La lettre juridique n°196 du 5 janvier 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le salarié bénéficiaire de stock-options victime d'un licenciement injustifié avant d'avoir pu lever ses options ne peut solliciter que l'indemnisation de son préjudice

Réf. : Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 04-41.277, Société Thales Air Defence c/ M. Jean-Pierre Bourg, FS-P+B (N° Lexbase : A8553DLD)

Lecture: 9 min

N2743AKS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Le salarié bénéficiaire de stock-options victime d'un licenciement injustifié avant d'avoir pu lever ses options ne peut solliciter que l'indemnisation de son préjudice. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208001-jurisprudence-le-salarie-beneficiaire-de-i-stockoptions-i-victime-dun-licenciement-injustifie-avant-
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'exercice des options de souscription ou d'achat d'actions est fréquemment restreint par des clauses dites "de présence", qui subordonnent la levée des options à la condition que le salarié fasse encore partie du personnel aux dates prévues pour l'exercice du droit d'option. Il en résulte que le salarié licencié avant d'avoir pu lever ses options perd tout droit à celles-ci et ne peut prétendre à aucune indemnisation. Pour entraîner cette conséquence, il faut encore que le licenciement soit justifié. En effet, lorsque le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié perd également le droit d'exercer ses options en application de la clause précitée. Mais, il subit alors nécessairement un préjudice qui doit être réparé. Si la Cour de cassation vient rappeler cette solution dans un arrêt rendu le 1er décembre 2005, elle vient, en outre, expressément exclure la possibilité pour le salarié de demander l'exécution forcée de l'obligation.


Décision

Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 04-41.277, Société Thales Air Defence c/ M. Jean-Pierre Bourg, FS-P+B (N° Lexbase : A8553DLD)

Cassation (CA Versailles, 5ème chambre sociale, 18 décembre 2003)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74)

Mots-clefs : stock-options ; attribution individuelle ; condition (oui) ; présence dans l'entreprise au jour de la levée de l'option ; licenciement injustifié ; caducité des options (oui) ; indemnisation du préjudice (oui).

Liens bases : ;

Apport de l'arrêt

La clause du plan d'options d'achat prévoyant la caducité des options en cas de licenciement du bénéficiaire fait obstacle à l'exercice de ce droit sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la qualification du licenciement. Le salarié privé de la possibilité de lever ses options du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse peut seulement solliciter l'indemnisation du préjudice subi.

Faits

1. Un salarié, engagé en 1969 par la société Thomson, s'était vu attribuer, en septembre 1999, le bénéfice d'une option d'achat de 10 000 actions de la société, cette option pouvant être exercée dans un délai compris entre 5 et 10 ans à compter de la date d'attribution.

Licencié le 29 août 2000, le salarié a été informé par la société qu'en application de l'article 7.1.1 du règlement du plan d'options selon lequel "le licenciement du bénéficiaire entraîne la caducité de ses options à la date de rupture du contrat de travail, c'est-à-dire à la fin du préavis", il avait perdu le bénéfice de son option.

2. Pour condamner l'employeur à maintenir au salarié le bénéfice de l'option d'achat d'actions qui lui avait été consentie, l'arrêt attaqué a relevé que le licenciement du salarié n'étant pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'article précité du règlement du plan d'options d'achat ne pouvait trouver application.

Solution

1. Cassation pour violation des articles 1134 et 1147 du Code civil, ensemble l'article L. 122-14-4 du Code du travail.

2. "Qu'en statuant ainsi, alors que la clause du plan d'options d'achat prévoyant la caducité des options en cas de licenciement du bénéficiaire faisait obstacle à l'exercice de ce droit sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la qualification du licenciement et que le salarié, privé de la possibilité de lever ses options du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, pouvait seulement solliciter l'indemnisation du préjudice subi, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. Les limitations contractuelles à la levée des options

  • Présentation

L'attribution de stock-options à un salarié ou un mandataire social passe par plusieurs étapes qui suscitent des difficultés d'inégales importances. Tout d'abord, l'assemblée générale extraordinaire doit autoriser l'opération et en fixer le cadre général. Cette autorisation ne fait naître aucun droit individuel. C'est, ensuite, le conseil d'administration ou le directoire qui prend le relais afin de fixer les conditions dans lesquelles seront consenties les options.

Outre, évidemment, le choix des bénéficiaires, il appartient à l'organe de gestion concerné d'arrêter les éléments essentiels de l'option de souscription ou d'achat d'actions, qu'il s'agisse du prix du nombre de titres susceptibles d'être acquis ou du délai d'exercice de l'option. Une fois ces éléments arrêtés, les options vont être notifiées aux bénéficiaires qui pourront les lever dans le délai prévu.

Il arrive fréquemment, en pratique, que la société émettrice vienne assortir les options consenties de diverses conditions. Le plus souvent, le droit d'option est soumis au fait que le salarié, ou le mandataire social, soit encore présent dans l'entreprise au moment où il exerce ses options. En conséquence, la perte de la qualité de salarié ou de mandataire social entraîne la perte définitive des options non exercées.

Tel était le cas en l'espèce, en application de l'article 7.1.1 du règlement du plan d'options, selon lequel "le licenciement du bénéficiaire entraîne la caducité de ses options à la date de rupture du contrat de travail, c'est-à-dire à la fin du préavis". Le régime juridique de ces clauses est, de manière évidente, lié à la qualification juridique qui peut être donnée à l'option d'achat d'actions.

  • Nature juridique des options d'achat ou de souscription d'actions

Jusqu'à une date très récente, la nature juridique des options d'achat ou de souscription d'actions pouvait donner lieu à discussion, étant entendu que deux qualifications pouvaient être retenues : celle d'engagement unilatéral et celle de contrat (sur ces discussions, voir notre article, Attribution individuelle des stock-options et licenciement injustifié du bénéficiaire : le recours salutaire au droit des obligations, Bull. Joly Sociétés 2005, p. 177, § 34). Si certaines décisions de la Cour de cassation laissaient à penser que sa préférence allait vers une analyse contractuelle de l'acte juridique en cause, elle ne l'affirmait pas toutefois de manière expresse (sur cette jurisprudence, v. notre art. préc.).

Depuis un arrêt rendu le 20 septembre 2005, le doute n'est plus permis. Ainsi que l'affirme, en effet, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans cette décision, l'option d'achat d'actions "constitue une promesse unilatérale faite par la société par actions à certains de ses salariés ou mandataires sociaux de leur vendre sur leur demande un nombre déterminé de ses actions dans un délai et moyennant un prix définitivement fixés" (Cass. civ. 2, 20 septembre 2005, n° 03-30.709, Société Thales training et simulation (TTS), FS-P+B N° Lexbase : A5813DKI, JCP éd. S 2005, 1417, note R. Vatinet).

La cause est désormais entendue : l'option d'achat ou de souscription d'actions doit s'analyser en un contrat unilatéral et, plus précisément, en une promesse unilatérale de contrat, par laquelle "un individu, le promettant, s'engage envers un autre qui l'accepte, le bénéficiaire, à conclure un contrat dont les conditions sont dès à présent déterminées si celui-ci lui demande dans un certain délai" (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, Précis, 2005, 9ème éd., § 191).

Nous n'épiloguerons pas sur le caractère quelque peu artificiel de cette qualification dès lors que le salarié bénéficiaire des stock-options ne manifeste que rarement son acceptation aux options qui lui sont proposées. Il est vrai que l'on peut se contenter d'une acceptation tacite, dans la mesure où l'offre lui est faite dans son intérêt exclusif. En outre, et ainsi que le relève le Professeur Vatinet (note préc., p. 32), "même si l'option s'analyse en un contrat, le contenu de la promesse n'est pas nécessairement négociable pour autant [...]". Le salarié n'a d'autre choix que d'accepter ou de refuser une attribution qui, en tout état de cause, se présente comme un avantage consenti par la société. Cette promesse unilatérale de vente est un contrat d'adhésion". Si l'on souscrit sans peine à ces analyses, on reste convaincu que la qualification d'engagement unilatéral aurait donné tout autant satisfaction (v. notre art. préc.).

  • Restrictions contractuelles à l'exercice des options

Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, l'exercice des options est souvent restreint par des clauses de présence. Outre qu'une telle stipulation paraît conforme à la finalité des plans d'option, qui est de motiver et de fidéliser les salariés, il faut relever que la Cour de cassation en a admis la validité de principe dans un arrêt rendu le 9 mai 2001 (Cass. soc., 9 mai 2001, n° 98-42.615, M. Maurice Pommier c/ Société Bureau Véritas, inédit N° Lexbase : A4159AT9).

Une telle clause peut être analysée comme une condition au sens de l'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN). La présence du salarié dans l'entreprise est bien un évènement futur et incertain auquel est subordonnée l'existence de l'obligation pesant sur la société émettrice (v., en ce sens J.-J. Caussain, Fl. Deboissy, G. Wicker, obs. ss. Cass. soc., 29 septembre 2004 : JCP éd. E 2005, 131, spéc., n° 4 et notre art. préc.).

Dès lors que la validité des clauses de présence est admise, elles doivent produire effet et il faut considérer que le salarié licencié avant d'avoir pu exercer ses options perd le bénéfice de celles-ci. Si une telle conséquence est évidente lorsque le licenciement est justifié, il n'en va pas de même lorsqu'il est privé de cause réelle et sérieuse.

2. Les conséquences du licenciement injustifié du salarié bénéficiaire de stock-options

  • Confirmation de la réparation par équivalent

Dans un important arrêt rendu le 29 septembre 2004, que nous avions pu commenter dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation avait expressément affirmé que lorsqu'un salarié a été privé de son droit de lever les options sur titres du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, il en résulte "nécessairement" un préjudice qui doit être réparé (Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.027, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4508DDC, lire nos obs., Stocks-options et licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 137 du 7 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3011AB7 ; JCP éd. E 2005, 131, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy, G. Wicker ; Bull. Joly Sociétés 2005, p. 97, note J.-J. Daigre).

Confirmée par la suite (v., par ex., Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-47.533, F-D N° Lexbase : A2979DHS, Bull. Joly Sociétés 2005, p. 1120, avec nos obs.), cette solution avait été retenue dans des hypothèses où, il convient de le noter, l'ancien salarié ne demandait pas à exercer ses options.

En d'autres termes, restait posée la question de savoir si le salarié injustement licencié pouvait, en outre, demander en justice à exercer les options dont il avait été privé par la faute de son employeur. L'arrêt commenté, et c'est là son principal apport, donne l'occasion à la Cour de cassation de répondre par la négative. Se trouve ainsi rejetée l'exécution forcée en nature.

  • Le rejet de l'exécution forcée en nature

Dans une décision rendue le 23 juin 2004, dont il faut relever qu'elle n'a pas été publiée, la Cour de cassation a affirmé que "le règlement de stock-options prévoyait que l'exercice des options d'achat était soumis à la condition que le contrat de travail du bénéficiaire soit en vigueur à la date où elles sont levées, la cour d'appel a pu décider, sans dénaturation, que ces dispositions, dont le salarié ne contestait pas avoir eu connaissance, faisaient obstacle à l'exercice de ce droit par M. X, dès lors que son contrat de travail avait été rompu avant la période prévue pour la levée des options d'achat, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que son licenciement procédait ou non d'une cause réelle et sérieuse". Ainsi, à lire cette décision, le licenciement injustifié du salarié lui faisait perdre son droit d'option.

C'est cette solution que vient expressément confirmer la Chambre sociale dans l'arrêt commenté qui sera publié. Rappelons, en effet, que cette dernière décide de manière on ne peut plus claire, que "la clause du plan d'options d'achat prévoyant la caducité des options en cas de licenciement du bénéficiaire faisait obstacle à l'exercice de ce droit sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la qualification du licenciement et que le salarié, privé de la possibilité de lever ses options du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, pouvait seulement solliciter l'indemnisation du préjudice subi".

Il apparaît ainsi clairement que la Cour de cassation rejette toute exécution forcée en nature, ce qui, il faut l'avouer, n'est pas sans susciter un certain sentiment de déception. En effet, ainsi que nous avions essayé, avec d'autres, de le démontrer, une telle sanction pouvait être, d'un point de vue juridique, admise. Cette assertion procédait de l'idée que la clause restreignant le droit d'option du salarié peut être qualifié de condition résolutoire.

Or, en application de l'article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L1280ABZ), la condition doit être réputée défaillie lorsque c'est le débiteur, libéré sous cette condition, qui en provoqué la réalisation. En conséquence, le salarié injustement licencié pouvait prétendre lever les options qui lui avaient été consenties nonobstant la rupture de son contrat de travail (v., notre art. préc ; v. aussi, J.-J. Caussain, Fl. Deboissy, G. Wicker, obs. préc.).

newsid:82743

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.