La lettre juridique n°354 du 11 juin 2009 : Responsabilité médicale

[Questions à...] Distilbène et responsabilité du laboratoire pharmaceutique : questions à Maître Martine Verdier, avocat au Barreau d'Orléans, SELARL Verdier & Associés

Lecture: 6 min

N6452BK8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Distilbène et responsabilité du laboratoire pharmaceutique : questions à Maître Martine Verdier, avocat au Barreau d'Orléans, SELARL Verdier & Associés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211797-questionsrdistilba8neetresponsabilita9dulaboratoirepharmaceutiquequestionsrbmaaetre
Copier

par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du Pôle Presse

le 07 Octobre 2010

Le diéthystilbestrol, ou DES, commercialisé principalement sous le nom de Distilbène est une molécule qui a les effets d'une hormone sexuelle féminine sans y ressembler dans sa structure. Des millions de femmes y ont été exposées. Non pas qu'elles l'aient avalée, leurs mères l'ayant prise alors que, foetus, elles se développaient dans leur ventre. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus. L'occasion a été donnée à de nombreuses reprises de présenter, au sein de Lexbase Hebdo, les différentes décisions de justice rendues en matière de Distilbène (1). A cet égard, il convient de signaler un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre, le 10 avril 2009, condamnant le laboratoire UCB Pharma à verser plus de deux millions d'euros de dommages et intérêts à un enfant né grand prématuré considérant que son handicap était directement lié à l'exposition de sa mère au Distilbène durant la grossesse de sa grand-mère (TGI Nanterre, 10 avril 2009, n° 08/00000, Mme X c/ SA UCB PHARMA N° Lexbase : A9863EHR). Pour aller plus loin sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Martine Verdier, avocate de la famille de la victime. Lexbase : Pouvez-vous nous exposer les griefs reprochés au laboratoire UCB Pharma dans ce dossier ?

Martine Verdier : Dans cette affaire soumise au tribunal de grande instance de Nanterre, les reproches opposés au laboratoire UCB-Pharma consistaient à avoir laissé sur le marché le Disitilbène alors que les études disponibles avaient établi, dès 1953, l'inefficacité de ce produit dans la prescription donnée aux femmes enceintes. De plus, dès 1938, les études expérimentales concluaient à de graves interrogations sur l'innocuité du produit. Des études sur l'animal avaient été menées en 1942, 1947, 1950 et 1959 et, bien que leurs conclusions ne soient pas, à l'époque, directement transposables à l'homme, avaient révélé des effets toxiques généraux y compris des effets tératogène. Ces résultats auraient déjà dû conduire le laboratoire UCEPHA, aujourd'hui, après fusion, UCB Pharma, à des mesures de précaution qui ont été ignorées puisque, bien au contraire, le pic de commercialisation se situe en France entre 1960 et 1970.

Au cas particulier, Mme X est née en août 1958 et a été exposée au Distilbène in utero, ce qu'elle apprenait en 1988. Sa première grossesse débute en septembre et se déroule normalement jusqu'à la vingt-sixième semaine où elle présente des phénomènes hémorragiques entraînant une mise au repos total. Elle accouche prématurément à vingt-sept semaines et deux jours d'un enfant de 1,07 kg.  Les suites de l'accouchement vont être marquées par la persistance de manifestations hémorragiques liées à une évacuation incomplète du placenta, pour la mère. L'enfant restera longuement hospitalisé en raison de nombreuses complications dont une quadriplégie spastique.

Aujourd'hui cet enfant est âgé de 18 ans ; il ne sait ni lire, ni écrire et est totalement dépendant de son entourage pour son quotidien.

Lexbase : Sur quel fondement le tribunal a-t-il retenu la responsabilité du laboratoire ?

Martine Verdier : La responsabilité du laboratoire a été retenue sur le fondement de la responsabilité délictuelle (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1488ABQ). C'est le non-respect de l'obligation générale de diligence et de vigilance imposée à un laboratoire pharmaceutique qui a été ici sanctionné.

Depuis 2003 (2), le tribunal de grande instance de Nanterre avait retenu la responsabilité du laboratoire UCB Pharma sur le fondement des articles 1165 (N° Lexbase : L1267ABK), 1382 et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil, puisque, aux termes de ces articles, un tiers à un contrat est fondé à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement lui a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autres preuves. Et ces jugements avaient été confirmés par la cour d'appel de Versailles, à partir de 2004 (3), la cour rappelant que "malgré les doutes portant à la fois sur l'efficacité du Distilbène et sur son innocuité dont la littérature expérimentale faisait état, la société UCB Pharma n'a pris aucune mesure alors qu'elle aurait dû agir même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients". Jusqu'alors, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma n'avait été retenue, dans le cadre d'une exposition au DES, que pour les développements de cancers.  En mars 2006, la Haute juridiction a confirmé la responsabilité du laboratoire, dans deux procédures concernant des jeunes femmes victimes des séquelles d'adénocarcinomes à cellules claires (cancer spécifique en lien avec le Distilbène lorsqu'il est diagnostiqué chez une femme jeune) en ce que le laboratoire avait manqué à son obligation de vigilance en commercialisant le Distilbène jusqu'en 1977, alors qu'existaient avant 1971, et dès les années 1953-1954, des doutes portant sur l'innocuité du médicament. La Cour de cassation notait, également, que la littérature expérimentale faisait état de la survenance de cancers très divers et qu'à partir de 1971, de nombreuses études expérimentales et des observations cliniques contre-indiquaient l'utilisation du Distilbène. Elle en concluait que devant ces risques connus et identifiés sur le plan scientifique, le laboratoire n'avait pris aucune mesure, et avait, de ce fait, manqué à son obligation de vigilance (4).

Lexbase : Cette décision ouvre-t-elle la voie à une reconnaissance du préjudice pour la troisième génération ?

Martine Verdier : Cette décision ne peut être considérée comme une quelconque reconnaissance du préjudice pour la troisième génération.  Le préjudice de troisième génération concerne les malformations ou séquelles portées par les enfants des mères exposées in utero au Distilbène.  Dans l'un des huit arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles en 2006 (5), la cour a ordonné une expertise confiée à un collège d'experts, dont un pédiatre, pour que soit examiné le lien de causalité entre les malformations génitales de l'enfant et l'exposition in utero de sa mère.  Dans cette affaire, l'enfant -un petit garçon- était porteur d'un hypospadias (malformation congénitale masculine qui se manifeste par l'ouverture de l'urètre dans la face inférieure du pénis au lieu de son extrémité). Selon une étude néerlandaise discutée dans le milieu scientifique et médical, ce type de malformations est plus présent chez les garçons dont la mère a été explosée in utero.  A ce jour, le lien entre la malformation génitale retrouvée chez de nombreux nouveau-nés de mères exposées in utero au DES n'est pas clairement établie sachant que des études sont attendues sur ce point.

La décision rendue par le tribunal de grande instance de Nanterre ne concerne pas la problématique des enfants dits de "troisième génération". La question posée au tribunal était celle de la chaîne de causalité pouvant être retenue entre l'exposition au DES de la mère, l'accouchement très prématuré expliqué par les anomalies cervicales et utérines de la mère en lien direct avec l'exposition au Distilbène, et les handicaps majeurs de l'enfant eux-mêmes uniquement en lien direct avec la très grande prématurité. Le tribunal de grande instance de Nanterre retient que, d'une part, Mme X rapporte bien la preuve qu'elle a un utérus particulièrement petit, lié à l'exposition au Distilbène, et que, d'autre part, et selon l'échelle imposée par l'Afssaps, qui ne connaît aucun degré de certitude, un degré probable se situe en troisième d'une série de cinq (paraissant exclue, douteuse, plausible, vraisemblable, très vraisemblable), les experts estiment, dans le cas de Mme X, que le Distilbène est le principal suspect (soit, très vraisemblable).

Le laboratoire UCB Pharma a interjeté appel de cette décision assortie pour  deux tiers de l'exécution provisoire. Son argumentaire devant la cour devrait consister, tout comme en première instance, à nier toute responsabilité du Distilbène dans le drame vécu par cette famille.


(1) A.-L. Blouet Patin, Affaire du "Distilbène" : condamnation en appel du laboratoire !, Lexbase Hebdo n° 119 du 6 mai 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1467ABX) et Affaire du "Distilbène" : la justice reconnaît les victimes de la troisième génération mais limite l'indemnisation de leur préjudice, Lexbase Hebdo n° 246 du 31 janvier 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N8452A9W) ; Ch. Radé, in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI) et in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 346 du 16 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0185BK3).
(2) TGI Nanterre, 14 novembre 2003, n° 00/05544, Madame Fabienne P. c/ Société UCB Pharma (N° Lexbase : A1591DLI) ; TGI Nanterre, 17 décembre 2004, n° 02/09469, Madame Catherine P. c/ Société UCB Pharma (N° Lexbase : A7449DEM) ; TGI Nanterre, 10 juin 2005, n° 02/10605, Madame Anne-Françoise D. épouse L. c/ Société UCB Pharma (N° Lexbase : A0182DKX).
(3) CA Versailles, 30 avril 2004, n° 02/05925, Société UCB Pharma c/ Mademoiselle Nathalie B. (N° Lexbase : A0033DC9) et n° 02/05924, Société UCB Pharma c/ Mademoiselle Ingrid C. (N° Lexbase : A0032DC8) ; CA Versailles, 16 septembre 2005, n° 04/01164, Société UCB Pharma c/ Madame Fabienne P. (N° Lexbase : A9975DTM) et n° 04/01129, Société UCB Pharma c/ Mademoiselle Véronique L. (N° Lexbase : A9974DTL) ; CA Versailles, 21 décembre 2006, 8 arrêts, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP), n° 05/04144 (N° Lexbase : A4087DTK), n° 05/06689 (N° Lexbase : A4089DTM), n° 05/06691 (N° Lexbase : A4090DTN), n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP), n° 05/06693 (N° Lexbase : A4092DTQ), n° 05/06694 (N° Lexbase : A4096DTU), n° 05/06697 (N° Lexbase : A4093DTR) et n° 05/06698 (N° Lexbase : A4094DTS).
(4) ) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-16.180, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4988DN3) et n° 04-16.179, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4987DNZ).
(5) Cf. supra.

newsid:356452

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus