La lettre juridique n°299 du 3 avril 2008 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - avril 2008

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par une nouvelle illustration de la règle de l'identité d'entreprise relative à une société de personnes ayant fait l'objet d'une "mutation temporaire d'activité". Puis, en matière de procédures fiscales, le Conseil d'Etat vient de rendre deux décisions relatives à la possibilité, pour l'administration fiscale, d'invoquer à la fois les dispositions de l'article L. 170 du LPF et celles relatives à la prorogation du délai de reprise en cas d'agissements faisant l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale. Enfin, la Cour de cassation met un terme à une longue procédure judiciaire relative à l'application des dispositions de l'article 809 I bis du CGI en matière de taxation des apports au titre des droits d'enregistrement lors d'une mise en société d'une entreprise individuelle.
  • Règle de l'identité d'entreprise en cas de "mutation temporaire d'activité" (CE 3° et 8° s-s-r., 25 février 2008, n° 287726, M. et Mme Gatineau N° Lexbase : A3698D74)

Les décisions rendues quant à la notion d'identité d'entreprise ont été particulièrement importantes ces derniers mois s'agissant de sociétés soumises à l'IS (CE 3° et 8° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 284621, Société Marché actif N° Lexbase : A9628DZM, cf. nos obs., Chronique de fiscalité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 286 du 20 décembre 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N5615BDC ; CE 3° et 8° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484, SARL Final N° Lexbase : A2853DXX, cf. nos obs., Chronique mensuelle de fiscalité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N2767BCH).

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 25 février 2008 s'inscrit dans une perspective comparable bien qu'il s'agisse d'une société semi-transparente soumise au régime de l'article 8-4° du CGI (CGI, art. 8 N° Lexbase : L2685HNR) : l'EURL Gatineau Transactions et Investissements Immobiliers (GTII), société à responsabilité limitée ne comportant comme associé qu'une personne physique, a interrompu son activité principale de marchands de biens au profit de la location de deux logements lui appartenant.

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a considéré que le changement d'activité de l'entreprise devait être assimilé à une cessation d'entreprise entraînant, au cas d'espèce, l'imposition immédiate des bénéfices et la réintégration d'une provision sur le stock de biens immobiliers (CGI art. 201 N° Lexbase : L1704HNG ; CGI art. 202 ter N° Lexbase : L2487HNG ; comp. s'agissant des sociétés soumises à l'IS, notamment quant aux conséquences (1) : CGI, art. 221-5° N° Lexbase : L4150HLB). Par ailleurs, l'administration fiscale a contesté la nature commerciale de l'activité de l'EURL pour requalifier les revenus en revenus fonciers et, ainsi, interdire l'imputation des déficits sur le revenu global du foyer fiscal (CGI, art. 156 I-3° N° Lexbase : L2487HZ7).

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 26 septembre 2005, n° 03NT00032, M. et Mme Alain Gatineau N° Lexbase : A7130DLN) confirmera l'analyse de l'administration fiscale en relevant que l'EURL n'a pas accompli "au cours de la période litigieuse, des démarches effectives afin d'acquérir des immeubles ou de vendre les appartements qu'elle détenait". Partant, "l'activité de la société a définitivement subi de profonds changements" ; ce qui justifie l'application du régime de la cessation d'entreprise.

Cette décision sera censurée par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 25 février 2008 : la Haute juridiction considère que la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de la cause.

En effet, il résulte de l'instruction que le contribuable prétend n'avoir jamais entendu, en 1994, mettre fin à son activité de marchands de biens, par ailleurs reprise en 1998 : cette dernière a été volontairement et temporairement suspendue du fait de la crise immobilière.

Réglant l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), la Haute juridiction relève que l'EURL a concentré son activité sur la gestion de logements qui constitue une activité accessoire à celle principale de marchands de biens. L'activité principale doit être regardée comme ayant été simplement suspendue pendant quatre ans et cinq mois, pour des raisons conjoncturelles, dès lors que la société peut justifier avoir acquis un immeuble quelques années plus tard dans le cadre de son activité principale de marchands de biens : le Conseil d'Etat a, de par le passé, déjà jugé que le changement d'activité devait s'entendre comme un abandon définitif et complet de l'ancienne activité (CE Contentieux, 17 mai 1982, n° 21759 N° Lexbase : A2205ALA).

Ainsi, le Conseil d'Etat considère que la "mutation temporaire opérée par l'EURL GTII dans son activité" pour des raisons économiques ne peut pas être regardée "comme un changement définitif d'activité d'une importance telle qu'il doive emporter cessation de l'entreprise au sens de l'article 202 ter du Code général des impôts".

Cette solution doit être rapprochée de l'arrêt "SARL Sophie B" admettant qu'après une période d'inactivité -cette fois-ci totale- de trente et un mois, du renouvellement du collège des associés et du changement de gérant, le régime de la cessation d'entreprise devait être écarté dès lors qu'après avoir vendu des polos Benetton, la société revendait des tee-shirts Nike (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, SARL Sophie B N° Lexbase : A3450DIM ; CAA Douai, 3ème ch., 4 juin 2003, n° 02DA00781, SARL Sophie B N° Lexbase : A4754C9X) (2).

L'arrêt "Gatineau" prend en compte l'environnement économique, plus spécifiquement l'état désastreux du marché immobilier au début des années 90, subi par l'entreprise. Les Hauts magistrats font preuve d'une certaine largeur de vue au profit des contribuables puisque leur société n'a repris son activité principale, jusqu'alors suspendue au profit d'une activité accessoire, que quatre ans et cinq mois après les faits leur permettant ainsi d'exciper d'un évènement fortuit intervenu bien après l'interruption de l'activité de marchands de biens : le rebond du marché immobilier à compter de 1997 qui a incité l'EURL a renoué avec ses premières amours en 1998. Ce fait n'est pas neutre au regard du présent litige car, sans nul doute possible, il a permis aux contribuables de justifier, a posteriori, du caractère temporaire de l'interruption de leur activité principale. Il est en outre vraisemblable que les conséquences de cette interruption d'activité, au regard des dispositions de l'article 202 ter du CGI diversement interprétées par l'administration et le juge de l'impôt, n'aient pas été, à l'époque des faits, appréciées par les contribuables dans toute leur mesure -si tant est qu'elles aient été tout simplement appréhendées- : pourtant, s'"il est malaisé de parer à un accident imprévu ; à un accident prévu, c'est chose aisée" (3).

  • Prorogation du délai de reprise : combinaison possible des articles L. 170 et L. 187 du LPF (CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281130, M. Cheneviere, N° Lexbase : A0420D7P ; CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281178, Société anonyme L'Hexagone N° Lexbase : A0421D7Q)

La prescription du délai de reprise de l'administration fiscale est un enjeu de première importance en matière de procédures fiscales. Fixé, jusqu'au 31 mai 2008 (4), à dix ans à compter du jour du fait générateur de l'impôt (LPF, art. L. 186 N° Lexbase : L8360AED), le droit commun de la prescription fiscale souffre de nombreuses exceptions : ainsi, à titre d'illustration, le délai abrégé de trois ans (LPF, art. L. 180 N° Lexbase : L8488AE4) applicable en matière d'ISF pour les éléments déclarés par le contribuable sera cependant écarté si l'administration doit effectuer des recherches ultérieures (Cass. com., 20 février 2007, n° 05-17.953, F-P+B N° Lexbase : A4256DU8 ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.698, F-D N° Lexbase : A1209DMQ ; Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-13.260, Monsieur Bourlon de Rouvre c/ Directeur des Services Fiscaux de Paris-Nord et autre N° Lexbase : A2674ACZ).

Le LPF mentionne également des délais de reprise spéciaux, c'est-à-dire dérogatoires au délai prévu par l'article L. 186 du LPF. Telle est l'hypothèse, à titre d'illustration, de l'article L. 169 du LPF (N° Lexbase : L4751HWU) applicable à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, qui prévoit que le droit de reprise de l'administration s'exercera alors "jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due". Leurs effets peuvent être écartés au profit d'une prorogation tenant au dépôt, par l'administration fiscale, d'une plainte contre le contribuable s'étant livré à des agissements frauduleux (LPF, art. L. 187 N° Lexbase : L8361AEE ; CE Contentieux, 7 décembre 1981, n° 17826 N° Lexbase : A6425AK8 ; CE Contentieux, 26 juillet 1978, n° 4851 N° Lexbase : A2791AI9) ; d'une commission d'activités occultes (LPF, art. L. 169 ; LPF, art. L. 174 N° Lexbase : L8372AES ; LPF, art. L. 176 N° Lexbase : L7609HEK) ou du recours, par l'administration fiscale, à l'assistance administrative internationale (LPF, art. L. 188 A N° Lexbase : L5372G74).

Lorsque les délais de reprise de l'article L. 169 du LPF sont écoulés, l'administration peut appliquer l'article L. 170 du LPF qui dispose que "les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuses peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due". Mais ce texte interdit à l'administration de demander au juge de l'impôt d'établir lui-même l'imposition due (5) (CE Contentieux, 6 janvier 1984, n° 29639, M. Joseph Vilain N° Lexbase : A7320ALP).

La rédaction actuelle de l'article L. 170 du LPF est issue d'une substantielle modification opérée par la loi de finances pour 1990 (loi n° 89-935 du 29 décembre 1989, art. 104-I et 104-II) portant sur le champ d'application du texte. D'une part, les dispositions de l'article L. 170 ne sont plus réservées aux seules instances introduites devant les tribunaux répressifs : tous les litiges sont, à compter du 1er janvier 1990, concernés. Il en est ainsi d'une instance notamment prud'homale, commerciale, civile, administrative ou pénale qui sont par ailleurs autant de pépites d'informations pour l'administration fiscale exploitables au moyen du droit de communication (LPF, art. L. 101 N° Lexbase : L7897AE9 ; CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2002, n° 231105, SARL Berre Station N° Lexbase : A8251AYA). D'autre part, quant au fait générateur de l'impôt concerné, le champ d'application rationae temporis de l'article L. 170 du LPF fixe un butoir à l'exercice du droit de reprise (sur la jurisprudence relative à l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions : CE 9° et 10° s-s-r., 17 novembre 2006, n° 254526, M. et Mme Giral N° Lexbase : A5440DSB).

Mais quid de l'application de l'article L. 170 en cas d'agissements frauduleux du contribuable ? Le monde de la nuit nous offre l'opportunité d'y voir un peu plus clair. Par deux décisions rendues le 28 février 2008 (CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281130, M. Cheneviere ; CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281178, Société anonyme L'Hexagone), le Conseil d'Etat a considéré que les deux actions pouvaient être combinées : elles ne s'excluent nullement.

Les faits de ces deux arrêts rapportent qu'une importante fraude comptable a été mise à jour consistant en l'existence d'une double billetterie (6) au sein d'une discothèque exploitée par une société anonyme. Des redressements ont alors été notifiés en 1994, portant sur les années 1987 à 1989, relatifs à l'impôt sur les sociétés et la TVA à l'encontre de la personne morale ; ainsi que l'impôt sur le revenu concernant le dirigeant par ailleurs poursuivi pour fraude fiscale devant les juridictions répressives.

Le Conseil d'Etat rappelle que les dispositions des articles L. 170 et L. 187 du LPF "ont pour objet commun d'ouvrir un délai spécial de reprise après expiration du délai ordinaire de prescription, elles permettent à l'administration de procéder à des rehaussements des bases d'imposition dans des conditions et des durées différentes".

Le Haut conseil en déduit, alors, que "la circonstance que les conditions de mise en oeuvre de l'article L. 187 soient remplies ne saurait en elle-même faire obstacle à ce que l'administration procède à des redressements en application de l'article L. 170, si les conditions en sont également réunies".

Ainsi, le grief des contribuables reposant sur la prétendue méconnaissance du champ d'application de l'article L. 170 du LPF par l'administration fiscale "alors qu'elle avait engagé une instance pénale à la suite de la découverte de la double billetterie frauduleuse ne peut qu'être écarté".

Cette jurisprudence s'inscrit dans l'esprit de celle auparavant adoptée par la Haute juridiction administrative acceptant le principe d'une combinaison des articles L. 170 et L. 169 du LPF (7) (CE Contentieux, 21 décembre 2001, n° 204181, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Pekmez N° Lexbase : A9404AXL).

S'agissant de l'application des dispositions de l'article L. 170 du LPF, la jurisprudence a permis de préciser ce que le terme "révélées" signifiait. Ainsi, la juridiction administrative estime que si l'administration disposait de l'ensemble des éléments propres lui permettant d'établir l'imposition supplémentaire avant que le contribuable n'introduise sa réclamation, l'insuffisance d'impôt ne lui a pas été révélée au sens de l'article L. 170 du LPF (CE Contentieux, 22 mars 1985, n° 42952, Ministre du Budget c/ Malichaud N° Lexbase : A2947AM4). De même, l'administration ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 170 du LPF dès lors que les insuffisances d'imposition ont été révélées par la vérification de la situation fiscale du contribuable et "non par l'instance engagée postérieurement à son encontre devant les tribunaux répressifs" (8) (CE Contentieux, 28 novembre 1986, n° 47147, De Bierre N° Lexbase : A3804AMT). En revanche, une réclamation du contribuable révélant une insuffisance d'imposition justifie l'application des dispositions de l'article L. 170 du LPF (CE Contentieux, 21 décembre 2001, n° 204181, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Pekmez N° Lexbase : A9404AXL).

Au cas d'espèce, les contribuables n'ont pu prétendre que la juridiction administrative d'appel avait méconnu le sens de l'article L. 170 du LPF dès lors que les informations sur lesquelles l'administration s'était fondée, afin de rehausser leurs impositions respectives, ont été recueillies auprès de l'autorité judiciaire dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par le président du tribunal de grande instance statuant en matière correctionnelle. En effet, même si l'administration a bien eu connaissance en 1991 d'une double billetterie, c'est la procédure pénale mise en oeuvre qui permettra de mesurer l'ampleur de la fraude commise portant sur quatorze mille quatre cents billets -dont cent d'entre eux avaient déjà été découverts par l'administration fiscale en 1991- équivalant à un chiffre d'affaires de 576 000 francs (9) non comptabilisé.

  • Droits d'enregistrement et apport d'une entreprise individuelle à une société : régime de l'article 809 I bis du CGI (Cass. com., 12 février 2008, n° 07-15.218, F-P+B N° Lexbase : A9334D4H)

Afin de se conformer au dogme de la neutralité fiscale, le législateur a introduit des dispositions favorables à la mise en société des entreprises individuelles codifiées à l'article 151 octies du CGI (N° Lexbase : L2463HNK) se traduisant par un report des impôts directs. Cet aspect est particulièrement sensible quant à l'imposition des plus-values latentes s'agissant notamment des actifs incorporels de l'entreprise individuelle dont le fonds de commerce.

Concernant les droits d'enregistrement, il est fait une distinction entre la nature des apports : lorsqu'ils sont rémunérés par des droits sociaux, tels que les actions ou les parts sociales, ils sont soumis à l'aléa social et qualifiés d'apports à titre pur et simple. Par principe, ils sont exonérés. En revanche, si la société bénéficiaire de l'apport prend en charge le passif qui incombait à l'exploitant individuel, les apports sont à titre onéreux. Ces derniers sont alors soumis à une taxation (10) sous réserve de l'application, sous conditions, notamment, quant à la durée de conservation des titres reçus en échange (11) et de l'apport de l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé par une personne physique, d'un régime de faveur prévu par les dispositions de l'article 809 I bis du CGI (N° Lexbase : L8320HLQ).

Les faits de l'espèce ont trait à l'apport d'un fonds de commerce de courtage et de négoce de produits informatiques exploités sous la forme d'une entreprise individuelle placé sous le régime du report d'imposition des plus-values de l'article 151 octies du CGI et celui prévu par l'article 809 I bis du CGI. Aux termes du contrat d'apport enregistré en mars 1992, l'actif immobilisé a été valorisé pour un montant de 11 015 411 francs (12) et l'actif circulant s'est élevé à 23 170 229 francs (13). La rémunération de l'apport était constituée par la prise en charge du passif à hauteur de 14 474 476 francs (14), l'inscription au compte courant de l'apporteur dans les comptes de la SA bénéficiaire de l'apport de la somme de 9 711 164 francs (15) et l'attribution de 100 000 actions de 100 francs (16) chacune.

Concernant les droits d'enregistrement, un droit fixe de 500 francs (17) a alors été acquitté.

A la suite d'une notification de redressements en juillet 1995, l'administration a remis en cause le bénéfice du régime de faveur issu de l'article 809 I bis du CGI (18).

Quelle interprétation la jurisprudence a-t-elle arrêté au regard de l'application de l'article 809 I bis du CGI ?

En 2004, la Cour de cassation (Cass. com., 3 mars 2004, n° 00-22.810, FS-P+B N° Lexbase : A3919DBR) a dit pour droit que le régime de l'article 809 I bis du CGI n'était pas applicable lorsque l'apport n'avait pas été uniquement rémunéré par des droits sociaux, "mais également par une attribution de liquidités en faveur de [l'apporteur au moyen d'une inscription au compte courant de l'actionnaire], de sorte que l'apport correspondant n'avait pas été intégralement consenti à titre pur et simple".

C'est très logiquement que la Haute juridiction judiciaire écartera le régime de l'article 809 I bis du CGI lorsque le stock de marchandises a été vendu par les apporteurs à la société bénéficiaire des apports : en effet, "la société Kervilly avait pris en charge les dettes afférentes au stock qu'elle avait acheté à M. et Mme Le G., ce dont il résultait qu'elle avait supporté des éléments de passif autres que ceux dont étaient grevés les éléments d'actifs immobilisés apportés" (Cass. com., 17 mars 2004, n° 02-14.711, FS-P+B N° Lexbase : A6326DBW).

Ces solutions sont en accord avec les réponses ministérielles "Borloo" (19) et "Fosset" (20) publiées au milieu des années 90 (QE n° 20447 de M. Jean-Louis Borloo, réponse publ. au JOANQ du 20 février 1995 p. 964N° Lexbase : L2006DPY ; QE n° 04794 M. André de FOSSET, réponse publ. au JOSQ du 23 février 1995 p. 439 N° Lexbase : L2005DPX) dont il faut comprendre que l'apport de l'entreprise individuelle doit être à titre pur et simple à hauteur de sa valeur nette et à titre onéreux à hauteur de la prise en charge du passif (21).

Par la présente décision, la Cour de cassation met fin à une longue procédure judiciaire ayant opposé les parties à l'instance : par un arrêt du 22 novembre 2005 (Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-12.550, F-D N° Lexbase : A7414DL8), la cour régulatrice a censuré la décision rendue par la cour d'appel de Versailles dont le raisonnement était fondé sur le fait que "pour bénéficier du régime de faveur, la valeur des actions attribuées en contrepartie de l'apport doit être au moins égale à la valeur de l'actif immobilisé et non à la valeur de l'actif net, après déduction du passif social". En effet, selon les Hauts magistrats "en statuant ainsi, alors que la prise en charge par la société du passif dont sont grevés les biens apportés constituant la contrepartie de l'apport à concurrence de ce passif, seul l'actif net apporté doit être intégralement réalisé à titre pur et simple, la cour d'appel a violé [l'article 809 I bis du CGI]".

La cour d'appel de renvoi (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 2 février 2007, n° 06/08836 N° Lexbase : A5757DUR) ayant à statuer sur la cause, appliquera la jurisprudence de la Cour de cassation et constatera que "le compte courant créditeur de l'exploitant dans l'entreprise individuelle ne correspond pas au passif dont sont grevés les biens de nature de ceux énumérés au 3° du I [immeuble, droits immobiliers, fonds de commerce, clientèle, droit à bail, promesse de bail] qui sont compris dans l'apport". Par conséquent, la cour d'appel de renvoi écartera l'application du régime de faveur prévu par l'article 809 I bis du CGI. En effet, aux termes du contrat d'apport, l'actif net apporté s'est élevé à 19 711 164 francs (22) et la rémunération de l'apport s'est élevée à 10 000 000 francs à titre pur et simple à la suite de l'attribution de 100 000 actions de cent francs chacune. La différence, soit 9 711 164 francs, a été portée en compte courant dont la cour de renvoi relève que le contrat d'apport n'a pas précisé s'il devait être considéré comme bloqué pendant cinq ans (23). Il s'agit, alors, d'une simple attribution de liquidités incompatible avec les dispositions de l'article 809 I bis du CGI dès lors que le compte courant "n'est pas de même nature que le passif visé par l'article 809, I bis susvisé et ne peut être assimilé, pour l'opération d'apport considérée, au passif à prendre en compte dans le calcul de l'actif net".

A nouveau saisie d'un pourvoi en cassation, la Cour régulatrice (Cass. com., 12 février 2008, n° 07-15.218, F-P+B N° Lexbase : A9334D4H) tranche définitivement ce contentieux en décidant que le régime de faveur doit être écarté lorsque la société bénéficiaire de l'apport "a supporté des éléments de passif autres que ceux dont ont été grevés les éléments d'actif immobilisés". Ce qui était le cas en l'espèce puisque l'exploitant individuel effectuait des prélèvements personnels à son profit : "le montant du compte courant [...] dépendait pour partie des prélèvements personnels effectués par [l'apporteur] à son profit, les mouvements l'affectant ne résultaient pas uniquement de l'exploitation directe de l'activité de l'entreprise, de sorte que ce compte ne pouvait être assimilé, pour l'opération d'apport, au passif à prendre en compte pour le calcul de l'actif net".


(1) Le changement d'objet social ou d'activité réelle emporte la cessation avec, pour conséquence, l'imposition immédiate du résultat, des plus-values latentes et des provisions, sauf application du régime de l'article 221 bis du CGI (N° Lexbase : L2497HNS). Enfin, s'agissant des déficits générés par l'activité initiale de la société soumise à l'IS, ils ne peuvent plus être reportés en avant et être imputés sur les bénéfices à venir issus de la nouvelle activité. On a voulu ainsi prévenir la reprise de sociétés déficitaires pour des considérations purement fiscales. Il devrait en être différemment en ce qui concerne le régime du carry-back qui fait naître une créance d'impôt au profit de la société.
(2) V. également : CE Contentieux, 7 mai 1980, n° 16700 (N° Lexbase : A5908AIN).
(3) Machiavel, L'art de la guerre, livre septième chapitre XIV, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 895.
(4) A compter du 1er juin 2008, la loi "TEPA" du 21 août 2007 (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8) a réduit la prescription de droit commun en matière fiscale à six ans (LPF, art. L. 186 [LXB=L9273HZH).
(5) " Même si les délais de reprise prévus à l'article L. 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux répressifs ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'Administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance' ; que, toutefois, s'il appartient à l'Administration, dans la mesure où elle s'y croit fondée, de faire application de ces dispositions, elle ne peut, sur leur fondement, demander au juge de l'impôt d'établir lui-même des impositions".
(6) Dans une affaire opposant les cédants et le cessionnaire de titres sociaux d'une société exploitant une discothèque, un conflit éclata entre les intéressés à la suite d'un redressement fiscal notifié par l'administration à l'encontre de la société. Les termes de la décision rendue par la cour d'appel, rapportés par la Cour de cassation, sont édifiants car on y apprend l'existence de surprenantes "coutumes" justifiant, selon l'une des parties à la procédure, d'écarter la garantie de passif octroyée par les cédants : "Attendu que pour rejeter la demande [du cessionnaire], l'arrêt retient que celui-ci ne peut, sans manquer à la bonne foi, se prétendre créancier à l'égard des cédants dès lors que, dirigeant et principal actionnaire de la société Les Maréchaux, il aurait dû se montrer particulièrement attentif à la mise en place d'un contrôle des comptes présentant toutes les garanties de fiabilité, qu'il ne pouvait ignorer que des irrégularités comptables sont pratiquées de façon courante dans les établissements exploitant une discothèque et qu'il a ainsi délibérément exposé la société aux risques, qui se sont réalisés, de mise en oeuvre des pratiques irrégulières à l'origine du redressement fiscal invoqué au titre de la garantie de passif", Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, M. Gérard Fromont, dit Gérard Louvin, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2234DXZ, P. Stoffel-Munck, Créancier déloyal dans l'exécution n'est pas moins créancier, D., 2007, p. 2839. Les parties évoquent ouvertement l'existence d'irrégularités comptables et non d'erreurs !
(7) "Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en se fondant, pour juger que l'administration ne pouvait pas exercer, comme elle l'a fait, le droit de reprise prévu par l'article L. 170 du Livre des procédures fiscales sur ce qu'à la date de la réclamation du contribuable, l'année 1981 était couverte par la prescription édictée par l'article L. 169 du Livre des procédures fiscales, la cour a commis une erreur de droit".
(8) A noter que la jurisprudence du juge de l'impôt considère que la saisine d'un juge d'instruction équivaut à l'introduction d'une instance pénale, au sens de l'article L. 170 du LPF, sans devoir attendre le prononcé d'un jugement : TA Lille, 16 décembre 2004, n° 02-1445, 02-1449, 02-1446 et 02-1450, 4ème ch., SA Import Rebergue, RJF, avril 2005, n° 357 ; TA Dijon 19 septembre 2002 n° 01-2786 et 01-2787, 2ème ch., Dogliani, RJF, mars 2003, n° 340.
(9) 87 811 euros.
(10) CGI, art. 810 (N° Lexbase : L8335HLB).
(11) Le délai de conservation des titres est de trois ans depuis le 1er janvier 2002. Auparavant, il était de cinq ans.
(12) 1 679 289 euros.
(13) 3 532 279 euros.
(14) 2 206 620 euros.
(15) 1 480 457 euros.
(16) 15 euros.
(17) 76 euros.
(18) Extrait de l'article 809 du CGI modifié par la loi de finances pour 1992 n° 91-1322 du 30 décembre 1991 (art 12 I, art 13, art 43) JORF 31 décembre 1991 applicable aux faits de l'espèce (N° Lexbase : L8315HLK) : "3° Les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail. I bis En cas d'apport réalisé à compter du 1er avril 1981, dans les conditions fixées au II de l'article 151 octies, par une personne physique à une société de l'ensemble des éléments d'actif immobilisé affectés à l'exercice d'une activité professionnelle, la prise en charge du passif, dont sont grevés les biens de la nature de ceux énumérés au 3° du I qui sont compris dans l'apport, donne ouverture à un droit de mutation dont le taux est ramené à 8,60 % prévu par le III de l'article 810. Pour les apports réalisés à compter du 1er janvier 1992, le droit de mutation est remplacé par un droit fixe de 500 F si l'apporteur s'engage à conserver pendant cinq ans les titres remis en contrepartie de l'apport. En cas de non-respect de l'engagement de conservation des titres, les dispositions prévues au III de l'article 810 sont applicables. Si la société cesse de remplir les conditions qui lui ont permis de bénéficier de cet avantage, la différence entre, d'une part, le droit de mutation majoré des taxes additionnelles et, d'autre part, les droits et taxes initialement acquittés est exigible immédiatement".
(19) "L'article 151 octies du Code général des impôts prévoit un report d'imposition des plus-values réalisées à l'occasion de l'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition de tous les éléments de l'actif immobilisé affectés à l'exercice de l'activité d'une entreprise individuelle ; pour l'application de ce texte, l'apport peut s'accompagner de la prise en charge des éléments de passif qui sont directement attachés à cette entreprise. Ce report d'imposition est justifié pour les seuls apports rémunérés par des actions ou parts sociales, qui ne dégagent pas de liquidités au profit de l'apporteur. Par suite, la rémunération de tout ou partie des actifs transférés par le versement de sommes d'argent ou par la prise en charge d'un passif personnel à l'apporteur ou encore par l'ouverture d'un compte courant au nom de l'apporteur dans les écritures de la société bénéficiaire exclut l'apport en cause du champ d'application de l'article 151 octies. Dans la situation évoquée par l'honorable parlementaire, l'apport à titre onéreux, qui s'analyse en une vente, fait donc obstacle au bénéfice du régime de faveur. Dès lors qu'une partie de l'entreprise est vendue, et non apportée, le régime de faveur prévu à l'article 809 I bis qui prévoit l'application d'un taux réduit de droit de mutation ou d'un droit fixe de 500 francs à hauteur du passif incombant à l'exploitant, n'est également pas applicable".
(20) "Les régimes prévus aux articles 151 octies et 809-1 bis du Code général des impôts ont pour objet de favoriser la transformation d'une entreprise individuelle en société. Ils visent également l'apport à une société d'une entreprise individuelle avec prise en charge du passif si les éléments de ce passif sont directement attachés à l'entreprise apportée et sous réserve que l'ensemble des conditions requises pour l'application de ces régimes soient remplies. En revanche, ces dispositions ne s'appliquent pas lorsqu'une partie des éléments d'actif est vendue. Or, un apport rémunéré pour partie par des droits sociaux, pour l'autre partie par l'ouverture d'un compte courant s'analyse en une vente à hauteur du montant du compte courant. Dès lors, l'opération d'apport évoquée par l'honorable parlementaire ne portant pas sur l'intégralité des éléments d'actif, les dispositions relevant des articles précités ne peuvent s'appliquer".
(21) En ce sens : EFL, ENR, VI, 7362.
(22) 34 185 640 francs (actif brut) - 14 474 476 francs (passif pris en charge).
(23) Cet aspect a été critiqué par le demandeur au pourvoi : "que l'obligation de conserver les actions pendant cinq ans ne peut concerner que l'apport pur et simple ; que dès lors, en reprochant au compte courant repris de ne pas avoir été bloqué pendant cinq ans, alors que la reprise de ce compte courant constitue un apport à titre onéreux non concerné par l'obligation de conservation des titres durant cinq ans, l'arrêt attaqué a violé par fausse interprétation l'article 809 I bis du Code général des impôts". La Cour de cassation y répond ainsi : "qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel en a déduit à bon droit, abstraction faite des motifs critiqués par la troisième branche, qui, fussent-ils erronés, sont surabondants, que le régime de faveur prévu par les dispositions de l'article 809 I bis du Code général des impôts n'était pas applicable".

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