La lettre juridique n°303 du 8 mai 2008 : Rémunération

[Jurisprudence] Recours contre l'avis d'aptitude : obligation de reprendre le versement de salaires

Réf. : Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.141, M. François Ranson, F-P+B (N° Lexbase : A9773D74)

Lecture: 7 min

N8862BEX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Recours contre l'avis d'aptitude : obligation de reprendre le versement de salaires. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210077-jurisprudence-recours-contre-lavis-daptitude-obligation-de-reprendre-le-versement-de-salaires
Copier

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


L'employeur d'un salarié déclaré apte sous condition peut-il se dispenser de rémunérer son salarié dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail à la suite du recours formé contre l'avis d'aptitude émis par le médecin du travail ? A cette question la Haute juridiction répond, dans un arrêt du 9 avril 2008, par la négative. Elle rappelle, en effet, qu'en présence d'un avis d'aptitude du salarié à son poste émis par le médecin du travail, l'employeur est tenu de reprendre le paiement des salaires du salarié qui se tient à sa disposition et ce, même si un recours a été exercé devant l'inspecteur du travail. Cette solution n'est pas nouvelle et a le mérite de rappeler un principe "effacé" par l'hypothèse de l'inaptitude du salarié.

Résumé

A l'issue des périodes de suspension de son contrat de travail, si le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération équivalente. Le chef d'entreprise est tenu de prendre en considération les propositions du médecin du travail et, en cas de refus, de faire connaître les motifs à ce qu'il y soit donné suite. La décision du médecin du travail est susceptible de recours devant l'inspecteur du travail. Ce recours n'est pas suspensif, l'employeur est tenu de reprendre le paiement des rémunérations du salarié qui se tient à sa disposition.

Commentaire

I - Obligation de l'employeur en présence d'un avis d'aptitude

  • Examen du salarié de retour d'une période de suspension de son contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail

L'article L. 122-32-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5520ACG, art. L. 1226-8, recod. N° Lexbase : L9848HWN) prévoit que, lorsqu'à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail, le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. Le salarié apte reprend son emploi antérieur. C'est là un des principaux intérêts de la protection exorbitante dont bénéficient les salariés victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, que de pouvoir retrouver leur poste.

Le médecin peut trouver que le salarié ne peut reprendre à l'identique le poste qu'il occupait auparavant. Sans conclure à l'inaptitude du salarié, il peut, alors, entourer le retour du salarié de conditions particulières. L'article L. 241-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6034ACH, art. L. 4624-1, recod. N° Lexbase : L1933HXU) permet, en effet, au médecin du travail de prescrire des mesures individuelles, telles que mutations, aménagements de poste. L'employeur devra veiller à ce que les prescriptions du médecin du travail soient respectées. Le législateur oblige, en effet, l'employeur à prendre en considération les prescriptions du médecin du travail et lui impose de faire connaître au salarié les motifs qui s'opposent à ce qu'il soit donné suite à ces propositions.

L'employeur est tenu d'une véritable obligation de reclassement vis à vis des salariés, que ces derniers soient reconnus aptes ou inaptes à exercer la fonction pour laquelle ils ont été recrutés. Le reclassement doit donc être envisagé dès lors que le médecin a proposé des mesures individuelles.

  • Incidence du recours contre l'avis émis par le médecin du travail

Si le médecin décide, il n'est, pour autant, pas souverain. L'avis du médecin du travail peut être contesté. Un recours administratif peut être formé par l'employeur comme par le salarié.

Cette contestation devra être portée devant l'inspecteur du travail qui tranchera après avis du médecin inspecteur du travail (C. trav., art. L. 241-10-1, art. L. 4624-1, recod.). Seul l'inspecteur du travail est compétent pour se prononcer sur l'avis émis par le médecin du travail (Cass. soc., 2 avril 1994, n° 88-42.711, Union départementale de la mutualité agricole de la Haute-Vienne c/ Mme Viacroze et autre N° Lexbase : A0400ABG). La jurisprudence considère, à juste titre, qu'un expert même désigné par le tribunal (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 98-46.099, M. Pascal Perraud c/ M. Denis Berchet N° Lexbase : A2118AWD, Bull. civ. V, n° 957), voire le juge, ne sont pas compétents en la matière (Cass. soc., 14 janvier 1997, n° 93-46.633, Mme Yolène Petriacq c/ Société SOGARA, société anonyme N° Lexbase : A2596AGA).

Il est traditionnellement admis par la jurisprudence que le recours auprès de l'inspecteur du travail n'est pas suspensif (Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.913, F-P N° Lexbase : A0430DBK, Bull. civ. V, n° 31) et que l'employeur est tenu de reprendre le paiement des salaires.

C'est de ce principe dont fait application la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié, engagé en qualité de marbrier, avait été victime d'un accident du travail. Lors de la visite de reprise, le 17 juillet 2003, le médecin du travail l'avait déclaré apte à reprendre son poste à condition que ce dernier ne porte pas de charges lourdes supérieures à 20 kilos sans moyen mécanisé et qu'il ne fasse pas d'efforts violents. L'employeur avait sollicité un second examen médical, auquel le médecin du travail avait refusé de procéder. L'employeur avait, alors, formé un recours devant l'inspecteur du travail qui, en novembre 2003, avait déclaré le salarié apte sans aucune réserve. Il avait, ensuite, licencié le salarié en décembre 2003 pour faute grave caractérisée par le refus réitéré du salarié de reprendre le travail. Le salarié avait saisi le conseil de prud'homme d'une demande de paiement de salaires depuis le 17 juillet 2003, date de l'examen par le médecin du travail.

La cour d'appel avait donné raison à l'employeur. Les juges du second degré avaient considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse. Pour ces derniers, en effet, compte tenu des restrictions portées par le médecin du travail sur la déclaration d'aptitude, sa décision ne pouvait s'analyser que comme un avis d'inaptitude.

Cette décision est cassée par la Haute juridiction, qui considère que l'employeur est tenu de reprendre le versement des salaires du salarié qui se tient à sa disposition et ce, même si un recours contre la décision du médecin du travail a été introduit devant l'inspecteur du travail.

Cette solution n'est pas nouvelle et doit être approuvée même si elle paraît particulièrement lourde pour l'employeur.

II - "Indemnisation" du salarié en période d'incertitude

  • Un principe "traditionnel"

Cette décision est, désormais, classique. La Haute juridiction a déjà eu l'occasion de se prononcer sur l'obligation pour l'employeur de verser les salaires au salarié déclaré apte par le médecin du travail.

Dans une décision, elle avait affirmé que l'employeur est tenu au paiement des salaires pour la période pendant laquelle il a refusé de fournir au salarié du travail en l'affectant à son poste alors que le médecin du travail l'avait déclaré apte (Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 97-43.531, Société ETS Blanc c/ M. Souvignet et autre N° Lexbase : A4725AG4).

On sait que la période de suspension du contrat de travail prend fin avec la visite médicale de reprise (C. trav., art. L. 122-32-4, art. L. 1226-8, recod.). Le contrat n'étant plus suspendu et le salarié déclaré apte à reprendre le travail, il doit pouvoir travailler.

Les juges ont, en effet, rappelé que la procédure de contestation n'impose pas la suspension du contrat de travail et que l'employeur ne peut empêcher le salarié, qui en fait la demande, de reprendre son poste (Cass. soc., 14 janvier 1988, RJS, 1988, 280, n° 448). Ce principe, qui se comprend parfaitement en présence d'un avis d'aptitude sans réserve, suscite quelques interrogations lorsque l'aptitude n'est pas totale.

Quid lorsque le poste n'est plus adapté aux capacités du salarié ? Le fait pour le médecin d'avoir émis un avis d'aptitude avec réserve oblige l'employeur à revoir le poste, voire à l'aménager. Ne devrait-on pas laisser à l'employeur un certain délai pour reclasser le salarié, comme c'est le cas lorsque le médecin a conclu à l'inaptitude du salarié ?

A priori, une réponse négative s'impose, puisque la Haute juridiction souligne qu'en présence d'un avis d'aptitude, l'employeur est tenu de reprendre le paiement des salaires au salarié qui se tient à sa disposition. Cette reprise du versement de la rémunération au salarié n'est donc subordonnée à aucun délai particulier. Le salarié est apte à reprendre son travail, l'employeur est tenu de lui en fournir un et, en tout état de cause, de lui verser son salaire.

On ne peut blâmer la Haute juridiction d'avoir statué en ce sens. On voit, en effet, clairement la volonté des juges de faire prévaloir la protection du salarié qui, comme ils le rappellent, "se tient à la disposition de l'employeur". Il semble, dans ces conditions, difficile de laisser le salarié attendre une décision de l'inspection du travail pour reprendre le versement de la rémunération.

  • Un principe "général"

Une telle position serait, en outre, contraire aux décisions rendues en matière d'inaptitude. Il est, en effet, de principe, dans ce domaine, que la contestation de l'avis d'inaptitude ne suspend que l'obligation pour l'employeur de prendre une décision (licencier ou reclasser) et non l'obligation de reprendre le paiement des salaires à l'expiration du délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale. Le fait qu'un recours ait été exercé ne fait, ainsi, pas obstacle à la reprise par l'employeur du versement des salaires à l'expiration du délai d'un mois à compter du second examen médical (Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-47.395, FS-P+B N° Lexbase : A5535DLL).

Cette décision particulièrement favorable au salarié reste contestable si l'on se place du côté de l'employeur. La durée de versement du salaire est conditionnée par une décision qu'il ne maîtrise pas : celle de l'inspecteur du travail. Comme en témoigne l'arrêt commenté, une telle décision peut mettre longtemps à intervenir. Or, pendant ce temps, l'employeur rémunère un salarié dont il ne peut pas se séparer et qui ne peut plus satisfaire complètement au poste pour lequel il a été recruté : cela vaut-il la peine de contester ?

Décision

Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.141, M. François Ranson, F-P+B (N° Lexbase : A9773D74)

Cassation partielle de CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. A, 6 juin 2006

Mots clefs : aptitude ; réserve ; avis du médecin du travail ; contestation ; saisine de l'inspecteur du travail ; absence d'effet suspensif du recours ; obligation pour l'employeur de reprendre le paiement des salaires ; reprise du versement à compter de la visite ayant constaté l'aptitude du salarié.

Lien base :

newsid:318862

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus