La lettre juridique n°259 du 10 mai 2007 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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le 30 Septembre 2011


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose cette semaine de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Seront abordés, au sein de cette chronique, entre autres, les effets d'une clause de conciliation préalable sur l'exercice d'un référé-instruction, la transmission de l'action en justice aux héritiers et cours de l'instance ou encore la notion de partie à l'instance en cas de transfert de propriété.

I - Effet d'une clause de conciliation préalable sur l'exercice d'un référé-instruction : Cass. civ. 3, 28 mars 2007, n° 06-13.209, Mutuelle des architectes français (MAF), FS-P+B (N° Lexbase : A8065DUA)

Lorsqu'une clause de conciliation préalable est introduite dans un contrat, elle impose aux contractants de tenter une conciliation avant d'agir en justice. La Cour de cassation a décidé, dans un arrêt de chambre mixte du 14 février 2003 (Cass. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, M. Daniel Poiré c/ M. Daniel Tripier, P N° Lexbase : A1830A7W) que le non-respect d'une clause de conciliation constituait une fin de non-recevoir qui s'imposait au juge si les parties l'invoquaient.

La question du champ d'application de cette fin de non-recevoir vient de se poser dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 28 mars 2007. En l'espèce, des époux ont fait construire une maison individuelle sous la maîtrise d'oeuvre d'un architecte. A la suite de l'apparition de fissures, les époux ont saisi le juge des référés sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3) afin de faire désigner un expert. L'architecte a soulevé l'irrecevabilité de cette action en se prévalant de la clause instituant une procédure de conciliation préalable devant le conseil de l'ordre des architectes en cas de litige.

En application de la jurisprudence classique, cette fin de non-recevoir aurait dû être mise en oeuvre par le juge des référés. Pour autant, une telle solution aurait nié la spécificité de l'action exercée sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, laquelle ne concerne pas le fond de l'affaire, mais uniquement la recherche de preuves préalables à toute action en justice (d'où l'appellation de mesure d'instruction in futurum).

Telle est la position de la troisième chambre civile qui affirme que "la clause instituant, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat d'architecte, un recours préalable à l'avis du conseil régional de l'ordre des architectes, n'était pas applicable à l'action des époux Z... fondée sur l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dans le but de réunir des preuves et d'interrompre un délai". En d'autres termes, si la clause de conciliation interdit provisoirement toute action au fond, elle ne fait pas obstacle à la recherche ou à la conservation des preuves dont pourrait dépendre la solution d'un litige, mais aussi l'issue d'une conciliation.

Il reste une ambiguïté dans l'arrêt rendu le 28 mars 2007. La Cour suggère que l'action fondée sur l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile possède une double fonction de recherche des preuves et d'interruption d'un délai. On pourrait alors penser qu'un demandeur trouve un intérêt à agir en référé afin d'interrompre le cours de la prescription de l'action au fond. Tel n'est pas le cas puisque la jurisprudence retient de façon constante que la mise en oeuvre de la procédure de conciliation suspend le cours de la prescription jusqu'au constat de non-conciliation (Cass. civ. 1, 27 janvier 2004, n° 00-22.320, FS-P+B N° Lexbase : A0298DBN, Procédures 2004, comm. n° 47). Le contractant qui s'engage dans un processus de conciliation ne court donc pas le risque de voir son action s'éteindre.

II - Transmission de l'action en justice aux héritiers et cours de l'instance : Cass. civ. 1, 27 mars 2007, n° 06-11.003, M. Jean-Jacques Astier, F-P+B (N° Lexbase : A8029DUW)

L'article 370 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2601ADP) dispose que l'instance est interrompue par le décès d'une partie à compter de la notification qui est faite à l'autre partie (par les héritiers). L'interruption de l'instance est essentielle, car les délais cessent de courir, laissant aux héritiers le temps de prendre une décision quant à la conduite à tenir dans l'action qui avait été exercée par le de cujus. Pour autant, les héritiers doivent, sans attendre, notifier le décès aux autres parties afin de pouvoir bénéficier de cette interruption. Telle est la portée de l'arrêt rendu le 27 mars 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, une personne avait exercé une action contre l'agent judiciaire du Trésor, mais n'avait pas obtenu gain de cause devant les juridictions du fond. L'arrêt d'appel avait été rendu le 27 janvier 2004 et signifié quelques jours plus tard au demandeur alors que ce dernier était décédé depuis plus de deux ans. Découvrant la situation probablement tardivement, les héritiers avaient exercé un pourvoi en cassation le 26 janvier 2006, soit près de deux ans après la notification de l'arrêt d'appel. Le délai de deux mois pour se pourvoir en cassation était assurément dépassé, mais les héritiers invoquaient l'interruption de l'instance consécutive au décès du demandeur.

La Cour de cassation rejette, néanmoins, le pourvoi en affirmant que "le décès n'ayant pas été notifié à l'agent judiciaire du Trésor dont il n'est pas établi qu'il en avait connaissance par ailleurs, l'instance n'avait pas été interrompue". En conséquence, le pourvoi ayant été formé plus de deux mois après la notification du jugement, devait être déclaré irrecevable.

Cet arrêt rappelle que l'interruption de l'instance pour cause de décès de l'une des parties n'est pas automatique. Dès lors, les héritiers doivent notifier ce décès rapidement aux autres parties s'ils souhaitent ne pas perdre le bénéfice d'une action engagée du fait d'un incident d'instance, ou de la prescription.

III - En appel, la constitution d'avocat (ou d'avoué) n'est pas soumise à un formalisme particulier : Cass. civ. 2, 5 avril 2007, n° 06-11.325, Mme Raymonde Dufay, épouse Malespine, F-P+B (N° Lexbase : A9053DUT)

L'article 901 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L7645HEU) prévoit que la déclaration d'appel doit contenir à peine de nullité certaines mentions parmi lesquelles figure la déclaration d'avoué de l'appelant. Dans un arrêt du 5 avril 2007, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé quelles étaient les modalités de cette constitution.

En l'espèce, un couple avait formé un appel devant la cour d'appel de Basse-terre en Guadeloupe. Il est à préciser que dans les départements d'outre-mer, les fonctions d'avoué sont exercées par les avocats (en vertu de l'article 82 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L7660AH8). La cour d'appel a considéré que la déclaration d'appel était nulle, faute de contenir la mention expresse de la constitution d'avocat. Cette solution paraissait conforme à une jurisprudence ancienne sanctionnant par la nullité le défaut d'indication de la constitution d'avoué dans l'acte d'appel (Cass. civ. 2, 2 avril 1974, n° 73-10529, Epoux Bertoni c/ Dame Perelli, publié N° Lexbase : A7314CEM, Bull. civ. II, n° 126).

Pour autant, dans l'arrêt étudié, la Cour de cassation a censuré la solution retenue par les juges du second degré en affirmant que "la constitution d'avocat n'est pas soumise à un formalisme particulier et qu'il résulte des mentions de la déclaration d'appel que celle-ci a été déposée et signée par M. Tacita, avocat, au cabinet duquel les appelants avaient élu domicile".

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise, non seulement, que la constitution d'avocat (ou d'avoué) est bien une formalité obligatoire au moment où l'appel est interjeté, mais aussi, que cette constitution peut être formulée indépendamment de la déclaration d'appel, pourvu que cet acte y fasse référence.

IV - La notion de partie à l'instance en cas de transfert de propriété : Cass. civ. 2, 22 mars 2007, n° 05-21.781, Société Casa Ambrosino, FS-P+B (N° Lexbase : A7427DUM)

Le droit d'appel appartient à ceux qui ont été parties en première instance. Cette règle évidente suscite des difficultés d'application lorsqu'une partie au procès cède le bien sur lequel porte le litige à un tiers au cours du procès. La question se pose alors de savoir si l'action est transmise avec le bien ou si l'acquéreur doit être considéré comme un tiers au procès. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient d'apporter un élément de réponse dans un arrêt du 22 mars 2007.

En l'espèce, le propriétaire d'un local commercial était en litige avec son preneur qu'il avait assigné en résiliation du bail. En première instance, le propriétaire avait été débouté de ses demandes et avait ensuite cédé le local commercial à un tiers. L'acquéreur du local avait alors interjeté appel contre la décision des premiers juges, mais cet appel fut déclaré irrecevable. Dans son pourvoi, l'acquéreur arguait qu'il avait été implicitement représenté par le vendeur en première instance et qu'en vertu de ce mandat, il avait acquis la qualité de partie au procès devant les premiers juges.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en affirmant d'abord "que l'ayant cause à titre particulier n'est pas représenté par son auteur pour les actes accomplis dans une procédure relative au bien transmis, après la cession de celui-ci". La Haute juridiction ajoute, ensuite, "qu'ayant relevé que la société, devenue, après l'assignation, propriétaire du local sur lequel porte le bail commercial litigieux, n'était pas intervenue, ni n'avait été attraite, à l'instance avant le prononcé du jugement, la cour d'appel a justement retenu qu'elle était un tiers à la procédure de sorte qu'elle était irrecevable à interjeter appel".

La Cour de cassation rejette ainsi la théorie du mandat implicite invoqué par le pourvoi. La solution retenue semble logique. L'acquéreur n'a pas été partie en première instance. Il ne peut donc interjeter appel d'une décision qui ne lui est pas opposable. S'il souhaite obtenir la résiliation du bail commercial, l'acquéreur devra exercer une action indépendante de celle du vendeur devant les juges de première instance.

V - Demande nouvelle en appel, la notion de demande tendant aux mêmes fins : Cass. civ. 2, 8 mars 2007, n° 05-21.627, M. Didier Segard, agissant en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Recospad, FS-P+B (N° Lexbase : A5973DUR)

En application du principe d'immutabilité du litige, les parties au procès ne peuvent formuler de nouvelles demandes en appel. Depuis l'adoption du Nouveau Code de procédure civile, cette règle est fortement atténuée par l'article 565 dudit code (N° Lexbase : L2815ADM), lequel précise que ne sont pas nouvelles, les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles présentées en première instance. L'évolution du litige est donc envisageable, dès lors que la finalité globale de l'action n'est pas modifiée. Au fil de la jurisprudence, la notion de prétentions "qui tendent aux mêmes fins" est précisée par la Cour de cassation. Tel est le cas de l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 8 mars 2007.

En l'espèce, une société a confié à une autre la construction d'un bâtiment. Durant le chantier, le bâtiment en construction a subi des dommages à la suite de la chute d'une grue. Le maître de l'ouvrage a donc exercé une action en responsabilité contre le constructeur et son assureur. Après une longue procédure, la cour d'appel a été saisie d'une demande du maître de l'ouvrage tendant à l'indemnisation des préjudices financier et commercial ainsi qu'au remboursement d'indemnités de retard. Les juges du second degré ont rejeté cette demande, la considérant comme nouvelle et donc contraire à l'article 564 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2814ADL).

La Cour de cassation censure cette décision en affirmant que "les demandes présentées en appel constituaient le complément de celles de première instance et poursuivaient la même fin d'indemnisation des préjudices causés par la chute de la grue sur le bâtiment en construction".

Cette solution emporte la conviction. La finalité de l'action en demande n'a pas été modifiée en appel. Le demandeur a simplement sollicité un accroissement du montant de l'indemnisation au regard des préjudices qui étaient survenus au fil de la procédure. On en déduit que, lorsqu'une action en responsabilité est exercée, toute demande supplémentaire relative au dommage doit être considérée comme "tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge" au sens de l'article 565 du Nouveau Code de procédure civile.

Etienne Vergès,
Agrégé des facultés de droit,
Professeur à l'Université de Grenoble II

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