La lettre juridique n°312 du 10 juillet 2008 : Contrat de travail

[Textes] Article 8 de la loi portant modernisation du marché du travail : consécration légale du portage salarial

Réf. : Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

le 07 Octobre 2010

Publiée au Journal officiel du 26 juin 2008, la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, procède aux modifications de nature législative rendues nécessaires pour la mise en oeuvre de certaines dispositions de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 21 janvier 2008.
Les principales dispositions de cette loi concernent : la période d'essai ; la création d'un CDD pour la réalisation d'un objet défini pour les ingénieurs et cadres ; l'information du CE ou des DP sur le recours aux CDD, à l'intérim ou au portage salarial ; l'instauration d'une possibilité de rupture conventionnelle du contrat de travail ; l'abrogation des dispositions du Code du travail relatives au contrat "nouvelles embauches" ; la création d'un cadre légal pour le portage salarial. Concernant le licenciement le texte pose, notamment, le principe selon lequel tout licenciement doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Il dispose, par ailleurs, que l'ancienneté dans l'entreprise requise pour pouvoir bénéficier de l'indemnité légale de licenciement est d'une année et il redéfinit le contenu du solde de tout compte et les effets du reçu donné par le salarié. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen, sur l'article 8 de la nouvelle loi, consacrant le portage salarial. La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, porte-t-elle bien son nom ? Si l'on s'en tient à deux de ses dispositions (consécration du portage salarial et abrogation du contrat nouvelles embauches), on peut rester dubitatif. D'une part, parce que la "modernisation", qui fut en son temps "sociale" (on se souvient de la loi n° 2002-73 "de modernisation sociale" du 18 janvier 2002 N° Lexbase : L1304AW9) porte, désormais, sur le marché du travail, alors même que les objectifs, messages et intentions de chacune de ces deux lois (celle du 18 janvier 2002 et celle du 25 juin 2008) diffèrent sensiblement. D'autre part parce que la loi n° 2008-596 opère, sur la question du portage salarial, une modernisation a minima : le portage salarial est consacré, certes, mais le législateur s'est contenté de donner une existence légale au portage, sans lui donner de régime juridique, opération laissée aux bons soins des partenaires sociaux.

Le portage salarial étant une pratique en développement rapide, la loi n° 2008-596 s'est attachée à le définir et à fixer ses modalités d'organisation par le dialogue social. Le législateur a transcrit les stipulations de l'article 19 de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, intitulé "Sécuriser le portage salarial" (1). Si le portage salarial n'est pas un phénomène nouveau, ses acteurs ne se sont pas organisés en branche professionnelle. Aussi, l'accord et le projet de loi essaient-ils simplement de donner une existence juridique au portage salarial en confiant cette mission à une branche existante.

I - Définition légale

Les partenaires sociaux avaient conscience que le portage salarial est considéré comme entachée d'illégalité, mais ils avaient estimé que cette forme d'activité répond à un besoin social, dans la mesure où elle permet le retour à l'emploi de certaines catégories de demandeurs d'emploi, notamment, des seniors. Ils avaient souhaité l'organiser afin de sécuriser la situation des portés, ainsi que la relation de prestation de service. Ils définissaient le portage salarial comme une relation triangulaire entre une société de portage, une personne, le porté, et une entreprise cliente ; la prospection des clients et la négociation de la prestation et de son prix par le porté ; la fourniture des prestations par le porté à l'entreprise cliente ; la conclusion d'un contrat de prestation de service entre le client et la société de portage et la perception du prix de la prestation par la société de portage qui en reverse une partie au porté dans le cadre d'un contrat qualifié de contrat de travail.

Le jugement du TGI de Paris du 18 mars 2008 (TGI Paris, 18 mars 2008, n° 06/08817, Madame Marie-Alice Christian et autres c/ Assedic de Paris N° Lexbase : A9156D7A) (2) montrait la fragilité des montages juridiques mis en place par les société de portage, dont la doctrine a largement rendu compte (3), justifiant la nécessité d'un encadrement de leurs activités, qu'il soit conventionnel ou législatif. La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (art. 8-I) consacre le portage salarial, qu'elle définit (C. trav., art. L. 1251-64) comme un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant, pour la personne portée, le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle.

La loi est moins précise que l'ANI sur la définition du type de relations contractuelles qui se noue entre la société de portage, le porté et les clients. La loi n° 2008-596 mentionne, sans plus de précision, un ensemble de relations contractuelles, alors que l'ANI indique clairement que le contrat entre la société de portage et le client est un contrat de prestation de services et le contrat entre la société de portage et le porté un contrat de travail (4).

II - Exercice de l'activité de portage salarial

A -Législation sur le prêt de main d'oeuvre

La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (art. 8-II) met le portage salarial à l'abri de poursuites pénales pour prêt illicite de main d'oeuvre en le mentionnant parmi les pratiques auxquelles ne peut être opposée l'interdiction générale des opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d'oeuvre. Cette disposition, qui n'est pas demandée par l'ANI du 11 janvier 2008, constitue un élément de sécurisation juridique.

B - Conditions d'exercice de l'activité de portage

Le législateur a, finalement, supprimé la disposition adoptée par le Sénat, qui autorisait les entreprises de travail temporaire à exercer l'activité de portage salarial. Cet amendement de suppression est motivé par le souci de respecter l'ANI du 11 janvier 2008, qui ne prévoit pas une telle disposition. Autoriser, dès à présent, les entreprises d'intérim à faire du portage salarial aurait conduit, en outre, à anticiper sur le résultat de la négociation qui doit s'ouvrir pour organiser cette activité (5).

La loi n° 2008-596 garantit, en outre, les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. Même si le sens de cette formule reste à préciser, elle laisse entendre que la société de portage ne pourrait, par exemple, dessaisir une personne portée d'une mission qu'elle aurait négociée avec un client pour la confier à une autre personne portée. L'entreprise cliente serait liée à une personne portée en particulier, celle qui a négocié le contrat, non à l'entreprise de portage en tant que telle. Cette disposition ne reprend pas, exactement, les termes de l'ANI, qui garantit au porté une rémunération pour son apport de clientèle, laissant, ainsi, la porte ouverte à une possible mutualisation des missions au sein de l'entreprise de portage en échange d'une rémunération (6).

III - Négociation d'un accord national de branche

La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (art. 8-III) prévoit que, par exception aux dispositions de l'article L 2261-19, alinéa 2, du Code du travail (selon lequel pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus en commission paritaire. Cette commission est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré) et pour une durée limitée à deux ans à compter de la publication de la loi n° 2008-596, un accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche dont l'activité est considérée comme la plus proche du portage salarial la mission d'organiser, après consultation des organisations représentant des entreprises de portage salarial et par accord de branche étendu, le portage salarial.

En d'autres termes, la négociation se fera avec le syndicat des entreprises de travail temporaire, Prisme (Professionnels de l'intérim, services et métiers de l'emploi), lequel s'est engagé à consulter les entreprises de portage salarial (7).

La stipulation de l'ANI du 11 janvier 2008, attribuant à la branche de l'intérim la mission d'organiser, par accord collectif, la branche du portage salarial, est dérogatoire au droit commun de la négociation collective, qui définit les règles de représentativité permettant aux organisations syndicales de conclure valablement des accords collectifs. En particulier, l'article L. 2261-19 du Code du travail dispose que les accords de branche, pour pouvoir être étendus, doivent avoir été négociés et conclus en commission paritaire composée des organisations représentatives dans la branche. La mise en oeuvre de l'ANI du 11 janvier 2008 exige donc une base légale autorisant une dérogation à cet article : tel est l'objet de l'article 8 de la loi n° 2008-596, qui prend le soin de limiter la durée de cette dérogation à deux ans, pendant lesquels un accord national interprofessionnel étendu (c'est l'ANI du 11 janvier dernier qui est visé) peut confier à une branche dont l'activité est considérée comme la plus proche du portage salarial (ce qui doit être lu comme visant la branche de l'intérim du fait de la ressemblance de la relation triangulaire) la mission d'organiser ce dernier (8).

Au final, la négociation annoncée va revêtir une importance cruciale tant les questions qui restent à trancher sont délicates : quels seront précisément les droits et les obligations respectifs du porté, de la société de portage et du client ? Faut-il prévoir une liste limitative de cas de recours, comme pour l'intérim ? Comment éviter que se développe la fraude aux Assedic, la distinction entre une personne qui n'a pas réussi à trouver de mission et une personne qui a décidé de se reposer aux frais de l'assurance chômage pouvant être malaisée à effectuer ? (9)


(1) Voir les obs. de G. Auzero, Commentaire des articles 1, 9 et 19 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : contrats de travail, GPEC et sécurisation du portage salarial, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8211BDH).
(2) Voir nos obs., Le TGI de Paris requalifie en contrat de travail l'activité des portés' d'une société de portage salarial, Lexbase Hebdo n° 303 du 8 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8880BEM).
(3) L. Casaux-Labrunée, Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ?, Dr. soc., 2007, p. 58 ; L. Casaux-Labrunée (dir.), Le portage salarial - Fraude ou nouvelle forme d'organisation du travail ?, SSL., supplément n° 1332, 10 décembre 2007 ; J.-Y. Kerbourc'h, Le portage salarial : prestation de service ou prêt de main d'oeuvre illicite ?, Dr. soc., 2007, p. 72 ; P. Morvan, Eloge juridique et épistémologique du portage salarial, Dr. soc., 2007, p. 607 ; J.-J. Dupeyroux, Le roi est nu Réponse à P. Morvan, Dr. soc., 2007, p. 616.
(4) P. Bernard-Reymond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), 30 avril 2008.
(5) P. Bernard-Reymond et D. Dord, Sénat, Rapport n° 364 (2007-2008), fait au nom de la commission mixte paritaire, 3 juin 2008.
(6) P. Bernard-Reymond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), préc..
(7) P. Bernard-Reymond et D. Dord, Sénat, Rapport n° 364 (2007-2008), préc..
(8) D. Dord, Rapport Assemblée Nationale n° 789, 8 avril 2008.
(9) P. Bernard-Remond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), préc..

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