La lettre juridique n°202 du 16 février 2006 : Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Le principe de l'unicité de l'instance

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-47.058, M. Jean-Claude Gallay c/ Société Casa Azzura, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5508DMX)

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par Laurence Urbani-Schwartz, Avocate au sein du cabinet Fromont, Briens & associés

le 07 Octobre 2010

L'article R. 516-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0611ADY) érige le principe de l'unicité de l'instance selon lequel toutes les demandes dérivant d'un contrat de travail entre les mêmes parties doivent faire l'objet d'une seule instance, sous peine d'irrecevabilité, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes. La Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt rendu le 25 janvier 2006, ce principe de l'unicité de l'instance et l'ampleur de ses conséquences, dans une affaire où un ancien salarié d'une entreprise avait, après une première instance au fond, saisi d'une nouvelle demande le conseil de prud'hommes en sa formation des référés.

Décision

Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-47.058, M. Jean-Claude Gallay c/ Société Casa Azzura, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5508DMX)

Rejet (CA Lyon, 17 septembre 2003)

Texte concerné : C. trav., art. R. 516-1 (N° Lexbase : L0611ADY)

Mots-clés : unicité de l'instance ; référé ; procédure prud'homale.

Lien bases :

Résumé

Dès lors que le demandeur a saisi le conseil de prud'hommes, lequel a statué au fond sur ses demandes dérivant d'un contrat de travail, toute demande formulée auprès de la juridiction prud'homale en sa formation des référés dérivant du même contrat et dont le fondement était connu avant le dessaisissement du juge du fond, est irrecevable en application du principe de l'unicité de l'instance.

Faits

1. Monsieur Gallay, salarié de la Société Casa Azzura, a été licencié par cette dernière. Monsieur Gallay a saisi le conseil de prud'hommes au fond de différentes demandes en contestation de son licenciement, dont il a été débouté, notamment par un arrêt du 26 novembre 2001.

Par la suite, en date du 3 mai 2002, Monsieur Gallay a, de nouveau, saisi la juridiction prud'homale, cette fois en sa formation des référés d'une demande tendant au paiement d'une somme au titre d'un rappel de salaires.

La cour d'appel de Lyon, dans un arrêt en date du 17 septembre 2003, a déclaré sa demande irrecevable.

2. Monsieur Gallay fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré sa demande irrecevable au motif de la violation de l'article R. 516-1 du Code du travail.

Solution

"Attendu que pour des motifs pris de la violation de l'article R. 516-1 du Code du travail, le salarié fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré sa demande irrecevable ;

Mais attendu que lorsqu'il a été statué au fond sur une première demande dérivant d'un contrat de travail, la règle d'unicité de l'instance fait obstacle à la présentation en référé d'une seconde demande dérivant du même contrat et ayant un fondement né ou révélé antérieurement au dessaisissement du juge du fond ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi".

Commentaire

1. Rappel du principe de l'unicité de l'instance et de ses tempéraments

1.1. Un principe dérogatoire au droit commun

L'article R. 516-1 du Code du travail dispose : "toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, faire l'objet d'une seule instance, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes".

Cet article pose donc le principe de l'unicité de l'instance prud'homale selon lequel les mêmes parties à une relation de travail ne peuvent introduire plusieurs instances, les demandes découlant du contrat de travail doivent être présentées dans le cadre d'une seule et unique instance.

Le principe de l'unicité impose donc au demandeur de formuler l'ensemble de ses chefs de demande lors de l'instance qu'il a introduite, toute demande dont le fondement existait déjà au moment de cette instance ne pouvant être accueillie dans le cadre d'une nouvelle instance.

Il convient de bien noter, à ce stade, que la règle édictée par l'article R. 516-1 du Code du travail n'est pas d'ordre public et, qu'en conséquence, le juge ne peut la soulever d'office.

La jurisprudence, après avoir considéré qu'il s'agissait d'une exception devant être présentée in limine litis, considère désormais que le principe de l'unicité de l'instance constitue une fin de non-recevoir pouvant être soulevée en tout état de cause, et même pour la première fois en appel (Cass. soc., 23 avril 1986, n° 83-41.517, Morizot c/ Gonzalès et autres, publié N° Lexbase : A4433AAG).

Dès lors, celui qui entend conclure à l'irrecevabilité des demandes sur le fondement de l'article R. 516-1 du Code du travail n'est nullement tenu de le faire avant toute défense au fond.

L'article R. 516-1 du Code du travail pose différentes conditions qui sont requises pour donner entière application au principe de l'unicité de l'instance. 

Si les conditions liées aux parties au litige (qui doivent être identiques) et au contrat de travail (il doit s'agir du même contrat) ne posent guère de difficulté d'application, d'autres conditions doivent être précisées.

Ainsi, s'est posée la question de savoir à quel moment l'instance prenait effectivement fin.

En réalité, toutes les demandes formulées dans le cadre d'une nouvelle instance, qu'elles soient introduites par le demandeur ou par le défendeur, pourront être déclarées irrecevables si la première instance a pris fin dans le cadre d'un jugement devenu définitif, d'une conciliation totale, à la suite d'un désistement du demandeur, en raison de la péremption de l'instance ou en raison d'un jugement de caducité.

C'est donc la jurisprudence qui est venue préciser le texte en considérant qu'aucune nouvelle instance ne peut être introduite si les causes du second litige étaient connues avant le dessaisissement de la juridiction, sachant que le dessaisissement du juge intervient par le jugement au fond sur les chefs de demandes qui lui étaient soumis (Cass. soc., 2 mars 2004, n° 01-46.886, F-P N° Lexbase : A4007DBZ).

En tout état de cause, pour que le principe de l'unicité de l'instance s'applique, le conseil de prud'hommes doit donc être dessaisi lorsque la nouvelle instance est introduite. Ainsi, tant que le juge n'est pas dessaisi et tant que le lien d'instance perdure, il est possible de présenter de nouvelles demandes. C'est donc le jugement qui emporte le dessaisissement et non pas la mise en délibéré de l'affaire.

Enfin, il convient également de bien relever que le principe s'applique au demandeur comme au défendeur : l'employeur, en défense, qui entend présenter une demande reconventionnelle ou en compensation doit donc la présenter dans le cadre de la même instance.

1.2. Le double aménagement du principe de l'unicité de l'instance

Le principe de l'unicité de l'instance est tempéré par la circonstance que des nouvelles demandes dérivant d'un même contrat de travail sont recevables en tout état de cause, même en appel.

En effet, l'article R. 516-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0612ADZ) permet, lors d'une même instance, de présenter des nouvelles demandes à tout moment de la procédure, sans qu'il puisse y être opposé le fait qu'elles n'aient pas été évoquées lors de l'audience de conciliation, par exemple.

En outre, en application de l'article R. 516-1 du Code du travail, sont recevables toutes les prétentions présentées lors d'une nouvelle instance lorsque leur fondement est né ou a été révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes.

En application de la jurisprudence précitée, il s'agit bien d'une nouvelle instance introduite après, notamment, qu'un jugement au fond soit intervenu en première instance.

A titre d'exemple, un employeur peut saisir le conseil de prud'hommes, dans le cadre d'une nouvelle instance, de demandes tendant à la condamnation de son ancien salarié à lui verser des dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence bien qu'un jugement ait été rendu antérieurement à cette nouvelle saisine (contestation par le salarié des circonstances de la rupture de son contrat de travail, la Cour de cassation ayant relevé que le fondement de la demande de l'employeur -recrutement du salarié par une entreprise concurrente- était né postérieurement au premier jugement rendu, Cass. soc., 5 mai 2004, n° 02-40.768, F-P N° Lexbase : A0537DCU).

2. Le principe de l'unicité de l'instance appliqué au référé prud'homal

En matière de référés prud'homal, il convient de bien distinguer plusieurs situations afin d'apprécier la recevabilité des demandes présentées au regard du principe de l'unicité de l'instance.

Dans le cas d'une première saisine de la formation des référés préalablement à toute instance au fond et qui a donné lieu à une ordonnance rendue par la formation des référés, le demandeur peut valablement saisir par la suite le conseil de prud'hommes au fond, que sa demande soit identique à celle formulée dans le cadre de sa saisine du juge des référés (si le demandeur est débouté ou que la juridiction a considéré qu'il n'y avait pas lieu à référés) ou qu'elle soit différente.

Dans une telle hypothèse, la décision rendue par la formation des référés a, par nature, un caractère provisoire et n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée. Par conséquent, les demandes présentées au fond ne peuvent, en aucun cas, être déclarées irrecevables du fait d'une première instance en référés (Cass. soc., 19 mai 1988, n° 85-43.243, M. Carle c/ Société anonyme Vicat, publié N° Lexbase : A3894AGC).

Dès lors, est inopérante toute argumentation visant à faire déclarer irrecevable les demandes présentées au fond et motivées par la circonstance qu'à la date de sa saisine en référés, le demandeur connaissait d'ores et déjà le fondement de ses prétentions et, en conséquence, aurait pu (et dû) présenter, à ce stade, les demandes afférentes.

Dans le cas d'une saisine de la formation des référés alors même que le juge du fond a déjà été saisi, mais n'a pas encore rendu de jugement au fond, la Cour considère que la règle de l'unicité de l'instance ne vise que l'instance principale et que la formation des référés demeure compétente pour statuer sur une demande de provision, alors même que le juge du principal a été saisi, peu important la connaissance de l'existence des obligations invoquées en référés avant l'introduction ou pendant le cours de l'instance au fond (Cass. soc., 3 décembre 2002, n° 00-45.724, F-D N° Lexbase : A1970A4Q).

Dans ces conditions, les demandes ainsi présentées dans le cadre de l'instance en référés ne peuvent être déclarées irrecevables sur le fondement du principe de l'unicité de l'instance (Cass. soc., 17 mars 1999, n° 96-43.328, Société Marène c/ M. du Besset, publié N° Lexbase : A4608AGR).

En conclusion, tant que la juridiction n'a pas rendu une décision sur le fond du dossier, la formation de référés peut être saisie.

Le principe de l'unicité de l'instance résultant de l'article R. 516-1 du Code du travail n'a pas vocation à s'appliquer en matière de référés.

En revanche, en cas de saisine du juge du fond puis du juge des référés, la Cour de cassation oppose, en toute logique, dans son arrêt en date du 25 janvier 2006, le principe de l'unicité de l'instance dans le cas de l'introduction de cette nouvelle instance en référés et déclare irrecevables les demandes présentées dans ce cadre lorsque la saisine de la formation des référés est réalisée après que la juridiction prud'homale ait statué au fond sur une première demande dérivant d'un contrat de travail entre les mêmes parties.

3. L'arrêt du 25 janvier 2006 : une solution logique et conforme à l'esprit du texte

La décision de la Cour de cassation en date du 25 janvier 2006 est parfaitement logique : l'instance introduite par le salarié ayant pris fin par le jugement rendu par le conseil de prud'hommes au fond, il ne pouvait initier une seconde instance, ni en référés, ni même au fond sur la base de chefs de demandes dérivant du même contrat alors même que le salarié aurait pu les présenter dans le cadre de son instance initiale.

La demande présentée par le salarié devant la formation de référés au mois de mai 2002 tendait au paiement d'une somme au titre de rappel de salaires, laquelle était donc connue et trouvait son fondement avant le dessaisissement du juge du fond, intervenu en novembre 2001.

Le salarié devait donc nécessairement, pour que sa demande soit recevable, la présenter dans le cadre de la première instance au fond.

Dès lors, en pratique, les deux parties au contrat de travail doivent faire preuve de vigilance et de diligence : le demandeur a évidemment tout intérêt à présenter des demandes exhaustives lors de sa saisine, voire de les compléter à tout moment au cours de la procédure et le défendeur a également tout intérêt à étudier précisément s'il peut présenter des demandes reconventionnelles.

En effet, en cas de litige relatif à la rupture d'une relation contractuelle intervenant, par nature, alors même que le contrat de travail liant les parties a pris fin, la seule possibilité pour le demandeur ou le défendeur à la première instance de saisir à nouveau la juridiction prud'homale sera de démontrer que ses nouvelles demandes ont un fondement né ou révélé postérieurement à la première instance.

Or, de tels cas de figure ne sont pas très nombreux (litige afférent à la violation d'une clause de non-concurrence, par exemple).

Dans ces conditions, la rigueur posée par le texte ainsi que son application stricte par la Cour de cassation, impose, notamment au praticien, de procéder à une analyse exhaustive quant aux difficultés et revendications qui peuvent lui être soumises par une partie à un contrat de travail avant d'introduire une instance prud'homale.

En effet, si un chef de demande a été "oublié" par l'une des parties, que ce soit le demandeur comme le défendeur, s'il est possible de venir greffer ce dernier à tout moment sur le fondement de l'article R. 516-2 du Code du travail (devant le juge départiteur, en appel....), dans une hypothèse où le jugement a déjà été rendu sur le fond et n'est pas susceptible d'appel (ou si la juridiction prud'homale a accueilli favorablement l'ensemble des demandes), les parties à un même contrat de travail ne pourront plus présenter de nouvelles demandes dérivant de cette relation contractuelle, sauf si le fondement de ces dernières est né ou a été révélé après le dessaisissement du juge.

D'autant qu'en la matière, la Cour de cassation fait une application stricte du principe.

Ainsi, dans une décision en date du 19 octobre 1994 (Cass. soc., 19 octobre 1994, n° 90-45.928, Mme Michèle Tramoni c/ Clinique chirurgicale ajaccienne, inédit N° Lexbase : A1423CXY), la Cour de cassation est venue préciser que dès lors que les causes de la demande étaient connues au moment de la première instance et que le demandeur pouvait les présenter -ne serait-ce que dans leur principe-, toutes nouvelles prétentions formulées dans le cadre d'une seconde instance étaient irrecevables.

Il s'agissait, en l'espèce, d'une salariée protégée qui avait obtenu par jugement prud'homal en date du 8 décembre 1987 sa réintégration en raison d'un licenciement survenu le 29 septembre 1986, sans demande d'autorisation préalable auprès de l'inspection du travail. Cette salariée avait été réintégrée dans l'entreprise et avait, par la suite, introduit une seconde instance pour réclamer un rappel de salaires et de congés payés correspondant à la période de septembre 1986 à février 1988, au cours de laquelle elle avait été exclue de l'entreprise.

Cette salariée contestait l'arrêt de la cour d'appel de Bastia qui avait déclaré sa demande comme étant irrecevable au motif que le montant des salaires dus ne pouvait être déterminé ni être entièrement exigible qu'à compter de sa réintégration, donc après l'introduction de la première instance prud'homale.

La Cour de cassation a confirmé l'arrêt considérant que "dès le prononcé du licenciement irrégulier, les causes de la demande étaient connues de Mme Tramoni qui pouvait réclamer, au moins en son principe, le paiement des salaires restant à courir jusqu'à la date de sa réintégration ; que, dès lors qu'il n'était pas contesté que Mme Tramoni avait été réintégrée le lendemain de la signification du jugement ayant ordonné cette mesure, les prétentions formulées à l'occasion de la seconde instance ne pouvaient avoir d'autre fondement que le licenciement irrégulier ; d'où il suit que la cour d'appel a jugé à bon droit que la nouvelle demande était irrecevable ; que le moyen n'est pas fondé".

Cette position de la Cour de cassation doit donc inviter et conduire le conseil des parties à une instance prud'homale à la plus grande vigilance sur ce point.

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