La lettre juridique n°294 du 28 février 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'acte d'enfant sans vie libéré par la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 1, 6 février 2008, 3 arrêts, n° 06-16.498, M. Yves T., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6715D4H), n° 06-16.499, M. Emmanuel P., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6716D4I), n° 06-16.500, M. Jean-Michel B., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6717D4K)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu, Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Par trois arrêts rendus le 6 février 2008, la Cour de cassation a déclaré illégales les conditions de délai ou de poids qui étaient, en pratique, appliquées à l'acte d'enfant sans vie de l'article 79-1 du Code civil (N° Lexbase : L3391AB9). Ces décisions suppriment toutes limites à l'établissement de cet acte qui pourrait donc être utilisé quelle que soit la durée de la grossesse prématurément interrompue. Ce nouveau régime de l'acte d'enfant sans vie ne modifie pas, quoiqu'on ait pu en dire, le statut du foetus. Il impose, cependant, de s'interroger sur le nécessaire encadrement de l'acte d'enfant sans vie. I - Le nouveau régime de l'acte d'enfant sans vie

Enjeux de l'acte d'enfant sans vie. La disparition des espoirs liés à une grossesse déjà bien avancée provoque incontestablement une grande souffrance pour ceux qui se considéraient déjà comme des parents. L'acte d'enfant sans vie, d'origine ancienne (1), est destiné à faciliter leur deuil, notamment parce qu'il leur permet d'organiser des obsèques (2) et d'individualiser l'enfant né sans vie à travers l'octroi d'un prénom et son inscription administrative sur le livret de famille. C'est l'article 79-1 du Code civil, issu de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 (N° Lexbase : L8449G8G), qui fixe le régime de l'acte d'enfant sans vie. Le texte prévoit seulement que cet acte, élaboré par l'officier d'état civil, à défaut du certificat indiquant que l'enfant est né vivant et viable, contient les jour, heure et lieu de l'accouchement ainsi que les prénoms, noms, dates et lieux de naissance, professions et domicile des père et mère.

Conditions posées par la circulaire. Depuis 2001, une circulaire interministérielle (3), intégrée à l'Instruction générale de l'état civil, se fondant sur l'idée que l'acte d'enfant sans vie est destiné aux enfants à naître qui n'ont pas vécu, mais qui étaient suffisamment développés pour être viables, limitait l'acte d'enfant sans vie aux enfants nés vivants mais non viables et aux enfants mort-nés après un terme de 22 semaines d'aménorrhée ou ayant un poids de 500 g, en référence au seuil de viabilité défini par l'Organisation mondiale de la santé.

Effet de seuil. La technique des seuils, séduisante par sa simplicité, se révèle cependant implacable et particulièrement difficile à vivre pour ceux qui, tout en étant très proches du critère retenu, ne le satisfont pas. C'est la situation que devaient affronter les parents auteurs des pourvois ayant donné lieu aux trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 février 2008. Pour deux d'entre eux, en effet, il ne manquait qu'une semaine pour atteindre le seuil fatidique de vingt-deux semaines (dans la troisième hypothèse, l'accouchement avait eu lieu après seulement dix-huit semaines d'aménorrhée). Le refus de l'officier d'état civil, puis des juridictions du fond, d'établir un acte d'enfant sans vie les a conduit à contester les limites qui leur étaient opposées, au motif qu'elles n'étaient pas contenues dans l'article 79-1 du Code civil.

Illégalité des conditions. En toute logique, la Cour de cassation répond favorablement à la critique du pourvoi en constatant qu'effectivement "l'article 79-1, alinéa 2, du Code civil, ne subordonne pas l'établissement d'un acte d'enfant sans vie, ni au poids du foetus, ni à la durée de la grossesse" et en en déduisant que "la cour d appel, qui a ajouté au texte des conditions qu'il ne prévoit pas l'a violé". La cassation des arrêts de cour d'appel ayant opposé aux parents une simple circulaire pour limiter l'application d'une loi était inévitable et une solution contraire aurait été éminemment critiquable. Une circulaire ne peut évidemment pas venir limiter le champ d'application d'un texte légal sous couvert d'interprétation. Elle ne constitue qu'une information pour guider les personnes chargées de la mise en oeuvre du texte mais n'est pas opposable à ceux qui sont susceptibles d'en bénéficier, en l'occurrence les parents dont l'enfant est mort-né avant terme.

II - L'absence d'évolution du statut du foetus

Application à tous les enfants mort-nés. Les arrêts de la Cour de cassation imposent donc, désormais, aux officiers de l'état civil d'établir un acte d'enfant sans vie dans toutes les hypothèses où l'enfant ne serait pas né vivant et viable. Cette obligation s'applique d'ailleurs aux enfants mort-nés avant ces arrêts, notamment dans les trois espèces ayant donné lieu aux décisions du 6 février 2008. En effet, l'acte d'enfant sans vie ne doit pas, contrairement à l'acte de naissance, être établi dans les trois jours suivant l'accouchement.

Effets limités. Pour autant, cette obligation ne modifie en rien le statut juridique du foetus. L'acte d'enfant sans vie ne confère pas à ce dernier la personnalité juridique. Ce n'est pas un acte d'état civil, même s'il est établi par un officier d'état civil. S'il emporte un certain nombre de conséquences non négligeables, celles-ci ne sont que des conséquences matérielles et non juridiques. La production d'un acte d'enfant sans vie permet, notamment, en vertu d'un décret très récent du 9 janvier 2008 (4), l'octroi au père, d'un congé de paternité pour accompagner la mère dans son travail de deuil. Le régime accordé au foetus et aux parents en présence d'un acte d'enfant sans vie témoigne, sans aucun doute, de la volonté légitime des pouvoirs publics de reconnaître la douleur des parents mais n'entraîne en aucun cas la reconnaissance, même partielle, de la personnalité juridique du foetus. Celui-ci n'est pas une personne, même s'il est, sans aucun doute, plus qu'une chose et mérite à ce titre, parce qu'il constitue une potentialité de vie humaine, une protection particulière (5).

Interruption volontaire de grossesse. Les arrêts du 6 février 2008 n'ont ainsi aucune incidence sur la législation relative à l'interruption volontaire de grossesse, ni sur la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui refuse la qualification d'homicide involontaire pour une atteinte à la vie d'un foetus (6). Ce n'est pas parce qu'on admet qu'une femme peut matérialiser par un acte d'enfant sans vie le projet parental qu'elle a élaboré autour de sa grossesse prématurément interrompue, qu'on ne respecte pas la volonté de certaines femmes de ne pas poursuivre la leur. Il est, toutefois, concevable que d'aucuns pourraient voir dans la possibilité pour un foetus du "même âge" de faire l'objet d'une interruption de grossesse (7) ou d'un acte d'enfant sans vie, si celui-ci n'est limité par aucune condition de délai, une forme d'incohérence. C'est sans doute parce que l'acte d'enfant sans vie, désormais soumis au seul article 79-1 du Code civil, mérite d'être mieux encadré.

III - Le nécessaire encadrement de l'acte d'enfant sans vie

Nécessité d'une limite. La Cour de cassation, en refusant qu'une simple circulaire puisse délimiter le champ d'application de l'acte d'enfant sans vie, ne rejette pas forcement l'idée que celui-ci doit être limité aux hypothèses dans lesquelles le foetus est viable. L'acte d'enfant sa vie n'est pas, dans son esprit, destiné à matérialiser toute grossesse interrompue prématurément ; il a pour finalité d'enregistrer l'existence d'un être humain qui n'a jamais vécu indépendamment du corps de sa mère, mais qui aurait pu y parvenir parce qu'il avait atteint le seuil de viabilité. Pour cette raison, et compte tenu des conséquences, même non juridiques, qu'il implique, parmi lesquelles l'octroi d'un congé de maternité et de paternité, il paraît nécessaire qu'il soit réservé à certaines situations. Il est évident qu'il continuera à s'appliquer à l'enfant né vivant mais non viable. Il serait, en outre, nécessaire qu'un texte vienne préciser les conditions dans lesquelles il pourrait s'appliquer à l'enfant mort-né.

Viabilité. La référence à la définition de la viabilité de l'Organisation mondiale de la santé avait, jusqu'alors, fait l'unanimité. Elle est, d'ailleurs commune à la plupart des pays (8). Il semble qu'elle devrait être reprise, mais cette fois dans un texte normatif. Une loi ne paraît pas nécessaire, sauf à considérer que l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), qui réserve au pouvoir législatif une compétence exclusive pour ce qui concerne les personnes, doit être entendu largement. Un décret devrait suffire pour finalement reprendre les termes de la circulaire.

Etablissement de la filiation. Peut-être ce décret pourrait-il, également, revenir sur certaines questions traitées par la circulaire et qui mériteraient d'être tranchées plus clairement. Il en va, notamment, ainsi de la possibilité pour les parents de reconnaître cet "enfant sans vie" et de lui donner leur nom, permettant son intégration dans la famille (9). Il faudrait sans doute préciser, pour éviter les confusions, que ce rattachement de l'enfant sans vie à une famille ne lui confère pas la personnalité juridique et n'a aucune conséquence en matière successorale, par exemple.

Inhumation. Sans doute aussi faudrait-il, lorsque des conditions de l'acte d'enfant sans vie ne seraient pas réunies, permettre l'inhumation du foetus sans tenir compte du délai de vingt-deux semaines. Certaines communes admettent cette possibilité ; il conviendrait qu'une telle solution soit généralisée pour tenir compte de la souffrance de ceux qui doivent faire le deuil difficile de leur projet parental.


(1) Décret du 4 juillet 1806.
(2) C. santé publ., art. R.1112-75 et s. (N° Lexbase : L3003HPW).
(3) Circulaire n° 2001/571 du 30 novembre 2001, relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des enfants décédés avant leur déclaration de naissance (N° Lexbase : L5092GU7).
(4) Décret n° 2008-32 du 9 janvier 2008, relatif aux conditions d'indemnisation du congé de paternité (N° Lexbase : L7498H34), JO du 11 janvier 2008.
(5) N. Baillon-Wirtz, La condition juridique de l'enfant sans vie : retour sur les incohérences du droit français, Dr. fam., 2007, Etude n° 13.
(6) Ass. plén., 29 juin 2001, n° 99-85.973, Procureur général près la cour d'appel de Metz c/ M. Nicolas Calvente Rubio, P (N° Lexbase : A6448ATY), RTDCiv. 2001, p. 560, obs. J. Hauser, JCP éd. G, 2001, II, 10569, rapp. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note M.-L. Rassat, D., 2001, p. 2917, note Y. Mayaud, D., 2001, p. 2907, note J. Pradel ; Cass. crim., 25 juin 2002, n° 00-81.359, Procureur général près la cour d'appel de Versailles, FP-P+F (N° Lexbase : A0058AZ8), Dr. pén., septembre 2002, comm. n° 93, obs. M. Véron, JCP éd. G, 2002, II, 10155, note M.-L. Rassat, D., 2002, p. 3099, note J. Pradel, RPDP, 2003, p. 362, obs. J.-Y. Chevallier.
(7) L'interruption volontaire de grossesse est possible jusqu'à la douzième semaine (C. santé publ., art. L. 2212-1 N° Lexbase : L3693DLD) et l'interruption thérapeutique de grosse n'est pas limitée dans le temps.
(8) F. Granet, Etat civil et décès périnatal dans les Etats de la Commission Internationale de l'Etat Civil (CIEC), JCP éd. G, 1999, I, 124.
(9) Conformément à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, "Znamenskaya c/ Russie", du 2 juin 2005, qui rattache au droit à la vie privée le droit de choisir le nom de son enfant mort-né ; en ce sens P. Murat, Acte d'enfant sans vie : un mieux, Dr. fam., 2002, comm. n° 48.

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