La lettre juridique n°183 du 29 septembre 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Imputation de TVA et irrécouvrabilité d'une créance en cas de procédure collective

Réf. : CE 3° et 8° s-s, 1er juin 2005, n° 260401, Société des Brasseries de Kronenbourg c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A4977DI8)

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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne

le 07 Octobre 2010

Par un arrêt en date du 1er juin 2005, le Conseil d'Etat, en ses troisième et huitième sections réunies, s'est prononcé sur la possibilité qu'avait une société d'imputer la TVA en cas de créance détenue sur une autre société faisant l'objet d'une procédure collective.
Dans cette affaire, une société avait fait l'objet d'un avis de mise en recouvrement en date du 7 décembre 1993 au titre de la TVA imputée illégalement selon l'administration. La société en cause avait cru à tort, selon le service, pouvoir imputer la TVA afférente à une créance qu'elle détenait sur une autre société, cette dernière ayant été mise en en redressement judiciaire par jugement du 9 août 1990.

A toutes fins utiles et pour un éclairage total des lecteurs, il convient de préciser la particularité des faits de l'espèce. La société débitrice avait été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Corbeil le 9 août 1990, puis avait fait l'objet d'un plan de cession partielle avant d'être autorisée à poursuivre son activité pour une durée de trois ans. Cette précision est de taille puisque, comme il le sera démontré ultérieurement, la notion d'irrécouvrabilité de la créance litigieuse, a fait l'objet d'âpres discussions dans la décision commentée et a déterminé le sort de l'affaire.

En l'espèce, la cour administrative d'appel de Nancy, se faisant l'écho de la position du tribunal administratif de Strasbourg, a jugé que, faute pour la société redressée d'avoir établi le caractère irrécouvrable de la créance, objet du litige, cette dernière ne pouvait imputer la TVA afférente à ladite créance. Plus précisément, les juges du second degré ont considéré que: "Faute d'apporter des éléments sur la part de ses créances qui devait être abandonnée dans le cadre du plan de cession, la société redressée ne pouvait être regardée comme établissant le caractère devenue irrécouvrable de ces créances".

Toutefois, le Conseil d'Etat a estimé que la cour administrative d'appel, à défaut d'avoir répondu au moyen de la société redressée selon lequel la société débitrice avait vendu ses actifs à une tierce société pour un prix qui n'avait permis d'indemniser aucun de ses créanciers chirographaires, avait insuffisamment motivé son arrêt. Dès lors, l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel était prononcée.

Par ailleurs, la haute Cour administrative, dans cette décision, a jugé que l'administration avait, contrairement aux allégations de la société requérante, légalement pu se fonder, pour refuser la déduction de la TVA litigieuse, sur les dispositions de l'article 272 du CGI prise conformément au second alinéa du 1 de l'article 11-C, 1° de la sixième Directive du 17 mai 1977 (Directive (CE) 77 /388 du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9).

En outre, la société avait été légitimement redressée étant donné qu'elle n'avait pas justifiée de la situation obérée de la société débitrice pour imputer valablement la TVA.

Dès lors, l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg était rejetée.

A la lecture de cette décision, deux observations s'imposent.

L'irrécouvrabilité de la créance, détenue par une société sur une autre, doit être définitive et certaine pour permettre l'imputation de la TVA au titre de l'article 272 du CGI (1).

Toutefois, en cas de procédure collective de la société débitrice, le caractère définitivement irrécouvrable d'une créance ne saurait résulter de la seule ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur (2).

1. La notion de créance définitivement irrécouvrable

Notion de droit général, la "créance irrécouvrable" a des conséquences tant sur le plan juridique (1.1) que sur le plan fiscal (1.2).

1.1 La notion de créance définitivement irrécouvrable au regard du droit des affaires

Le Code de commerce pose le principe selon lequel les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise. Pour être réguliers et sincères, les comptes doivent faire apparaître, non seulement, les créances à recouvrer, mais aussi, les créances irrécouvrables.

Lorsqu'une créance est irrécouvrable, son montant peut être retranché des bénéfices de l'exercice au cours duquel sa perte apparaît certaine et définitive.

La créance qui présente un caractère simplement douteux ou dont la perte et seulement probable, même fortement probable, ne peut justifier que la constitution d'une provision.

Lorsque la perte se réalise effectivement, elle est compensée à due concurrence par la reprise de la provision. Mais cette compensation ne peut être effectuée que si le commerçant apporte la preuve du caractère définitivement irrécouvrable de la créance .

1.2 La notion de créance définitivement irrécouvrable au regard de l'article 272 du CGI

En matière de récupération de la TVA, l'article 272-1 du Code général des impôts exige des "créances définitivement irrécouvrables".

En effet, aux termes des dispositions de l'article susvisé, il est prévu que:

"La taxe sur la valeur ajoutée qui a été perçue à l'occasion de ventes ou de services est imputée ou remboursée dans les conditions prévues à l'article 271 lorsque ces ventes ou services sont par la suite résiliés ou annulés ou lorsque les créances correspondantes sont devenues définitivement irrécouvrables.

Toutefois, l'imputation ou le remboursement de la taxe peuvent être effectués dès la date de la décision de justice qui prononce la liquidation judiciaire.

L'imputation ou la restitution est subordonnée à la justification, auprès de l'administration, de la rectification préalable de la facture initiale".

Dès lors, le commerçant qui n'apporte pas la preuve du caractère définitivement irrécouvrable de la créance perd le droit d'en opérer la déduction de ses résultats. S'il opère cette déduction il passe une écriture inexacte éventuellement constitutive d'une fraude fiscale puisque le calcul de l'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux se fait sur un résultat déterminé par des créances acquises.

En principe, la récupération de la TVA ne peut se faire qu'après avoir envoyé au client défaillant un duplicata de la facture initiale avec la mention suivante : "Facture demeurée impayée pour la somme de... euros (prix net) et pour la somme de... euros (TVA) qui ne peut faire l'objet d'une déduction (article 272 du CGI)".

La question qui se pose est de savoir comment établir qu'une créance est irrécouvrable. Il s'agit là d'une question de fait. La décision commentée en atteste.

A titre d'exemple, le Conseil d'Etat a admis que le caractère irrécouvrable pouvait être démontré par des attestations d'huissier (CE Contentieux, 12 mars 1980, n° 7475, Société à responsabilité limitée "société xxxxx" N° Lexbase : A7966AIU).

Il en est de même lorsque le créancier établit que son débiteur a disparu sans laisser d'adresse.

On ne peut en revanche se borner à évoquer l'ancienneté des créances demeurées impayées.

Le créancier doit fournir toutes les indications nécessaires sur ses diligences et sur les circonstances propres qui établissent l'insolvabilité du débiteur (CE Contentieux, 14 mai 1986, n° 45826, Etablissements Bussoz N° Lexbase : A3872AMD).

Le commerçant est donc contraint d'engager une véritable procédure de recouvrement en s'adressant à un avocat, un huissier ou un organisme de recouvrement.

Au cas particulier, il appartenait à la société redressée de rapporter la preuve de l'irrécouvrabilité de sa créance.

Dans ses observations, cette dernière avait évoqué la circonstance selon laquelle la société débitrice avait fait l'objet d'un plan de cession partielle à la suite de son redressement judiciaire et avait donc vendu ses actifs à une tierce société pour un prix qui n'avait permis d'indemniser aucun de ses créanciers chirographaires.

Le Conseil d'Etat a estimé que les juges du second degré auraient dû statuer sur ce moyen et qu'à défaut de l'avoir fait et par conséquent en ayant insuffisamment l'arrêt, la demande d'annulation de ladite décision avait été acceptée.

On notera toutefois que la Haute cour a probablement considéré, à l'instar des premiers juges, que la société n'avait pas apporté des éléments sur la part de ses créances qui devait être abandonnée dans le cadre du plan de cession.

Cependant, il convenait à la cour de vérifier les allégations de la société requérante selon lesquelles la cession des actifs n'avait pas permis de l'indemniser, sa créance étant par conséquent irrécouvrable.

Par ailleurs, le deuxième problème dans l'affaire commentée concernait l'interprétation de la notion de "créances définitivement irrécouvrables " au regard de l'article 272 du CGI en cas de procédure collective de la société débitrice.

2. La notion de créance définitivement irrécouvrable en cas de procédure collective : conséquences en matière d'imputation de TVA

La société strasbourgeoise, pour contester les impositions mises à sa charge, avait notamment, d'une part, remis en cause le fondement juridique pris par l'administration fiscale pour opérer le redressement savoir l'utilisation de l'article 272 du CGI (2.1) et, d'autre part, considéré que le caractère irrécouvrable de sa créance au moment de l'imputation avait bien été acquis (2.2).

2.1. La notion de créance définitivement irrécouvrable en cas de procédure collective au regard de la 6ème Directive TVA

Il convient de rappeler dans un premier temps que l'interprétation de toute disposition du CGI se fait au regard des directives communautaires.

C'est ainsi que l'article 272 du CGI applicable aux faits de l'espèce devait être interprété au regard de la 6ème Directive TVA et plus particulièrement au regard des dispositions du 1 de l'article 11-C 1° de ladite Directive.

Aussi, le Conseil d'Etat, appliquant ce principe, avait statué en ces termes :

"Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 11-C 1° de la sixième Directive du 17 mai 1977 du Conseil des Communautés européennes : 'En cas d'annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s'effectue l'opération, la base d'imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les Etats membres. Toutefois, en cas de non-paiement total ou partiel, les Etats membres peuvent déroger à cette règle' ; qu'il résulte des dispositions de ce second alinéa, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire C-330/95 du 3 juillet 1997 (CJCE, 3 juillet 1997, aff. C-330/95, Goldsmiths (Jewellers) Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A0301AW3), que la faculté de dérogation ainsi ouverte aux Etats membres est strictement limitée aux cas où le non-paiement total ou partiel est provisoire ou difficilement vérifiable; qu'aux termes du 1 de l'article 272 du Code général des impôts, pris pour l'adaptation de la législation nationale aux dispositions précitées, dans sa rédaction applicable au litige issue de l'article 16 de la loi de finances rectificative pour 1988 (loi n° 88-1193 du 29 décembre 1988):'la taxe sur la valeur ajoutée qui a été perçue à l'occasion de ventes ou de services est imputée ou remboursée dans les conditions prévues à l'article 271 lorsque ces ventes ou services sont par la suite résiliés ou annulés ou lorsque les créances correspondantes sont devenues définitivement irrécouvrables. Toutefois, l'imputation ou le remboursement de la taxe peuvent être effectués dès la date de la décision de justice qui prononce la liquidation judiciaire. L'imputation ou la restitution est subordonnée à la justification, auprès de l'administration, de la rectification préalable de la facture initiale' ; que ces dispositions, qui limitent la possibilité d'imputation ou de remboursement, en cas de non-paiement total ou partiel, aux créances qui, à la date de l'imputation ou de la demande de restitution, étaient devenues définitivement irrécouvrables ou étaient détenues sur un débiteur placé en situation de liquidation judiciaire, font application de la faculté de dérogation ouverte aux Etats membres par le second alinéa du 1 précité de l'article 11 C-1° conformément aux objectifs de la sixième Directive".

Dès lors, le Conseil d'Etat a probablement considéré de façon implicite que, dans la mesure où les créances de la société redressée n'étaient pas devenues irrécouvrables et la société débitrice n'avait pas fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, mais de redressement judiciaire, le redressement de la société en cause au titre de l'article 272 du CGI était parfaitement justifié.

Par ailleurs, la Haute Cour a apporté une précision importante en soulignant que la procédure collective subie par la société débitrice n'entraîne pas automatiquement l'irrécouvrabilité de la créance litigieuse.

2.2. Une créance n'est pas nécessairement "définitivement irrécouvrable" en cas de procédure collective

Le Conseil d'Etat, dans l'arrêt commenté, rappelle de manière expresse que le caractère définitivement irrécouvrable d'une créance ne saurait résulter de la seule ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur.

Toutefois, il précise que les dispositions de l'article 272 du CGI, qui autorisent le créancier à imputer la taxe afférente à sa créance dès le prononcé de la liquidation judiciaire de son débiteur, ne font pas pour autant obstacle à ce qu'à tout moment et par tout moyen, dès avant ce prononcé, le créancier établisse le caractère définitivement irrécouvrable de cette créance, notamment, dans les cas où il ne l'aurait pas déclarée en temps utile, ou en aurait fait totalement ou partiellement abandon.

Dès lors, le Conseil d'Etat, après avoir constaté que la société requérante n'a fait état d'aucun élément justifiant que la créance qu'elle détenait sur la société débitrice, alors autorisée à poursuivre son exploitation, aurait, en tout ou partie, acquis ce caractère lorsqu'elle a procédé, en septembre 1991, à l'imputation litigieuse et qu'en tout état de cause, elle n'a pas démontré davantage que ce caractère aurait été acquis avant la fin de la période couverte par la vérification, terme de son éventuel droit à compensation et qu'enfin, postérieurement à la déduction de la taxe litigieuse à laquelle a procédé ladite société, une partie de la créance initialement déduite aurait été acquittée par la société débitrice, a considéré que l'administration fiscale avait à bon droit refusé la déduction, au titre du mois de septembre 1991, de la TVA en litige.

L'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg était donc rejetée.

Au vu de ce qui précède, il apparaît de cette décision, que l'irrécouvrabilité d'une créance n'est pas définitivement acquise, notamment, lorsque la société débitrice mise initialement en redressement judiciaire fait l'objet par la suite d'un plan de continuation.

Il faut donc faire table rase des idées préconçues selon lesquelles une société en redressement judiciaire est dans l'incapacité de redresser sa situation.

L'imputation de la TVA afférente aux créances dont est redevable la société débitrice ne s'opère donc pas de plein droit.

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