La lettre juridique n°290 du 31 janvier 2008 : Marchés publics

[Jurisprudence] Les marchés publics postaux : quelles obligations pour les autorités publiques ?

Réf. : CJCE, 13 novembre 2007, aff. C-507/03 (N° Lexbase : A5367DZS) ; CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-220/06 (N° Lexbase : A1116D3Q)

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La libéralisation induite par l'Union européenne des services, naguère sous l'emprise d'un monopole étatique, a pour conséquence d'étendre le champ des marchés publics. En effet, les autorités publiques, qui pour leur fonctionnement, ont besoin de recourir à ces services relevant désormais du secteur concurrentiel, ont alors l'obligation de respecter le droit communautaire de la commande publique. Le cas des services postaux est, à cet égard, tout à fait topique. Ce secteur a été partiellement libéralisé par la Directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service (N° Lexbase : L8278AU7, JOCE n° L 15 du 21 janvier 1998, p. 14). A travers deux arrêts des mois de novembre et décembre 2007, la Cour de justice est venue apporter d'utiles précisions sur l'application du droit des marchés publics aux services postaux. L'intérêt de ces arrêts dépasse d'ailleurs le secteur postal, car leurs solutions peuvent s'extrapoler à l'ensemble des services ayant fait l'objet d'une libéralisation.

Dans la première affaire (CJCE, 13 novembre 2007, aff. C-507/03, Commission des Communautés européennes c/ Irlande), le ministère irlandais des Affaires sociales avait conclu un contrat avec An Post (opérateur historique), sans procédure d'adjudication, en vertu duquel les bénéficiaires de prestations pouvaient retirer auprès des bureaux de poste les sommes qui leur étaient dues. Pour la Commission, il y avait là violation des articles 43 et 49 (N° Lexbase : L5359BCH) CE, tels qu'interprétés par la jurisprudence "Telaustria" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, en présence de Herold Business Data AG N° Lexbase : A1916AWU, Rec. p. I-10745). Elle a donc intenté une action en constatation de manquement.

Dans la deuxième affaire (CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-220/06, Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia c/ Administración General del Estado), le ministère espagnol de l'Education nationale avait, sans appel d'offres, conclu un accord de collaboration avec la société publique pour le courrier et le télégraphe pour la prestation de services postaux relatifs aussi bien aux lettres, aux paquets, qu'au courrier express national et international. Ces prestations relevaient autant des activités réservées que des activités libéralisées au sens de la Directive 97/67/CE précitée. Cet accord a été contesté devant le juge espagnol par l'association professionnelle d'entreprises de distribution et de traitement du courrier, notamment au motif qu'il n'avait été procédé à aucun appel d'offres public.

La Cour a ainsi posé les principes d'articulation entre les Directives "libéralisation" et les Directives "marchés publics" (I), mais aussi entre ces Directives et les règles du Traité (II).

I - L'articulation des Directives "libéralisation" et des Directives "marchés publics"

A - Pour les services réservés, la solution est évidemment d'une grande logique puisqu'il n'existe pas de marché concurrentiel. Dans l'affaire "Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia" précitée, la Cour juge donc que les règles communautaires en matière de passation de marchés publics ne peuvent trouver à s'appliquer, puisque leur objectif est la libre circulation des marchandises et des services. La solution est évidemment plus délicate s'agissant des services libéralisés.

B - Pour apprécier l'applicabilité du droit communautaire des marchés publics, la Cour devait d'abord examiner si l'accord entre le ministère espagnol et la société publique pour le courrier et le télégraphe constituait bien un acte contractuel. La position du juge communautaire est assez curieuse.

L'argument tiré de l'exception in house était beaucoup plus aisé à écarter, puisque cette exception ne peut être invoquée que si, d'une part, le pouvoir adjudicateur exerce sur la société un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses services et si, d'autre part, cette société réalise l'essentiel de ces activités avec les collectivités publiques qui la détiennent (CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia, N° Lexbase : A0591AWS, Rec. p. I-8121). La deuxième condition était manifestement absente puisque la société, en tant que prestataire du service universel, ne réalise évidemment pas l'essentiel de son activité avec le ministère de l'Education nationale.

L'argument du Gouvernement espagnol, tiré de l'existence de droits exclusifs au profit de la société publique pour le courrier et le télégraphe, pour écarter l'application du droit communautaire des marchés publics n'avait guère de chance de prospérer. En effet, les droits exclusifs ne peuvent par nature concerner que les secteurs réservés. Pour les secteurs ouverts à la concurrence, ils ne sauraient jouer car ils iraient à l'encontre de l'objectif de libéralisation de la Directive 97/67/CE. En effet, si le secteur n'est pas réservé, un droit exclusif au profit d'un opérateur a pour effet de lui octroyer un monopole avec certains clients, en l'occurrence l'administration espagnole. Si la Cour de justice distingue, par souci pédagogique, les réservations horizontales (par secteur d'activités) et les réservations verticales (par clients), ces dernières sont comme les autres contraires au droit communautaire. Mais ces droits exclusifs posaient, également, la question de l'articulation de la Directive avec les règles du Traité.

II - L'articulation des Directives "libéralisation" et "marchés publics" avec les règles du Traité CE

A Dans l'affaire "Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia", il y avait une incertitude quant à l'applicabilité de la Directive 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992 (N° Lexbase : L7532AUI), portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JOCE L 209 du 24 juillet 1992, p. 1) en raison du montant du marché. C'est pourquoi la Cour de justice a rappelé qu'en toute hypothèse les autorités publiques devaient respecter les règles du Traité et notamment la libre prestation de services qui implique une obligation de transparence et de publicité (cf. CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria préc.).

Toutefois, dans la mesure où l'Etat espagnol avait maintenu des droits exclusifs au profit de la société publique pour le courrier et le télégraphe, il a tenté de les justifier en faisant appel à l'article 86, paragraphe 2 , selon lequel "les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent Traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accompagnement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas en être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté".

A cet argument, la Cour répond fort logiquement que la Directive 97/67/CE dans son ensemble constitue la mise en oeuvre de cette disposition, et a pris en compte l'exigence de service public qu'elle contient, en réservant certaines activités et certains secteurs à des opérateurs tels que la société publique pour le courrier et le télégraphe. Dès lors, pour les secteurs libéralisés, il n'est pas possible d'invoquer le jeu de l'article 86, paragraphe 2, pour échapper à la jurisprudence "Telaustria". Cette solution parfaitement cohérente rend d'autant plus surprenante la solution adoptée par la Cour de justice dans l'affaire "Commission c/ Irlande".

B Dans cette affaire, les parties s'accordaient pour admettre que le marché en cause relevait du champ d'application de la Directive 92/50/CEE. Le marché en cause relevait de l'annexe I B de la Directive. En application de cette disposition, les pouvoirs adjudicateurs ne sont tenus qu'aux seules obligations de définir des spécifications techniques, et d'envoyer à l'office des publications officielles des Communautés européennes un avis relatant les résultats de la procédure d'attribution de ces marchés. Pour la Commission, les autorités irlandaises auraient dû également respecter les articles 43 et 49 CE tels qu'interprétés par la jurisprudence "Telaustria". La Cour de justice a suivi la Commission car elle a estimé que "le régime de publicité, instauré par le législateur communautaire pour les marchés relatifs aux services relevant de l'annexe I B, ne saurait être interprété comme faisant obstacle à l'application des principes découlant des articles 43 et 49 CE, dans l'hypothèse où de tels marchés présenteraient néanmoins un intérêt transfrontalier certain".

Cette solution est des plus surprenantes. De manière générale, il est possible de considérer que l'existence d'une Directive a pour effet d'exclure le jeu des articles du Traité, telle est d'ailleurs la solution retenue quelques jours plus tard par la Cour de justice dans l'affaire "Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia". On ne peut s'empêcher de pencher que la Cour de justice a réécrit la Directive 92/50/CEE. Il s'agit là d'une regrettable atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. La Cour de justice, à la suite des juridictions constitutionnelles nationales, se lance ainsi dans les délices délétères des réserves d'interprétation. Cette dangereuse voie pouvait être évitée, en estimant, tout simplement, que les dispositions de l'annexe I B de la Directive 92/50/CEE étaient contraires aux règles du Traité. Or, la Cour de justice admet de transformer un renvoi préjudiciel en interprétation en renvoi préjudiciel en appréciation de validité (CJCE, 1er décembre 1965, aff. 16/65, Firma G. Schwarze c/ Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel N° Lexbase : A6454AUL, Rec., p. 1081).

La tâche des pouvoirs adjudicateurs ne sort évidemment pas facilitée d'une telle jurisprudence. En effet, l'existence d'une Directive, fixant les règles de passation des marchés publics de services, n'exclut nullement que puissent s'appliquer des principes jurisprudentiels extrapolés des règles générales du Traité sur le fondement desquelles a été adoptée cette même Directive. Le principe classique d'articulation des normes lex specilia generalibus derogant en sort affaibli. Surtout, il s'agit là d'une nouvelle victoire judiciaire de l'insécurité juridique.

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