La lettre juridique n°346 du 16 avril 2009 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Date d'appréciation de la double condition à la substitution du bénéficiaire d'un pacte de préférence dans les droits du tiers acquéreur

Réf. : Cass. civ. 3, 25 mars 2009, n° 07-22.027, M. Vincent Jacomacci, FS-P+B (N° Lexbase : A1966EEK)

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par Vincent Téchené, Redacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

Le pacte de préférence permet à son bénéficiaire d'obtenir du promettant qu'il s'engage à lui accorder un droit de priorité, pour le cas où l'opération envisagée se réalisera, sans que les conditions du contrat futur soient encore déterminées. Le régime de cette convention, comme d'ailleurs celui de la promesse unilatérale de vente, suscite quelques interrogations, contribuant ainsi à entacher le régime des avant-contrats, en général, d'une certaine insécurité (1).
La question s'est, notamment, posée de savoir quels sont les droits du bénéficiaire du pacte, lorsque celui qui lui a consenti cette priorité passe le contrat promis avec un tiers sans l'en informer. Longtemps hostile à la substitution du bénéficiaire du pacte dans les droits du tiers acquéreur (2), la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, a opéré un revirement remarquable, dans un arrêt du 26 mai 2006, abondamment et brillamment commenté (3). S'inscrivant dans la logique de cette jurisprudence, l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 25 mars 2009 apporte une précision importante sur les conditions de mise en oeuvre de cette "nouvelle" sanction. En l'espèce, un acte de donation-partage dressé le 26 novembre 1992, contenant un pacte de préférence, a attribué à la donataire des droits sur un immeuble. Le 30 avril 2003, cette dernière a conclu une promesse synallagmatique de vente portant sur cet immeuble, l'acte authentique de vente étant signé le 29 septembre suivant. Invoquant une violation du pacte de préférence stipulé dans l'acte de donation-partage, dont elle tenait ses droits en tant qu'attributaire, la bénéficiaire a demandé sa substitution dans les droits des acquéreurs.

La cour d'appel de Grenoble, saisie du litige, annule la vente et substitue aux acquéreurs la bénéficiaire du pacte. Pour ce faire, les juges du second degré retiennent que si le compromis de vente signé le 30 avril 2003 ne fait aucune référence au pacte de préférence, le notaire, qui a dû découvrir l'existence de ce pacte postérieurement à cette date, a notifié à la bénéficiaire du pacte, par acte du 14 août 2003, le projet de vente avec ses conditions. Ainsi, selon les juges du fond, dans la mesure où le notaire a signifié à la bénéficiaire la possibilité de se prévaloir du pacte, ce ne peut être qu'avec l'accord des parties au compromis, lesquelles, afin de dégager le notaire d'une éventuelle responsabilité, ont accepté cette régularisation, et le notaire faisant seulement état d'une intention de vendre l'immeuble, les parties au compromis avaient accepté que cet acte ne produise pas les effets d'une vente. Or, la violation du pacte de préférence est sanctionnée par la substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur de mauvaise foi, ce qui est le cas en l'espèce, dès lors qu'à la date du 29 septembre 2003 les acquéreurs connaissaient l'existence du pacte de préférence et savaient par leur notaire que la bénéficiaire du pacte n'avait pas renié l'acceptation de l'offre qu'elle avait faite.

Les acquéreurs et la venderesse ont alors formé, avec succès, un pourvoi en cassation. La Haute juridiction censure, en effet, la décision des juges du fond ; au visa des articles 1583 (N° Lexbase : L1669ABG) et 1589 (N° Lexbase : L1675ABN) du Code civil, elle énonce "qu'en statuant ainsi, alors que la connaissance du pacte de préférence et de l'intention de son bénéficiaire de s'en prévaloir s'apprécie à la date de la promesse de vente, qui vaut vente, et non à celle de sa réitération par acte authentique, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que les parties avaient entendu faire de celle-ci un élément constitutif de leur engagement, a violé les textes susvisés".

Ce faisant, la Cour régulatrice confirme la double condition cumulative indispensable à la mise en oeuvre de la substitution du bénéficiaire d'un pacte dans les droits du tiers acquéreur et précise la date à laquelle doit s'apprécier l'existence des conditions permettant de prononcer la substitution du bénéficiaire du pacte.

I - La double condition nécessaire à la mise en oeuvre de la substitution

Si le revirement opéré par l'arrêt du 26 mai 2006 a, d'un point de vue théorique, une portée importante, en pratique, la substitution du bénéficiaire d'un pacte de préférence dans les droits du tiers acquéreur ne s'opèrera qu'assez exceptionnellement tant les conditions de sa mise en oeuvre posées par l'arrêt de la Chambre mixte et confirmées par celui de la troisième chambre civile, ici rapporté, apparaissent restrictives.

En effet, dans l'arrêt du 26 mai 2006, la Haute juridiction a posé le principe selon lequel, le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, à condition toutefois de démontrer que ce tiers a eu connaissance, au moment où il a contracté, de l'existence du pacte et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Ces deux conditions ne sont pas, pour autant, nouvelles puisque, bien antérieurement, si la Cour régulatrice refusait la substitution, elle admettait la possibilité de sanctionner l'inexécution de l'obligation contenue dans le pacte par la nullité du contrat passé au détriment du bénéficiaire de la préférence, cela étant à la double condition que l'acquéreur ait eu connaissance de l'existence du pacte et qu'il ait su que le bénéficiaire de ce droit entendait en faire usage (4).

Cette exigence repose, en fait, sur l'idée que le pacte de préférence ne confère à son bénéficiaire qu'une faculté de se porter acquéreur, dont l'exercice dépendra notamment des conditions de la vente, qu'il ignore au moment de la conclusion du pacte, de sorte que la seule connaissance du droit de préférence ne révèle pas chez son bénéficiaire une intention d'acquérir. C'est justement cette caractéristique qui distingue la situation du titulaire d'un droit de préférence de celle, plus favorable, du bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente, pour lequel, les conditions de la vente étant arrêtées dans la promesse, il n'existe, dès sa conclusion, aucun doute sur sa volonté d'acquérir le bien aux conditions convenues.

Cette exigence a été largement critiquée dans la mesure où elle mettrait à la charge du bénéficiaire du pacte l'obligation de rapporter une preuve des plus difficiles et serait donc largement favorable aux vendeurs et aux acquéreurs malveillants. En témoigne l'arrêt du 26 mai 2006, qui, après avoir posé le principe de la possible substitution, constate qu'en l'espèce celle-ci ne peut pas jouer compte tenu du fait que la double condition n'est pas remplie. D'ailleurs, certains auteurs considéraient que les difficultés de mise en oeuvre de la substitution relativisaient considérablement le bouleversement issu de l'arrêt rendu en Chambre mixte, allant jusqu'à dire qu'elle n'était que "théorique" (5), ou pire que la preuve de la connaissance par le tiers de l'intention du bénéficiaire du pacte de s'en prévaloir était impossible à rapporter (6).

Finalement, chacun s'accorde à penser que la difficulté ne réside pas dans la preuve de la connaissance de l'existence du pacte, mais bien dans celle de la connaissance qu'avait le tiers de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. En effet, au secours du premier élément, viendront souvent jouer les règles de la publicité foncière, encore que cette affirmation doit être très largement nuancée. En premier lieu, bien entendu parce qu'un pacte de préférence peut porter sur autre chose que la transmission de droits immobiliers, en second lieu parce que le droit de la publicité foncière n'impose plus la publicité à la conservation des hypothèques des pactes de préférence. Ainsi, si l'article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 (N° Lexbase : L9182AZ4) soumet à une publicité obligatoire au bureau des hypothèques les actes entre vifs dressés distinctement pour constater toutes restrictions au droit de disposer, l'article 37 du même texte autorise la publicité facultative au bureau des hypothèques, pour l'information des usagers, des promesses unilatérales de vente et des promesses unilatérales de bail de plus de douze ans. Après avoir un temps décidé que le pacte de préférence emportait restriction du droit de disposer et que, dès lors, sa publication entraînait son opposabilité aux tiers (7), la Cour de cassation a fait "marche arrière", en 1994, en retenant que devenant facultative, la publication du pacte, faite à titre d'information, ne créait aucune opposabilité particulière à l'égard des tiers (8). Il apparaissait, en effet, paradoxal de soumettre le pacte de préférence a une publicité obligatoire alors que la promesse unilatérale de vente n'emportait qu'une publicité facultative.

La publicité à la conservation des hypothèques, dans ces conditions, n'a donc plus qu'une fonction informative, permettant, tout au plus, au bénéficiaire de soutenir que l'acquéreur ne pouvait ignorer ses droits. Aussi, est-il vivement conseillé de publier un pacte de préférence.

Si le doute sur l'effectivité du revirement opéré par l'arrêt du 26 mai 2006 apparaissait partagé par l'ensemble de la doctrine, il ne fallut à la Cour de cassation que quelques mois pour faire "mentir" les plus pessimistes puisque, dans un arrêt du 14 février 2007, la troisième chambre civile devait reconnaître, en l'espèce, la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur (6). L'arrêt rapporté persiste dans cette voie, puisque, outre le rappel de la double condition à la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur, et même si la sanction n'est finalement pas retenue, les faits démontrent une nouvelle fois la possibilité de rapporter la preuve que le tiers connaissait l'existence du pacte et l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. En effet, le notaire du vendeur, qui avait eu connaissance de l'existence du pacte, avait informé du compromis le bénéficiaire qui avait, par la suite, fait part de son intention de se prévaloir de son droit de préférence.

II - La date d'appréciation de la double condition en présence d'une promesse synallagmatique de vente

Si la mauvaise foi du tiers acquéreur était démontrée, encore eut-il fallu que cette preuve eut été faite au bon moment. Or, c'est sur ce point précis que la Cour régulatrice casse l'arrêt des seconds juges : la connaissance du pacte de préférence et de l'intention de son bénéficiaire de s'en prévaloir s'apprécie à la date de la promesse de vente, qui vaut vente, et non à celle de sa réitération par acte authentique. En effet, en application de l'article 1589 du Code civil (N° Lexbase : L1675ABN), la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. C'est donc au moment où le tiers acquéreur consent à la vente qu'il convient de vérifier s'il avait ou non connaissance du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Voilà qui nous replonge immanquablement dans les critiques formulées dans les commentaires de l'arrêt du 26 mai 2006 sur le caractère éminemment restrictif des conditions de la substitution. Si, au plan des principes, cette solution semble justifiée, elle apparaît bien peu soucieuse de la protection des intérêts du bénéficiaire : le tiers acquéreur a beau être de mauvaise foi, la substitution ne peut jouer, faute pour le bénéficiaire du pacte de rapporter la preuve de la collusion frauduleuse dès l'échange des consentements.

Au-delà, on retiendra que la date d'appréciation de la connaissance qu'a le tiers acquéreur du pacte de préférence et de l'intention de son bénéficiaire de s'en prévaloir s'apprécie, quel que soit le contrat, dès qu'il est formé. Dès lors en droit commun de la vente, cette date sera celle de l'échange des consentements, celle à laquelle les parties sont convenues de la chose et du prix (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG).

Au demeurant, la Cour réserve le cas dans lequel les parties ont entendu ajouter à leur consentement un élément essentiel à la formation du contrat. Dans de telles circonstances, c'est à la date à laquelle cet élément se réalise que le contrat se forme et que, par conséquent, s'apprécie la mauvaise foi du tiers acquéreur. Il en sera ainsi lorsque les parties introduisent dans le compromis de vente une clause selon laquelle la vente sera réitérée ou régularisée par acte authentique (10). A défaut, en l'espèce, pour la cour d'appel d'avoir constaté que telle était la volonté des parties, la promesse de vente valait vente et c'était bien à cette date que devait s'apprécier la connaissance du tiers de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir (11).


(1) Voir, not., D. Mazeaud, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, Mél. Ghestin.
(2) Cf., not., Cass. com., 7 mars 1989, n° 87-17.212, Société anonyme Saigmag c/ M. Peltié (N° Lexbase : A4042AGS) ; Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 95-17.598, Office européen d'investissement et autres c/ Association Médecins du Monde et autre (N° Lexbase : A0614ACQ).
(3) Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, Daurice Pater, épouse Pere c/ M. Jean Solari P+B+R+I (N° Lexbase : A7227DPD), D., 2006, n° 1861, note P.-Y. Gautier et D. Mainguy ; JCP éd. G, 2006, II, n° 10142, note L. Leveneur ; JCP éd. N, 2006, n° 1256, note B. Thullier ; Defrénois, 2006, 1206, obs. E. Savaux ; Contrats, conc., consom., 2006, n° 153, note L. Leveneur ; LPA, 11 janvier 2007, note A. Paulin ; RDC, 2006, n° 1131, obs. F. Collart-Dutilleul ; RTDCiv., 2006, n° 550, obs. J. Mestre et B. Fages ; Bull. Joly, 2006, p. 1072, note H. Le Nabasque.
(4) Cass. Req., 15 avril 1902, D., 1903, I, p. 38, solution confirmée à plusieurs reprises depuis, cf., not., Cass. civ. 3, 10 février 1999, n° 95-19.217, Mme Morin, publié (N° Lexbase : A2641A7X).
(5) L. Leveneur, Contrats, conc., consom., 2006, comm. 153, sous Cass. mixte, 26 mai 2006, préc..
(6) P.-Y. Gautier, D. 2006, p. 1861, sous Cass. mixte, 26 mai 2006, préc..
(7) Cass. civ. 3, 4 mars 1971, n° 69-11.993, I. du Grand Lambert c/ Jalu, Dlle Ruault, Dame Tissier, publié au bulletin (N° Lexbase : A9908CEP), D., 1971, p. 358, note Franck ; Defrénois, 1971, 29914, p. 900, obs. Aubert.
(8) Cass. civ. 3, 16 mars 1994, n° 91-19.797, Société Morillon-Corvol c/ Société Les Sauts de l'Aigle et autre (N° Lexbase : A6553ABC).
(9) Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.814, Société civile immobilière (SCI) Serp, FS-P+B (N° Lexbase : A2160DUK).
(10) Cass. civ. 3, 2 février 1983, n° 81-12.036, M. Biboud c/ Mme Converso (N° Lexbase : A7110CE3).
(11) Cass. civ. 3, 20 décembre 1994, n° 92-20.878, M. Lionard c/ M. Jarry (N° Lexbase : A7390ABC).

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