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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Philippe Clément : La loi du 20 août 2008 remet en cause la présomption irréfragable de représentativité dont bénéficiaient cinq grandes organisations syndicales.
Cette loi modifie profondément les règles de représentativité des syndicats. Depuis cette loi, elle est, en effet, définie d'après les critères cumulatifs suivants (C. trav., art. L. 2121-1 N° Lexbase : L3727IBN) :
- le respect des valeurs républicaines ;
- l'indépendance ;
- la transparence financière ;
- l'ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique ;
- l'audience établie selon les niveaux de négociation ;
- l'influence prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ;
- et les effectifs d'adhérents et les cotisations.
La mesure de l'audience syndicale dans l'entreprise ou l'établissement se réalise lors des élections du comité d'entreprise. Dans ce cadre, seront représentatives les organisations syndicales qui, tout en satisfaisant aux critères évoqués ci-dessus, auront recueillis au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise. L'atteinte de ce seuil constitue donc un enjeu particulièrement important, sachant que cela déterminera la représentativité syndicale dans l'entreprise pour quatre ans.
Ces résultats électoraux seront d'autant plus importants que la loi modifie les conditions de validité des accords d'entreprise, en retenant que ces derniers doivent, désormais, être signés par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueillies au moins 30 % des suffrages exprimés.
La représentativité étant aujourd'hui conditionnée par l'atteinte du seuil de 10 % lors des élections au comité d'entreprise, la loi dote les organisations syndicales de moyens leur permettant de s'implanter dans l'entreprise et d'apporter la preuve de la représentativité, notamment :
- création du représentant de la section syndicale au profit des syndicats qui ne sont pas encore représentatifs ;
- assouplissement des conditions nécessaires pour créer une section syndicale dans l'entreprise ou l'établissement ;
- assouplissement des conditions pour négocier le protocole d'accord collectif préélectoral et présenter les listes des candidats au premier tour des élections.
En termes de représentativité, et afin de renforcer la légitimité des syndicats représentatifs, la loi du 20 août 2008 impose que le délégué syndical soit choisi parmi les candidats aux élections professionnelles ayant obtenus au moins 10 % des suffrages exprimés et réserve aux seules organisations syndicales ayant des élus au comité d'entreprise la possibilité de désigner un représentant syndical audit comité.
Lexbase : Quelles sont les principales difficultés d'interprétation nées de la loi nouvelle ?
Philippe Clément : S'agissant, à mon sens, de l'une des plus importantes réforme en droit du travail ayant vu le jour ces dernières années, les difficultés d'interprétation sont, par nature, nombreuses, avec des enjeux particulièrement importants.
En outre, cette loi nécessitant des dispositions spécifiques permettant de faire face à une période transitoire, cela complexifie encore plus son application.
Les difficultés d'interprétation se rencontrent à chaque stade du processus aboutissant à la reconnaissance de la représentativité syndicale soit successivement :
- la désignation du représentant de la section syndicale ;
- la participation à la négociation du protocole préélectoral ;
- la possibilité de présenter des listes de candidats au premier tour des élections ;
- la constitution d'une section syndicale ;
- la désignation d'un délégué syndical pendant la période transitoire et après le processus électoral ;
- et l'appréciation des critères cumulatifs de la représentativité autres que celui de l'audience résultant du processus électoral.
Enfin, la loi a induit de nouvelles pratiques syndicales et impose à certaines organisations syndicales de nouvelles stratégies qui, par nature, n'avaient pas été anticipées par le législateur (désaffiliation, modification des statuts, fusions...).
A ce titre, le respect de la condition d'une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique est la source de très nombreux contentieux.
Lexbase : En quoi la Cour de cassation, par ces quatre arrêts rendus le 8 juillet 2009, a apporté des précisions utiles sur l'application de la loi du 20 août 2008 ?
Philippe Clément : Il convient, en tout premier lieu, de relever l'importance de la rapidité de la procédure. En effet, la Cour de cassation apporte des éclairages moins d'un an après la publication de la loi. Cette rapidité est aujourd'hui essentielle au regard des enjeux liés à cette loi, non seulement en terme de représentativité, mais, également, en terme de négociation collective.
Il nous apparaît fondamental que la Cour de cassation puisse poursuivre sur cette voie de la rapidité afin d'éviter la paralysie de certains processus électoraux de la mesure de la représentativité et, enfin, le blocage des négociations collectives.
Les précisions apportées par la Cour de cassation par ces quatre arrêts rendus le 8 juillet 2009 sont, par nature, utiles face à l'impératif de sécurité juridique au regard du silence ou de l'imprécision de la loi du 20 août 2008 :
- ainsi, il apparaît (ce qui pouvait être débattu) que, pendant la période transitoire, la présomption de représentativité dont bénéficiait jusqu'alors les cinq organisations syndicales ne souffre pas de preuve contraire (2) ;
- de même, pendant la période transitoire, allant de l'entrée en vigueur de la loi à la date des premières élections organisées dans l'entreprise, la désignation d'un délégué syndical est soumise aux nouvelles conditions légales concernant la constitution d'une section syndicale et la preuve de la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise (3) ;
- la Cour de cassation tranche, également, une difficulté particulièrement fréquente dans les contentieux pendants devant les tribunaux d'instance, à savoir la preuve de l'existence de plusieurs adhérents au sein de l'entreprise. Sur le fondement de l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR) et de l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), la Cour de cassation considère que l'adhésion d'un salarié à un syndicat relève de sa vie personnelle et ne peut être divulguée sans son accord (4). Sur cette base, la Cour de cassation considère, en cas de contestation sur l'existence d'une section syndicale, que le syndicat doit apporter les éléments de preuve utiles à établir la présence d'adhérents dans l'entreprise dans le respect du contradictoire à l'exclusion des éléments susceptibles de permettre l'identification des adhérents du syndicat, dont seul le juge peut prendre connaissance. La Cour de cassation abandonne son ancienne jurisprudence basée sur la notion de risque de représailles qui, par nature, était complexe et sujette, elle-même, à de nombreuses interprétations. Par cette solution, la Cour de cassation confie au juge, et à lui seul, la vérification de la condition d'existence d'adhérents.
Dans le cadre du débat contradictoire, il nous apparaît que le syndicat devra communiquer toute les pièces nécessaires à mettre en évidence la réalité de ces adhésions et, notamment, le paiement effectif des cotisations, le juge devant, quant à lui, s'assurer, sur la base de l'identification de ces adhérents, que ces derniers sont bien salariés de l'entreprise ou de l'établissement ;
- sur ce thème, la Cour de cassation considère, également, que le terme "plusieurs adhérents" s'analyse comme rendant nécessaire l'existence, pour le moins, de deux adhérents (5) ;
- la Cour de cassation s'est aussi prononcée sur le fait que c'est l'employeur qui a la charge de la preuve pour établir en quoi un syndicat ne respectait pas les valeurs républicaines. Nul doute que la Cour de cassation aura l'occasion de préciser dans l'avenir les contours de cette notion (6) ;
- la Cour de cassation est, par ailleurs, venue préciser que, dans les entreprises de plus de 300 salariés, un syndicat peut désigner un représentant syndical au comité d'entreprise quand bien même ce syndicat ne serait pas représentatif dans ladite entreprise, la seule condition édictée par le texte étant de disposer d'élus au sein dudit comité (7) ;
- enfin, la Cour de cassation soutient que, si les syndicats ne peuvent exercer leurs prérogatives que dans les entreprises dans lesquelles leur statut leur donne vocation à s'implanter, ce principe de spécialité n'impose pas au syndicat de rapporter la preuve de sa présence effective dans tous les sites composant l'établissement ou entreprise dans lequel il souhaite s'implanter (8).
Lexbase : Les solutions apportées sont-elles vraiment opportunes ?
Philippe Clément : A mon sens, ces solutions sont précises, pertinentes et ne génèrent pas d'autres types de contentieux.
Lexbase : D'autres questions restent en suspens. Peut-on espérer de nouvelles décisions dans les mois à venir ?
Philippe Clément : On doit espérer que la Cour de cassation apporte de nouvelles précisions dans les meilleurs délais. La sécurisation des processus électoraux, la mesure de la représentativité, l'efficacité des négociations collectives dans les prochains mois dépendent de ces précisions rapides.
Sans être exhaustifs, les thèmes suivants seront certainement abordés :
- pendant la période transitoire, la présomption de représentativité s'applique-t-elle exclusivement aux cinq centrales syndicales ou à toutes organisations syndicales reconnues représentatives à la date de publication de la loi ? ;
- quel sera l'importance des autres critères de représentativité au-delà de l'audience établie lors du processus électoral ? ;
- quel est l'impact de la modification des statuts d'une organisation syndicale, notamment quant à son champ d'application géographique et professionnel, voire quant à une nouvelle affiliation au regard du respect de la condition d'existence de deux ans ? ;
- cette condition doit-elle s'apprécier dans le champ géographique ou professionnel ? ;
- les unions de syndicat n'ayant pas d'adhérant personne physique dans l'entreprise peuvent-elles désignées un représentant de section syndicale ? ;
- etc..
Seules des réponses rapides permettront de limiter l'inflation des contentieux issus de l'application de la loi du 20 août 2008.
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