La lettre juridique n°339 du 26 février 2009 :

[Textes] Les sûretés dans l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté

Réf. : Ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté (N° Lexbase : L2777ICT)

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[Textes] Les sûretés dans l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211522-textes-les-suretes-dans-lordonnance-n-20081345-du-18-decembre-2008-portant-reforme-du-droit-des-entr
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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Membre du CERDAC

le 09 Novembre 2012

La précédente réforme du droit des entreprises en difficulté (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) ayant atteint l'âge canonique de trois ans et cinq mois, il était apparemment nécessaire d'y retoucher. Tel est l'objet de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (1) dont la tâche principale est de rendre plus attractive la procédure de sauvegarde. En ce qui concerne le droit des sûretés, il était permis d'espérer que cette réforme soit l'occasion d'harmoniser enfin ces deux branches du droit si complémentaires que sont le droit des entreprises en difficulté et le droit des sûretés. En effet, la loi du 26 juillet 2005 s'intéressait relativement peu au droit des sûretés, notamment en raison de la réforme annoncée de ce dernier. Quant à l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, portant réforme du droit des sûretés (N° Lexbase : L8127HHH), elle s'est contentée d'affirmer au travers de l'article 2287 du Code civil (N° Lexbase : L1115HI7) que les dispositions du livre IV du Code civil consacré aux sûretés ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en cas d'ouverture d'une procédure collective. Pour autant, la réforme ne s'avère pas décisive sur ce point, et semble surtout s'être attachée à faire pénétrer dans le droit des entreprises en difficulté deux sûretés qui n'existaient pas en juillet 2005, à savoir le gage sans dépossession (créé par l'ordonnance du 23 mars 2006) et la fiducie (créée par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, instituant la fiducie N° Lexbase : L4511HUM). Ceci explique que les apports les plus visibles de l'ordonnance du 18 décembre 2008 soient relatifs à ces deux sûretés. Néanmoins, l'ordonnance apporte, également, certains correctifs aux dispositions issues de la loi du 26 juillet 2005. Ainsi, la liste des personnes pouvant se prévaloir des effets de la procédure est étendue (I), la sanction des garanties disproportionnées est modifiée (II), le gage sans dépossession sort affaibli de la réforme (III) et la fiducie est prise en considération (IV).

I - L'extension des bénéficiaires des effets de la procédure

Sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005, la possibilité ou non de se prévaloir des effets de la procédure était limitée à la personne physique ayant consenti un cautionnement ou une garantie autonome (2). Ainsi, dans le cadre d'une conciliation, la caution et le garant pouvaient se prévaloir des dispositions de l'accord homologué (C. com., art. L. 611-10, al. 3, anc. N° Lexbase : L4114HBY). Dans le cadre d'une sauvegarde, la caution et le garant pouvaient se prévaloir de l'arrêt du cours des intérêts résultant du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde. Le jugement d'ouverture suspendait jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les cautions et garants (C. com., art. L. 622-28, anc. N° Lexbase : L3748HBG). En outre, la caution et le garant pouvaient se prévaloir du jugement arrêtant le plan de sauvegarde (C. com., art. L. 626-11, anc. N° Lexbase : L3459IC4). Dans le cadre du redressement judiciaire, la caution et le garant bénéficiaient de la suspension des poursuites, durant la période d'observation (C. com., art. L. 631-14-I, anc. N° Lexbase : L4025HBP), mais ni de l'arrêt du cours des intérêts (C. com., art. L. 631-14-II, anc.), ni des dispositions du plan de redressement (C. com., art. L. 631-20, anc. N° Lexbase : L4031HBW). Les délais et remises accordés au débiteur dans le plan de redressement ne bénéficiaient donc ni à la caution, ni au garant. Enfin, dans le cadre de la liquidation judiciaire, l'ancien article L. 641-3 (N° Lexbase : L4046HBH) se contentait d'opérer un renvoi à l'article L. 622-28. Il en résultait que ni la caution, ni le garant ne pouvaient se prévaloir de l'arrêt du cours des intérêts.

L'ordonnance du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté, a élargi la liste des personnes pouvant bénéficier des effets de la procédure. En effet, les nouveaux textes ne visent plus seulement la personne physique ayant consenti un cautionnement ou une garantie autonome, mais "les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie". Ces personnes peuvent, désormais, se prévaloir des dispositions de l'accord homologué résultant d'une procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-10-2 N° Lexbase : L3212ICX). S'il s'agit de personnes physiques, elles pourront, également, se prévaloir du défaut de déclaration de créance pendant l'exécution du plan de sauvegarde (C. com., art. L. 622-26 N° Lexbase : L3296IC3), de l'arrêt du cours des intérêts résultant du jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde (C. com., art. L. 622-28, al. 1er N° Lexbase : L3512IC3), de la suspension des poursuites individuelles résultant du jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde (C. com., art. L. 622-28, al. 2) ou d'un redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-14 N° Lexbase : L3321ICY), et des dispositions du plan de sauvegarde (C. com., art. L. 626-11 N° Lexbase : L3459IC4).

L'extension est considérable. D'une part, sont concernées toutes les personnes ayant consenti une sûreté personnelle. Une interrogation subsiste néanmoins : que faut-il entendre par "sûreté personnelle" ? Le cautionnement, la garantie autonome et la lettre d'intention entrent sans hésitation dans cette catégorie (C. civ., art. 2287-1 N° Lexbase : L1116HI8). Les cautions et garants sont assurément concernés, comme sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005. Les confortants étant généralement des personnes morales, ils ne pourront guère se prévaloir que des dispositions de l'accord de conciliation homologué. L'hésitation est, en revanche, permise quant aux autres mécanismes que connaît le droit civil, qui peuvent jouer un rôle de garantie personnelle, mais dont la qualification en sûreté est contestable. Par conséquent, il reviendra à la jurisprudence de déterminer si le délégué, dans une délégation imparfaite, ou le porte-fort d'exécution peuvent se prévaloir des effets de la procédure.

D'autre part, sont concernées les personnes ayant affecté ou cédé un bien en garantie. La formule appelle deux commentaires. En premier lieu, la fiducie est concernée, puisqu'à côté de l'affectation d'un bien en garantie (hypothèse des sûretés réelles traditionnelles que sont le gage, le nantissement, l'hypothèque ou encore l'antichrèse) est mentionnée la cession d'un bien en garantie. En second lieu, cette formulation vise les constituants de sûretés réelles pour autrui, c'est-à-dire les "cautions réelles" (3). En effet, si le constituant est le débiteur qui fait l'objet de la procédure collective, il profite déjà des mesures en tant que bénéficiaire de la procédure. La logique de ces dispositions ne se conçoit donc que lorsque le constituant est un tiers.

II - La sanction des garanties disproportionnées

Innovation de la loi du 26 juillet 2005, l'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ) prévoit que les créanciers peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis dans les cas de "fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci". La sanction retenue par le texte était la nullité des garanties. Cette sanction a pu être critiquée, notamment pour son manque de souplesse (3). L'ordonnance du 18 décembre 2008 modifie cette sanction, retenant que les garanties peuvent être annulées ou réduites par le juge. L'apparition de la réduction judiciaire est assurément opportune, introduisant de la flexibilité sur ce point. Demeure, en revanche, critiquable le fait que cette sanction est toujours commune aux trois cas de responsabilité du créancier, et non à la seule disproportion des garanties (5).

III - L'affaiblissement du gage sans dépossession

L'ordonnance du 23 mars 2006, portant réforme du droit des sûretés, a créé le gage sans dépossession. Mais, en ne conférant pas de droit de rétention au créancier d'une telle sûreté, le rédacteur de l'ordonnance l'avait rendue moins attractive que le gage avec dépossession. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 (loi n° 2008-776 N° Lexbase : L7358IAR) avait remédié à cet oubli, en ajoutant un 4° à l'article 2286 du Code civil (N° Lexbase : L2439IBX), aux termes duquel "peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose celui qui bénéficie d'un gage sans dépossession".

L'ordonnance du 18 décembre 2008 limite considérablement la portée de ce droit de rétention. En effet, le nouvel article L. 622-7-I du Code de commerce (N° Lexbase : L3389ICI) prévoit que le jugement d'ouverture emporte de plein droit inopposabilité du droit de rétention du créancier gagiste sans dépossession pendant la période d'observation et l'exécution du plan de sauvegarde, sauf si le bien grevé est compris dans une cession d'activité.

Cette disposition opère un choix de politique juridique. Le droit de rétention est bloqué, ce qui tend à privilégier l'entreprise, en ne permettant pas aux créanciers gagistes sans dépossession de paralyser l'activité par l'exercice de leur droit de rétention. La solution inverse, c'est-à-dire l'opposabilité du droit de rétention dans la procédure, se serait plus harmonieusement intégrée dans la logique législative. En effet, la loi du 4 août 2008 a cherché à renforcer l'intérêt du gage sans dépossession, en reconnaissant à son titulaire un droit de rétention fictif. Mais l'ordonnance du 18 décembre 2008 écarte ce droit de rétention dans les hypothèses où il serait pourtant le plus utile.

Ainsi, si la solution s'explique sous l'angle du droit des entreprises en difficulté, elle apparaît plus discutable envisagée sous l'angle du droit des sûretés. Au delà, c'est peut-être la légitimité des droits de rétention fictifs qui est elle-même à reconsidérer. Si le droit de rétention est un droit de gêner, de nuire, de se faire justice à soi-même, c'est originellement parce qu'il est fondé sur la détention matérielle du bien. Il doit demeurer exceptionnel. Multiplier les droits de rétention fictifs conduit à multiplier les hypothèses de conflit entre créanciers. Cela affaiblit également la sécurité juridique, parce qu'une détention matérielle est toujours plus perceptible qu'une publicité sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce.

IV - La prise en considération de la fiducie

La fiducie ayant été introduite en droit français par la loi du 19 février 2007, le droit des entreprises en difficulté ne contenait, par hypothèse, aucune disposition à son sujet. L'ordonnance du 18 décembre 2008 a, par conséquent, cherché à remédier à ces lacunes (6). En premier lieu, l'ordonnance a ouvert aux personnes ayant cédé un bien à titre de garantie les mêmes droits qu'à une caution, un garant ou un constituant de sûreté réelle traditionnelle, en visant "les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie" (7).

En second lieu, l'ordonnance du 18 décembre 2008 permet la revendication, à condition qu'ils se retrouvent en nature, des biens meubles transférés dans un patrimoine fiduciaire dont le débiteur conserve l'usage ou la jouissance en qualité de constituant (C. com., art. L. 624-16 N° Lexbase : L3509ICX). Cette disposition permet, notamment, de rendre opposable aux tiers la fiducie grevant des stocks. Néanmoins, afin d'éviter que la fiducie soit réalisée dès l'ouverture de la procédure collective du constituant, et donc ne perturbe l'activité de l'entreprise, l'ordonnance a voulu limiter cette possibilité de revendication. Ainsi, dans les hypothèses de fiducie dans lesquelles le débiteur constituant conserve l'usage ou la jouissance des biens ou droits concernés, l'article L. 622-23-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3438ICC) prévoit qu'aucune "cession ou aucun transfert de ces biens ou droits ne peut intervenir au profit du fiduciaire ou d'un tiers du seul fait de l'ouverture de la procédure, de l'arrêté du plan ou encore d'un défaut de paiement d'une créance née antérieurement au jugement d'ouverture". La sanction d'une telle cession ou d'un tel transfert est la nullité.

Comme en matière de gage sans dépossession, les rédacteurs de l'ordonnance ont privilégié l'entreprise aux sûretés. L'article L. 622-23-1 fait le choix de ne pas priver le débiteur en difficulté de la jouissance de ce type de bien. Le revers de la médaille est que la fiducie est affaiblie, puisqu'elle ne peut être réalisée dans les hypothèses les plus criantes d'insolvabilité du débiteur.

Précisons, enfin, que, récemment, la fiducie a connu sa troisième réforme en l'espace de six mois. L'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, portant diverses mesures relatives à la fiducie ([LXB=L6939IC]) (8), a fait entrer cette sûreté dans le livre IV du Code civil. En revanche, cette ordonnance n'a en rien modifié le régime de cette sûreté dans le droit des entreprises en difficulté.


(1) Pour un commentaire d'ensemble du texte et de son décret d'application (décret n° 2009-160 du 12 février 2009, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L9187ICA), lire P.-M. Le Corre, Les principales modifications de la législation de sauvegarde des entreprises résultant de l'ordonnance du 18 décembre 2008 et de son décret d'application du 12 février 2009, Lexbase Hebdo n° 338 du 19 février 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N5648BIZ).
(2) Ainsi qu'au coobligé, lequel ne relève pas du droit des sûretés.
(3) Même si la Cour de cassation n'apprécie plus l'expression : Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, Mme Yvette Pasquier, épouse Boudaud c/ BNP Paribas, publié (N° Lexbase : A9389DLC), D., 2006, p. 729, concl. J. Sainte-Rose, note L. Aynès ; JCP éd. G, 2005, II, 10183, note Ph. Simler ; JCP éd. E, 2006, 1056, note S. Piedelièvre ; Dr. et Patr., février 2006, p. 128, obs. Ph. Dupichot ; Rev. Lamy Dr. civ., 2006/24, n° 992, note M. Mignot ; RDC, avril 2006, p.454, note M. Grimaldi ; RTDciv, 2006, p. 357, obs. B. Vareille, et p. 594, obs. P. Crocq ; RTDCom., 2006, p. 465, obs. D. Legeais.
(4) D. Legeais, Les concours consentis à une entreprise en difficultés, JCP éd. E, 2005, n° 1510, n° 22 ; G. Piette, Une nouvelle proportionnalité en droit des sûretés ; Brèves observations sur l'article L. 650-1 du Code de commerce, Rev. Lamy Dr. civ., 2006, n° 28.
(5) G. Piette, préc..
(6) A. Lienhard, Réforme du droit des entreprises en difficulté : présentation de l'ordonnance du 18 décembre 2008, D., 2009, p. 110.
(7) Cf. supra.
(8) Pour une commentaire de cette ordonnance, lire A. Bordenave, Petit à petit, la fiducie fait son nid, Lexbase Hebdo n° 339 du 26 février 2009 (N° Lexbase : N5811BI3).

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