La lettre juridique n°219 du 15 juin 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Aménagements conventionnels de la durée du mandat des représentants du personnel : de l'importance du respect des dispositions légales

Réf. : Cass. soc., 24 mai 2006, n° 05-60.351, Société Speedy France c/ Syndicat CFTC de la métallurgie et autres, FS-P+B (N° Lexbase : A7697DPR)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Désormais fixée à 4 ans, la durée des mandats des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise peut, en application d'une convention ou d'un accord collectif, être réduite à une durée moindre sans pouvoir être inférieure à 2 ans. Issues de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK), ces dispositions n'auront guère tardé à susciter un contentieux, ainsi qu'en témoigne un intéressant arrêt rendu le 24 mai dernier par la Cour de cassation. Etait en cause, en l'espèce, la stipulation un peu curieuse d'un accord préélectoral fixant la durée des mandats des institutions représentatives du personnel à 4 ans, sous réserve de l'accord des délégués du personnel. Approuvant les juges du fond, la Chambre sociale a, à juste titre, considéré que cette clause était illicite, remettant du même coup en cause la validité de l'accord préélectoral dans lequel elle figurait et des élections ayant suivi celui-ci.

Résumé

Un protocole préélectoral ne peut prévoir une dérogation à la durée légale des mandats des représentants du personnel dans des conditions autres que celles prévues par l'article 96 de la loi du 2 août 2005. Par ailleurs, le premier et le second tour des élections professionnelles doivent se tenir conformément aux dispositions d'un même protocole préélectoral. Par suite, le tribunal d'instance, qui a constaté que le premier tour des élections s'était déroulé conformément à un protocole subordonnant la durée des mandats des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise à l'accord des délégués du personnel, a, à bon droit, annulé ce protocole, ce qui entraînait nécessairement l'annulation du premier tour des élections.

Décision

Cass. soc., 24 mai 2006, n° 05-60.351, Société Speedy France c/ Syndicat CFTC de la métallurgie et autres, FS-P+B (N° Lexbase : A7697DPR)

Rejet (TI Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 27 octobre 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 433-12 (N° Lexbase : L7723HBN) ; C. trav., art. L. 423-16 (N° Lexbase : L7794HBB)

Mots-clés : représentants du personnel ; durée du mandat ; aménagements conventionnels (conditions de validité) ; protocole préélectoral ; contentieux des élections professionnelles.

Liens bases : ; ; .

Faits

A l'occasion de l'élection des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise de la société Speedy, dont le premier tour s'est déroulé le 20 octobre 2005, un protocole préélectoral a été négocié et signé avec deux organisations syndicales représentatives le 14 septembre 2005. L'article 5 de cet accord fixait la durée des mandats des institutions représentatives du personnel à 4 ans, sous réserve de l'accord des délégués du personnel. Le syndicat CFTC a alors saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de ce protocole, puis d'une demande d'annulation du premier tour des élections.

Il était reproché au jugement attaqué d'avoir annulé le protocole d'accord préélectoral et d'avoir, par voie de conséquence, annulé le premier tour des élections professionnelles. A l'appui de son pourvoi, la partie demanderesse soutenait que l'illicéité d'une clause ou d'une partie d'une clause d'un protocole préélectoral n'emporte pas l'annulation de l'entier protocole, sauf lorsque la stipulation litigieuse était déterminante dans l'intention des parties. Il était, en outre, reproché aux juges du fond de n'avoir pas précisé en quoi la stipulation litigieuse avait eu une incidence sur les résultats du scrutin.

Solution

"Mais attendu, d'une part, qu'un protocole préélectoral ne peut prévoir une dérogation à la durée légale des mandats fixées à quatre ans par les articles L. 433-12 et L. 423-16 du Code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, dans des conditions autres que celles prévues par l'article 96, alinéa 4, de cette même loi ; que, d'autre part, le premier et le second tour des élections professionnelles doivent se tenir conformément aux dispositions d'un même protocole préélectoral" ;

"Que, dès lors, le tribunal d'instance, qui a constaté que le premier tour des élections s'était déroulé conformément à un protocole subordonnant la durée des mandats des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise, à l'accord des délégués du personnel a, à bon droit, annulé ce protocole, ce qui entraînait nécessairement l'annulation du premier tour des élections".

Observations

1. Durée des mandats des représentants du personnel

  • Durée légale

On se souvient que c'est, pour ainsi dire, en catimini que le législateur est venu, par une disposition insérée dans la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, doubler la durée des mandats de la plupart des représentants du personnel (sur cette réforme, voir notre article Brefs propos sur l'allongement de la durée du mandat des représentants du personnel, Lexbase Hebdo n° 182 du 22 septembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N8565AI3).

Plus précisément, l'article 96 du texte en question a modifié le Code du travail afin de porter de 2 à 4 ans le mandat des délégués du personnel (C. trav., art. L. 423-16) et des représentants élus au comité d'entreprise (C. trav., art. L. 433-12), au comité d'établissement, au comité central d'entreprise (C. trav., art. L. 435-4 N° Lexbase : L7784HBW) et au comité de groupe (C. trav., art. L. 439-3 N° Lexbase : L7719HBI). Il faut encore souligner que, selon le paragraphe VII de la disposition précitée, l'allongement de la durée des mandats des représentants du personnel ne s'applique qu'à compter des élections des représentants du personnel concernés intervenant après la publication de la loi, soit le 4 août 2005. Les mandats en cours à cette date expireront donc, normalement, à l'issue des 2 ans.

Les dispositions nouvelles étaient ainsi applicables à l'espèce commentée, les élections des représentants du personnel s'étant déroulées postérieurement à la publication de la réforme et, plus précisément, au mois d'octobre 2005.

  • Les aménagements conventionnels

Non sans faire preuve d'une certaine sagesse, le législateur a pris soin de préciser "qu'un accord de branche, un accord de groupe ou un accord d'entreprise, selon le cas, peut fixer une durée du mandat des délégués du personnel et des représentants du personnel aux comités d'entreprise, comités d'établissement, comités centraux d'entreprise et comités de groupe comprise entre deux et quatre ans" (loi n° 2005-882, art. 96, § VIII).

Cette précision législative était nécessaire, dans la mesure où la Cour de cassation considère que la durée des mandats des représentants du personnel, telle qu'elle est fixée par la loi, présente un caractère d'ordre public absolu (Cass. soc., 8 novembre 1994, n° 94-60.113, Société Ricoh c/ Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT, publié N° Lexbase : A1455ABI, Dr. soc. 1995, p. 68, obs. M. Cohen). Faute d'habilitation législative expresse, les partenaires sociaux auraient été impuissants à modifier la durée des mandats des représentants du personnel telle que fixée par la loi. Soulignons que pour être autorisée, la dérogation est encadrée puisque la norme conventionnelle ne peut ni allonger la durée des mandats, ni la réduire au-dessous de 2 ans.

Pour en revenir à l'arrêt sous examen, il convient de relever que les partenaires sociaux avaient fait une bien curieuse application des dispositions qui viennent d'être évoqués. En effet, en application de l'article 5 du protocole préélectoral, la durée des mandats des institutions représentatives du personnel était fixée à 4 ans, "sous réserve de l'accord des délégués du personnel". Sans doute faut-il en déduire qu'à défaut d'accord, la durée restait fixée à 2 ans et que, de manière encore plus étrange, la durée du mandat des membres du comité d'entreprise semblait dépendre de l'avis des délégués du personnel !

Il était pour le moins difficile d'admettre une telle stipulation et on doit approuver la Cour de cassation de l'avoir, à la suite des juges du fond, balayée.

2. Portée du protocole préélectoral

  • Objet du protocole préélectoral

L'organisation des élections professionnelles dans l'entreprise passe nécessairement, en application de la loi, par la signature d'un accord préélectoral ou, à tout le moins, par la tentative de conclusion d'un tel accord. Cela étant, le législateur n'impose la négociation que sur trois points précis : la répartition du personnel dans les collèges électoraux, la répartition des sièges entre les différentes catégories et les modalités d'organisation et de déroulement des opérations électorales.

Rien ne paraît donc interdire que l'accord préélectoral renferme d'autres stipulations et, notamment, une dérogation à la durée légale des mandats. C'est ce que tend à signifier la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, en précisant "qu'un protocole préélectoral ne peut prévoir une dérogation à la durée légale des mandats fixée à quatre ans [...], dans des conditions autres que celles prévues à l'article 96, alinéa 4 [de la loi du 2 août 2005]". Ce qui revient à dire qu'un protocole préélectoral peut prévoir une dérogation à la durée légale des mandats dès lors que les conditions fixées par la loi sont respectées.

Cette solution peut être rapprochée d'un précédent arrêt, dans lequel la Cour de cassation avait fait produire effet aux stipulations d'un protocole d'accord préélectoral octroyant des heures supplémentaires de délégation aux candidats élus et réélus. Ainsi que l'avait affirmé la Chambre sociale, "si les dispositions de nature électorale ne s'imposent au juge et aux parties qu'en cas d'accord préélectoral unanime, l'accord collectif qui a pour objet d'améliorer le fonctionnement des institutions représentatives dans l'entreprise, signé par au moins une organisation syndicale représentative dans l'entreprise, a force obligatoire ; que, dès lors, la cour d'appel, dont l'arrêt constate que l'accord du 14 septembre 1992, signé par une organisation syndicale représentative, avait pour objet d'allouer un supplément d'heures de délégation aux candidats élus, a, à bon droit, décidé que l'employeur ne pouvait refuser le bénéfice de cet accord collectif aux représentants de la CFDT, même si celle-ci n'avait pas signé cet accord collectif" (Cass. soc., 23 juin 1999, n° 96-44.717, Société Motorola c/ Syndicat CFDT, publié N° Lexbase : A4664AGT).

Ainsi que l'a, à juste titre, relevé un auteur, cette décision peut être porteuse d'un message général : "l'efficacité juridique des clauses inscrites dans un accord préélectoral comme dans une convention ou un accord collectif de travail dépend de l'objet de ces clauses, non de la nature réelle ou prétendue, non plus que du régime juridique de l'acte qui les supporte" (G. Borenfreund, Négociation préélectorale et droit commun de la négociation collective, Mél. Jean Pélissier, Dalloz, 2004, p. 93, spéc., pp. 114-115).

Appliquées au cas qui nous intéresse, ces précisions conduisent à souligner que les dérogations à la durée légale des mandats peuvent valablement figurer dans un protocole préélectoral à la condition, évidente, de respecter les conditions posées par l'article 96 de la loi du 2 août 2005. A cela, nous ajouterons que ces stipulations, qui ne relèvent pas de l'exigence d'unanimité, doivent, cependant, respecter les conditions de validité applicables à tout accord collectif et, notamment, l'exigence de majorité, qu'elle soit d'opposition ou d'engagement.

  • Validité du protocole préélectoral

Il est pour le moins difficile de contester que la stipulation de l'accord préélectoral relative à l'aménagement de la durée légale des mandats des représentants du personnel était illicite. La loi ne prévoit, en effet, en aucune façon qu'une telle dérogation puisse être décidée par les seuls délégués du personnel.

La nullité de la clause litigieuse était, de ce fait, encourue. Restait, cependant, à s'interroger sur l'étendue de la nullité : la clause litigieuse uniquement ou l'ensemble du protocole préélectoral ? Ainsi que l'avançait la partie requérante dans son pourvoi, l'illicéité d'une clause ou d'une partie d'une clause d'un protocole préélectoral n'emporte pas l'annulation de l'entier protocole, sauf lorsque la stipulation litigieuse était déterminante dans l'intention des parties. Cette argumentation n'était pas dénuée de tout fondement, dans la mesure où la Cour de cassation se prononce, relativement aux conventions et accords collectifs de travail, en faveur de la nullité partielle (v. F. Gaudu, R. Vatinet, Les contrats du travail, Traité des contrats, LGDJ, 2001, § 560).

La Chambre sociale n'a pas souhaité s'inscrire dans cette voie, approuvant, au contraire, les juges du fond d'avoir annulé l'ensemble du protocole préélectoral. On avouera ne pas être, ici, totalement convaincu par la solution retenue par la Cour de cassation et on peut se demander si la seule nullité partielle ne pouvait pas être retenue. Sans doute, et ainsi que le soulignent les auteurs précités, la nullité partielle doit être écartée lorsqu'il apparaît de façon très caractérisée que l'annulation d'une clause bouleverserait l'économie générale de l'accord. Mais était-ce réellement le cas en l'espèce ?

En revanche, on approuvera sans réserve l'annulation du premier tour des élections professionnelles. Il est de jurisprudence constante que les irrégularités dans la préparation ou le déroulement des élections ne peuvent justifier l'annulation de celles-ci que s'il est démontré que ces irrégularités ont pu directement influencer le résultat des élections (v., Cass. soc., 26 mars 2003, n° 02-60.381, M. Jacky Douarre c/ M. Bruno Geisler, inédit N° Lexbase : A5857A73 ; Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-60.905, Syndicat CGT Aventis Propharm c/ Société Aventis Propharm, inédit N° Lexbase : A7967BSU). Il est pour le moins difficile de nier que la clause litigieuse, dont on a relevé l'irrégularité, avait, en l'espèce, pu influencer le résultat des élections. Cela étant, et pour parvenir à ce résultat, il n'était nullement nécessaire de prononcer la nullité de l'ensemble de l'accord préélectoral. La seule nullité de la stipulation en cause aurait tout aussi nécessairement entraîné l'annulation du premier tour des élections professionnelles.

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