La lettre juridique n°354 du 11 juin 2009 : Consommation

[Jurisprudence] L'interdiction des offres conjointes aux consommateurs censurée par la CJCE

Réf. : CJCE, 23 avril 2009, aff. jointes C-261/07 et C-299/07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV (N° Lexbase : A5552EGQ)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

le 07 Octobre 2010

La Directive 2005/29/CE, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (N° Lexbase : L5072G9Q) avait été adoptée le 11 mai 2005 pour harmoniser les législations nationales et assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. Elle semble surtout un formidable manifeste de l'inscription du droit communautaire de la consommation dans un cadre bien plus vaste, celui du droit du marché. Plus qu'un droit de protection d'une personne présumée faible (en l'occurrence le consommateur), le droit communautaire de la consommation a, en effet, notamment pour fonction, mais certains y verront cyniquement sa fonction principale, d'assurer à l'ensemble des opérateurs du marché intérieur des conditions d'exercice de leur activité identiques sur tout le territoire de l'Union. Ce faisant, la question de l'interprétation du droit communautaire de la consommation est, en premier lieu, de savoir si un Etat peut adopter une réglementation plus protectrice du consommateur que ne le prévoient les textes communautaires. L'adoption de la Directive de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales pouvait être interprétée, en France notamment, comme impliquant une protection du consommateur moins complète que ne l'imposaient auparavant les dispositions du Code de la consommation. Si l'objectif premier du droit communautaire du marché est une harmonisation pour permettre la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, il n'est jamais certain, en effet, que cette harmonisation doive se faire "par le haut".

La question préjudicielle introduite devant la Cour de justice des Communautés européennes par le rechtbank van koophandel te Antwerpen de Belgique (le tribunal de commerce d'Anvers) visait précisément à obtenir une interprétation de la Directive de 2005. Le contentieux opposait, encore une fois, des entreprises concurrentes. Plus précisément, dans la première affaire soumise au juge belge (C-261/07), une filiale du groupe Total spécialisée dans la distribution de carburant dans des stations-service, offrait aux consommateurs détenteurs d'une carte spéciale trois semaines gratuites d'assistance au dépannage, pour chaque plein d'au moins 25 litres pour une voiture ou d'au moins 10 litres pour un cyclomoteur. Un concurrent, spécialisé dans le dépannage entendait faire cesser cette offre commerciale. Dans la seconde affaire (C-299/07), un périodique belge était accompagné d'"un carnet donnant droit, entre le 13 mars et le 15 mai 2007, à une remise de 15 à 25 % sur des produits vendus dans certains magasins de lingerie". Une société exploitant un magasin de lingerie entendait faire cesser cette pratique au regard de la loi belge de 1991.

L'article 54 de cette loi dispose qu'"il y a offre conjointe au sens du présent article, lorsque l'acquisition, gratuite ou non, de produits, de services, de tous autres avantages, ou de titre permettant de les acquérir, est liée à l'acquisition d'autres produits ou services, même identiques. Sauf les exceptions précisées ci-après, toute offre conjointe au consommateur effectuée par un vendeur est interdite. Est également interdite toute offre conjointe au consommateur effectuée par plusieurs vendeurs agissant dans une unité d'intention". La loi belge, qui n'a pas été modifiée sur ce point à l'occasion de la transposition de la Directive de 2005, interdit donc toute offre conjointe, sans distinguer selon les effets réels de celle-ci sur le consommateur, le marché ou encore les concurrents.

La juridiction belge saisie posa la question préjudicielle suivante à la Cour de justice des Communautés européennes : "la Directive s'oppose-t-elle à une disposition nationale telle que celle de l'article 54 de la loi [belge] de 1991 qui -réserve faite des cas énumérés limitativement dans la loi- interdit toute offre conjointe d'un vendeur à un consommateur, y compris l'offre conjointe d'un produit que le consommateur doit acheter et d'un service gratuit, dont l'acquisition est liée à l'achat du produit, et ce nonobstant les circonstances de l'espèce et en particulier nonobstant l'influence que cette offre particulière peut exercer sur le consommateur moyen et nonobstant la question de savoir si, dans les circonstances de l'espèce, cette offre peut être considérée comme contraire à la diligence professionnelle ou aux usages honnêtes en matière commerciale" ? En d'autres termes, et pour simplifier la question posée, une offre conjointe imposée peut-elle être interdite per se, sans avoir à distinguer, notamment, entre une offre loyale et une offre déloyale ?

En l'occurrence, la Commission européenne se montrait favorable dans ses conclusions à une interprétation rigoureuse des dispositions et surtout de l'objectif poursuivi par la Directive : l'harmonisation doit, selon elle, être totale et refuser toute interprétation qui admettrait une législation nationale plus contraignante pour les professionnels. Dans la mesure où les offres en cause sont présentées par des commerçants, elles doivent être, toujours selon l'interprétation de la Commission européenne, considérées comme des pratiques commerciales soumises aux dispositions de la Directive de 2005. Les Gouvernements belge et français, dont les législations interdisent ces offres conjointes sans distinction, s'opposaient à cette interprétation, refusant d'assimiler ces offres à des "pratiques commerciales". Il est important de rappeler, pour expliquer la position des Gouvernements belges et français, que la Directive sur les pratiques commerciales déloyales dresse une liste en son annexe I des offres illicites. Or si une harmonisation totale est l'objectif poursuivi par la Directive, un Etat membre ne saurait interdire des pratiques qui ne seraient pas expressément interdites par la Directive. Les législations belge mais aussi française seraient, par conséquent, contraires aux dispositions de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales.

La Cour de justice considère effectivement lesdites pratiques comme soumises aux dispositions de la Directive en ce qu'elles sont bien, selon la définition particulièrement large qui en est donnée, des "action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs" (article 2 (d) de la Directive). Sur ce point, la solution donnée est difficilement discutable. Plus délicate, en revanche, est la question, désormais classique, de l'objectif poursuivi par la Directive.

Pour caractériser l'objectif poursuivi, la Cour se livre à une interprétation des cinquième et sixième considérants de la Directive ainsi que de son article premier pour y voir une "harmonisation complète desdites règles au niveau communautaire. Dès lors, comme le prévoit expressément l'article 4 de celle-ci et contrairement à ce qu'affirment VTB et le Gouvernement français, les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la Directive, même aux fins d'assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs". On ne pourra pourtant que relativiser la pertinence de cette affirmation : en premier lieu parce que si le cinquième considérant vise effectivement des "règles uniformes", celles-ci sont censées viser "un niveau élevé de protection des consommateurs". L'article premier quant à lui assigne deux objectifs à la Directive, "rapprocher" les législations des Etats membres et "assurer un niveau élevé de protection des consommateurs". L'harmonisation totale est, dès lors, une interprétation fonctionnelle de la CJCE, a priori non imposée par les textes, et qui pourrait par ailleurs être critiquée au regard de l'article 169 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et imposant encore une fois un "niveau élevé de protection des consommateurs" (article intégrant d'ailleurs cet objectif dans le cadre de la réalisation du marché intérieur).

Dès lors que l'harmonisation est considérée comme totale, aucun Etat membre ne peut maintenir une législation plus protectrice. La loi belge interdisant les offres conjointes est, par conséquent, contraire au droit communautaire puisque la Directive de 2005, plus précisément son article 5 n'interdit pas expressément les offres conjointes. Les dispositions du Code de la consommation français ne sont donc pas elles non-plus conformes au droit communautaire. En pratique donc, la décision de la CJCE imposerait au juge français, saisi d'un tel contentieux, de refuser l'application de l'article L. 122-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6477ABI) qui dispose qu'"il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit". Certes le contentieux français portant sur ces ventes liées était relativement peu fourni, l'essentiel portant comme dans la première affaire exposée ici sur l'adjonction d'un service à la vente d'un produit ou à la fourniture d'un autre service : ont été sanctionnées par exemple l'obligation faite à un assuré de souscrire une seconde police d'assurance pour conserver le bénéfice d'une autre (notamment CA Paris, 17 décembre 1993, BID, 1994, n° 11, p. 32), de même que l'obligation de souscrire à une obligation d'assurance dans le cadre d'un voyage proposé par une agence spécialisée (Cass. crim., 12 juin 1995, n° 94-82.984 N° Lexbase : A8841AB3, Bull. crim., n° 212 ; JCP éd. E, 1995, pan. p. 1108). L'interprétation donnée par la CJCE autorise, par ailleurs, implicitement la pratique qui consiste pour un hôtelier à inclure dans le prix de la chambre le petit déjeuner (T. pol. Paris, 2 juillet 1993, BID, 1994, n° 11, p. 31).

Cette décision n'empêche évidemment pas la sanction d'une offre conjointe mais elle en complique les conditions. Il ne suffit plus à celui qui invoque une vente liée de caractériser le caractère forcé de la vente pour obtenir une sanction. Il lui faut, désormais, prouver que l'offre en cause est "déloyale" au sens de la Directive, c'est-à-dire "trompeuse" ou "agressive" (articles 8 et 9 de la Directive). Une telle offre ne pourrait donc être considérée comme illicite, sans aucune automaticité désormais, que si elle avait pour effet d'induire le consommateur en erreur sur la portée de son engagement.

La Directive de 2005 a donc un titre particulièrement approprié, "les pratiques commerciales déloyales", insistant plus sur les relations entre professionnels que sur la protection du consommateur. C'est la reconnaissance par les institutions communautaires du fait que le droit de la consommation est bien souvent un outil de régulation des comportements au bénéfice des entreprises. Ce que l'on appelait auparavant la "publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur" était, en effet, le plus souvent invoquée devant les tribunaux, de commerce essentiellement, par un professionnel contre un autre professionnel. Le droit communautaire de la consommation est donc pleinement un droit de la régulation économique.

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