La lettre juridique n°348 du 30 avril 2009 : Institutions

[Textes] Présentation du projet de loi organique relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution

Réf. : Projet de loi organique relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

le 07 Octobre 2010

Parmi les nombreuses modifications introduites dans notre Constitution par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK), celle instaurant un mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité est assurément fondamentale, et cela à plus d'un titre. Politiquement, tout d'abord, l'on imagine bien que le pouvoir en place est sûrement ravi d'être parvenu à réformer le système de contrôle de constitutionnalité des lois là où ses prédécesseurs avaient malheureusement échoué, en 1990, tout d'abord, en 1993, ensuite. Au-delà de ce premier aspect, c'est, bien évidemment, sur le plan juridique que la réforme opérée est essentielle. En effet, le nouvel article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) dispose que, "lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé". Avec cette disposition, le pouvoir constituant vient combler un angle mort de notre contrôle de constitutionnalité des lois, et permet à notre ordre juridique de s'aligner sur la plupart de nos voisins européens.

La France, patrie des droits de l'Homme, permet enfin aux justiciables, non de saisir directement le Conseil constitutionnel, mais d'alerter le juge ordinaire sur leurs doutes quant à la constitutionnalité d'une loi promulguée, lequel juge pourra alors, s'il estime ces doutes fondés, renvoyer la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Le contrôle de constitutionnalité des lois n'est donc plus seulement un contrôle a priori et abstrait pouvant être déclenché par des autorités de saisine limitativement déterminées. Il devient, également, un contrôle a posteriori (1) et concret pouvant être déclenché à la demande des requérants ordinaires, dès lors qu'ils invoquent un manquement aux droits et libertés constitutionnellement protégés (2).

L'introduction, dans notre droit, de ce mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité (et non d'exception d'inconstitutionnalité comme on le soutient parfois, cette appellation devant être réservée aux Etats dans lesquels la question de constitutionnalité peut être posée et réglée par tout juge, comme c'est le cas aux Etats-Unis) (3) est susceptible, à terme, de modifier profondément les relations entre les juges ordinaires et le juge constitutionnel mais, également, de changer radicalement le rôle du Conseil constitutionnel.

Fort logiquement, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 ne pouvait pas (et ne devait pas, d'ailleurs) préciser l'ensemble des règles procédurales applicables à la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité. Aussi, le nouvel article 61-1 de la Constitution prévoyait-il l'intervention d'une loi organique déterminant les conditions de son application. Très attendu, ce projet de loi organique a été adopté en Conseil des ministres le 8 avril 2009, et déposé à l'Assemblée nationale le même jour où il doit être examiné dans les prochaines semaines. S'il est évident que les débats parlementaires permettront de l'enrichir, ce texte apporte déjà des précisions importantes, tant en ce qui concerne la question de constitutionnalité (I), que la réponse à cette question (II).

I - Poser la question de constitutionnalité

La question de constitutionnalité peut être posée devant une juridiction ordinaire "inférieure" (A), mais aussi directement devant les juges suprêmes que sont le Conseil d'Etat et la Cour de cassation (B). Le projet de loi organique prévoit, en effet, d'insérer après le chapitre II du titre II de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), un chapitre II bis qui distingue les deux hypothèses ici reprises.

A - Devant une juridiction ordinaire "inférieure"

Devant une juridiction ordinaire "inférieure" relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le projet de loi prévoit que le moyen selon lequel une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution pourra être soulevé à toute hauteur de l'instance, y compris en appel. En revanche, la question ne pourra pas être relevée d'office par le juge. Cela signifie, très concrètement, que le juge ordinaire ne se livrera pas à un examen systématique de la constitutionnalité de la loi promulguée, il ne le fera qu'à la demande du requérant.

La matière pénale présente ici quelques particularités. Si la question de constitutionnalité pourra être soulevée au cours de l'instruction, celle-ci sera portée devant la Chambre de l'instruction, ni le juge de l'instruction, ni le juge des libertés et de la détention n'ayant le pouvoir d'annuler un acte ou une pièce de la procédure d'instruction. A cette première spécificité s'en ajoute une autre, tenant à l'impossibilité de soulever une question de constitutionnalité devant la Cour d'assises. Cela s'explique, évidemment, par la composition particulière de cette juridiction pénale et par le souci de ne pas perturber le procès criminel par des questions de droit et de procédure. Il ne faut, toutefois, pas en déduire que la personne poursuivie pour crime ne pourra pas bénéficier des vertus du nouveau dispositif. Elle pourra le faire en amont du procès pénal, au cours de la phase d'instruction. Elle pourra, également, le faire en aval du procès pénal puisque le projet de loi organique prévoit que la question de constitutionnalité pourra être posée, en cas d'appel, au moment de la déclaration d'appel. Dans ce dernier cas, cette question sera alors transmise à la Cour de cassation, qui l'examinera avant l'ouverture du procès d'assises en appel.

Permettre à un requérant ordinaire de poser la question de constitutionnalité d'une loi promulguée est, de toute évidence, une avancée remarquable en termes de protection des droits fondamentaux et de respect de l'Etat de droit. Il reste que le projet de loi organique ne néglige pas le risque qu'il peut y avoir à ce que la question de constitutionnalité soit posée à des fins dilatoires, c'est-à-dire pour repousser une échéance judiciaire. Pour éviter qu'un tel scénario ne se produise, le projet de loi organique oblige la juridiction saisie de la question de constitutionnalité à examiner trois points.

Il lui appartiendra, tout d'abord, de s'assurer que la disposition contestée commande l'issue du litige, la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. Il lui appartiendra, également, de s'assurer que la disposition contestée n'a pas été préalablement déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Il lui reviendra, enfin, d'apprécier le caractère sérieux de la question. C'est seulement si la réponse à ces trois questions est positive que la juridiction devra alors transmettre la question de constitutionnalité à la juridiction suprême dont elle relève. Dans tous les cas, la décision de transmettre la question ne sera pas susceptible de recours. La partie adverse pourra, néanmoins, faire valoir ses droits en soutenant devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation que les conditions fixées par la loi organique ne sont pas réunies.

La décision de transmettre la question se traduit automatiquement par un sursis à statuer jusqu'à la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation et, s'il a été saisi, jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel. Dans le premier cas, la durée du sursis sera limitée à trois mois, tandis qu'elle sera limitée à six mois en cas de saisine du juge constitutionnel. Le projet de loi organique tient compte du fait que le prononcé du sursis à statuer peut, dans certaines hypothèses, porter atteinte au fonctionnement normal de la justice. Ainsi prévoit-il que le cours de l'instruction ne sera pas suspendu par la transmission de la question de constitutionnalité, et que le juge pourra toujours prendre des mesures provisoires ou conservatoires. Plus encore, lorsque cela sera strictement nécessaire, notamment lorsque la transmission de la question peut avoir des conséquences irrémédiables pour les droits d'une partie, la juridiction saisie aura le pouvoir de statuer sur les points devant être immédiatement tranchés.

Malgré ces précautions, il va de soi que les délais d'examen de la question de constitutionnalité (trois mois pour le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, et six mois pour le Conseil constitutionnel) sont difficilement conciliables avec certaines procédures juridictionnelles imposant au juge de statuer dans un délai déterminé (l'on pense, par exemple, aux procédures d'urgence devant le juge administratif, ou aux demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire devant le juge judiciaire). Pour cette raison, le projet de loi organique organise la possibilité, dans ces hypothèses, de poser la question de constitutionnalité, sans pour autant prononcer le sursis à statuer.

B - Devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat

La question de constitutionnalité sera nécessairement posée devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat, soit parce qu'elle leur aura été transmise par une juridiction inférieure (cf supra), soit parce qu'elle aura été posée, pour la première fois, devant eux par un justiciable. Dans les deux cas, les juridictions suprêmes joueront le rôle de filtre, et il leur appartiendra donc de vérifier la réalisation des conditions précitées.

La question de constitutionnalité pourra donc être soulevée pour la première fois devant le Conseil d'Etat, statuant comme juge de cassation, comme juge d'appel, ou comme juge de premier et dernier ressort, ou devant la Cour de cassation.

Alors que les différentes formations du Conseil d'Etat statuant au contentieux pourront se prononcer et, éventuellement, décider de transmettre la question au Conseil constitutionnel, le projet de loi organique prévoit l'institution d'une formation nouvelle devant la Cour de cassation. Celle-ci sera composée du premier président, des présidents des chambres et de deux conseillers appartenant à chaque chambre spécialement concernée. Cette nouvelle chambre aura vocation prioritaire à examiner les questions de constitutionnalité soulevées, mais le premier président pourra toujours décider de renvoyer la question devant une formation restreinte (composée de lui, du président, et d'un conseiller de la chambre concernée).

Le projet de loi organique ne règle malheureusement pas toutes les questions. Il ne dit rien, par exemple, de la question de constitutionnalité qui pourrait être posée devant le Tribunal des conflits. Même si ce dernier n'a pas vocation à se prononcer sur le fond, mais seulement sur la compétence, il serait finalement regrettable de ne pas permettre à un requérant de soulever la question de constitutionnalité devant lui. Dans le même ordre d'idées, le projet de loi organique ne règle pas la question de savoir si la question de constitutionnalité pourra être posée directement devant le Conseil constitutionnel statuant en tant que juge électoral.

II - Répondre à la question de constitutionnalité

C'est un mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité, et non d'exception d'inconstitutionnalité, que la loi du 23 juillet 2008 a introduit au nouvel article 61-1 de la Constitution. En effet, les juridictions inférieures et les juridictions suprêmes ne disposent pas du pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi promulguée, et la jurisprudence "Arrighi" du Conseil d'Etat (4), récemment réaffirmée (5), conserve donc toute son actualité. Ce pouvoir reste "le monopole du Conseil constitutionnel" (6).

Une fois saisie de la question, le Conseil constitutionnel devra respecter certaines règles procédurales. Il devra, tout d'abord, informer le Président de la République, le Premier ministre, et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat de sa saisine. Cette obligation s'explique par le fait que ces autorités pourront alors formuler des observations au Conseil constitutionnel. Il devra, ensuite, assurer le contradictoire et le caractère public de la procédure.

Il appartiendra au Conseil constitutionnel de rendre sa décision dans un délai de trois mois. Celle-ci sera alors notifiée aux parties et communiquée au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi qu'à la juridiction devant laquelle la question aura été préalablement soulevée. Elle sera, également, notifiée au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents des assemblées, et sera publiée au Journal officiel.

Il faut ici rappeler, même si ce n'était pas l'objet de la loi organique annoncée par l'article 61-1 de la Constitution, qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de cet article est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Il revient, alors, au Conseil constitutionnel de déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.


(1) Doit-on rappeler qu'il existait déjà une forme de contrôle a posteriori et abstrait depuis l'admission en 1985, par le Conseil constitutionnel, d'un contrôle de constitutionnalité des lois promulguées à l'occasion du contrôle a priori d'une loi en modifiant, en complétant ou en affectant le domaine (Cons. const., Décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie N° Lexbase : A8109ACC).
(2) Il s'agit donc d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori matériellement limité. Il ne sera pas possible, par exemple, d'invoquer la violation d'une règle procédurale constitutionnelle.
(3) T. Renoux, L'exception, telle est la question, RFDC, 1990, p. 651.
(4) CE, 6 novembre 1936, Arrighi, Rec. CE, p. 966.
(5) CE 7° s-s., 31 décembre 2008, n° 318461, M. Legros (N° Lexbase : A1505ECQ), AJDA, 2009, p. 148, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi ; CE 4° et 5° s-s-r., 5 janvier 2005, Mlle Deprez (N° Lexbase : A2306DGI), Rec. CE, p. 1, AJDA, 2005, p. 845, note L. Burgorgue-Larsen, RFDA, 2005, p. 56, note B. Bonnet.
(6) M. Verpeaux, Question préjudicielle et renouveau constitutionnel, AJDA, 2008, p. 1879, et spéc., p. 1885.

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