La lettre juridique n°331 du 18 décembre 2008 : Marchés publics

[Jurisprudence] L'ouverture de l'exception "in house" aux rapports entre communes et structures intercommunales

Réf. : CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-324/07, Coditel Brabant SA c/ Commune d'Uccle (N° Lexbase : A2174EB7)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt du 13 novembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a énoncé que la décision d'une commune de s'affilier à une société intercommunale peut bénéficier de l'exception "in house". En l'espèce, une commune belge a décidé de vendre l'exploitation de son réseau de télédistribution et a, pour ce faire, publié un appel aux candidats-acquéreurs. Cinq sociétés, dont la société Coditel, ont présenté des offres d'achat. Brutélé, une société coopérative intercommunale dépourvue de caractère commercial et ne poursuivant aucun intérêt distinct de celui des autorités publiques qui lui sont affiliées, a, en revanche, soumis à la commune une offre d'adhésion en qualité d'associé, avec apport du réseau et transfert de la gestion du réseau de télédistribution à cette intercommunale. La commune ayant décidé d'accepter cette proposition, le Conseil d'Etat belge a considéré que l'affiliation de la commune relevait, en principe, du régime des concessions de service public. A l'aune du droit communautaire, une mise en concurrence devait donc avoir lieu. Le Conseil d'Etat belge admet, toutefois, que cette obligation pouvait être écartée si les conditions de l'exception "in house" étaient réunies en l'espèce. Ayant posé une question préjudicielle relative aux conditions d'application de cette exception à la CJCE, celle-ci énonce que l'exception précitée peut trouver application, et que l'attribution d'un service public à une structure strictement intercommunale relève du droit des concessions de services publics. Selon les définitions contenues dans les Directives CE 2004/17 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT) et 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), les prestations accomplies par un pouvoir adjudicateur au profit d'un autre pouvoir adjudicateur, juridiquement distinct du premier, relèvent du champ d'application de la législation des marchés publics. Cependant, dans sa jurisprudence relative à l'exception "in house", la Cour de justice a admis que la relation existant entre deux entités publiques peut ne pas être qualifiée de marché public.

La notion de l'exception "in house" est née de la jurisprudence "Teckal" du 18 novembre 1999 (CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia N° Lexbase : A0591AWS, Rec. p. I-8121, spéc. n° 50). Dans cet arrêt, la CJCE a estimé qu'il peut être dérogé aux Directives communautaires précitées pour les marchés passés entre une collectivité publique et une autre personne juridique, dans les hypothèses "où, à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services, et où cette personne réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent". Du fait d'une interprétation longtemps rigoriste de ces critères, les prestations confiées par une collectivité à une structure intercommunale étaient, jusqu'à présent, considérées par la jurisprudence européenne comme relevant de droit de la commande publique. Dans l'arrêt "Coditel", adoptant une conception souple de la condition du contrôle analogue, la Cour indique qu'une participation, même très faible de la commune, n'est pas incompatible avec ce contrôle qui peut être exercé de façon collective.

Cette décision marque donc un véritable tournant dans les modalités d'application du droit de la commande publique aux relations entre une commune et une structure intercommunale ne faisant appel à aucun capital privé. Plus largement, elle marque un nouveau pas dans l'infléchissement de la conception originellement restrictive des contrats "in house" jusqu'ici adoptée par la CJCE (I), dégageant une nouvelle condition de matérialisation de cette notion, toujours perçue comme facteur d'insécurité juridique pour les collectivités territoriales (II).

I - L'adoption progressive par la CJCE d'une conception moins restrictive de l'exception "in house"...

A - Une appréciation in concreto du critère du contrôle analogue

Dès 2005, la Cour a jugé que "la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut, en tout état de cause, que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services" (CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH, Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall-und Energieverwertungsanlage TREA Leuna N° Lexbase : A9511DEY). Cette position restrictive peut s'expliquer par l'antagonisme des préoccupations poursuivies par les détenteurs publics et privés. L'on peut estimer que les autorités publiques assurent une gestion, dans l'intérêt général, de prestations pouvant revêtir de façon subsidiaire un caractère économique, tandis que les entreprises privées fournissent des services marchands répondant à un intérêt purement économique. La présence d'une personne privée au capital serait donc rédhibitoire. Dans une autre affaire, la Cour de justice a même estimé que, dans la mesure où une société à capitaux entièrement publics avait acquis une vocation de marché, le contrôle que la commune pouvait exercer était précaire et que l'exception "in house" était donc exclue (CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG N° Lexbase : A7748DK8).

Toutefois, dès l'arrêt "Carbotermo" en 2006, la Cour de justice semble avoir adopté une position moins stricte (CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo, Consorzio Alisei c/ Commune du Busto Arsizio, AGESP SpA N° Lexbase : A3283DPB). Dans cette décision, elle admet qu'une société anonyme dont le capital est détenu à 99,8 % par une commune puisse bénéficier de l'exception "in house". Cette ouverture de la Cour de justice en faveur des actionnaires privés, abandonnant les rigueurs de la jurisprudence "Stadt Halle", semble donc être plus conforme que la jurisprudence antérieure à l'article 295 CE selon lequel, "le présent Traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres" (1). En effet, pour caractériser le niveau d'intégration de l'entité à la personne publique, la Cour s'attache, dès cette décision "Carbotermo", au niveau d'intensité suffisant de l'influence publique. On peut donc considérer que c'est une approche fonctionnelle de l'organisation administrative des pouvoirs adjudicateurs qui est privilégiée en droit communautaire des marchés publics (2). Le Code des marchés publics ayant repris la définition de contrats "in house" dans son article 3 (N° Lexbase : L2663HPC), les juridictions françaises ont adopté la même position, la Cour de cassation énonçant, dans un arrêt rendu le 25 juin 2008, que le contrôle de l'autorité publique sur l'entité prestataire n'étant pas analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services, le marché public litigieux ne pouvait être passé sans appel d'offres (Cass. crim., 25 juin 2008, n° 07-88.373, F-P+F N° Lexbase : A7967D9X).

B - Une plus large application de l'exception "in house" dès l'arrêt "Asemfo" en 2007

Dans l'arrêt "Asemfo" du 19 avril 2007 (CJCE, 19 avril 2007, aff. C-295/05, Asociación Nacional de Empresas Forestales c/ Transformación Agraria SA, Administración del Estado (N° Lexbase : A9407DUX), relatif à la coopération entre un organisme étatique espagnol "Tragsa" et les régions, l'existence d'un contrôle analogue à celui que le pouvoir adjudicateur exerce sur ses propres services a été reconnue, en prenant en considération le fait qu'il s'agissait d'un service technique commun à plusieurs autorités publiques ne disposant d'aucune liberté dans l'acceptation et la tarification des commandes émanant desdites autorités. Le juge communautaire avait déjà accepté le principe qu'un contrôle analogue puisse s'exercer lorsque plusieurs pouvoirs adjudicateurs détiennent une entreprise publique (3). Cependant, dans la présente affaire, le capital social de l'entreprise publique est détenu à 99 % par l'Etat, et chacune des régions également membres ne disposent que d'une participation symbolique, représentant au total 1 % de ce même capital. Les conditions de l'exception "in house" sont donc admises alors qu'il n'existe, manifestement, pas de contrôle stratégique des régions sur l'entité en cause, seules certaines d'entre elles disposant de parts dérisoires au sein du capital de Tragsa, organisme constitué à l'origine par l'Etat espagnol.

Or, dans sa jurisprudence antérieure, la CJCE exigeait, pour que le critère de contrôle analogue soit rempli, que le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur devait lui permettre "d'exercer une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société" (CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-485/03, Parking Brixen, et Carbotermo, déjà cités). En l'espèce, bien que la Cour considère la répartition du capital, elle juge que "Tragsa ne saurait être considérée comme un tiers par rapport aux communautés autonomes qui détiennent une partie de son capital" et ne mentionne aucune restriction basée sur l'absence d'effectivité du contrôle des régions. L'on pourra noter, en outre, concernant le second critère de l'exception "in house", à savoir la condition relative à la réalisation de l'essentiel de l'activité de l'entreprise publique avec la ou les collectivités publiques qui la détiennent, que le juge constate que si "Tragsa réalise plus de 55 % en moyenne de son activité avec les communautés autonomes et près de 35 % de celle-ci avec l'Etat", cet argumentaire n'est pas utilisé au détriment du premier critère de l'effectivité du contrôle exercé par des actionnaires symboliques en relation avec l'importance des activités qui leur sont rendues.

La Cour ayant reconnu qu'un pouvoir de contrôle individuel partiel, voire très minoritaire, de la collectivité adjudicatrice ne s'oppose pas à ce que l'entité publique cocontractante soit considérée comme réalisant une "mission de services quasi interne", elle va franchir un pas supplémentaire avec l'arrêt "Coditel", en reconnaissant la présomption d'existence de la condition portant sur le contrôle analogue.

II - ...qui trouve son aboutissement dans la jurisprudence "Coditel"

A - La condition de contrôle analogue peut être satisfaite par un contrôle conjoint

Les deux premières questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat belge sont traitées conjointement par la Cour de justice et concernent le contrôle qui est exercé par la commune adjudicatrice sur une intercommunale pure. Comme on l'a vu précédemment, l'entité concessionnaire est une société coopérative intercommunale, Brutélé, dont les affiliés sont des communes et qui n'est pas ouverte à des affiliés privés. Par ailleurs, il ressort du dossier que son conseil d'administration est composé de représentants des communes affiliées, nommés par l'assemblée générale, qui est, elle-même, composée de représentants de ces communes. En outre, la circonstance que les organes de décision de Brutélé soient composés de délégués des autorités publiques qui lui sont affiliées indique que ces dernières maîtrisent ces organes et sont, ainsi, en mesure d'exercer une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de celle-ci. Au vu de tous ces éléments, la CJCE en conclut que "Brutélé ne jouit pas d'une marge d'autonomie excluant que les communes qui lui sont affiliées exercent sur elle un contrôle analogue à celui qu'elles exercent sur leurs propres services".

Toutefois, l'apport le plus intéressant de l'arrêt concerne la question de savoir si le contrôle que les autorités affiliées à une société intercommunale exercent sur celle-ci doit, pour être qualifié d'analogue à celui qu'elles exercent sur leurs propres services, être exercé individuellement par chacune de ces autorités publiques, ou peut être exercé conjointement par celles-ci. La Cour franchit l'étape qui constitue la suite logique du raisonnement posé dans son arrêt "Asemfo" précité, lequel avait déjà entrouvert la porte à un tel contrôle conjoint. En l'espèce, la Cour estime que le contrôle n'a pas à être exercé individuellement par chacune des collectivités. En effet, dans le cas où plusieurs autorités publiques choisissent d'effectuer leurs missions de service public en ayant recours à une entité concessionnaire commune, il est normalement exclu que l'une de ces autorités, à moins qu'elle ne détienne une participation majoritaire dans cette entité, exerce seule un contrôle déterminant sur les décisions de cette dernière. Exiger que le contrôle exercé par une autorité publique en pareil cas soit individuel aurait pour effet d'imposer une mise en concurrence dans la plupart des cas où une autorité publique entendrait s'affilier à un groupement composé d'autres autorités publiques, tel qu'une société coopérative intercommunale. C'est pourquoi elle en conclut que "dans le cas où plusieurs autorités publiques détiennent une entité concessionnaire à laquelle elles confient l'accomplissement d'une de leurs missions de service public, le contrôle que ces autorités publiques exercent sur cette entité peut être exercé conjointement par ces dernières".

B- Vers une définition communautaire des contrats "in house" ?

Cette "collectivisation" de la condition du contrôle analogue devrait permettre que les communes puissent désormais, en toute sécurité juridique, faire le choix de la synergie intercommunale. En effet, celle-ci constitue un moyen souvent utilisé par de nombreux Etats membres pour accomplir de manière efficace et bon marché des missions de service public. Exiger une autonomie de décision complète de la commune concernée, en ce sens que ladite commune exerce la maîtrise sur la coopération intercommunale concernée rendrait à l'avenir impossible toute coopération de ce type. Toutefois, l'origine jurisprudentielle des contrats "in house" est à la base d'un fort sentiment d'insécurité chez les élus locaux, qui souhaiteraient que des règles précises les encadrent et les sécurisent. A ce titre, le Règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route (N° Lexbase : L4836H3I), pourrait servir de cadre juridique à ces contrats. Il reconnaît, en effet, à toute autorité locale ou, à défaut, à toute autorité nationale le droit de fournir elle-même des services publics de transport de voyageurs sur son territoire ou de les confier, sans mise en concurrence, à un opérateur interne, ce dernier étant entendu comme "une entité juridiquement distincte sur laquelle l'autorité locale compétente ou, dans le cas d'un groupement d'autorités, au moins une autorité locale compétente, exerce un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services".

La jurisprudence "Coditel" ouvre donc des perspectives intéressantes afin de soustraire à la législation relative aux marchés publics les relations entre des autorités publiques et les structures de coopération qu'elles établissent. Toutefois, il faut, également, rappeler que les Directives "marchés publics" ont pour but principal de protéger la concurrence, pilier de la construction européenne, et que les modalités de l'action des commanditaires publics y sont soumises. L'enjeu principal du périmètre des contrats "in house" pour les années à venir sera donc de trouver un juste équilibre entre les Directives de passation et une certaine autonomie des collectivités territoriales.


(1) Olivier Dubos, La Cour de justice et l'exception in house : du rigorisme au pragmatisme, Lexbase Hebdo n° 8 du 14 Juin 2006 - édition publique (N° Lexbase : N9597AKN).
(2) Séverine Chavarochette-Boufferet, Vers un second souffle de l'hypothèse particulière du in house, AJDA n° 39/2008, 24 novembre 2008.
(3) CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo, précitée et CJCE 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Consorzio Aziende Metano (Coname) c/ Comune di Cingia de' Botti (N° Lexbase : A1664DKT).

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