La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007 : Social général

[Jurisprudence] Les différentes issues du détachement du fonctionnaire

Réf. : Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.808, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8693DWU) ; Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.814, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8697DWZ)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Les différentes lois portant statut des fonctions publiques envisagent la possibilité qu'un fonctionnaire soit détaché auprès d'une entreprise privée. Ce détachement est nécessairement d'une durée limitée. A l'issue du détachement, le fonctionnaire est réintégré automatiquement dans son corps. Mais, il arrive, également, que l'entreprise demande à l'autorité administrative de mettre fin prématurément au détachement. La Chambre sociale de la Cour de cassation, par deux arrêts du 19 juin 2007, s'est prononcée sur les différentes qualifications envisageables de la fin du détachement (1), les différentes hypothèses demeurant très nettement influencées par l'existence des statuts de la fonction publique (2).


Résumé

A l'expiration de son détachement, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps d'origine et affecté au poste qu'il occupait auparavant, si bien que la fin du détachement ne peut être qualifiée de licenciement. En revanche, si l'entreprise dans laquelle le fonctionnaire est détaché demande à l'autorité administrative de mettre fin au détachement avant son échéance, la rupture s'analyse en un licenciement qui doit respecter la procédure du Code du travail, à l'exception des dispositions relatives au versement d'une indemnité de licenciement.

1. La qualification variable de la fin du détachement

  • Le mécanisme du détachement du fonctionnaire dans l'entreprise

Le détachement d'un fonctionnaire dans une entreprise privée est pour le moins "ambivalent" (1). En effet, ce fonctionnaire bénéficie alors d'un statut hybride.

D'un côté, il est salarié de l'entreprise dans laquelle il est détaché et soumis, à ce titre, à un contrat de travail de droit privé, à condition toutefois qu'existe entre eux un lien de subordination. Cette règle s'applique aussi bien aux agents de la fonction publique territoriale (2), qu'à ceux de la fonction publique d'Etat (3). Cela permettra, notamment, au fonctionnaire d'être éventuellement titulaire d'un mandat de représentant du personnel dans l'entreprise (4).

D'un autre côté, l'agent demeure un fonctionnaire. Ainsi, le législateur prévoit-il que "le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son cadre d'emploi, emploi ou corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite" (5). En outre, et c'est là un élément fondamental pour comprendre les décisions exposées, à l'issue du détachement, "le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté dans l'emploi qu'il occupait antérieurement" (6).

La confrontation de ces deux statuts devait nécessairement amener à se poser la question de la qualification de la fin du détachement.

  • Les éventuelles qualifications de la fin du détachement

Que se passe-t-il si l'entreprise dans laquelle le fonctionnaire est détaché met fin au détachement ? Intervenant dans le cadre d'un contrat de travail de droit privé, la cessation par l'employeur devrait normalement recevoir la qualification de licenciement. De la même façon, si la fin du détachement intervient à l'initiative du fonctionnaire, c'est la qualification de démission qui devrait prévaloir.

En revanche, lorsque le détachement va jusqu'à son échéance, il serait logique de raisonner par analogie avec tout contrat pourvu d'un terme : le contrat de travail s'éteint par arrivée du terme, les lois portant statut de la fonction publique prenant le relais afin de voir le fonctionnaire réintégré dans son corps.

C'est bien sur cette distinction que devait se prononcer la Cour de cassation.

  • L'importance du respect du terme

Dans la première affaire (arrêt n° 1447), le détachement était parvenu à son terme, si bien que le fonctionnaire devait être réintégré dans son corps d'origine. Une difficulté était, cependant, née du fait que celui-ci s'était porté candidat aux élections des délégués du personnel. On sait que cette position confère au salarié une protection contre le licenciement puisque l'employeur doit obtenir l'autorisation de l'inspection du travail afin d'y procéder. Estimant que cette autorisation aurait dû être obtenue, le fonctionnaire, suivi par les juridictions du fond, estimait qu'à défaut, c'était bien un licenciement abusif qui avait été prononcé.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en estimant que l'expiration du détachement implique la réintégration automatique du fonctionnaire dans son corps et qu'elle ne peut donc pas être qualifiée de licenciement. Conforme au fonctionnement classique du terme, cette solution paraît raisonnable, quoique, nous le verrons, les conséquences relatives au statut collectif puissent être discutées.

Dans la seconde affaire (arrêt n° 1451), en revanche, il avait été mis fin prématurément au détachement. En raison de la fermeture de son établissement, l'employeur avait demandé à l'autorité administrative de mettre fin au détachement, à la suite de quoi les fonctionnaires concernés avaient effectué les démarches afin d'être réintégrés dans leurs corps d'origine.

La Chambre sociale, confirmant ainsi sa propre jurisprudence, décide, cette fois, que la rupture doit bien être qualifiée de licenciement (7). Face à l'absence de procédure adéquate, le licenciement était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

On le voit donc, le respect par l'entreprise, dans laquelle a lieu le détachement, du terme initialement prévu revêt une importance toute particulière quant à la qualification de la fin de la relation. Si l'employeur ne respecte pas ce terme, la rupture sera qualifiée de licenciement. Il est d'ailleurs probable qu'un détachement interrompu avant son terme à l'initiative du salarié puisse ainsi être qualifié de démission.

Si la logique inhérente à l'existence d'un terme est donc bien respectée concernant l'expiration du détachement, elle semble pourtant bien malmenée dans l'hypothèse d'une rupture prématurée de celui-ci. En effet, si l'on raisonne par analogie avec le contrat à durée déterminée, avatar le plus abouti de la relation à terme en droit du travail, on doit remarquer que la Cour de cassation refuse toujours de qualifier la rupture unilatérale du CDD de licenciement ou de démission (8). Il y a donc là un problème de cohérence d'ensemble entre ces différentes situations de travail à durée déterminée dans l'entreprise.

Quoi qu'il en soit, les règles relatives à la qualification de la rupture sont désormais très claires. Qu'en est-il du régime qui s'appliquera, dès lors, au fonctionnaire dont le détachement s'achève ?

2. L'influence maintenue du statut de fonctionnaire

  • Le principe directeur de soumission au droit du travail

L'ambivalence du statut de fonctionnaire détaché se retrouve tout naturellement dans les règles qui s'appliquent lorsque son détachement prend fin.

Le fonctionnaire détaché est un salarié de droit privé dans l'entreprise si bien qu'en principe, "le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement" (9). Les règles applicables aux salariés classiques doivent donc lui être appliquées, y compris d'ailleurs celles relatives au licenciement.

Pourtant, le statut de fonctionnaire vient interférer dans cette application, parfois de manière justifiée mais, aussi, parfois de manière plus discutable.

  • L'influence justifiée du statut en cas de licenciement

La Chambre sociale, dans le second arrêt (n° 1451) rappelle que "le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet du détachement, à l'exception des dispositions des articles L. 122-3-5 (N° Lexbase : L5462ACB), L. 122-3-8 (N° Lexbase : L5457AC4) et L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) du Code du travail ou de toute disposition législative, réglementaire ou conventionnelle prévoyant le versement d'indemnités de licenciement ou de fin de carrière".

Or, cette règle est issue de l'article 45 de la loi portant statut de la fonction publique d'Etat du 11 janvier 1984 (loi n° 84-16, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat N° Lexbase : L7077AG9). Le statut interfère donc avec l'application normale du droit du travail.

Cependant, cette interférence se trouve parfaitement justifiée dans la mesure où le fonctionnaire recouvrera, après la rupture, le poste qu'il occupait précédemment dans son emploi. Or, l'indemnité de licenciement, versée au salarié dont le contrat est rompu à l'initiative de l'employeur, est considérée comme étant "destinée à réparer le préjudice résultant de la perte de l'emploi" (10). Le fonctionnaire ne perd pas son emploi puisqu'il retourne dans celui qu'il occupait précédemment. L'indemnité n'a donc pas d'objet et il est fort logique que le statut intervienne en ce sens.

Pour le reste, la qualification de licenciement emporte, malgré tout, l'obligation de respecter la procédure idoine, à défaut de quoi les indemnités pour rupture abusive seront dues, notamment une indemnité compensant l'absence de caractère réel et sérieux du licenciement. La possibilité d'allouer une telle indemnisation demeure justifiée puisqu'il ne s'agit pas, cette fois, de compenser la perte d'un emploi mais bien de réparer l'atteinte constituée par l'absence de justification du licenciement ; cela à condition, bien entendu, d'accepter que la rupture puisse être qualifiée de licenciement... (11)

  • L'influence discutable du statut en l'absence de licenciement

Lorsque le détachement est mené à son terme, la Cour de cassation estime donc qu'il ne s'agit pas d'un licenciement, si bien que les règles le concernant ne peuvent être appliquées (arrêt n° 1447).

Mais, dans cette affaire, le fonctionnaire détaché s'était porté candidat aux élections des délégués du personnel. Or, l'article L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054HDD) prévoit que les candidats à ces élections bénéficient du statut de salarié protégé pendant une durée de 6 mois à partir du dépôt de leur candidature. Ce statut, rappelons-le, comporte principalement une protection contre le licenciement qui doit préalablement être autorisé par l'inspecteur du travail.

La fin du détachement n'étant pas un licenciement, il pourrait paraître logique que la protection ne puisse s'appliquer au fonctionnaire. Pourtant, là encore, un regard jeté vers le régime du contrat à durée déterminée laisse présager qu'une autre solution aurait pu être envisagée.

En effet, on sait que "lorsque le salarié, candidat aux fonctions de délégué du personnel, est titulaire d'un contrat à durée déterminée, l'arrivée du terme du contrat n'entraîne la cessation du lien contractuel" qu'après avoir obtenu l'autorisation de l'inspection du travail (12). La règle n'est pas seulement guidée vers la protection du salarié, mais également en vue de protéger le statut d'institution représentative du personnel. On peut se demander s'il n'aurait pas été opportun d'étendre ces considérations au fonctionnaire détaché, toujours dans un souci de protéger la fonction bien plus que l'emploi.

En outre, on peut se demander si la solution aurait été identique si la rupture était intervenue avant le terme du détachement, entraînant ainsi une qualification de licenciement de la rupture. S'il n'existe pas de texte concernant le terme du CDD, le code est, en revanche, particulièrement clair à l'égard du licenciement des candidats. On le voit, l'influence des effets du statut permettant de distinguer entre licenciement et simple fin du détachement s'avère donc, dans ce cas, bien discutable.

Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) J.-Y. Kerbourc'h, Fonctionnaire territorial détaché dans un organisme de droit privé, note sous Cass. soc., 23 mai 2006, n° 05-43.633, M. Daniel Michel c/ Société Onyx, FS-P+B (N° Lexbase : A1484DQZ) ; JCP éd. S, 2006, p. 1619.
(2) Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.230, M. Gérard Moreau c/ Association Centre de culture ouvrière (CCO) et autres, inédit (N° Lexbase : A4659CPA).
(3) Notamment, Cass. ass. plén., 20 décembre 1996, n° 92-40.641, L'Alliance française, publié (N° Lexbase : A2388AGK) ; Dr. soc. 1997, p. 710, obs. J.- F. Lachaume ; D. 1997, p. 275, note Y. Saint-Jours.
(4) V. Cass. soc., 5 mars 1997, n° 96-60.041, Association Notre-Dame-de-Bon-Secours c/ Mme Bouille et autre, publié (N° Lexbase : A2232AAW) ; Cass. soc., 23 mai 2006, n° 05-43.633, précité.
(5) Article 64 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L6978AHW).
(6) Pour les agents de la fonction publique territoriale, v. art. 67 de la loi du 26 janvier 1984, préc. ; pour les agents de la fonction publique d'Etat, v. l'article 45 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), visé dans l'arrêt n° 1447.
(7) Cass. soc., 27 juin 2000, n° 97-43.536, Mme Fraysse c/ Association pour l'éducation et l'insertion des handicapés d'Escassefort, publié (N° Lexbase : A3555AU9).
(8) Sur ce thème, v. Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.655, Société Sanbel, FS-P+B (N° Lexbase : A7749DSS) et nos obs., L'exclusion de la démission comme mode de rupture du CDD, Lexbase Hebdo n° 240 du 14 décembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3096A9K) ; v., également, Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.180, Mme Marion Gallais, FS-P+B (N° Lexbase : A5660DWK) et les obs. de Ch. Radé, Donner et reprendre ne vaut (à propos du salarié démissionnaire d'un CDD), Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3974BBS).
(9) Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-46.695, Compagnie générale française de transports et d'entreprises (CGFTE) c/ M. Serge Gibault, FS-P (N° Lexbase : A5603DMH).
(10) G. Couturier, Droit du travail - Les relations individuelles de travail, Puf, 3ème éd., 1996, p. 258.
(11) Cf. supra.
(12) V. Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 98-44.269, M. Jean Claude Sorin c/ Société JM, FS-P (N° Lexbase : A4804AWT).
Décisions

- N° 1447 : Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.808, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8693DWU)

Cassation sans renvoi (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 6 septembre 2005, n° 05/01300, M. André Le Clec'h c/ Société Dexia Crédit Local N° Lexbase : A9427DKD)

Textes visés : article 45 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (N° Lexbase : L7077AG9) ; article 22 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 (N° Lexbase : L1022G8D)

Mots-clés : fonctionnaire détaché ; terme du détachement ; réintégration dans le corps d'origine ; candidature aux élections du personnel ; licenciement (non).

Lien bases :

- N° 1451 : Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-44.814, Société Dexia crédit local, FS-P+B (N° Lexbase : A8697DWZ)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 27 septembre 2005, n° 05/02177, Société Dexia Crédit Local c/ M. Eric Buval N° Lexbase : A4716DLA).

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-3-5 (N° Lexbase : L5462ACB) ; C. trav., art. L. 122-3-8 (N° Lexbase : L5457AC4)  ; C. trav., art. L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU)

Mots-clés : fonctionnaire détaché ; fin du détachement avant son terme ; licenciement.

Lien bases :

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