La lettre juridique n°258 du 3 mai 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Communauté universelle avec clause d'attribution intégrale des acquêts au conjoint survivant et exercice de l'action en retranchement

Réf. : Cass. civ. 1, 27 mars 2007, n° 05-14.910, M. Maurice Droz-Vincent, FS-P+B (N° Lexbase : A7929DU9)

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[Jurisprudence] Communauté universelle avec clause d'attribution intégrale des acquêts au conjoint survivant et exercice de l'action en retranchement. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209078-jurisprudence-communaute-universelle-avec-clause-dattribution-integrale-des-acquets-au-conjoint-surv
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le 07 Octobre 2010

L'attribution de l'intégralité des acquêts au conjoint survivant constitue un avantage matrimonial réductible au profit de l'enfant issu d'une première union. Tel est l'attendu, somme toute liminaire, de la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 27 mars 2007 au visa de l'article 1527, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1026ABM, dans sa rédaction alors en vigueur) relatif à l'action en retranchement. Selon l'article 1527, alinéa 1er, du Code civil, les avantages que l'un ou l'autre des époux peut retirer des clauses d'une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont pas considérés comme des donations. Qualifiés civilement de conventions à titre onéreux, les avantages matrimoniaux ne sont, de ce fait, ni rapportables à la succession du conjoint prédécédé, ni réductibles pour atteinte à la réserve héréditaire (1).

Toutefois, l'article 1527, alinéa 2, déroge à ce principe en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux. Il énonce, en effet, que "toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l'un des époux au-delà de la portion réglée par l'article 1094-1 (N° Lexbase : L1179ABB), au titre 'Des donations entre vifs et des testaments', sera sans effet pour tout l'excédent [...]". Autrement dit, les avantages matrimoniaux que le conjoint peut retirer d'une clause d'une communauté conventionnelle ou d'une participation aux acquêts sont des libéralités qui pourront être limitées, par le jeu de l'action en retranchement, à la quotité disponible entre époux (2). Les raisons qui sous-tendent une telle solution sont évidentes : les enfants d'un précédent lit de l'époux prédécédé perdent tous les éléments de la fortune de leur père ou de leur mère que l'avantage matrimonial fait passer au second conjoint (3).

La réduction ne peut être demandée que par les "enfants qui ne seraient pas issus des deux époux". La loi n° 2001-1135, du 3 décembre 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral (N° Lexbase : L0288A33) a modifié l'article 1527, alinéa 2, en supprimant la référence aux enfants d'un précédent mariage. Les enfants conçus hors mariage sont donc fondés à demander la réduction (4). En revanche, la jurisprudence exclut du bénéfice de l'action en retranchement l'enfant adopté par le conjoint survivant (5).

En l'espèce, des époux s'étaient mariés sans contrat de mariage puis avaient opté pour le régime de la communauté universelle par un acte auquel le fils de l'épouse, issu de sa première union, avait consenti. La cour d'appel de Lyon, dans un arrêt du 17 mars 2005, a débouté ce dernier de son action en réduction des avantages matrimoniaux consentis par sa mère à son second mari, en retenant, notamment, que cet enfant n'apportait pas la preuve que le changement de régime matrimonial ait entraîné pour le second mari de sa mère un avantage patrimonial qui lui aurait porté préjudice au moment du décès de celle-ci. Les juges du fond ont, également, rejeté l'action en retranchement au motif que l'enfant n'établissait pas la consistance des biens propres de sa mère au moment du changement de régime matrimonial, faisant seulement état de biens immobiliers acquis après ce changement et ne démontrant pas que ces biens avaient été acquis autrement que par le fruit des travaux et des économies du couple.

Cette analyse est réfutée par la Cour de cassation au visa de l'article 1527, alinéa 2, du Code civil. L'arrêt du 27 mars 2007 retient, en effet, dans un attendu succinct, que l'attribution de l'intégralité des acquêts au conjoint survivant constitue un avantage matrimonial réductible. Il relève, en outre, que les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs, quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d'un autre lit, "sauf partage inégal de ces acquêts".

La Cour reprend donc en partie l'article 1527, alinéa 2, in fine qui exclut de l'action en retranchement les avantages matrimoniaux qui résultent simplement d'une inégalité des revenus et des économies faites sur ces revenus. Comme le relèvent certains auteurs, "les revenus sont normalement affectés aux besoins du ménage, et les époux auraient pu les dépenser. [...] Il serait inadmissible qu'une femme, qui n'exerce pas de profession, fût considérée comme donataire de son mari si celui-ci en exerce une, très lucrative. Il s'ensuit que la seule adoption de la communauté réduite aux acquêts ne peut jamais constituer un avantage réductible. Les seuls biens communs sont les acquêts. Par hypothèse, ils proviennent des économies faites sur les revenus. Leur partage par moitié n'est pas une donation, même quand les revenus d'un seul ont servi à les constituer" (6).

Cependant, la jurisprudence retient la qualification de donation lorsqu'il existe une inégale répartition des acquêts. C'est ce qu'affirme, en effet, un arrêt du 20 novembre 1958 de la première chambre civile de la Cour de cassation (7) et que confirme aujourd'hui la décision du 27 mars 2007. Le partage inégal des acquêts explique, en effet, que les enfants non issus des deux époux puissent agir en réduction dès lors que l'avantage excède la quotité disponible.

Notons, enfin, que la loi n° 2006-728, du 23 juin 2006, portant réforme du droit des successions et des libéralités (N° Lexbase : L0807HK4), a complété l'article 1527 par un alinéa 3 ainsi rédigé : "Toutefois, ces derniers [les enfants qui ne sont pas issus des deux époux] peuvent dans les formes prévues aux articles 929 à 930-1, renoncer à demander la réduction de l'avantage matrimonial excessif avant le décès de l'époux survivant. Dans ce cas, ils bénéficient de plein droit du privilège sur les meubles prévu au 3° de l'article 2374 et peuvent demander, nonobstant toute disposition contraire, qu'il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu'un état des immeubles".

Une telle renonciation offre ainsi au conjoint survivant la possibilité de rester en possession des biens du défunt jusqu'à son propre décès (8). A cette date, les enfants non issus des deux époux pourront exercer l'action en réduction à laquelle ils n'ont pas renoncé de manière définitive (9).

Il est, en outre, prévu que cette renonciation doit se faire dans les mêmes formes que celles relatives à la renonciation anticipée à l'action en réduction contre les libéralités excessives (C. civ., art. 929 à 930-1 N° Lexbase : L0081HPP). En l'occurrence, celle-ci doit être établie par un acte authentique spécifique reçu par deux notaires et signée séparément par chaque enfant renonçant à l'action en présence des seuls notaires (10). Un tel formalisme est justifié par l'importance de l'acte ainsi que par la nécessité de protéger les intérêts patrimoniaux des enfants non issus des deux époux.

D'autres garanties accompagnent leur renonciation. Ils bénéficient, en effet, du privilège sur les meubles et peuvent demander, nonobstant toute disposition contraire, que soit dressé un inventaire des meubles et un état des immeubles.

Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne Ardenne


(1) F. Terré et Y. Lequette, Droit civil, Les successions, Les libéralités, Dalloz, 3ème éd., 1997, p. 520, n° 638. V. également : A. Tisserand-Martin, Réflexions autour de la notion d'avantage matrimonial, Mélanges Jacques Béguin, Litec, 2005, p. 753.
(2) G. Bobin et J.-F. Pillebout, J.-Cl. Notarial Formulaire, V° Communauté entre époux, Fasc. 260, n° 46 et s..
(3) J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Ed. A. Colin, 2ème éd., 2001, p. 671, n° 721.
(4) Cass. civ. 1, 29 janvier 2002, n° 99-21.134, Mlle Virginie Rolland c/ Mme Micheline Fourtier, FS-P (N° Lexbase : A8624AXP), Dr. fam. 2002, n°45, obs. B. Beignier.
(5) Cass. civ. 1, 7 juin 2006, n° 03-14.884, Mme Odile Ruppe-Rolland, veuve Lancenet, FS-P+B (N° Lexbase : A8386DPB), RTD. civ. 2006, p.749, obs. J. Hauser.
(6) J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, préc., p. 674, n° 724.
(7) Cass. civ. 1, 20 novembre 1958, JCP 1960, II., 11383, note P. Voirin.
(8) N. Peterka, Les incidences de la réforme des successions et des libéralités sur le droit des régimes matrimoniaux, AJ Famille 2006, p. 358.
(9) A. Delfosse et J.-F. Peniguel, La réforme des successions et des libéralités, Litec, 2006, p. 321, n° 690.
(10) V. sur ce point : A. Delfosse et J.-F. Peniguel, La réforme des successions et des libéralités, préc., p. 192, n° 435.

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