La lettre juridique n°212 du 27 avril 2006 : Droit financier

[Textes] Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises (1) (2ème partie)

Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)

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N7294AKD

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[Textes] Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises (1) (2ème partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208276-textes-loi-n-2006-387-du-31-mars-2006-relative-aux-offres-publiques-d-acquisition-des-options-fran
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le 07 Octobre 2010

Déposé au Sénat le 22 septembre 2005 par le ministre de l'Economie et des Finances, le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition a été définitivement adopté par la Haute assemblée le 23 mars 2006 (2). Malgré ces six mois de discussions et de maturation, nécessitées par trois lectures parlementaires, la France se place ainsi en tête des pays européens dans la course à la transposition de la Directive du 21 avril 2004 (3), dont l'échéance ultime était fixée au 20 mai 2006. Des esprits retors expliqueront qu'il s'agissait d'une course à ne pas gagner et que, dans le jeu de stratégie normative auquel la transposition des textes communautaires tend à s'apparenter, un positionnement précoce crée un risque de désavantage compétitif. L'argument prend une force particulière en présence d'une Directive d'harmonisation dégradée, qui concède aux Etats destinataires des marges de manoeuvre considérables sur des aspects pour le moins déterminants de l'ouverture des marchés nationaux des capitaux et du contrôle. On veut parler ici des fameuses options ouvertes par l'article 12 de la Directive en matière de défense anti-OPA, dont l'exercice, en raison de leur complexité, confine à la partie d'échecs -et d'échec !- communautaire (4). La France a, malgré cela, préféré à toute autre, l'option de la clarté et de la constance, choisissant de ne jamais revenir sur l'équilibre général défini initialement par le rapport du "groupe de travail Lepetit" (5), au risque de s'exposer par là à certains reproches. Il est vrai que la force de celui-ci résidait dans ce qu'il puisait largement à l'existant et emportait peu de bouleversements au plan du droit. Une inclination naturelle au familier en quelque sorte, observable ailleurs en Europe (6) (cf. Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options françaises (1ère partie) N° Lexbase : N7263AK9). I - Transposition totale, mais avec réserve de réciprocité, de l'article 9 de la Directive

B - La reconnaissance corrélative de moyens défensifs

Si elles en amenuisent l'efficacité, les règles de neutralisation directoriale n'ôtent pas tous moyens défensifs aux sociétés cotées. Elles apparaissent essentiellement, sous ce regard, comme des règles répartitrices des compétences défensives. Prohibant l'action autonome des dirigeants sociaux, elles désignent l'assemblée générale des actionnaires comme le siège unique de la "résistance" sociale.

La portée de cette compétence spéciale, retenue ou déléguée, de l'assemblée générale dépend, cependant, du moment où elle est exercée. Alors qu'elle est maximale lorsque l'assemblée est réunie en période d'offre (1), cette portée se trouve amputée et conditionnée dans le cas contraire (2).

1 - L'admission de principe des défenses décidées "à chaud"

Si les règles de neutralisation directoriales semblent portées par l'idée que seuls les actionnaires sont légitimes à se prononcer sur la question des défenses anti-OPA, on observe que ni la Directive ni la loi française ne sont allées jusqu'à consacrer la conclusion ultime (et logique ?) du raisonnement et abandonner le pouvoir de décision à l'actionnaire pris individuellement (7). Il est vrai qu'une conception aussi radicale de la libre compétition sur le marché du contrôle aurait conduit à une condamnation de toute défense.

Un peu moins exigeante, l'option retenue consiste à faire de l'assemblée générale, mais uniquement celle réunie "à chaud", c'est-à-dire en période d'offre, et donc en toute connaissance de cause, le seul organe habilité, par principe, à adopter des dispositions de nature à frustrer le droit propre de l'actionnaire à céder ses titres à l'offrant. C'est ainsi qu'aux termes de l'article L. 233-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4), l'assemblée générale des actionnaires réunie en cours d'offre peut :

- "approuver", lorsqu'elle ne s'est pas précédemment prononcée à cet égard, ou "confirmer", dans le cas contraire, "toute décision du conseil d'administration, du conseil de surveillance, du directoire, du directeur général ou de l'un des directeurs généraux délégués, prise avant la période d'offre, qui n'est pas totalement ou partiellement mise en oeuvre, qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de la société et dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" (C. com., art. L. 233-32 III, al. 2) ;

- statuer sur toute délégation antérieure "d'une mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" (C. com., art. L. 233-32 III, al. 1er) ;

- et, plus généralement, prendre elle-même ou autoriser les dirigeants sociaux à prendre "toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" (C. com., art. L. 233-32 I), à l'instar de l'émission des bons de souscription d'actions à des conditions préférentielles, prévue par l'article L. 233-32 II du Code de commerce (8) ; n'étant laissé aux dirigeants sociaux que "la recherche d'autres offres", espérées plus amicales, et, pour le conseil d'administration et le conseil de surveillance, "le pouvoir de nomination" (mais pas de révocation ? (9)), un pouvoir non fondé sur l'article 9 § 2 de la Directive et au statut plus ambigu, destiné manifestement à éviter certaines vacances du pouvoir (10).

Cette reconnaissance législative expresse de la compétence de l'assemblée générale pare les défenses éventuellement adoptées, dans ces conditions, d'une légitimité renforcée. Elle rend, sans doute, plus difficile leur contestation sur le fondement, notamment, de l'intérêt social ou des principes généraux du droit des offres publiques, sur lesquels l'AMF s'était récemment appuyée pour s'opposer à certaines mesures défensives votées à chaud (11). Le résultat n'est pas fortuit et la volonté de clarification soulignée par les travaux préparatoires. On se gardera, néanmoins, de conclusions trop tranchées car, tout souverain soit-il, le pouvoir exercé en la circonstance par l'assemblée générale ne saurait s'émanciper de toutes contraintes issues du droit des sociétés ou du droit boursier. En dépit de l'absence de toute interdiction spéciale, on pourrait par exemple, sans préjudice du concert susceptible d'en résulter, s'interroger sur la possibilité ou les conditions dans lesquelles il serait possible de procéder, en cours d'offre, à la cession d'actifs sociaux stratégiques ou à leur localisation dans des structures protégées, à un accroissement significatif de l'endettement social, à des distributions exceptionnelles des réserves sociales ou bien encore à l'émission de "white knight warrants", autrement dit de BSA réservés à un chevalier blanc, et ce, indépendamment même de la situation de l'initiateur au regard du principe de réciprocité... Dans le film des relations complexes et évolutives nouées entre les deux branches du droit, on attendra, notamment, du déroulement du nouvel épisode écrit par la loi du 31 mars 2006 qu'il nous révèle si, et jusqu'à quel point, ce retour en force du droit des sociétés s'accompagne d'une marginalisation de l'ordre public boursier, en particulier des principes directeurs du libre jeu des offres et de leurs surenchères ou de loyauté dans les transactions et la compétition (12).

Mais, plus que les derniers interdits juridiques, ce sont les difficultés pratiques de mise en oeuvre qui risquent de miner l'efficacité du dispositif. Quand bien même les délais de convocation d'une assemblée générale d'actionnaires seraient abrégés pour la circonstance, comme l'autorise la Directive (13), et comme cela a déjà été annoncé au Parlement (14), une telle réunion en cours d'offre publique risque d'être particulièrement délicate dans son maniement et aléatoire quant à son résultat face à des actionnaires plus que jamais enclins à laisser se dérouler à leur profit le jeu du marché. On comprend, dans ces conditions, que l'attention se soit plutôt concentrée sur les défenses votées "à froid" par l'assemblée générale des actionnaires.

Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier

Pour la troisième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N7295AKE).


(1) L'article paraîtra, avec l'aimable autorisation de Lexbase, dans le premier numéro de la Revue trimestrielle de droit financier/Corporate Finance and Capital Markets Law Review, en mai prochain.
(2) Journal officiel du 1er avril 2006, p. 4882.
(3) Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).
(4) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin. septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier et F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse 2004, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(5) Rapport du groupe de travail sur la transposition de la Directive concernant les offres publiques d'acquisition, J.-F. Lepetit, 27 juin 2005.
(6) V. e.g. pour la Grande-Bretagne, Implementation of the EU Directive on Takeover Bids Guidance on changes to the rules on company takeovers, Department of Trade and Industry, march 2006.
(7) V. A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, éd. Transactive, 2000, et Droit21.com, n° 701 ; et in Ingénierie financière, fiscale et juridique, sous la dir. de Ph. Raimbourg / M. Boizard, Dalloz 2006, n° 72.63
(8) V. ci-dessous.
(9) V. H. Novelli, rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, Assemblée nationale, 1ère lecture, n° 2750, Document mis en distribution le 15 décembre 2005 : "le gouvernement estime que ce pouvoir se distingue du pouvoir de révocation, qui fait l'objet de dispositions spécifiques dans le code de commerce, et qui entre, quant à lui, dans le champ des mesures pour lesquelles l'approbation de l'assemblée générale est requise".
(10) V. X. de Roux, avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république, Assemblée Nationale, n° 2727, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 décembre 2005.
(11) V. not., la tentative avortée d'émission par la société Aventis, alors cible d'une offre émanant de Sanofi-Synthelabo, de bons de souscription défensifs dits "Plavix", Communiqué de presse AMF, 23 avril 2004 (Communiqué de presse AMF du 23 avril 2004, L'Autorité des marchés financiers estime que l'émission de BSA envisagée par la société Aventis ne s'inscrit pas dans le cadre des principes qui régissent le bon déroulement des offres publiques N° Lexbase : L2995DYL) ; A. Pérès, Offre Sanofi-Aventis : pourquoi les bons de souscription d'action Plavix n'ont pas remporté l'aval de l'Autorité des marchés financiers ?, Option finance 2004, n° 784, p. 33 ; Banque et droit n° 95, mai-juin 2004, p. 33, obs. H. de Vauplane, J.-J. Daigre ; RD banc. et fin. juillet-août 2004, p. 269, obs. P. Portier ; E. Cafritz, D. Caramalli, La licéité contestée des "bons Plavix" , Mélanges AEDBF IV, 2004, p. 67 ; J.-M. Moulin, Retour sur les "bons Plavix", Bull. Joly Bourse 2004, § 148, p. 673 ; P.-H. Conac, Les bons de souscription d'actions "Plavix" et les principes généraux des offres publiques, Rev. Soc. 2005, p. 321.
(12) V. spéc. J.-F. Biard, J.-P. Mattout, Les offres publiques d'acquisition : l'émergence de principes directeurs de droit boursier, Banque et droit 1993, no 28, p. 3 ; F. Peltier, Règles de bonne conduite des OPA, Bull. Joly Bourse 1999, p. 21 ; Th. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, Économica, 2e éd., 2005, n° 692 s. ; A. Pietrancosta, Lamy Droit du financement 2006, n° 1608 et in Ingénierie financière, fiscale et juridique, op. cit. n° 72.82.
(13) Sous réserve de respecter une période incompressible de deux semaines, v. art. 9 § 5.
(14) V. Ph. Marini, rapport fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, Sénat, 1ère lecture, Annexe au procès-verbal de la séance du 13 octobre 2005, n° 20, p. 14.

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