La lettre juridique n°183 du 29 septembre 2005 : Social général

[Jurisprudence] Accords négociés et licenciements économiques, ou le mariage de la carpe et du lapin

Réf. : Cass. soc., 13 septembre 2005, n° 04-40.135, Société Crédit lyonnais c/ Mme Corinne Rechaussat, FS-P+B (N° Lexbase : A4536DK9)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Lors des débats parlementaires qui ont accompagné l'adoption de la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49), le Gouvernement s'était battu pour que les départs négociés demeurent rattachés au droit du licenciement pour motif économique. Cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 13 septembre 2005 montre, une nouvelle fois, toute la complexité et, pour dire les choses clairement, toutes les contradictions du recours à l'accord de rupture amiable "pour motif économique". Tout en rappelant qu'il s'agit d'un mode de rupture du contrat de travail à part entière, même dans un contexte marqué par de nombreuses suppressions d'emplois, la Cour de cassation rappelle que son régime doit demeurer le plus proche possible de celui du licenciement économique (1). Mais alors, à quoi bon consacrer l'autonomie d'un mode de rupture dont le régime est presque totalement absorbé par le droit du licenciement ? (2)
Décision

Cass. soc., 13 septembre 2005, n° 04-40.135, Société Crédit lyonnais c/ Mme Corinne Rechaussat, FS-P+B (N° Lexbase : A4536DK9)

Cassation partielle (CA Paris, 22ème chambre, section B, 14 novembre 2003)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 121-1, al. 1er (N° Lexbase : L5443ACL) ; C. trav., art. L. 321-1, al. 2 (N° Lexbase : L8921G7K)

Mots clefs : accords de rupture amiable ; motif économique ; validité ; priorité de réembauchage.

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Résumé

La rupture d'un contrat de travail pour motif économique peut résulter d'un départ volontaire dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise et constitue une résiliation amiable du contrat de travail.

Faits

1. Le Crédit lyonnais a conclu le 12 décembre 1996 avec certaines organisations syndicales un accord social pour l'emploi qui prévoyait des mesures destinées à favoriser les départs volontaires.

Mme Rechaussat, salariée de la société Crédit lyonnais depuis le 17 août 1976, a demandé le bénéfice de ces mesures. Son projet professionnel de reconversion ayant été validé par le Crédit lyonnais, elle a quitté son emploi le 31 janvier 1999.

Elle a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification de la convention de départ négocié en licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage.

2. La cour d'appel de Paris a décidé que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement pour motif économique sans cause réelle et sérieuse.

Solution

1. Sur le bénéfice de la priorité de réembauchage :

"En vertu de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail, les dispositions d'ordre public des articles L. 321-1 à L. 321-15 de ce Code sont applicables à toute rupture de contrat de travail pour motif économique ; qu'il en résulte que le salarié ayant accepté un départ volontaire négocié avec son employeur dans le cadre d'un accord collectif bénéficie de la priorité de réembauchage ; que la cour d'appel, qui a retenu à bon droit que le contrat de travail avait été rompu pour un motif économique, a pu décider que la priorité de réembauchage prévue par l'article L. 321-14 du Code du travail pouvait être invoquée par l'intéressée ; que le moyen n'est pas fondé".

2. Sur la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse :

"Pour décider que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement pour motif économique, l'arrêt attaqué retient que, confronté à de graves difficultés économiques, le Crédit lyonnais a élaboré un plan d'adaptation de l'emploi envisageant la réduction des effectifs par des suppressions d'emplois et conclu avec les syndicats un accord prévoyant des mesures d'accompagnement de ce plan ; que dans ce contexte, c'est l'employeur qui a pris l'initiative de rompre le contrat de travail et la salariée s'est contentée de solliciter le bénéfice du plan et de négocier les conséquences de la rupture ; qu'il ne peut dès lors être affirmé que cette rupture relève d'un commun accord des parties, la salariée n'ayant jamais envisagé, avant l'élaboration du plan, de quitter l'entreprise ; qu'en l'absence de motifs énoncés dans la lettre de validation du projet de départ de la salariée, le licenciement ne procède pas d'une cause réelle et sérieuse".

"La rupture d'un contrat de travail pour motif économique peut résulter d'un départ volontaire dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise ; que cette rupture constitue une résiliation amiable du contrat de travail".

"En statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle avait constaté que le départ volontaire de la salariée entrait dans le cadre de l'accord social du 12 décembre 1996 qui avait fait l'objet d'une consultation du comité central d'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cassation et renvoi sur ce motif.

Commentaire

1. Une solution sans surprise

1.1. La validité de l'accord de rupture amiable pour motif économique

  • Situation dans le Code du travail

Le Code du travail n'a pas consacré, d'une manière générale, l'accord de rupture amiable comme un mode de rupture à part entière du contrat de travail. Considérant pourtant que cette technique n'avait pas été formellement écartée par le Code du travail et que l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) avait vocation à s'appliquer au contrat de travail, par renvoi de l'article L. 121-1, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL) ("Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun", visé dans l'arrêt du 13 septembre commenté), la jurisprudence l'admet classiquement comme mode de rupture.

Cette admission n'est toutefois pas inconditionnelle et la Cour de cassation a adapté les règles du Code civil aux particularités du droit du travail, singulièrement lorsqu'un tel accord s'inscrit dans un processus plus large de mesures touchant l'emploi dans une entreprise confrontée à des difficultés économiques.

C'est ainsi que le 2 décembre 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelait ce principe, mais entourait l'"accord de rupture amiable pour motif économique" de nombreuses garanties, distinguant nettement deux cas de figure, selon que l'entreprise mettait en oeuvre un accord d'entreprise ou non (Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.176, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3401DA9 ; Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.540, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3402DAA, notre chron., Le triomphe de l'accord de rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 98 du 11 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9682AAT).

Dans un premier arrêt concernant le licenciement de trois salariés (Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.176, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3401DA9), la Haute juridiction semblait lier la validité du recours à l'accord de rupture amiable au fait que, sur le plan individuel, l'accord avait été proposé par le salarié, dans son intérêt et pour exercer une autre activité, qu'il n'existait aucun litige entre les parties, que ses droits indemnitaires avaient été préservés et que, sur le plan collectif, le comité d'entreprise avait été consulté sur le projet de licenciement économique.

Dans le second arrêt qui concernait une entreprise ayant négocié un accord sur la réduction des effectifs (Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.540, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3402DAA), la Cour de cassation avait également validé le recours aux accords de rupture amiable après avoir relevé qu'en l'espèce, le départ volontaire s'inscrivait "dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise".

  • Situation en l'espèce

C'est à cette seconde hypothèse que se rattache ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 13 septembre 2005, qui concernait également le Crédit lyonnais.

Dans cette affaire, une salariée avait quitté l'entreprise dans le prolongement d'un accord d'entreprise, après avoir conclu un accord de rupture amiable. S'étant ravisée, elle avait demandé à ce que la rupture du contrat de travail soit requalifiée en licenciement, par hypothèse sans cause réelle et sérieuse puisque la procédure afférente n'avait pas été respectée.

La cour d'appel avait fait droit à sa demande, après avoir relevé que le départ de la salariée s'inscrivait dans un plan plus général de réduction des effectifs, qu'elle avait quitté l'entreprise à la demande de l'employeur et qu'elle n'avait, en réalité, fait qu'adhérer à cette proposition.

Sur ce point, l'arrêt est cassé, la Cour de cassation rappelant les termes de sa précédente décision du 2 décembre 2003 : la rupture d'un commun accord d'un contrat de travail pour motif économique peut résulter d'un départ volontaire dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise.

La solution n'est donc pas surprenante, la Cour confirmant ici son désir de ne pas dissuader les entreprises de recourir au volontariat tout en entourant cette pratique de garanties suffisantes. La Haute juridiction prend, en effet, la peine de rappeler que l'accord amiable avait été conclu dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise.

En d'autres termes, la préservation des droits des salariés est assurée par la négociation collective de l'accord conclu avec les syndicats et par le comité d'entreprise qui veille, également, à ce que les salariés ne soient pas lésés.

1.2. Le régime de l'accord de rupture amiable pour motif économique

  • L'assimilation légale

Afin d'éviter que le recours aux accords de rupture amiable ne permette aux entreprises de faire l'économie des règles préservant les droits des salariés dans le cadre de licenciements collectifs, la loi du 29 juillet 1992 (loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle N° Lexbase : L7461AI8) a complété l'article L. 321-1 du Code du travail et impose à l'entreprise le respect des dispositions des articles L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) à L. 321-17 (N° Lexbase : L8932G7X) du Code du travail.

L'application de ces règles garantit ainsi au salarié le respect de droits individuels (obligation de reclassement, d'adaptation, de formation, critères du licenciement, modification du contrat de travail, etc.) et collectifs (mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi imposée y compris lorsque les ruptures envisagées sont qualifiées de départs volontaires, principe maintenu d'ailleurs lors de l'élaboration de la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005).

  • L'application logique à la priorité de réembauchage

Parmi ces dispositions qui doivent s'appliquer aux salariés qui quittent "volontairement" l'entreprise, figure également le droit à la priorité de réembauchage de l'article L. 321-14 du Code du travail (N° Lexbase : L9592GQC), directement incluse dans les règles qui doivent s'appliquer, conformément au principe d'assimilation des départs négociés aux licenciements économiques.

C'est donc sans surprise que la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme sur ce point la cour d'appel qui avait fait d'ailleurs application d'une jurisprudence constante (Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-19.828, Fédération française des syndicats CFDT banques et sociétés c/ Société générale et autre, publié N° Lexbase : A4551AGN, Dr. soc. 1999, p. 736, obs. B. Gauriau).

2. Une solution qui illustre l'incongruité de l'accord de rupture amiable pour motif économique

  • Un débat dépassé ?

Il pourrait paraître utile de reprendre ici le débat sur l'admission de l'accord de rupture amiable comme mode de rupture du contrat de travail, notamment dans le cadre d'un vaste plan de suppression d'emplois. Ce débat, essentiellement dogmatique, n'aurait plus d'intérêt dans la mesure où la messe semble, sur ce point, avoir été dite.

Par ailleurs, la réforme intervenue le 29 juillet 1992 assimile, dans ses effets, l'accord de rupture amiable au licenciement économique, de telle sorte que l'enjeu de la qualification pourrait finalement sembler minime.

  • Un débat à relancer

Pourtant, la solution retenue illustre parfaitement, selon nous, la totale incongruité de l'accord de rupture amiable, singulièrement lorsqu'il s'inscrit dans le cadre d'un plan de réduction des effectifs. Comment peut-on parler d'"accord" de rupture lorsque l'entreprise annonce, dans le cadre d'un plan global, qu'elle entend se séparer d'un certain nombre de salariés ? De quelle liberté réelle les salariés disposent-ils ?

La situation de l'accord de rupture amiable en matière économique semble d'ailleurs très en retrait par rapport à celle de l'accord conclu "pour un motif personnel". Dans cette dernière hypothèse, on sait que l'employeur ne peut y recourir à la place d'un licenciement ordinaire, c'est-à-dire dès lors qu'il pourrait invoquer contre le salarié une cause réelle et sérieuse justifiant un licenciement ; l'accord est alors requalifié en "transaction" et annulé puisque aucun licenciement n'est préalablement intervenu (Cass. soc., 19 novembre 1996, n° 93-41.745, Mme Duglio c/ Société Angel Boutonnerie lyonnaise, publié N° Lexbase : A4002AAH).

Pourquoi, dès lors, interdire le recours à l'accord de rupture amiable lorsque l'employeur pourrait faire valoir une cause réelle et sérieuse "personnelle" et l'admettre alors qu'il pourrait également faire valoir une cause réelle et sérieuse "économique" ? Pourquoi ne pas traiter de manière identique tous les accords de rupture amiable et imposer le respect des règles du licenciement lorsque cet accord s'inscrit dans cette perspective, comme une alternative ?

Les zélateurs de l'accord de rupture amiable objecteront que les risques de contournement des règles du licenciement économique sont quasiment nuls, précisément parce que la loi les soumet au même régime que les licenciements économiques. Mais alors, puisque les règles sont les mêmes, à quoi bon continuer à admettre le recours aux accords de rupture amiable dans un contexte où l'entreprise procède par ailleurs à des licenciements économiques ? Pourquoi admettre le recours à une technique qui n'a, finalement, que peu d'intérêt pour l'entreprise, puisqu'elle ne lui épargne pas le respect du Livre III, et qui vient concurrencer le licenciement économique lui-même ?

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