La lettre juridique n°305 du 22 mai 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Le recul du point de départ de la prescription de l'action en reddition des comptes même en cas de gestion de fait

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-10.663, M. Stéphane Peyre, F-P+B (N° Lexbase : A9646D7E)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 avril 2008 vient opportunément préciser le régime de la prescription de l'action en reddition des comptes dans le cadre de l'administration légale sous contrôle judiciaire. Elle rappelle que le point de départ de la prescription quinquennale dans laquelle s'inscrit cette action contre l'administrateur légal, en principe fixé à la fin de l'administration légale, est reporté lorsque l'administrateur légal a continué de gérer les biens de son enfant après sa majorité (I) sans que ce report ne soit limité, comme le prétendait la cour d'appel, aux hypothèses dans laquelle l'administration légale se poursuivrait dans le cadre d'une tutelle ou d'une curatelle (II). I - Le report du point de départ de la prescription

Comptes de gestion. Dans l'administration légale comme dans la tutelle, le tuteur et l'administrateur légal sont tenus de tenir des comptes de gestion et, notamment, de procéder à une reddition des comptes à la fin de leur mission. Pour les mineurs sous administration légale, la reddition des comptes est réduite au minimum puisque, du fait de la jouissance légale, elle ne porte pas sur les revenus de l'enfant. Elle concerne cependant, comme en l'espèce, les sommes d'argent provenant de la vente des biens appartenant au mineur et que l'administrateur légal ne saurait s'approprier.

Action en reddition des comptes. Lorsque le tuteur ou l'administrateur légal n'a pas remis les comptes de gestion au mineur, celui-ci peut intenter contre lui une action en reddition des comptes, la Cour de cassation ayant affirmé que l'administrateur légal qui refuse de rendre des comptes se soustrait à une obligation essentielle de sa charge (1). En effet, "plus rare dans le cadre de la tutelle, la question des comptes qui n'ont jamais été établis et encore moins communiqués au juge des tutelles se pose régulièrement en cas d'administration légale" (2).

Prescription quinquennale. L'actuel article 475 du Code civil (N° Lexbase : L3032ABW) soumet toutes les actions du mineur contre le tuteur à une prescription quinquennale dont le point de départ est la majorité du pupille. Cette règle s'applique à l'administration légale, comme la majeure partie des dispositions relatives à la tutelle, en vertu du renvoi de l'article 389-7 du Code civil (N° Lexbase : L2951ABW).

Report du délai. Dans l'arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation affirme que "la prescription quinquennale de l'action en reddition de compte du mineur contre le tuteur a en principe pour point de départ la fin de la tutelle". Elle écarte, toutefois, ce principe en précisant que "lorsque le tuteur a continué de gérer les biens de son pupille après la majorité de celui-ci, elle ne court qu'à partir du jour où cette administration a cessé". Ce faisant, elle procède à un rappel de la jurisprudence antérieure (3), qu'elle précise, cependant, quant aux circonstances permettant ce report.

II - La seule exigence d'une gestion de fait

Nature de la gestion des biens après la majorité. Dans les décisions précédentes, la Cour de cassation précisait que le tuteur avait continué la gestion des biens "en cette qualité", ce qui pouvait être interprété comme l'exigence d'une gestion s'inscrivant dans le cadre d'une mesure de protection judiciaire, même si tous les arrêts rendus sur cette question concernaient des hypothèses de gestion de fait. C'est l'interprétation à laquelle la cour d'appel avait procédé avec semble-t-il une certaine mauvaise foi. Les juges du fond avaient, en effet, considéré que le report du point de départ de la prescription ne pouvait avoir lieu que si la poursuite de la gestion par l'administrateur légal s'inscrivait dans une tutelle ou une curatelle portant sur les biens du jeune majeur en cause. La Cour de cassation contredit logiquement cette interprétation, qui enlèverait tout intérêt au report du point de départ du délai, en supprimant dans son chapeau, l'expression "en cette qualité". Elle considère donc que le report du point de départ de la prescription peut avoir lieu dès lors que, dans les faits, l'administrateur poursuit la gestion des biens de son enfant après la majorité de celui-ci sans qu'aucune mesure de protection ne soit mise en place.

Preuve de la poursuite de la gestion des biens de l'enfant. Encore faut-il, cependant, que l'enfant établisse la réalité de la poursuite de la gestion (4). Tel n'est pas le cas lorsqu'aucun acte personnel n'établit que l'administrateur légal avait prolongé sa gestion des biens au-delà de la majorité des enfants, et qu'au contraire, les comptes de son administration avaient été approuvés par ceux-ci (5).

Appréciations. La possibilité de contester très tardivement l'inaction du tuteur ou de l'administrateur légal a été critiquée comme permettant "un règlement de comptes" au prétexte de reddition des comptes (6). Elle semble, cependant, tout à fait opportune au regard de la nécessité de la protection des mineurs. La poursuite par l'ancien administrateur légal de la gestion des biens de son enfant devenu majeur lui permet, en effet, de dissimuler les fautes qu'il aurait pu commettre. Il lui est ainsi possible d'empêcher l'enfant d'agir contre lui, en demandant les comptes de la tutelle et, le cas échéant, en engageant sa responsabilité pour faute de gestion, pendant les cinq années nécessaires à l'écoulement du délai de prescription. On peut, en outre, penser que le fait que l'enfant laisse son parent poursuivre la gestion de ses biens est le reflet de l'emprise qu'il exerce encore sur lui, laquelle paraît difficilement compatible avec une action en reddition des comptes !

Réforme. Alors que l'occasion lui en était donnée, la Cour de cassation n'anticipe pas l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, prévue pour le 1er janvier 2009, relative aux incapables majeurs (loi n° 2007-308, portant réforme de la protection juridique des majeurs N° Lexbase : L6046HUH), qui contredit directement la solution rappelée dans l'arrêt du 16 avril 2008. Le nouvel article 515 du Code civil (N° Lexbase : L8513HW9) prévoit, en effet, expressément que "l'action en reddition de comptes diligentée par la personne protégée relativement aux faits de la tutelle se prescrit par cinq ans à compter de la fin de la mesure alors que la gestion aurait continué au-delà". Cette disposition sonne le glas du report du point de départ de la prescription de l'action en reddition des comptes et par là même celui de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point. Le fait que la Cour de cassation maintienne celle-ci jusqu'au bout est sans doute le signe d'une certaine désapprobation à l'égard d'une loi qui brise sa jurisprudence...


(1) Cass. civ. 1, 13 décembre 1994, n° 93-13.826, M. X c/ Association tutélaire du Mantois et autre (N° Lexbase : A7700ABS), D., 1995,IR, p. 9.
(2) S. Deis-Beauquesne, Le contrôle de gestion du patrimoine du mineur, AJFamille, 2002, p. 369.
(3) Cass. civ. 1, 19 février 1991, n° 89-14.418, M. Emmanuel Ranieri c/ Epoux Modesto Ranieri (N° Lexbase : A4483AHI), Bull. civ. I, n° 66, RTDCiv., 1991, p. 707, obs. J. Hauser ; Cass. civ. 1, 7 octobre 1997, n° 95-19.347, M. Sabatier, ès qualités d'administrateur légal c/ Consorts X et autres (N° Lexbase : A0697ACS), Dr. fam., 1998, comm., n° 30, obs. T. Fossier ; RTDCiv., 1998, p. 74, obs. J. Hauser.
(4) Cass. civ. 1, 1er juin 1994, n° 92-17.362, Ranieri Emmanuel c/ Epoux Ranieri (N° Lexbase : A8060CKQ).
(5) Cass. civ. 1, 7 octobre 1997, préc..
(6) J. Hauser, obs. sous Cass. civ. 1, 19 février 1991, préc. ; J. Vimon, Réflexions sur la nature de l'action de l'ex-pupille en cas de gestion continuée de l'ex-tuteur, JCP éd. N, 1993, I, p. 251.

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