dépendra donc de la qualité de rédaction de la notice sur le plan de l'exhaustivité des effets indésirables. Toutefois, à moins d'y insérer des mentions visant à démontrer que le laboratoire a fait le nécessaire pour accomplir son obligation d'information, ce qui est impossible en l'état actuel de la législation, la mise en jeu de la responsabilité des laboratoires pharmaceutique du fait des produits défectueux est une véritable épée de Damoclès.

Doit-on, pour autant, prendre exemple sur les Etats-Unis qui ont accordé, par le vote d'un amendement à une Déclaration du 15 juin 2009, prise dans le cadre du Prep Act (1), une protection juridique aux laboratoires dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 ? En France, l'article L. 3110-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7639HWT ; transféré à l'article L. 3131-3 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9615HZ7 par l'effet de l'article premier de la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007, relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur N° Lexbase : L5933HUB) prévoit une "immunité juridique" pour les laboratoires pharmaceutiques dans des cas exceptionnels mais s'empresse de rappeler que ces dispositions ne les "exonèrent pas de l'engagement de leur responsabilité dans les conditions de droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché du médicament", sauf à démontrer, sur le fondement de l'article 1386-11 du Code civil (N° Lexbase : L1504ABC), que "l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il [le laboratoire] a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut".

La vie des laboratoires n'est pas près d'être un long fleuve tranquille...


(1) Législation sur la préparation et les urgences publiques

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